Cour d'appel de Nancy, 15 juin 2016, n° 15/00613

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 15 juin 2016, n° 15/00613
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 15/00613
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nancy, 9 février 2015, N° 14/0243

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N° PH

DU 15 JUIN 2016

R.G : 15/00613

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANCY

14/0243

10 février 2015

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

APPELANTE :

XXX prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

XXX

XXX

Représentée par Me David BLANC, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

G Y

31 rue U Baptiste Thierry Solet

XXX

Comparante, assistée de Me Vincent LOQUET, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : Yannick BRISQUET

Siégeant comme magistrat chargé d’instruire l’affaire

Greffier : Catherine REMOND (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue en audience publique du 22 Mars 2016 tenue par Yannick BRISQUET , magistrat chargé d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Christine ROBERT-WARNET, Président, Yannick BRISQUET, et Dominique BRUNEAU, Conseillers, dans leur délibéré pour l’arrêt être rendu le 25 Mai 2016, date à laquelle l’affaire a été prorogée au 15 juin 2016.

Le 15 juin 2016, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Mme G Y, née le XXX, a été embauchée en contrat à durée indéterminée le 5 janvier 2009 par la société Brico Dépôt, en qualité de chef de secteur caisse, catégorie cadre, au coefficient 320 de la convention collective nationale du bricolage.

Mme Y, qui était affectée au magasin d’Essey-les-Nancy, a été placée en arrêt de travail pour maladie du 8 avril 2010 au 10 mars 2011.

Après avoir été convoquée par lettre du 28 mars 2011 à un entretien préalable qui s’est déroulé le 4 avril 2011, Mme Y a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 29 avril 2011 ainsi motivée :

'Le 21 mars 2011, l’expert du cabinet X, intervenant indépendant en charge de la réalisation d’un rapport d’expertise ordonné par le conseil de prud’hommes de Nancy, nous a alerté sur les résultats de l’enquête menée concernant le secteur caisse.

En effet, dans le cadre de cette enquête, cinq collaboratrices du secteur caisse ont souhaité rencontrer M. E Z afin de s`exprimer sur vos pratiques managériales totalement inadaptées, pratique à l’origine d’un profond malaise et désarroi de ces différentes salariées.

Leur témoignage fait ressortir de façon unanime et sans ambiguïté, que vos méthodes managériales relèvent de l’autoritarisme, sans dialogue possible, avec surveillance disproportionnée et mesures individuelles vexatoires auprès de cinq collaboratrices de notre secteur caisse.

Ces pratiques ont eu des effets pathogènes sur les salariés du secteur, dont plusieurs ont déclaré que vous étiez à l’origine de la dégradation de leur état de santé avec spasmes d’anxiété, crises de nerf, crises de larmes, symptômes d’hypertension.

Celles-ci ont indiqué n’avoir retrouvé une certaine sérénité que pendant votre absence.

De ce fait, à l’annonce de votre retour, plusieurs hôtesses de caisse ont fait état de leurs angoisses et de leur désespoir.

Le 16 mars 2011, nous avons également reçu un courrier de nos délégués du personnel qui, alertés de votre retour, nous ont fait part de leur inquiétude et nous ont demandé de prendre les mesures nécessaires afin de protéger les collaboratrices de la ligne de caisse et plus particulièrement trois d’entre elles.

Face à la gravité de ces accusations et à leur concordance, nous nous sommes renseignés plus avant afin de faire la lumière sur la situation et les faits allégués.

Ces recherches ont confirmé sans aucun doute possible des pratiques inacceptables de votre part.

Ces pratiques ont effectivement généré de graves dysfonctionnements dans la ligne de caisse et ont eu pour effet une importante dégradation des conditions de travail de plusieurs collaboratrices.

Ainsi, il a été mis en avant que vous adoptez une pratique d’isolement des hôtesses de caisse, leur demandant de ne pas s’adresser la parole lorsqu’elles sont en caisse, et veillant pour cela à laisser le plus souvent possible une caisse vide entre chacune d’elle. Vous leur avez également passé la consigne de ne pas se côtoyer en dehors du cadre de l’établissement, vous immisçant ainsi de façon tout à fait abusive dans leur vie privée.

Toujours dans cet esprit qui peut être perçu comme une technique de division, vous avez interdit aux caissières d`effectuer des demandes visant à se remplacer entre elles en cas de besoin liés à leurs impératifs personnels. Vous n’avez alors justifié votre décision que par le fait que vous étiez « la chef '' et donc celle qui décide.

Par ailleurs, de façon arbitraire, vous accordiez un traitement différent aux différentes collaboratrices, envoyant régulièrement certaines d’entre elles à la caisse bâti, moins confortable que les autres caisses du dépôt, alors que d’autres hôtesses de caisse n’y étaient jamais affectées.

Vous avez également, sans aucune justification valable, cessé d’adresser la parole à une hôtesse de caisse, et avez décidé de ne vous adresser à elle que par le biais d’une tierce personne. Celle-ci s’est donc trouvée, à la vue de ses collègues, traitée comme punie et indésirable, sans dialogue possible avec vous, et de ce fait, en difficulté pour exercer correctement son travail.

Enfin, vous avez, sans accompagner vos décisions de la moindre justification opérationnelle réaménagé les horaires des hôtesses de caisse leur demandant de modifier leur jour de repos, de se mettre à travailler toute la journée du samedi, et en leur imposant d`effectuer des heures supplémentaires sans tenir aucun compte de leurs contraintes personnelles et notamment familiales.

Lors de votre entretien préalable vous ne nous avez pas fourni d’explication de nature à modifier notre appréciation des faits, ne comprenant manifestement pas la gravité de la situation.

Compte tenu de vos agissements et de leurs conséquences sur la santé des collaborateurs, la poursuite de notre collaboration est impossible.

C’est pourquoi nous nous voyons contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave'.

Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme Y a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy le 29 avril 2013 aux fins d’obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les indemnités de rupture et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle a soulevé la prescription des faits reprochés et a subsidiairement contesté leur caractère réel et sérieux.

La société Brico Dépôt s’est opposée à ces demandes et a sollicité la condamnation de la salariée au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 février 2015, le conseil de prud’hommes a dit et jugé que les faits allégués ne sont pas prescrits. Il a en revanche dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Mme Y est dépourvu de cause réelle et sérieuse et il a condamné la société Brico Dépôt à payer à la salariée les sommes suivantes :

—  25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  7.500 euros à titre indemnité de préavis ;

—  1.400 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;

—  1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont retenu qu’un premier rapport d’expertise portant sur les risques psychosociaux au sein de l’établissement d’Essey-les-Nancy, établi par le cabinet X le 6 avril 2010, à la demande de membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, avait mis en évidence un mauvais climat social au sein de l’entreprise qui n’était pas du fait de Mme Y mais qui résultait de la politique de la direction et de mauvaises relations sociales que la salariée avait elle-même eu à subir, d’autant qu’elle était chargée en tant que cadre de mettre en oeuvre cette politique. Ils ont également considéré que le second rapport d’expertise établi par le cabinet X le 26 avril 2011 n’avait pu motiver le licenciement dans la mesure où il était postérieur d’un mois à la convocation à l’entretien préalable et n’avait précédé la lettre de licenciement que de deux jours. Ils ont considéré en substance que l’employeur s’était fondé uniquement sur le contenu d’un courriel envoyé le 21 mars 2011 par M. Z, expert du cabinet X, et que l’employeur ne pouvait se contenter de reprendre le contenu d’un courriel rédigé par une personne étrangère à l’entreprise sans vérifier lui-même la réalité des faits invoqués.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception envoyée le 5 mars 2015, la société Brico Dépôt a relevé appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 11 février précédent.

*

La société Brico Dépôt sollicite l’infirmation du jugement et soutient que le licenciement de Mme Y repose sur une faute grave.

Elle demande que la salariée soit déboutée de l’ensemble de ses demandes et qu’elle soit condamnée à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

*

Mme Y demande la confirmation du jugement en ce qu’il a dit et jugé que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société Brico Dépôt à lui verser les sommes de 7.500 euros à titre d’indemnité de préavis, de 1.400 euros au titre de l’indemnité de licenciement et de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite en revanche son infirmation en ce qu’il a dit et jugé que les faits fautifs allégués ne sont pas prescrits et en ce qu’il a condamné la société Brico Dépôt à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle demande en conséquence la condamnation de la société Brico Dépôt au paiement de la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme Y sollicite en outre la condamnation de la société Brico Dépôt au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

*

Les parties ont été invitées lors de l’audience à présenter leurs observations sur l’application éventuelle des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail prévoyant le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées par Pôle emploi au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnité.

*

La Cour se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier le 22 mars 2016, dont elles ont repris oralement les termes lors de l’audience.

MOTIVATION

— Sur la prescription des fautes disciplinaires invoquées par l’employeur pour motiver le licenciement :

Selon l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

La prescription de deux mois énoncée par ce texte ne court que du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié. Toutefois, dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

En l’espèce, Mme Y a travaillé au sein du magasin d’Essey-les-Nancy du 5 janvier 2009, date de son embauche, au 8 avril 2010, date à compter de laquelle elle s’est trouvée en arrêt maladie en raison d’un syndrome anxio-dépressif qui s’est prolongé jusqu’au 10 mars 2011.

Le 18 mars 2011, le médecin du travail a déclaré Mme Y apte à la reprise du travail sur le poste de chef de secteur caisse mais son employeur l’a affectée au sein de l’établissement d’Epinal afin d’y suivre une formation pendant deux semaines. Mme Y n’a donc pas repris son poste au sein de l’établissement d’Essey-les-Nancy et le 28 mars 2011, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement et dispensée de toute activité pendant la durée de la procédure engagée à son encontre.

Il apparaît en conséquence que les faits susceptibles d’être reprochés à Mme Y sont nécessairement antérieurs au 8 avril 2010.

L’employeur soutient n’avoir eu une connaissance exacte des faits que le 21 mars 2011, à travers le contenu d’un courriel envoyé par M. E Z, membre du cabinet X, ainsi rédigé : 'Je sais que la personne responsable du secteur caisse doit reprendre ses fonctions après une absence de plusieurs mois pour raisons de santé. Je tiens à vous alerter sur les risques sociaux qui pourraient en résulter. En effet, dans le cadre de ma mission demandée par le conseil de prud’hommes de Nancy dont je suis en train de rédiger les conclusions, il est ressorti de façon unanime et sans ambiguïté auprès de cinq salariés issus de ce secteur qui ont souhaité me rencontrer afin de s’exprimer, que les pratiques managériales de ce responsable n’étaient pas adaptées à la situation, loin s’en faut : autoritarisme, surveillance disproportionnée, défaut de loyauté, mesures individuelles vexatoires, etc. Ce comportement a eu incontestablement des effets pathogènes sur les salariés du secteur. Une certaine sérénité a été retrouvée pendant l’absence de cette personne, de sorte que son retour dans la fonction provoque un phénomène général de désespoir et laisse planer le spectre de graves dysfonctionnements. À l’heure où nous oeuvrons, vous et moi, pour aider le magasin d’Essey-les-Nancy à retrouver un système de relations sociales normal, cette décision apparaît pour le moins inopportune. Permettez-moi de vous recommander la plus grande prudence dans l’affectation de ce cadre, en tout cas pas à un poste de management d’équipe.'

L’employeur a également reçu le 16 mars 2011 un courrier des délégués du personnel qui s’inquiétaient du retour de Mme Y dans l’établissement et lui demandaient de protéger trois salariées du secteur caisse dont les noms étaient cités dans la décision du conseil de prud’hommes ayant ordonné une expertise à la suite du déclenchement du droit d’alerte.

Pour soutenir que la société Brico Dépôt avait connaissance des faits invoqués dans la lettre de licenciement plus de deux mois avant l’engagement de la procédure, Mme Y se réfère au premier rapport établi par le cabinet d’expertise X le 6 avril 2010.

Ce rapport indique en introduction que les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et les délégués du personnel ont exercé leur droit d’alerte le 25 septembre 2009 en raison de tensions importantes concernant les conditions de travail au sein du magasin 'et plus particulièrement le secteur caisse’ (page 5), c’est-à-dire le service dont Mme Y avait la responsabilité. Il relève également une modification des modalités de prise de pauses pour les salariés du secteur caisse qui se voyaient imposer de se signaler auprès de l’hôtesse d’accueil, laquelle notait leur départ et leur retour pour contrôler les durées d’absence. Le rapport fait aussi état du fait que de nouvelles règles de conduite interdisaient aux caissières de conserver des biens personnels (confiseries, téléphone personnel, monnaie) dans les poches et pointait des 'modes de management inappropriés à développer un bon climat social dans l’entreprise’ (page 13). Les auteurs du rapport ont entendu le médecin du travail qui a souligné l’existence de difficultés relationnelles et qui a affirmé que 'le secteur caisse est le plus concerné', les caissières faisant état de tensions relationnelles très importantes, d’incompréhension des nouveaux modes de management et de modifications dans le travail vécues comme imposées et parfois injustifiées (page 38). Le rapport souligne également dans sa conclusion une 'pénibilité psychique pour les caissières fortement exposées’ en raison notamment de pauses figées, de relations très tendues avec l’encadrement, d’une pression liée aux contrôles fréquents et imprévus et de menaces de sanction voire de licenciement (page 65).

Même si le nom de Mme Y n’est pas cité dans ce rapport, elle pouvait cependant être facilement identifiée à travers sa fonction de chef de secteur caisse.

Toutefois, l’essentiel des critiques contenues dans ce rapport concerne le management général de l’entreprise et la dégradation des relations sociales qui semble en être résultée, sans pour autant que l’action personnelle de Mme Y dans la survenue de cette dégradation soit très clairement mise en évidence.

La société Brico Dépôt est donc bien fondée à soutenir que ce premier rapport ne permettait pas à lui seul d’avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits qui seront ensuite reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement, même si la société ne pouvait à l’évidence pas ignorer qu’il existait des difficultés sérieuses au sein du secteur caisse.

De la même façon, le tract du syndicat CGT daté du 23 octobre 2009 qui dénonçait 'le management initié dans ce secteur par la direction’ qui avait pour effet de détruire 'la santé morale et physique des salariés de la ligne de caisse’ mettait directement en cause la direction mais ne citait pas le nom de la chef de service.

Mme Y soutient cependant que l’employeur avait eu connaissance des pratiques managériales qui lui sont reprochées à l’occasion de l’action qui avait été engagée par une autre salariée, Mme C D, caissière principale, devant le conseil de prud’hommes de Nancy.

Par jugement de départage du 3 octobre 2011, le conseil de prud’hommes a dit que Mme C D avait été victime d’actes de harcèlement moral qui trouvaient leur origine dans des méthodes de gestion inadaptées, brutales et répétées. Il résulte de la motivation de ce jugement que c’est le comportement de Mme Y qui était principalement en cause dans la dégradation des conditions de travail de Mme C D qui avait dû être hospitalisée dans le courant de l’année 2009 et qui avait fait une tentative de suicide. Le jugement du conseil de prud’hommes a été confirmé par arrêt de la Cour d’appel de Nancy du 28 septembre 2012.

Or, il résulte des pièces du dossier de la société Brico Dépôt que la défense de Mme C D lui avait communiqué six attestations, toutes datées du 26 octobre 2009, auxquelles se sont référés aussi bien le conseil de prud’hommes de Nancy dans son jugement du 3 octobre 2011 que la Cour d’appel de Nancy dans son arrêt du 28 septembre 2012. Ces attestations mettent en avant les faits suivants :

— Mme AA AB-AC, hôtesse de caisse, atteste avoir été convoquée de manière informelle par Mme Y qui lui a reproché un dépassement de pause de 3 minutes et qui lui a expliqué que le passage aux toilettes devait se faire obligatoirement pendant la période de pause ;

— Mme S T, hôtesse de caisse et déléguée du personnel, atteste avoir démissionné de son poste de caissière principale suite aux pressions subies de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme Y, qui avait modifié ses horaires de telle manière que ses journées étaient coupées 3 ou 4 fois par semaine au lieu d’une fois pour ses collègues, qui n’avait plus le droit de faire des ouvertures et des fermetures de coffre contrairement à ses collègues, qui était mise à l’écart et à qui Mme Y n’adressait plus la parole ;

— Mme S T, affirme dans une seconde attestation avoir vu pleurer plusieurs de ses collègues au cours des mois précédents et avoir dû conduire Mme K L le 20 octobre 2009 à la médecine du travail ;

— M. U-V W atteste avoir vu plusieurs hôtesses de caisse pleurer, en l’occurrence Mme C D, Mme K L, Mme S T, Mme Q R et Mme A B et ne plus pouvoir parler à leur poste de travail ;

— Mme I J, hôtesse de caisse, atteste aussi avoir vu pleurer depuis le début de l’année plusieurs de ses collègues, à savoir Mme C D, Mme S T et Mme A B ;

— M. O P, vendeur, atteste avoir vu à plusieurs reprises des hôtesses de caisse pleurer et avoir, en sa qualité de secrétaire du CHSCT et sur demande de la médecine du travail, sollicité une réunion du CHSCT le 29 mai 2009 avec pour ordre du jour : 'conditions de travail au niveau du secteur caisse qui entraîne de graves problèmes sur les salariés et plus généralement sur l’ensemble du dépôt'.

Il résulte des mentions figurant sur le jugement du conseil de prud’hommes que Mme C D avait saisi cette juridiction le 2 mars 2010 et que l’affaire avait été plaidée une première fois devant le bureau de jugement le 26 novembre 2010 avant la décision de mise en départage. L’employeur a donc eu connaissance de ces attestations, qui mettent clairement en cause les pratiques professionnelles de Mme Y, au plus tard à cette date. La procédure engagée par Mme C D et les pièces produites dans le cadre de celle-ci venaient compléter et confirmer les éléments dont la société Brico Dépôt avait déjà connaissance, à savoir ceux qui résultaient de la mise en oeuvre du droit d’alerte par les membres du CHSCT et ceux contenus dans le premier rapport établi par le cabinet X qui mettaient déjà en cause le management du secteur caisse.

Il apparaît donc que la société Brico Dépôt avait dès le 26 novembre 2010 une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits susceptibles d’être qualifiés de pratiques managériales inadaptées de la part de Mme Y, à l’origine d’une dégradation des conditions de travail de ses subordonnées.

La société Brico Dépôt ne peut soutenir qu’elle était tenue d’attendre les résultats de la deuxième expertise confiée au cabinet X pour prendre les initiatives qui lui incombaient dans la mesure où elle n’était pas à l’origine de cette expertise qui avait été initialement demandée par les délégués du personnel en application de l’article L. 2313-2 du code du travail puis ordonnée par le conseil de prud’hommes de Nancy en raison de la carence de l’employeur. De surcroît, la mission confiée au cabinet X par le conseil de prud’hommes ne consistait pas à vérifier la réalité de faits qui étaient spécifiquement reprochés à Mme Y.

La procédure de licenciement pour motif disciplinaire engagée le 28 mars 2011, c’est-à-dire plus de quatre mois après la connaissance des faits, repose par conséquent sur des fautes dont la prescription était d’ores et déjà acquise.

Il y a lieu dès lors d’infirmer le jugement en ce qu’il a écarté la prescription des faits fautifs.

— Sur le licenciement :

Dans la mesure où le licenciement repose sur des faits prescrits, il est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement doit être confirmé de ce chef, par substitution de motifs.

Selon l’article L. 1235-3 du code du travail, en cas de licenciement d’un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, et à défaut de réintégration du salarié, il est alloué une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme Y percevait en dernier lieu un salaire brut mensuel de 2.500 euros.

Il n’est pas établi que Mme Y ait subi un préjudice supérieur à six mois de salaire, compte tenu de son âge et d’une ancienneté de 2 ans et 4 mois dans l’entreprise. Il y a lieu en conséquence de condamner la société Brico Dépôt au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et le jugement ayant accordé à la salariée une somme de 25.000 euros doit être infirmé de ce chef.

— Sur les indemnités de rupture :

Le licenciement de Mme Y étant dénué de cause réelle et sérieuse, elle peut prétendre aux indemnités de rupture. Les montants alloués en première instance n’étant pas discutés, il convient de confirmer le jugement ayant accordé à la salariée une indemnité de licenciement de 1.400 euros ainsi qu’une indemnité de préavis de 7.500 euros égale à trois mois de salaire, conformément à ce que prévoit l’article 9 de l’annexe de la convention collective nationale du bricolage applicable aux cadres, pour ceux ayant une ancienneté supérieure à six mois.

— Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Les conditions de l’article L. 1235-4 du code du travail étant réunies, il sera ordonné le remboursement par la société Brico Dépôt à Pôle emploi des indemnités de chômage effectivement versées à Mme Y par suite de son licenciement et ce dans la limite d’un mois d’indemnité.

— Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il convient de confirmer le jugement ayant alloué à Mme Y la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucun motif ne justifie en revanche de faire droit à la demande présentée sur le même fondement en cause d’appel par Mme Y, de sorte que l’indemnité allouée par les premiers juges vaudra pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel.

La société Brico Dépôt, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement prononcé le 10 février 2015 par le conseil de prud’hommes de Nancy en ce qu’il a écarté la prescription des faits fautifs allégués et en ce qu’il a fixé à 25.000 € (VINGT-CINQ MILLE EUROS) les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués à Mme G Y ;

Statuant à nouveau :

DIT que les faits fautifs invoqués par la société Brico Dépôt pour motiver le licenciement de Mme G Y sont prescrits en application de l’article L. 1332-4 du code du travail ;

CONDAMNE la société Brico Dépôt à payer à Mme G Y la somme de 15.000€ (QUINZE MILLE EUROS) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant :

ORDONNE à la société Brico Dépôt de rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à Mme G Y par suite de son licenciement dans la limite d’un mois d’indemnités ;

DÉBOUTE Mme G Y de sa demande complémentaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

DÉBOUTE la société Brico Dépôt de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Brico Dépôt aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Et signé par Christine ROBERT-WARNET, président, et par Catherine RÉMOND, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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