Cour d'appel de Nîmes, 14 avril 2015, n° 13/05447

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nîmes, 14 avr. 2015, n° 13/05447
Juridiction : Cour d'appel de Nîmes
Numéro(s) : 13/05447
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Avignon, 18 novembre 2013, N° 12/658

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N°

R.G. : 13/05447

XXX

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – D’AVIGNON

JUGEMENT DU

19 novembre 2013

Section: Encadrement

RG:12/658

A

C/

XXX

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 14 AVRIL 2015

APPELANT :

Monsieur E A

né le XXX à XXX

XXX

XXX

comparant en personne, assisté de Maître Christiane LARCHER de la SCP LARCHER CHRISTIANE, avocat au barreau d’AVIGNON

INTIMÉE :

XXX prise en personne de son président

XXX

XXX

XXX

représentée par Maître Marie Dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Président,

Monsieur Olivier THOMAS, Conseiller,

Monsieur Christian LERNOULD, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Fatima GRAOUCH, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l’audience publique du 17 Février 2015, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Avril 2015

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président, publiquement, le 14 Avril 2015, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Embauché par la société Auchan Cavaillon en qualité de chef de rayon, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 octobre 1978, devenu cadre en 2000, M. E A a été licencié pour faute grave par lettre du 16 mai 2012.

Le 18 septembre 2012, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon afin de voir constater la nullité du forfait jours qui lui était appliqué depuis qu’il avait acquis le statut de cadre, dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à lui payer plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par ordonnance du 6 novembre 2012, le bureau de conciliation a ordonné à l’employeur de communiquer : les feuilles de pointage hebdomadaire validées par le chef de secteur pour les années 2007 à 2012, le planning prévisionnel annuel RTTet CP pour 2010 et 2011, le bilan social individuel 2009, 2010, 2011 (…)', le compte-rendu des entretiens individuels annuels de 2009 à 2011".

Par jugement du 19 novembre 2013, le conseil de prud’hommes a dit que la convention de forfait était valable et que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, mais non sur une faute grave, et a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes :

—  6 767,80 € au titre de la mise à pied conservatoire du 16 avril 2012 au 22 mai 2012 ;

—  17 403,00 € à titre d’indemnité de préavis ;

—  2 417,00 € à titre d’indemnité de congés payés sur mise à pied et préavis ;

—  69 620,00 € à titre d’indemnité de licenciement.

L’employeur a été condamné en outre à remettre au salarié l’attestation Pôle Emploi conforme, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification du jugement.

Débouté du surplus de ses demandes, M. A a interjeté appel de cette décision le 2 décembre 2013.

' Aux termes de ses écritures déposées et soutenues oralement à l’audience, il présente à la cour les demandes suivantes :

'Réformer partiellement le jugement dont appel,

Vu les articles L. 3121- et L. 3121-43 et suivants,

Constater la nullité de la convention de forfait en jours

Faire droit à sa demande en paiement des heures travaillées,

— régularisation des heures effectuées depuis cinq années 95 812,00 €

— indemnité de congés payés afférente 9 581,00 €

— contrepartie obligatoire en repos 55 341,10 €

— rappel sur la participation 15 275,09 €

Vu l’article L. 8223-1 du code du travail

Condamner la société Auchan à verser 34 806,00 €

Dire et juger sans cause réelle ni sérieuse le licenciement notifié en date du 16 mai 2012 et condamner la SA Auchan en toutes les conséquences indemnitaires y afférent soit :

— salaire de mise à pied du 16 avril au 22 mai 2012 6 767,80 €

— indemnité de préavis 17 403,00 €

— indemnité de congés payés sur mise à pied et préavis 2 417,00 €

— indemnité de licenciement 69 620,00 €

— DI sur le fondement de l’article 1235-3 al. 2 C. Trav. 104 418,00 €

— remise sous astreinte de 50 € par jour de l’attestation Pôle Emploi rectifiée ainsi que de l’attestation de salaires pour Vivinter à compter de l’arrêt

— DI pour préjudice moral 35 000,00 €

— application de l’article 700 du CPC 3 500,00 €

Avec intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2012.'

Au soutien de sa demande de nullité du forfait jours, il fait principalement valoir que :

— en application des articles L. 3121-43 et suivants du code du travail, un tel forfait suppose un accord collectif de branche étendu ou d’entreprise et doit être relayé par une convention individuelle conclue avec le salarié dans les termes prévus à l’article L. 3121-40 ;

— en l’absence de convention individuelle de forfait, aucun salarié ne peut être soumis aux dispositions du forfait en jours, même si celui-ci est prévu valablement par un accord collectif ;

— en outre la validité d’une telle convention est soumise à plusieurs conditions (dispositif de contrôle des demi-journées travaillées, suivi par le supérieur hiérarchique et évaluation annuelle), et l’accord qui la prévoit doit assurer la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires 'dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur’ ;

— en ce qui le concerne, il était rémunéré sur un forfait en jours, en l’absence de signature de toute convention individuelle, alors qu’il accomplissait régulièrement 55 heures de travail par semaine, sur cinq jours ;

— il ne bénéficiait d’aucune autonomie réelle dans l’organisation de son travail et des heures accomplies ;

— ses fiches de pointage révèlent qu’il était soumis à un nombre de jours prestés par année variant de 225 jours en 2009 à 237 jours en 2010, toujours supérieur aux 206 jours figurant sur ses bulletins de paie ;

— son amplitude journalière moyenne était de 10 à 11 heures travaillées et pouvait même dépasser 12 heures ;

— il est donc fondé à demander de constater la nullité de la convention de forfait en jours et la condamnation de l’employeur à lui payer la rémunération correspondant aux heures de travail réellement effectuées selon les fiches de pointage, outre les congés payés et les repos compensateurs afférents, ainsi que l’indemnité de travail dissimulé ;

— le rapport d’expert versé par l’employeur n’est pas contradictoire, il n’a pas été communiqué en première instance, alors qu’il était déjà établi lors de l’audience du 28 mai 2013, et il ne peut être retenu pour divers motifs.

Concernant son licenciement, il observe que les accusations portées à son encontre son imprécises et portent sur des faits non datés ; qu’aucun élément objectif ne vient corroborer les dires de ses anciens subordonnés, avec lesquels il a vainement demandé à être confronté ; que les divers contrôles concernant 'la casse’ ont été effectués en son absence ; que l’employeur passe sous silence les divers contrôles sur la traçabilité interdisant toute pratique de 'remballe', et que la direction cherchait manifestement à se débarrasser de lui.

' Reprenant ses écritures plaidées à l’audience, la société intimée demande, à titre principal, de :

— confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. A de l’intégralité de ses demandes au titre de la nullité de la convention de forfait ;

— l’infirmer en ce qu’il a considéré que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, mais simplement sur une cause réelle et sérieuse ;

— dire et juger en conséquence que ce licenciement repose bien sur une faute grave, débouter l’appelant de toutes ses prétentions et le condamner à payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À titre subsidiaire, elle demande de confirmer le jugement, sauf sur le montant des indemnités qui doivent selon elle être calculées sur la base d’un salaire de référence de 3 894,61 euros (moyenne des douze derniers mois), et non de 5 801 euros, et en conséquence, de dire et juger que les indemnités ne sauraient excéder 11 683 euros au titre de l’indemnité de préavis, 1 168,30 euros au titre des congés payés sur préavis, 46 735,32 € à titre d’indemnité de licenciement et 4 225,68 euros au titre de la mise à pied conservatoire.

À titre infiniment subsidiaire, si la cour devait faire droit à l’argumentation du salarié quant à la nullité de la convention de forfait, elle demande de :

— dire et juger que la somme due au titre des heures supplémentaires ne saurait excéder 79 421,08 euros ;

— constater l’absence d’intention frauduleuse, et en conséquence, débouter M. A de sa demande à titre de travail dissimulé ;

— dire et juger que le licenciement repose sur une faute grave ;

— débouter en conséquence M. A de l’intégralité de ses prétentions à ce titre ;

— à défaut, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le licenciement reposait à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse ;

— dire et juger que les indemnités ne sauraient excéder les sommes suivantes : 15 654,87 euros au titre de l’indemnité de préavis, 1 565,48 € au titre des congés payés afférents, 62 619,48 euros à titre d’indemnité de licenciement et 5 396,07 euros au titre de la mise à pied conservatoire.

Elle réplique essentiellement que :

— la convention individuelle de forfait de M. A doit être appréciée dans le cadre de l’accord d’entreprise du 17 juillet 2003 relatif à l’organisation et à l’aménagement du temps de travail, prévoyant que ce dispositif est applicable aux 'salariés ayant la qualité de cadre, dès lors qu’ils ne sont pas occupés selon l’horaire collectif applicable au sein du service ou de l’équipe dont ils relèvent et que la durée de leur temps de travail ne peut être déterminée’ ;

— le nombre de jours travaillés dans le cadre de cette convention individuelle est de 214 jours avec la journée de solidarité ;

— un outil informatique dénommé TTSurf est mis à la disposition des salariés, afin de leur permettre de suivre leur temps de travail et de calculer leurs droits à congés ;

— les modalités et le suivi de l’organisation de son temps de travail étaient donc parfaitement connus de M. A, qui pouvait ainsi vérifier l’amplitude de sa journée d’activité, ainsi que son temps et sa charge de travail ;

— l’intéressé ne peut prétendre ne pas avoir eu connaissance de la mise en place de la convention de forfait jours, puisque celle-ci a fait l’objet d’une note d’information adressée à l’ensemble des salariés de l’entreprise, qu’elle est mentionnée sur ses bulletins de paie et que ce dispositif a été évoqué notamment lors des réunions des délégués du personnel ;

— ses fiches de pointage révèlent que sa durée moyenne de travail était largement inférieure à ce qu’il prétend ;

— elle lui a vainement demandé de produire ses déclarations fiscales, lesquelles auraient permis de vérifier ses frais déclarés, étant entendu que s’il déclarait des repas, il n’était donc pas sur son lieu de travail ;

— il disposait en tant que cadre d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail et de celui de son équipe, il participait à la fixation des objectifs, conduisait les entretiens individuels des salariés placés sous sa responsabilité, et contrairement à ce qu’il prétend, il prenait ses pauses, même s’il ne les pointait que très rarement et systématiquement les dimanches et jours fériés pour fiabiliser le paiement au réel des heures effectuées et majorées, étant précisé que le chef de secteur n’avait pas vocation à valider ses horaires en signant ses feuilles de pointage ;

— subsidiairement, elle verse un rapport d’expert, particulièrement précis et détaillé, dont il résulte que le montant des heures supplémentaires qui auraient été effectuées par M. A s’élève à la somme totale brute de 79 421,08 euros ;

— la dissimulation d’emploi salarié ne pourrait être retenue en l’absence de tout élément intentionnel ;

— les faits qui ont motivé le licenciement de M. A sont attestés par plusieurs salariés placés sous sa responsabilité et constituent une faute grave compte tenu de l’impact sanitaire, de l’atteinte à l’image de l’entreprise et de sa qualité de cadre, nonobstant son ancienneté et l’absence de sanction antérieure.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l’audience.

MOTIFS DE L’ARRÊT

— sur le licenciement

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en apporter la preuve.

En l’espèce, M. A a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué, par lettre du 14 avril 2012, à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 23 avril 2012, puis licencié pour faute grave par lettre du 16 mai 2012, ainsi motivée :

'Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave, ce dont nous vous avons fait part lors de notre entretien du 23 Avril 2012, entretien au cours duquel vous étiez assisté de M. W AA, délégué syndical SEGA CFE CGC.

En effet, lors d’une enquête approfondie au sein de votre équipe suite à des faits révélés et constatés sur le terrain de non respect des procédures de casse et donc de non traçabilité totale des matières, deux de vos employés ont fait des déclarations sur des faits de remballe que vous leur avez demandé de pratiquer, l’ensemble de vos bouchers ont révélé et confirmé que vous leur donniez des consignes identiques, en matière de remballe, comme en matière de non déclaration de l’entièreté de la casse des produits que vous retiriez de la vente.

Lors de cette même enquête, l’ensemble de l’équipe a révélé des faits de consignes de votre part en étayant des situations, des demandes formelles de votre part, ainsi que des produits que vous leur demandiez de remballer.

Vous savez que de tels faits sont d’une gravité extrême puisqu’exposant le magasin à des risques de sécurité alimentaire vis-à-vis des clients, mais aussi en mettant à défaut la politique fraîcheur de l’enseigne, sans compter l’exposition à de fortes sanctions.

Ceci est d’autant plus grave que lors de cette enquête il est apparu que vous utilisiez tout votre poids hiérarchique pour obliger et contraindre votre équipe boucherie à procéder à ces pratiques illicites, y compris si l’un d’entre eux tentait de s’y opposer.

Votre grande ancienneté dans le métier, votre expertise et vos connaissances en matière de sécurité alimentaire ne vous permettaient en aucune manière de procéder et de faire procéder à des agissements contraires aux règles d’hygiène.

Dès lors, force est de constater que vos réponses à ces reproches ne peuvent nous convaincre étant précisé que si tel était le cas ils nous conforteraient dans l’idée qu’alors vous effectuiez mal votre travail de chef de rayon puisque, selon vous, vous n’aviez donné aucune consigne pour faire passer de la casse partiellement ou de la même façon rien ordonné pour la remballe où vous prétendez ne jamais avoir donné d’ordre dans ce sens quand bien même tous les bouchers qui travaillent sous vos ordres déclarent sur l’honneur le contraire.

Bien plus, il est pour le moins surprenant que vous alliez jusqu’à dénoncer votre équipe puisque, selon vous, « tout se passe avant votre arrivée » le matin, ce qui signifierait que vous ne savez pas ce qui se passe dans votre rayon alors que nous vous le rappelons vous en êtes le responsable.

Nous considérons donc que votre comportement constitue une faute extrêmement grave pour un chef de rayon cadre, dont l’une des missions principales sur un rayon métier de bouche est bien évidemment la qualité des produits et la sécurité des clients, surtout quand il faillit dans sa dimension de donneur d’ordres en donnant des instructions illicites sur des points élémentaires.

Compte tenu de la gravité des fautes qui vous sont reprochées et de leurs conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.

Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied à titre conservatoire dont vous faites l’objet depuis le 14 avril 2012.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement, dès réception de cette lettre, et votre solde de tous comptes sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis ni de licenciement (…)'

Pour preuve des faits reprochés, la société Auchan produit les pièces justificatives des divers contrôles de 'casse boucherie’ effectués du 15 au 25 février 2012, révélant que des quantités importantes de produits jetés n’avaient pas été 'passées en casse', faute de saisie informatique, ce qui avait pour effet de fausser le 'taux de casse', ainsi que le témoignage de M. F, chef de secteur, relatant très précisément ses constatations faites le 25 février 2012, et les attestations concordantes de plusieurs salariés placés sous la responsabilité de M. A, déclarant :

— I Z : qu’à son arrivée, son chef de rayon lui a dit 'de ne pas passer toute la casse’ et 'aussi de faire de la remballe régulièrement sur des gigots et d’autres produits’ ;

— M N : que depuis longtemps, M. A lui imposait, ainsi qu’à toute son équipe, de 'jeter une partie de la casse sans la passer au scanner', que 'c’était un ordre’ et qu’il était obligé de le faire, que lorsqu’il s’y opposait, le chef de rayon 'allait lui-même jeter une partie de la casse sans la scanner', et qu’il leur avait de même ordonné à de nombreuses reprises 'de faire une remballe’ ;

— Carlo Messina : que lorsqu’il était de service l’après-midi, son chef lui ordonnait 'assez fréquemment de remballer de la marchandise (côtes de porc, gigot) destinée à la casse', et que 'certains matins, il ordonnait de ne flasher qu’une partie destinée à la casse’ ;

— C D : que le responsable boucherie, M. A, lui a demandé à plusieurs reprises, comme aux autres bouchers, de remballer de la viande (gigots, épaules d’agneau), et qu’il le faisait lui-même ;

— X L : que son chef de rayon lui disait de ne 'passer que la moitié de la casse', qu’il demandait aux bouchers de remballer de la viande, qu’il mettait 'trop de pression à certains bouchers', et qu’en outre il parlait mal à Carlo et C.

La société intimée communique en outre la fiche qualité du rayon libre-service boucherie et volailles, ainsi que l’historique des nombreuses formations suivies par M. A depuis son embauche en matière de qualité, sécurité alimentaire, chaîne du froid, risques liés aux produits dangereux, gestion informatique de produits frais, maîtrise de l’hygiène.

Elle verse enfin la fiche de réclamation d’un client, datée du 9 janvier 2012, déclarant, après avoir inscrit son nom, son adresse et son numéro de téléphone : 'cela fait 3 fois que je suis obligé de ramener de la viande car elle est périmée avant la date. Odeur forte, couleur verte. Il serait grand temps de faire quelque chose pour une grande enseigne (…)'

Ces éléments ne sont pas utilement combattus par M. A qui verse essentiellement aux débats les attestations de :

— Q Y, déclarant n’avoir reçu de son chef de rayon aucune demande contraire au règlement de l’entreprise, étant précisé que ce témoin n’occupait pas un poste de bouchère, mais de gestionnaire en produits élaborés boucherie, comme le souligne l’employeur ;

— Viviane Coudreuse, déclarant avoir travaillé pendant deux ans sous les ordres de M. A et assurant qu’à aucun moment, celui-ci ne lui a demandé de remballer de la viande, ni même de 'ne pas passer la casse du jour', que les personnes de l’équipe 'savent très bien que jamais E n’aurait demandé de faire une telle chose', et que, contrairement à C (D) et X (L), qui pratiquaient de la sorte, Carlo lui a 'interdit de repasser les barquettes car cela était illégal', alors même qu’à l’exception de Mme Y, tous les salariés du rayon boucherie-volaille en poste au moment des faits, y compris Carlo Messina, ont reconnu avoir commis de tels agissements sur ordre de leur chef de rayon ;

— G H, employé dans un autre rayon (service bazar), déclarant que pendant leurs pauses communes, M. A 'n’a jamais fait allusion à une procédure illégale au contraire’ et qu’il était selon lui 'sérieux et rigoureux sur les normes d’hygiène et procédures internes.'

Par ailleurs, la satisfaction exprimée par MM. D et Z à l’annonce du licenciement de leur supérieur hiérarchique, aux dires de Mme Y, ne suffit pas à affecter la crédibilité de ces témoins dont les déclarations sont corroborées par d’autres salariés.

Ainsi établis, ces faits contraires aux règles d’hygiène et de sécurité alimentaire, reprochés au responsable du rayon boucherie, statut cadre, constituent une violation par l’intéressé de ses obligations contractuelles d’une importance telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis, étant observé que, contrairement aux énonciations des premiers juges, l’employeur justifie avoir agi à bref délai après avoir acquis la connaissance des faits, et que, ni l’ancienneté du salarié et ni l’absence de sanction antérieure, ne sont susceptibles d’enlever aux fautes commises leur caractère de gravité.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a écarté la faute grave et l’appelant sera débouté de l’ensemble de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

— sur les demandes relatives à la durée du travail

Il résulte des articles L. 3121-38 et suivants du code du travail (ancien article L. 212-15-3) que les conventions individuelles de forfait, notamment celles de forfait en jours sur l’année prévues par l’article L. 3121-43, requièrent l’accord du salarié et sont passées par écrit.

En l’espèce, la société Auchan, qui ne produit aucune convention écrite, fait valoir de manière inopérante qu’elle 'a conclu un accord d’entreprise, le 17 juillet 2003 relatif à l’organisation et à l’aménagement du temps de travail', sans du reste le verser aux débats, et que 'la convention individuelle de forfait de M. A doit donc être appréciée dans ce cadre’ ; qu’un outil informatique dénommé TTSurf était mis à disposition des salariés afin de leur permettre de suivre leur temps de travail et 'qu’ainsi les modalités du suivi de l’organisation de son temps de travail étaient parfaitement connues de M. A’ ; que contrairement à ses dires, celui-ci disposait d’une large autonomie dans l’exercice de ses fonctions, qu’il établissait et signait ses fiches de pointage, sans que le chef

de secteur n’ait vocation à les valider ; que ses 'bulletins de salaire reprennent l’ensemble des informations mensuelles et en cumul’ et 'mentionnent

l’application de cette convention’ ; que 'le suivi de l’organisation de son temps de travail et l’amplitude de ses journées d’activité ainsi que de son temps de travail a été parfaitement respecté’ ; qu’une 'note d’information a été adressée à l’ensemble des salariés de l’entreprise’ ; que 'ce dispositif a été évoqué notamment lors des réunions des délégués du personnel', et qu’en sa qualité de cadre, M. A 'ne peut soutenir qu’il était soumis à l’horaire collectif de l’entreprise sans être de parfaite mauvaise foi'.

Dès lors, la convention de forfait jours dont se prévaut l’employeur ne pouvant lui être opposée, le salarié est fondé à réclamer le paiement des heures supplémentaires effectivement accomplies au cours de la période non prescrite, soit du 18 septembre 2007 au 14 avril 2012, date de sa mise à pied conservatoire.

Si elle n’en discute pas le principe, de manière subsidiaire, la société Auchan produit un rapport d’expert estimant le montant dû à ce titre à la somme totale brute de 79 421,08 euros, déduction faire des heures supplémentaires déjà réglées, tandis que M. A communique un décompte précis en vertu duquel il réclame le paiement de la somme de 95 812 euros, outre les congés payés, repos compensateurs et droits à participation afférents.

Ce rapport non contradictoire étant critiqué par le salarié pour des motifs divers, une expertise sera ordonnée avant dire droit sur sa demande à titre d’heures supplémentaires et sur celles afférentes à titre de congés payés, repos compensateurs et droits à participation.

Le jugement qui, pour débouter le demandeur de ces chefs, a retenu la validité de la convention de forfaits en jours, sera ainsi infirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour,

statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud’homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme partiellement le jugement entrepris,

Statuant de nouveau sur le tout et y ajoutant,

Dit que le licenciement repose sur une faute grave,

Déboute M. A de l’ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail,

Dit que la demande en paiement d’heures supplémentaires est justifiée dans son principe,

Avant dire droit sur le montant des sommes dues à ce titre, ainsi que sur les demandes afférentes à titre de congés payés, repos compensateurs et droits à participation,

Ordonne une expertise,

Désigne M. S T, XXX, pour y procéder, avec la mission suivante :

— Entendre les parties assistées de leurs conseils et se faire remettre tous documents utiles (feuilles récapitulatives hebdomadaires, bulletins de paie, décomptes du salarié, rapport de M. B…) ;

— Fournir tous éléments utiles permettant de déterminer le nombre d’heures supplémentaires effectuées par M. E A au cours de la période du 18 septembre 2007 au 14 avril 2012, et de chiffrer les sommes qui lui sont dues à ce titre, ainsi qu’au titre des congés payés, repos compensateurs et droits à participation afférents.

Fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert à la somme de 1000 euros et dit que la société Auchan Cavaillon devra consigner cette somme au greffe de la cour d’appel de Nîmes dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt ;

Dit que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, qu’il donnera connaissance aux parties de ses conclusions et répondra à tous dires écrits formulés dans le délai imparti, qu’il rendra compte de toute difficulté au président de la chambre sociale de la cour, qu’il déposera son rapport définitif en double exemplaire au greffe dans le délai de quatre mois suivant sa saisine, et qu’il en transmettra une copie à chacune des parties ;

Dit qu’en cas d’empêchement de l’expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance ;

Ordonne le retrait de l’affaire du rôle et dit qu’elle sera réinscrite à la demande de la partie la plus diligente, sous condition du dépôt de conclusions écrites ;

Réserve l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Auchan Cavaillon aux dépens de première instance et d’appel exposés au jour du présent arrêt.

Arrêt signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président et par Madame Fatima GRAOUCH, Greffière.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
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