Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 février 2013, n° 11/05390

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, ch. 1 sect. 1, 11 févr. 2013, n° 11/05390
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 11/05390
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Amiens, 10 juillet 2008, N° 06/01132
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 13 juin 2022
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Texte intégral

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 11/02/2013

***

RENVOI DE CASSATION

N° de MINUTE : 91/2013

N° RG : 11/05390

Jugement (06/01132) rendu le 11 Juillet 2008 par le Tribunal de Grande Instance d’AMIENS

Arrêt (N° 08/03401) rendu le 25 Février 2010 par le Cour d’Appel d’AMIENS

Arrêt de la Cour de Cassation du 29 Juin 2011

REF : EM/AMD

DEMANDERESSE A LA DÉCLARATION DE SAISINE

Madame [A] [V]

née le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 10]

demeurant [Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Maître Bernard FRANCHI de la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI, anciens avoués

Assistée de Maître Jean-François LEPRETRE, avocat au barreau d’AMIENS

DÉFENDEURS A LA DÉCLARATION DE SAISINE

Maître [C] [K]

demeurant [Adresse 3]

[Localité 9]

Représentée par Maître Marie-Hélène LAURENT, avocat au barreau de DOUAI, constituée aux lieu et place de la SCP THERY LAURENT, anciennement avoués

Assisté de Maître KUHN, avocat au barreau de PARIS

FONDATION [16]

ayant son siège social [Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Maître Aliette CASTILLE ès qualités de suppléante de Philippe QUIGNON, avocat au barreau de DOUAI, anciennement avoué

Assistée de Maître Emilia BULICH, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [U] [H]

demeurant [Adresse 19]

[Localité 21]

Madame [P] [X] épouse [H]

demeurant [Adresse 19]

[Localité 21]

Assignés et réassignés en l’étude de l’huissier – N’ayant pas constitué avocat

MONSIEUR LE CONSERVATEUR DU MUSÉE [11]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 20]

Assigné à domicile – N’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Evelyne MERFELD, Président de chambre

Pascale METTEAU, Conseiller

Joëlle DOAT, Conseiller

— --------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE

DÉBATS à l’audience publique du 10 Décembre 2012 après rapport oral de l’affaire par Evelyne MERFELD

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT RENDU PAR DÉFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 Février 2013 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Evelyne MERFELD, Président, et Delphine VERHAEGHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

VISA DU MINISTÈRE PUBLIC : 03 décembre 2012

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 05 novembre 2012

***

Madame [S] [G] veuve [W] a signé huit testaments authentiques entre le 18 avril 1984 et le 11 janvier 2006.

Elle est décédée le [Date décès 4] 2006, à l’âge de 90 ans laissant pour héritière ab intestat, sa nièce, Madame [A] [V].

Le 11 avril 2006 Madame [V] a déposé au greffe du Tribunal de Grande Instance d’Amiens une déclaration d’inscription de faux contre les testaments en date des 3 octobre 2000, 9 avril 2004 et 11 janvier 2006 instituant comme légataire universel la Fondation [16] et contenant divers legs particuliers notamment à son profit et au profit du Musée [11] [Localité 20] et de Monsieur [U] [H] et son épouse, Madame [P] [X]. Elle soutenait que malgré la mention contraire ces testaments n’avaient pas été dictés par la testatrice, le notaire ayant utilisé un document dactylographié à l’avance.

Par acte d’huissier du 24 avril 2006 Madame [V] a fait assigner la Fondation [16], le Conservateur du Musée [11] et les époux [H] devant le Tribunal de Grande Instance d’Amiens afin qu’il se prononce sur sa demande d’inscription de faux.

La Fondation [16] a appelé Maître [C] [K], notaire à [Localité 22], qui a reçu les testaments incriminés, en intervention forcée le 1er septembre 2006.

Le 23 février 2007 Madame [V] a déposé au greffe du Tribunal de Grande Instance d’Amiens une nouvelle déclaration d’inscription de faux contre les testaments en date des 27 novembre 1990, 29 novembre 1996, 9 mars 1999 et 16 octobre 2003 pour les mêmes motifs que ceux exposés dans sa première demande. Elle a saisi le Tribunal de Grande Instance d’Amiens par assignations des 6, 12 et 14 mars 2007.

Les deux procédures ont été jointes.

Par jugement du 11 juillet 2008 le Tribunal de Grande Instance d’Amiens a :

— débouté Madame [V] de l’ensemble de ses demandes,

— constaté que la Fondation [16] déclare vouloir faire usage du testament authentique reçu par Maître [K] le 11 janvier 2006 et dit que ce testament a vocation à s’appliquer,

— condamné Madame [V] à payer à la Fondation [16] la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté la Fondation [16] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de Maître [K],

— condamné la Fondation [16] à payer à Maître [K] la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné Madame [V] au paiement d’une amende civile de 1 000 euros,

— condamné Madame [V] aux dépens.

Madame [V] a relevé appel de ce jugement le 24 juillet 2008 à l’égard de la Fondation [16], des époux [H] et du Musée [11], puis, par déclaration du 21 août 2008, à l’égard de Maître [K]. Ces deux appels ont été joints par ordonnance du 8 septembre 2008.

L’arrêt confirmatif rendu sur ces appels par la Cour d’Appel d’Amiens le 25 février 2010 a été cassé par arrêt de la Cour de Cassation en date du 29 juin 2011 pour violation des articles 971 et 972 du code civil au motif que la Cour a rejeté les prétentions de Madame [V] sans constater que le notaire avait, en présence des témoins et sous la dictée de la testatrice, transcrit les volontés de celle-ci.

Madame [V] a saisi la Cour d’Appel de Douai, désignée comme juridiction de renvoi, par déclaration du 27 juillet 2011.

Elle conclut à l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la Cour de :

— dire que les testaments authentiques de Madame [S] [W], dressés par Maître [C] [K] à [Localité 22] les 27 novembre 1990, 29 novembre 1996, 9 mars 1999, 3 octobre 2000, 16 octobre 2003, 9 avril 2004 et 11 janvier 2006 constituent des faux sur les mentions faites par le notaire de la dictée de la testatrice de ses dispositions testamentaires, de leur dactylographie, en la présence réelle des témoins instrumentaires et des mentions relatives à la date et au lieu d’écritures des testaments,

— en conséquence prononcer la nullité de ces testaments,

— dire que l’arrêt à intervenir déclarant les faux sera mentionné en marge des testaments authentiques déclarés faux,

— ordonner en tant que de besoin la comparution personnelle de Maître [K] et l’audition de Mademoiselle [S] [M], Mademoiselle [Y] [L] et Monsieur [F] [E], les trois témoins instrumentaires des testaments litigieux, conformément aux dispositions des articles 291 et 293 du code de procédure civile,

— débouter Maître [K] et la Fondation [16] de leurs fins, moyens et prétentions,

— condamner Maître [K] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses chefs de préjudice,

— condamner Maître [K] et la Fondation [16] à lui payer chacune la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Fondation [16] a conclu à titre principal à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a condamnée à payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à Maître [K].

Elle demande à la Cour de constater qu’elle entend faire usage du testament du 11 janvier 2006 et soutient que ce testament a vocation à produire ses effets.

Elle déclare que la volonté de Madame [W] était de la désigner en qualité de légataire universel depuis le 9 mars 1999 et soutient que lors de la rédaction du testament Mademoiselle [M] et Monsieur [E] ont signé l’acte en confirmant son contenu, c’est à dire que ce testament a été dicté par la testatrice

en présence des témoins et qu’en conséquence la valeur de leurs réponses à la sommation interpellative doit être reconsidérée, le Tribunal ayant jugé à bon droit que la légèreté des déclarations contradictoires des témoins instrumentaires ne peut servir de fondement à la procédure d’inscription de faux.

Elle ajoute à titre subsidiaire que le testament du 11 janvier 2006 vaut comme testament international et a vocation à produire ses effets en tant que tel.

Si par impossible le testament du 11 janvier 2006 était déclaré faux et nul en raison du non respect des dispositions impératives de l’article 972 du code civil et n’était pas reconnu comme testament international, elle demande à la Cour de constater qu’elle entend faire usage du testament authentique du 9 avril 2004 et de condamner Maître [K] à lui payer à titre de dommages-intérêts, la différence entre la valeur du legs universel contenu dans le testament du 9 avril 2004 et celui qu’elle aurait dû recevoir aux termes du testament du 11 janvier 2006.

A titre très subsidiaire si la Cour décidait que le testament du 9 avril 2004 était un faux, était nul et non valable comme testament international elle déclare qu’elle entend faire usage du testament authentique du 16 octobre 2003 et demande que Maître [K] soit condamnée à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la différence entre la valeur du legs universel contenu dans le testament du 16 octobre 2003 et celui qu’elle aurait dû recevoir aux termes du testament du 11 janvier 2006.

La Fondation forme les mêmes demandes si les testaments des 16 octobre 2003 et 3 octobre 2000 étaient considérés comme des faux, étaient déclarés nuls ou n’étaient pas reconnus comme testament international et indique son intention de faire alors usage du testament du 9 mars 1999.

Dans l’hypothèse où les testaments des 11 janvier 2006, 9 avril 2004, 16 octobre 2003, 3 octobre 2000, 9 mars 1999, 29 novembre 1996 et 27 novembre 1990 seraient jugés faux, nuls et non valables comme testament international et que le testament du 18 avril 1984 serait retenu elle demande que Maître [K] soit déclarée responsable de son préjudice au titre de la perte de chance d’être gratifiée d’une somme équivalente à la valeur du legs universel contenu dans le testament du 11 janvier 2006 et qu’un expert soit désigné avec mission d’évaluer le préjudice résultant de cette perte de chance.

Elle se porte demanderesse, à l’égard de tous succombants, d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Maître [K] conclut à la confirmation du jugement soutenant qu’aucun des testaments contestés par Madame [V] ne constitue un faux en écriture publique et n’est susceptible d’annulation.

Subsidiairement elle demande à la Cour, au visa de la convention de Washington du 26 octobre 1973 entrée en vigueur le 1er décembre 1994, de dire que le testament du 11 janvier 2006 vaut comme testament international et doit bénéficier à la Fondation [16] et qu’il doit en être de même, le cas échéant, pour les autres testaments authentiques antérieurs dont la validité est contestée par Madame [V].

Elle soutient que la demande de dommages-intérêts présentée contre elle par Madame [V], nouvelle en cause d’appel, est irrecevable en application de l’article 564 du code de procédure civile.

Elle conclut au rejet des demandes de la Fondation [16] à son égard.

Elle se porte demanderesse à l’égard de la Fondation ou à défaut de Madame [V] d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu’elle a dû exposer devant la Cour.

Monsieur et Madame [H], assignés et réassignés les 26 octobre et 22 décembre 2011 par actes remis en l’étude de l’huissier n’ont pas constitué avocat.

Il en est de même du Conservateur du Musée [11] de [Localité 20], assigné à domicile le 20 décembre 2011.

Le dossier a été communiqué à Monsieur le Procureur Général qui y a opposé son visa le 3 décembre 2012.

SUR CE :

Vu les conclusions déposées par Madame [A] [V] le 15 mai 2012 ;

Vu les conclusions déposées par la Fondation [16] le 17 septembre 2012 ;

Vu les conclusions déposées par Maître [C] [K] le 18 novembre 2011 ;

Attendu que par testament authentique du 11 janvier 2006 Madame [S] [G] veuve [W] a institué pour légataire universel la Fondation [16] ; qu’elle a légué à titre particulier à sa nièce, Madame [A] [V], ses comptes au Crédit Lyonnais, au Crédit Agricole, à La Poste et à la Banque Indosuez, le mobilier meublant le château de [Localité 21] et le bois de [Localité 21] ; qu’elle a également prévu d’autres legs particuliers au profit du Musée [11] de [Localité 20] et des époux [H] ; qu’elle a précisé révoquer tous testaments antérieurs ;

Attendu que Madame [S] [W] avait en effet fait établir auparavant sept testaments authentiques le 18 avril 1984, le 27 novembre 1990 (complétant le précédent par un legs particulier au musée de [Localité 20]), le 29 novembre 1996, le 9 mars 1999, le 3 octobre 2000, le 16 octobre 2003 et le 9 avril 2004, tous reçus par Maître [C] [K] à l’exception du premier ;

Qu’alors que dans les trois premiers testaments Madame [W] avait désigné sa nièce, Madame [A] [V] comme légataire universel, à compter du testament du 9 mars 1999 elle a institué la Fondation [16] en cette qualité ;

1°) sur les inscriptions de faux

Attendu que l’article 971 du code civil dispose que le testament par acte public est reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins ;

que selon l’article 972 si le testament est reçu par deux notaires il leur est dicté par le testateur, l’un de ces notaires l’écrit lui même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement. S’il n’y a qu’un notaire il doit également être dicté par le testateur, le notaire écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement. Dans l’un ou l’autre cas il doit en être donné lecture au testateur. Il est fait du tout mention expresse;

Attendu qu’au soutien de ses déclarations en inscription de faux déposées en application de l’article 306 du code de procédure civile Madame [V] fait valoir que les testaments des 27 novembre 1990, 29 novembre 1996, 9 mars 1999, 3 octobre 2000, 16 octobre 2003, 9 avril 2004 et 11 janvier 2006 n’ont pas été dictés par la testatrice, le notaire ayant utilisé un texte dactylographié à l’avance ; qu’elle en déduit que la mention contenue dans ces testaments selon laquelle 'le testament a été dicté par la testatrice au notaire soussigné qui l’a dactylographié, le tout en présence des témoins’ est fausse ;

Attendu que les témoins instrumentaires étaient :

— pour les testaments des 27 novembre 1990, 29 novembre1996, 9 mars 1999 et 23 octobre 2000, Mademoiselle [Y] [L] et Mademoiselle [S] [M],

— pour le testament du 16 octobre 2003, Mademoiselle [Y] [L] et Monsieur [F] [E],

— pour les testaments des 9 avril 2004 et 11 janvier 2006, Mademoiselle [S] [M] et Monsieur [F] [E] ;

qu’il ressort des réponses concordantes faites par ces trois témoins aux sommations interpellatives qui leur ont été délivrées par Maître [T], huissier de justice, les 9 et 11 mars 2006, 2 et 6 février 2007 que lorsqu’elle a reçu ces testaments Maître [K] disposait d’un acte déjà rédigé, préparé à l’avance dont elle faisait lecture ;

Attendu que pour écarter les demandes de Madame [V] le Tribunal s’est fondé sur les attestations de ces mêmes témoins produites par Maître [K], décrivant le mécanisme selon lequel le notaire a reçu les testaments ;

que dans son attestation datée du [Date décès 4] 2007 Monsieur [E] a déclaré :

Maître [K] me téléphonait à la demande de Madame [W] pour être témoin de son testament.

Elle me disait s’être entretenue avec Madame [W], avoir fait avec elle un brouillon, lui avoir lu et l’avoir tapé à la machine à écrire en son étude pour éviter toutes erreur. Puis j’allais avec elle et l’autre témoin au château.

Maître [K] lisait une phrase ; Madame [W] la répétait et acquiesçait et en faisait des commentaires pour nous expliquer ses motivations.

Puis Maître [K] lui présentait le testament pour qu’elle le lise et elle le lisait et acquiesçait et le signait.

Je certifie que cela s’est passé ainsi à chaque fois et qu’elle désirait léguer à la Fondation d’Auteuil mais ne voulait pas déshériter totalement sa nièce ; elle voulait qu’elle ait certains biens et argent mais voulait que le château revienne à la Fondation d’Auteuil.

que le 26 juillet 2007 Mademoiselle [L] a attesté que :

Je suis allée à la demande de Madame [W] chez elle pour être témoin de son testament.

Maître [K] allait voir Madame [W] pour en parler avant et elles le préparaient ensemble car il y avait diverses choses à voir et des détails qui changeaient à chaque fois.

Mais j’affirme que c’est toujours à la Fondation d’Auteuil qu’elle voulait léguer son château mais voulait aussi que sa nièce ait quelque chose.

Ça se passait ainsi : Maître [K] lisait une partie à Madame [W] qui disait que c’était bien cela qu’elle désirait, elle répétait, donnait des commentaires, expliquait pourquoi elle faisait cela puis Maître [K] lui faisait lire et elle signait.

que Mademoiselle [M] déclare, dans son attestation datée de 2007 :

Je connais Madame [W] depuis longtemps, elle me faisait toute confiance, et c’est pour cela qu’elle m’a demandé d’être témoin pour son testament.

Elle avait vu auparavant Maître [K] pour bien rédiger, changer quelquefois certaines choses mais sa principale idée était toujours de léguer le château à la Fondation d’Auteuil.

Nous arrivons chez Madame [W]. Maître [K] commençait à lire. Madame [W] intervenait pour répéter et confirmer et donner des explications sur ses intentions, disait que c’était d’accord et elle le signait,

Attendu qu’il ressort des attestations fournies par le notaire lui même que contrairement à ce qui a été noté dans les sept actes authentiques et ce qui est exigé par l’article 972 du code de procédure civile les témoins n’ont assisté qu’à la lecture des testaments mais pas à leur dictée par la testatrice ni à leur rédaction ;

que les testaments des 27 novembre 1990, 29 novembre 1996, 9 mars 1999, 3 octobre 2000, 16 octobre 2003, 9 avril 2004 et 11 janvier 2006 dans lesquels il est mentionné 'ce testament a été dicté par la testatrice au notaire soussigné qui l’a dactylographié… le tout a eu lieu en la présence réelle des témoins soussignés’ sont donc des faux en tant qu’actes publics ;

qu’il convient en conséquence en application des articles 309 et 310 du code de procédure civile de faire droit aux déclarations d’inscription de faux déposées par Madame [V] et d’ordonner que la mention du présent arrêt soit portée en marge des actes conservés dans les minutes de l’étude de Maître [C] [K], notaire à [Localité 22] ;

que le jugement doit être infirmé en ce qu’il a débouté Madame [V] de ses demandes d’inscription de faux et l’a condamnée à une amende civile en application de l’article 305 du code de procédure civile ;

2°) sur la demande de nullité du testament du 11 janvier 2006

Attendu que le testament du 11 janvier 2006 déclaré faux, n’a pas été établi conformément aux règles légales imposées pour les testaments authentiques puisque les témoins instrumentaires n’ont pas assisté à la dictée du testament par la testatrice, ni à sa rédaction ; qu’il ne peut donc valoir comme testament authentique ;

Attendu que la Fondation d’Auteuil et Maître [K] demandent que ce testament soit validé comme testament international, institué par la Convention de Washington du 26 octobre 1973, entrée en vigueur en France le 5 décembre 1994 ;

que l’article 1er de la loi uniforme annexée à cette convention dispose 'un testament est valable en ce qui concerne la forme, quels que soient notamment le lieu où il a été fait, la situation des biens, la nationalité, le domicile ou la résidence du testateur, s’il est fait en la forme du testament international conformément aux dispositions des articles 2 à 5 ci-après ;

qu’aucun élément d’extranéité n’est donc requis pour établir un testament en la forme internationale ;

Attendu que sont seulement exigées, à peine de nullité par les articles 2 à 5, les conditions suivantes :

Le testament ne doit pas impliquer deux ou plusieurs personnes comme testatrices (article 2) ; il doit être écrit mais pas nécessairement par le testateur lui même (article 3) ; le testateur déclare en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter à cet effet -en France, un notaire- que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu, sans qu’il ne soit tenu de leur en donner connaissance (article 4).

Suit à l’article 5 la phase de signature, le testateur signe en présence des témoins et du notaire ou s’il l’a déjà fait, reconnaît et confirme sa signature, s’il est dans l’incapacité de signer, il en indique la cause au notaire qui en fait mention sur le testament puis le notaire et les témoins signent à leur tour ;

Que toutes ces formalités ont bien été accomplies à l’occasion de l’établissement du testament du 11 janvier 2006 ;

Qu’il convient également de constater que conformément à l’article 6 de la loi uniforme Madame [W] a bien signé tous les feuillets du testament du 11 janvier 2006 ;

Attendu que pour s’opposer à la demande de substitution en testament international, Madame [V] soutient en premier lieu que ce moyen serait irrecevable au motif que la Cour de Cassation, qui était saisie de cette question par le mémoire en défense de Maître [K], l’a tranchée par prétérition dans son arrêt du 29 juin 2011 ;

Mais attendu que l’article 624 du code de procédure civile dispose que la censure qui s’attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire;

que la cassation d’une décision prononcée 'dans toutes ses dispositions’ investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l’entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit,

qu’aucune conséquence fondée sur l’autorité de la chose jugée ne peut donc être tirée de l’absence de réponse de la Cour de Cassation au moyen subsidiaire du notaire qui lui suggérait d’écarter les critiques de Madame [V] au motif qu’en tout état de cause le testament pouvait valoir comme testament international ;

Attendu que le moyen fondé sur la validation du testament comme testament international n’était certes pas invoqué en première instance mais l’article 563 du code de procédure, applicable devant la juridiction de renvoi après cassation, autorise les parties à invoquer en appel des moyens nouveaux ;

Attendu qu’en second lieu Madame [V] fait valoir qu’en droit positif aucun texte ne prévoit la conversion du testament par acte public, le procédé de sauvetage d’un testament par conversion n’étant visé dans le code civil qu’au profit du testament mystique à l’article 979 ;

qu’elle considère qu’admettre qu’un testament authentique nul pour défaut de dictée demeure néanmoins valable en tant que testament international conduirait à réduire les garanties assurées au testateur et s’inscrivait donc à l’encontre de l’ordre public interne français et des dispositions générales de l’article 6 du code civil;

qu’elle ajoute qu’il est de principe que lorsqu’une personne s’est placée volontairement dans un cadre juridique qui ne lui était pas imposé elle a l’obligation d’en respecter les règles ; qu’elle en déduit que Madame [W] ayant fait le libre choix de donner à ses dispositions testamentaires la forme d’un acte public, l’application des articles 971 et 972 du code civil s’impose ;

Attendu que la convention de Washington du 28 octobre 1973 a été ratifiée en France par la loi du 25 avril 1994 et publiée par décret du 8 novembre 1994; que les effets d’une norme prise en application d’un traité international dûment ratifié s’imposent au juge national ; que depuis le 1er décembre 1994 existe donc en droit français le testament international aux conditions plus souples que celles du testament authentique ; que notamment qu’il n’est pas exigé que le testament soit dicté par le testateur et rédigé devant les témoins ;

Qu’admettre la conversion du testament authentique en testament international n’est en rien contraire à l’ordre public français, ni à l’article 6 du code civil; que la forme authentique du testament n’est pas d’ordre public ;

Que le choix initial du testament authentique par la testatrice n’empêche pas, au vu de la loi prévoyant désormais cette autre forme de testament, de valider les dispositions qu’il contient sous la qualification de testament international dès lors que les conditions sont réunies ;

Qu’un testament n’est pas une convention ; que Madame [V] ne peut donc se prévaloir de la jurisprudence relative à la soumission volontaire par une partie à un contrat à des dispositions qui ne lui étaient imposées par la loi ;

Attendu que contrairement à ce que soutient Madame [V] la volonté libre et certaine de la testatrice telle qu’exprimée dans le testament du 11 janvier 2006 où elle déclare qu’il est l’expression exacte de ses dernières volontés ne fait aucun doute; que les témoins instrumentaires ont tous trois affirmé dans leurs attestations analysées ci-avant que Madame [W] voulait tester en faveur de la Fondation d’Auteuil ; que sur sommations interpellatives qui leur ont été délivrées sur requête de Madame [V] les 9 et 11 mars 2006 Mademoiselle [M] et Monsieur [E] ont tous deux déclaré que Madame [W] a elle-même signé le testament du 11 janvier 2006 sans aide et qu’elle était certes affaiblie mais consciente de ses actes, Monsieur [E] précisant en outre qu’elle parlait de façon intelligible et sensée ;

que dans une attestation établie le 24 décembre 2008 Monsieur [E] a déclaré que le 11 janvier 2006 Madame [W] avait toujours un esprit très vif, qu’elle s’intéressait à l’actualité qu’elle commentait, qu’elle n’était aucunement

diminuée mentalement ; qu’il a précisé qu’à cette occasion il a discuté avec elle d’un tableau et d’un meuble qu’elle léguait au musée de [Localité 20] et a affirmé que Madame [W] a reparlé de la Fondation d’Auteuil et a exprimé clairement sa volonté de lui léguer des biens ;

Attendu que les déclarations des témoins instrumentaires ne sont pas susceptibles d’être remises en cause par les réponses de Monsieur [U] [H], garde-champêtre et Madame [I] [B], employée au château de [Localité 21], recueillies par Maître [T], huissier de justice, le 17 mars 2006, à la requête et en présence de Madame [V] ; que ces deux personnes ont certes affirmé que l’état de santé de Madame [W] s’est dégradé à partir de 2005 et qu’à diverses reprises en 2005 elle leur avait exprimé sa volonté de donner le château à sa nièce qui devait hériter de tout, Monsieur [H] précisant que selon lui Madame [W] était sous l’influence de Maître [K] ; que cependant :

— les déclarations de Monsieur [U] [H], qui est partie à la procédure et n’a donc pas qualité pour témoigner, ne peuvent être retenues ; qu’en toute hypothèse aucun élément du dossier soumis à la Cour ne vient corroborer ces allégations sur l’influence de Maître [K],

— que Madame [W] n’a jamais envisagé d’exclure sa nièce de sa succession et ne l’a pas fait ; qu’elle a pris la décision de désigner la Fondation d’Auteuil comme légataire universel dès le 9 mars 1999 et l’a confirmée à plusieurs reprises avant 2005, date à laquelle son état de santé se serait dégradé selon Madame [B] ;

— que Monsieur [N] [O], expert forestier qui s’occupait de la coupe et de l’entretien des bois de Madame [W] qu’il connaissait depuis trente ans, a attesté le 18 décembre 2008 qu’à plusieurs reprises au cours de leurs différentes conversations Madame [W] lui a dit qu’elle ne voulait pas que sa nièce hérite du château qu’elle ne saurait pas entretenir, n’en ayant pas les moyens et qu’elle le léguerait à une association ;

Attendu que toutes les conditions de formes posées sur la Convention de Washington étant remplies et la capacité de la testatrice étant établie, il convient de dire que le testament authentique du 11 janvier 2006 déclaré faux en tant qu’acte public est valable comme testament international ;

3°) sur la demande de dommages-intérêts de Madame [V]

Attendu que Madame [V] se porte demanderesse à l’égard de Maître [K], d’une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts soutenant que les testaments authentiques qui ont été déclarés faux ont eu pour conséquences de la priver, depuis plusieurs années, de la jouissance des biens dépendant de la succession de Madame [W] et qu’elle a également subi un préjudice moral et financier résultant de l’obligation d’engager plusieurs procédures judiciaires pour faire constater les faux intellectuels ;

Attendu que cette demande, bien que nouvelle en cause d’appel, est néanmoins recevable en application de l’article 566 du code de procédure civile puisqu’elle constitue le complément des prétentions de première instance de Madame [V] contre le notaire ;

Attendu que la demande est en revanche mal fondée ; que dans la mesure où la Cour a jugé que le testament du 11 janvier 2006, nul en tant qu’acte authentique, valait testament international, Madame [V] qui n’a vocation à recueillir de la succession de Madame [W] que ce qui lui a été légué dans ce testament, n’a subi aucun préjudice présentant un lien de causalité avec la faute du notaire ;

que Madame [V] doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

*

**

Attendu que la solution apportée au litige conduit à faire masse des dépens de première instance et d’appel et à les partager par moitié entre Madame [V] et Maître [K] qui seront condamnées chacune à verser à la Fondation d’Auteuil la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et dans le cadre des deux procédures d’appel ;

que les autres demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant par défaut,

Infirme le jugement et statuant à nouveau,

Déclare que les testaments de Madame [S] [G] veuve [W], établis par Maître [C] [K], notaire à [Localité 22] les 27 novembre 1990, 29 novembre 1996, 9 mars 1999, 3 octobre 2000, 16 octobre 2003, 9 avril 2004 et 11 octobre 2006 sont faux en tant qu’actes authentiques,

Dit que mention du présent arrêt sera portée en marge desdits actes conservés dans les minutes de l’étude de Maître [C] [K],

Dit n’y avoir lieu à amende civile,

Dit que le testament du 11 janvier 2006 est valable en tant que testament international,

Déclare Madame [V] recevable mais mal fondée en sa demande de dommages-intérêts à l’égard de Maître [K], l’en déboute,

Fait masse des dépens de première instance et d’appel et dit qu’ils seront partagés par moitié entre Madame [V] et Maître [K],

Autorise s’ils en ont fait l’avance sans avoir reçu provision la SCP DELEFORGE FRANCHI, Maître QUIGNON et la SCP THERY LAURENT, avoués, au titre des actes accomplis antérieurement au 1er janvier 2012, Maître FRANCHI, Maître CASTILLE, en qualité de suppléante de Maître QUIGNON et Maître LAURENT, avocats, au titre des actes accomplis à compter du 1er janvier 2012, à recouvrer les dépens d’appel exposés devant la Cour de Douai conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne Madame [V] et Maître [K] à verser chacune à la Fondation [16] une somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier,Le Président,

Delphine VERHAEGHE.Evelyne MERFELD.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 février 2013, n° 11/05390