Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 28 juillet 2020, n° 18/01016

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 28 juill. 2020, n° 18/01016
Juridiction : Cour d'appel de Nîmes
Numéro(s) : 18/01016
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nîmes, 19 février 2018, N° F17/00558
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N°

N° RG 18/01016 – N° Portalis DBVH-V-B7C-G5OK

CR/ID

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES

20 février 2018

RG :F17/00558

Z

C/

E.P.I.C. Y (CENTRE DE COOPERATION INTERNATIONAL EN RECH ERCHE AGRONOMIQUE POUR LE DÉVELOPPEMENT)

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre sociale PH

ARRÊT DU 28 JUILLET 2020

APPELANTE :

Madame T Z

née le […] à […]

[…]

[…]

Représentée par Me Catherine GUILLEMAIN de la SCP DORIA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Elisabeth DURAND-PIROTTE, Postulant, avocat au barreau de NÎMES

INTIMÉE :

EPIC Y (CENTRE DE COOPERATION INTERNATIONAL EN RECHERCHE AGRONOMIQUE POUR LE DÉVELOPPEMENT)

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e p a r M e N a t h a l i e M O N S A R R A T d e l a S C P S C H E U E R , VERNHET&ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Ordonnance de clôture du 06 Mai 2020, révoquée sur le siège sur demande conjointe des parties et clôturée à nouveau au jour de l’audience avant l’ouverture des débats,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Corinne RIEU, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 786 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Président

Madame Corinne RIEU, Conseiller,

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

GREFFIER :

Madame U DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

À l’audience publique du 13 Mai 2020, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Juin 2020 et prorogé ce jour.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé et signé par Monsieur Guénaël LE GALLO, Président, publiquement, le 28 juillet 2020, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme

Z a été engagée en qualité d’agent administratif par le centre de coopération

international en recherche agronomique pour le développement (Y), qui est un établissement public industriel et commercial, suivant quatre contrats de travail temporaire successifs, soit du 9 février au 1er mars 2015, du 16 mars au 22 avril 2015, du 23 avril au 19 juin 2015 et du 22 juin au 24 juillet 2015, motif pris du remplacement de Mme X, gestionnaire de convention.

Puis, suivant contrat de travail à durée déterminée prenant effet le 19 août 2015 pour une durée allant jusqu’au 31 décembre 2015, elle sera engagée en qualité d’assistante administrative.

Elle a ensuite saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes, suivant requête reçue le 26 juillet 2017, aux fins de solliciter la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, à titre principal, de voir dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement sexuel et moral, prononcer, en conséquence, la nullité de son licenciement, ordonner sous astreinte sa réintégration au sein du Y sur un poste de gestionnaire de convention et condamner le Y à lui payer le montant des rémunérations qu’elle aurait du percevoir entre le 1er janvier 2016 et la date de sa réintégration

effective, à titre subsidiaire, de voir dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et irrégulier en la forme, condamner le Y à lui payer plusieurs sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d’indemnité pour licenciement irrégulier en la forme et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, de voir ordonner au Y la délivrance sous astreinte des bulletins de paie, d’une attestation pôle emploi et d’un certificat de travail rectifiés, ordonner l’exécution provisoire sur le tout, et condamner le Y à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Le conseil de prud’hommes, par jugement du 20 février 2018, a :

— requalifié la relation de travail intervenue à compter du 19 août 2015 jusqu’au 31 décembre 2015 en contrat de travail à durée indéterminée,

— condamné le Y à payer à Mme Z les sommes de :

* 2 277 euros net à titre d’indemnité de requalification,

* 13 662 euros équivalente à 6 mois de salaires à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 277 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 227, 70 euros au titre des congés payés afférents,

— condamné le Y à lui délivrer les documents de fin de contrat, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à partir du 15e jour suivant la date de mise à disposition, le conseil se réservant le droit de procéder à la liquidation de l’astreinte,

— ainsi qu’à lui payer la somme de 1 300 euros au titre des frais irrépétibles.

Mme Z a régulièrement interjeté appel de la décision suivant déclaration du 15 mars 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions, la salariée demande à la cour,

— En tout état de cause, d’infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, seulement à compter du 19 août 2015, statuant à nouveau, de la prononcer à compter du 9 février 2015,

— A titre principal, de l’infirmer pour le surplus, de dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement sexuel et moral, de prononcer la nullité de son licenciement, d’ordonner sa réintégration au sein du Y sur le poste de gestionnaire de convention sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement, de condamner le Y à lui verser la somme de 50 000 euros nets à titre de dommages et intérêts du fait du préjudice distinct résultant du harcèlement sexuel dont elle a été l’objet, ainsi que le montant des rémunérations qu’elle aurait dû percevoir du 1er janvier 2016 au jour de sa réintégration effective au sein du Y, somme fixée provisoirement à 62 172, 62 euros au jour du prononcé du jugement de première instance et à parfaire au jour de l’arrêt à intervenir, outre l’indemnité de congés payés y afférents fixée provisoirement à 6 217, 26 euros,

— A titre subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu’il a dit et jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’infirmer pour le surplus, de condamner le Y à lui payer les sommes de 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 2 422, 31 bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 242, 23 euros bruts au titre des congés payés afférents, de 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts du fait du

manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et dans tous les cas, de condamner le Y à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ces prétentions, sur la requalification du contrat de travail, la salariée fait valoir que le Y a eu recours aux contrats de travail précaires pour pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, souffrant d’un besoin structurel de main d’oeuvre, et que le motif de recours au contrat à durée déterminée n’est pas justifié et imprécis, un double motif étant invoqué selon elle (surcroît temporaire d’activité et absence de salariés).

Elle expose ensuite avoir été l’objet d’un harcèlement sexuel d’ambiance devenu un harcèlement moral, de la part de son responsable de service, ce qui a donné lieu à la dégradation de son état de santé, et lui a ainsi causé un préjudice, mais justifie également la nullité de son licenciement.

Subsidiairement, elle indique que son contrat a été rompu sans respect de la procédure légale de licenciement, ce qui le prive de cause réelle et sérieuse, et que l’employeur, en ne la protégeant pas des agissements dont elle a été victime, a manqué à son obligation de sécurité.

L’employeur demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de:

— A titre principal, dire et juger prescrite l’action de la salariée en requalification des quatre contrats de mission de remplacement, que le contrat de travail à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité n’encourt pas la requalification en contrat à durée indéterminée, que le terme de ce contrat a mis régulièrement fin à la relation de travail, débouter l’appelante de sa demande de requalification, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, irrégularité de la procédure, indemnité de requalification, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, la débouter de l’ensemble de ses demandes, la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

— A titre subsidiaire, confirmer la requalification du CDD du 19 août jusqu’au 31 décembre 2015, confirmer l’inexistence d’un harcèlement sexuel devenu moral, dire et juger que le préjudice n’est établi par aucune pièce, dire et juger irrecevable la nouvelle demande formulée pour la première fois en cause d’appel et tendant à le voir condamner à payer à la salariée la somme de 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, et, à tout le moins, l’en débouter. En conséquence, fixer le salaire de référence à 2 442, 12 euros bruts, limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, débouter la salariée de sa demande au titre de l’irrégularité de procédure infondée, la débouter de l’ensemble de ses demandes.

— A titre infiniment subsidiaire, si la cour retenait l’existence d’un harcèlement sexuel devenu moral, dire et juger irrecevable la demande nouvelle en appel de dommages et intérêts pour préjudice distinct résultant du harcèlement sexuel, et à tout le moins, l’en débouter, constater que le contrat à durée déterminée, requalifié, ne comportait pas de clause de renouvellement, et débouter Mme Z de sa demande de réintégration.

— A titre plus subsidiaire encore, constater que la salariée n’a jamais occupé le poste de gestionnaire de convention, dire et juger sa demande de réintégration matériellement impossible, la débouter de sa demande au titre de l’irrégularité de procédure et de l’indemnité de requalification, la débouter de l’ensemble de ses demandes. Si la cour devait ordonner la réintégration et le versement des salaires du 1er janvier 2016 au jour de la réintégration, fixer le salaire de référence à 2 442, 12 euros bruts, enjoindre à l’appelante de justifier de façon exhaustive de l’ensemble des revenus perçus depuis le 1er janvier 2016 et ordonner le versement des salaires perdus entre le 1er janvier 2016 et la réintégration sous condition de communication exhaustive et sous déduction de l’ensemble des revenus perçus depuis le 1er janvier 2016, la débouter de l’ensemble des indemnités inhérentes à la rupture.

— En tout état de cause, constater que l’ancienneté de la salariée est inférieure à deux ans, dire et juger que le Y ne peut être condamné au remboursement aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme Z dans la limite de six mois, la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le Y argue de la prescription de l’action en requalification des contrats de mission introduite le 26 juillet 2017, dès lors que, selon les dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail, cette action fondée sur le motif du recours au contrat, se prescrit par deux ans à compter du terme du dernier contrat, intervenu en l’espèce le 24 juillet 2015. Il soutient, en outre, que les contrats de mission n’ont pas eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, s’agissant du remplacement d’une salariée absente pour maladie, et que le contrat à durée déterminée, régularisé à l’issue du délai de carence, était régulièrement motivé par un accroissement temporaire d’activité lié à de nombreux dossiers devant être réglés d’ici à la fin de l’année 2015. Concernant les faits de harcèlement sexuel devenu moral, qu’il conteste, il explique que suite au signalement opéré par Mme Z plusieurs mois après son départ du Y, une commission d’enquête paritaire mixte a été mise en place, dont le rapport n’a pas permis d’objectiver des faits de cette nature, que les éléments produits par cette dernière, dont la fiabilité est incertaine, ne contredisent pas ledit rapport, et qu’il n’a été adopté à son égard, sur le plan professionnel, aucune démarche visant à lui préjudicier. L’employeur, qui relève que les demandes en appel de dommages et intérêts pour préjudices distincts résultant du harcèlement allégué et de son manquement prétendu à l’obligation de sécurité lui incombant sont nouvelles, met également en évidence l’absence de justification par la salariée de ces préjudices.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 21 janvier 2020 à effet différé au 06 mai 2020, fixant l’audience de plaidoiries au 13 mai 2020.

MOTIFS

Sur la requalification des contrats précaires en contrat à durée indéterminée

* sur la recevabilité de la demande en requalification à compter du premier contrat de mission du 9 février 2015

L’article L. 1471-1 alinéa 1er du code du travail dans sa rédaction applicable énonce que 'toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit pas deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit'.

La salariée faisant valoir, en l’espèce, que la succession de quatre contrats de mission et d’un contrat à durée déterminée avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, le point de départ de la prescription de l’action en requalification, qui porte sur l’ensemble 'des contrats précaires', doit être fixé à l’échéance du dernier de ceux-ci, soit le 31 décembre 2015, de sorte qu’en l’état de la saisine du conseil de prud’hommes par requête du 26 juillet 2017, la demande de requalification est recevable, à compter du premier contrat de mission du 9 février 2015.

* sur le bien fondé de la demande

Il résulte des dispositions des articles L. 1242-1 et L. 1251-5 du code du travail que le contrat de travail à durée déterminée ou le contrat de mission, quelque soit leur motif, ne peuvent avoir 'ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise'.

Les articles L. 1242-2 et L. 1251-6 du code du travail précisant qu’ils ne peuvent être conclus que 'pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire' et seulement dans des cas déterminés, dont le

remplacement d’un salarié en cas d’absence ou l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.

En l’espèce, il ressort des contrats de mission conclus entre Mme Z et l’agence Manpower que l’appelante a travaillé en qualité d’agent administratif au sein du Y suivant quatre contrats successifs conclus du 9 au 20 février 2015 avec renouvellement jusqu’au 1er mars 2015, du 16 au 20 mars 2015 avec renouvellement jusqu’au 22 avril 2015, du 23 avril au 20 mai 2015 avec renouvellement jusqu’au 19 juin 2015, puis du 22 juin au 24 juillet 2015 en 'remplacement partiel et pour une partie de ses tâches' d’une salariée, dont l’absence est justifiée par l’employeur, en l’occurrence Mme X U, gestionnaire de conventions, et ce dans le respect des dispositions légales susvisées.

Puis, elle a été engagée par le Y, après respect du délai de carence légal, suivant contrat de travail à durée déterminée du 19 août au 31 décembre 2015, en qualité d’assistante administrative au sein de la direction de la comptabilité et des affaires financières (DCAF), au motif 'd’un accroissement temporaire d’activité lié à de nombreux dossiers devant impérativement être réglés d’ici la fin de l’année 2015, en l’absence de compétences mobilisables'.

L’employeur précise dans ses écritures que cette embauche était justifiée pour résorber le retard et permettre la clôture comptable avant le terme de l’année 2015 en raison de l’absence sur une courte période (entre avril et novembre 2015) de plusieurs personnes détenant des compétences confirmés en interne.

Il justifie, à cet égard, de:

— la mise en disponibilité de Mme A, assistante administrative, à compter du 1er avril 2015 et de son remplacement à compter du 23 septembre 2015 par Mme B au sein de la DCAF.

— du congé sabbatique de Mme C, affectée à la DCAF, d’une durée de 11 mois à compter du 1er mai 2015, pour le remplacement de laquelle un contrat de travail à durée déterminée a été proposé à Mme Z qui ne l’a pas accepté, ce qu’elle reconnaît, en raison de son caractère à temps partiel.

— l’affectation de Mme D, cadre au sein de la DCAF, sur une mission spécifique et temporaire pour le compte du service, dans le cadre d’un contrat conclu entre le Y et Agrinatura, et de son remplacement à compter du 1er avril 2015 par M. E.

— la mutation de M. F, initialement affecté à la DCAF, auprès de la direction régionale Réunion et Mayotte pour une durée de 3 ans à compter du 1er août 2015.

— la cessation d’activité de M. G, cadre, qui a quitté l’entreprise le 31 octobre 2015.

— la nomination de Mme H en qualité de responsable de l’équipe 'gestion des conventions’ auprès des services de la direction générale à compter du 1er avril 2015.

— l’absence de Mme X pour le remplacement de laquelle Mme Z a été engagée suivant contrats de mission susvisés, laquelle s’est prolongée par la suite.

Il en résulte que la direction de la comptabilité et des affaires financières du Y a effectivement connu pour des raisons diverses (absence, congé, mutation, départ) une pénurie de personnel concentrée au cours de l’année 2015, à même de justifier d’une augmentation de la masse de travail par nature accrue dans les services comptables et financiers des entreprises au cours des derniers mois de l’année, qui, sans être exceptionnelle, est néanmoins inhabituelle et précisément limitée dans le temps, ce qui caractérise l’existence d’un surcroît temporaire d’activité, seul motif de recours au contrat à durée déterminée énoncé en l’espèce, la mention 'en l’absence de compétences mobilisables'

ne constituant pas un second motif de recours mais un élément mentionné pour qualifier l’accroissement invoqué.

Par ailleurs, le choix, qui appartient à l’employeur, d’engager Mme Z en qualité d’agent administratif, suivant contrats de mission successifs d’une durée totale de 5 mois et demi, en 'remplacement partiel et pour une partie de ses tâches' de Mme X, gestionnaire de conventions, puis en qualité d’assistante administrative, suivant contrat de travail à durée déterminée d’une durée de 4 mois et demi, pour accroissement temporaire d’activité, aux termes duquel elle sera 'notamment chargée de la gestion de conventions en collaboration avec le chef de projet', et ce malgré la prolongation de l’arrêt de travail de Mme X, ne suffit pas à caractériser le recours aux 'contrats précaires’ pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise; et ce d’autant moins qu’il est établi que ces embauches successives ont, au contraire, eu pour objet, dans un premier temps, de remplacer une salariée effectivement absente, puis, dans un second temps, de venir en soutien d’une équipe, momentanément en sous effectif, pour permettre la clôture de dossiers avant la fin de l’année 2015, peu important que, durant l’ensemble de la relation de travail, l’appelante AA occupé le même bureau et utilisé le même ordinateur, lesquels étaient disponibles en l’état de l’absence prolongée de Mme X.

La publication par le Y de moins de dix offres de poste en intérim ou en CDD au cours de l’année 2016 ne permet pas davantage de caractériser ce besoin structurel de main d’oeuvre invoqué par la salariée, dès lors qu’il justifie que ces offres, pour lesquelles Mme Z a postulé sans être retenue, avaient pour objet le remplacement de salariés absents (en congé maladie, sabbatique), étant précisé que l’employeur est tenu de garantir à ces derniers le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, ce qui est rendu possible par le recours aux contrats temporaires ou à durée déterminée.

En conséquence, la rupture du contrat de travail intervenue le 31 décembre 2015 au terme du CDD est régulière, et ne doit pas s’analyser en un licenciement.

La salariée sera, dès lors, déboutée de l’ensemble de ses demandes relatives à la requalification et à la rupture de la relation de travail et le jugement infirmé en ce qu’il y a partiellement fait droit.

Sur le harcèlement sexuel devenu harcèlement moral

* Sur la recevabilité de la demande

Mme Z, qui ne s’était jusqu’alors prévalu de tels agissements qu’au soutien de sa demande en nullité du licenciement, sollicite désormais, pour la première fois en cause d’appel, la condamnation de l’employeur à lui payer en sus la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du préjudice distinct résultant du harcèlement sexuel devenu moral dont elle se considère victime.

Il ressort des dispositions du décret n°2016-660 du 20 mai 2016 que pour les instances introduites devant les conseils de prud’hommes depuis le 1er août 2016, ce qui est le cas en l’espèce, le principe de l’unicité de l’instance est supprimé, de sorte que les règles inhérentes à la procédure civile deviennent applicables à l’instance prud’homale, notamment celles relatives à l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel.

Pour autant, la demande susvisée formée par la salariée n’en demeure pas moins recevable, dès lors qu’elle peut être considérée comme l’accessoire ou le complément des demandes soumises aux premiers juges conformément aux dispositions de l’article 566 du code de procédure civile.

* Sur le bien fondé de la demande

L’article L. 1153-1 du code du travail énonce que:

'Aucun salarié ne doit subir des faits:

1e Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante;

2e Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers'.

Selon les articles L.1152-1 et suivants du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle.

Il résulte des dispositions de l’article L.1154-1 du même code, dans sa version applicable, que le salarié établit des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme Z soutient qu’elle aurait été victime, au cours de sa relation de travail au sein du Y, de harcèlement sexuel devenu moral de la part de son responsable de service, M. V W, lequel aurait ensuite opposé un 'refus systématique' à toutes ses candidatures pendant et à l’issue de son contrat de travail, agissements qu’elle a dénoncés aux termes d’un courriel en date du 1er septembre 2016 adressé à l’inspecteur du travail et envoyé en copie au responsable des ressources humaines du Y, ainsi qu’à plusieurs représentants du personnel, ensuite duquel la direction du Y a diligenté une enquête menée par un groupe composé de trois délégués du personnel (M. I, Mme J, Mme K) et de deux représentants de la direction (Mme L et M. M).

La salariée produit au soutien de sa demande:

— huit 'témoignages', recueillis selon elle par Mme N, secrétaire du comité d’entreprise et déléguée du personnel, dans le cadre d’une série d’auditions menées par cette dernière le 13 septembre 2016.

Outre que ces documents, établis selon une trame identique, ont été complétés de la main d’une seule personne, qui serait Mme N, sans que le nom de la personne interrogée ne soit mentionné, à l’exception de M. O, chef UR Tetis, ils ne font état d’aucun fait en relation avec les agissements dénoncés par Mme Z .

— deux documents, le premier sous forme de tableau chronologique, qu’elle indique avoir remis à la commission d’enquête, et le second correspondant, selon elle, à la transcription de son audition par ladite commission.

Il apparaît que ces documents ont tous deux été établis par la salariée elle-même, ce qu’elle reconnaît.

— des notes établies sur papier libre par M. I, délégué du personnel et membre de la commission d’enquête, ce qu’il confirme aux termes d’une attestation, correspondant selon lui aux 'témoignages entendus de manière franche et sincère'.

Or, ces annotations manuscrites comportant de nombreuses abréviations sont non seulement difficilement lisibles, mais ne retranscrivent pas de témoignage, aucun nom n’étant cité.

— une attestation de Mme P indiquant: 'Je reconnais avoir comparé le fichier audio de la commission Y du 12 octobre 2016 au regard du manuscrit rapportant les propos tenus au cours de cet entretien'.

Outre que le lien entre cette personne et la société n’est pas précisé, le contenu de ladite attestation, pour le moins sibyllin, ne permet d’établir aucun fait en rapport avec les agissements dénoncés par Mme Z .

— trois attestations médicales:

. La première en date du 5 octobre 2016 émanant du docteur Q, psychiatre, indiquant que la salariée a ' été profondément affectée par les difficultés d’ordre professionnel auxquelles elle aurait été selon ses dires confrontée pendant la période allant du mois de septembre 2015 au mois de mai 2016 ".

. La seconde en date du 27 octobre 2016 de Mme R, psychologue clinicienne, aux termes de laquelle elle affirme avoir mis en place avec la salariée ' un suivi thérapeutique suite à des soucis au travail qui ne lui permettent pas de stabiliser sa situation professionnelle et personnelle ', précisant ' Madame se dit victime de harcèlement moral et présente une souffrance psychologique '.

. La troisième en date du 14 octobre 2016 de Mme S, psychologue du travail, qui mentionne avoir reçu la salariée en consultation à compter du 23 septembre 2016, ' pour des troubles psychopathologiques en lien avec son travail '.

Il en résulte que si la salariée, qui n’a pas reçu de réponse favorable aux différentes offres de postes pour lesquelles elle a postulé dans le courant de l’année 2016, a connu une réelle souffrance psychologique liée à la précarité de sa situation professionnelle, elle n’établit, en revanche, aucun fait qui permette de présumer qu’elle aurait été victime d’un harcèlement sexuel devenu moral de la part de son chef de service, étant observé au demeurant que le rapport de l’enquête diligentée par l’employeur a conclu, après l’audition des deux protagonistes, ainsi que de plusieurs salariés de l’entreprise, à l’absence d’éléments permettant d’établir des faits de harcèlement sexuel et moral de la part de M. AA W à l’encontre de Mme Z.

En conséquence, la demande de la salariée à ce titre sera rejetée.

Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité

* Sur la recevabilité de la demande

Cette demande présentée pour la première fois en cause d’appel n’étant que l’accessoire ou le complément des demandes formulées devant les premiers juges conformément aux dispositions de l’article 566 du code de procédure civile applicables en l’espèce, tel que justifié supra, est recevable.

* Sur le bien fondé de la demande

Il résulte des éléments de la cause sus mentionnés qu’aucun fait permettant de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel et moral à l’encontre de Mme Z de la part de son ancien chef de service n’est établi, pas plus que l’existence d’une souffrance physique ou psychologique de la salariée en lien avec ses conditions de travail, l’employeur ayant au demeurant diligenté une enquête, ensuite de la dénonciation faite par la salariée, huit mois après la fin de son contrat de travail, d’agissements de harcèlement sexuel et moral, laquelle a conclu à l’absence de tout harcèlement.

En conséquence, le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité qui lui incombe, en application des dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, n’est pas caractérisé.

La salariée sera ainsi déboutée de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud’homale, par mise à disposition au greffe,

Infirme partiellement le jugement,

Statuant à nouveau sur le tout et y ajoutant,

Dit recevable la demande en requalification formée par Mme Z à compter du premier contrat de mission du 9 février 2015,

Dit recevables les demandes de dommages et intérêts au titre du harcèlement sexuel et moral et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

Déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la salariée aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt signé par Monsieur LE GALLO, Président et par Madame DELOR, Greffière.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 28 juillet 2020, n° 18/01016