Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 6 mai 2019, n° 17/02064

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, ch. civ., 6 mai 2019, n° 17/02064
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 17/02064
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Tours, 22 mai 2017
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 06/05/2019

SARL ARCOLE

SCP LCCD AVOCATS

EXPÉDITION : le 06/05/2019

CPAM INDRE ET LOIRE

ARRÊT du : 06 MAI 2019

N° : – N° RG 17/02064 -

N° Portalis DBVN-V-B7B-FPZE

DÉCISION ENTREPRISE :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du

23 Mai 2017

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265198912208326

Madame C Y

immatriculée auprès de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Indre et Loire sous le numéro 2 54 06 99 354 254 02

née le […] à MOSTAGANEM

[…]

[…]

représentée par la SARL ARCOLE, avocat au barreau de TOURS

D’UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265210110359261

Monsieur B Z

né le […]

[…]

[…]

[…]

représenté par Me FUCHS-DRAPIER, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS et ayant pour avocat postulant, la SCP LCCD AVOCATS, avocat inscrit au barreau de TOURS

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’INDRE ET LOIRE

[…]

[…]

n’a pas constitué avocat

D’AUTRE PART

DÉCLARATION D’APPEL en date du : 04 Juillet 2017.

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 15-01-2019

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

• Madame Sylvie GUYON-NEROT, Président de Chambre,

• Monsieur Laurent SOUSA, conseiller.

Lors du délibéré :

• Madame Sylvie GUYON-NEROT, Président de Chambre,

• Madame Fabienne RENAULT-MALIGNAC, conseiller,

• Monsieur Laurent SOUSA, conseiller.

Greffier :

Mme Marie-Lyne EL BOUDALI, Greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS

A l’audience publique du 18 Février 2019, à 14 heures, Madame Sylvie GUYON-NEROT, Président de Chambre, Monsieur SOUSA, Magistrat Rapporteur, ont entendu les avocats des parties, en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l’article 945- 1 du Code de Procédure Civile.

ARRÊT

Prononcé le 06 MAI 2019 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme C Y épouse X, née le […], a exercé la profession d’aide soignante à domicile à compter de 2002.

À la suite de l’apparition d’un kyste au bord radial du poignet droit, Mme Y a consulté le Docteur B Z, chirurgien orthopédiste, le 27 janvier 2010, lequel a prescrit un électromyogramme pour documenter un éventuel syndrome de canal carpien et a proposé une exérèse du kyste dans le cadre d’une hospitalisation de jour.

L’électromyogramme a confirmé le syndrome canalaire du nerf médian au canal carpien et la nécessité de procéder à l’exérèse chirurgicale du kyste et la libération chirurgicale du nerf médian par section du ligament annulaire antérieur du carpe.

Le 6 octobre 2010, le Docteur Z a opéré Mme Y au sein du pôle santé Léonard de Vinci à Chambray Les Tours en ambulatoire sous anesthésie locorégionale. Les suites de l’opération ont révélé que la patiente a présenté une algoneurodystrophie, justifiant un traitement antalgique et anti-inflammatoires et arrêt temporaire de travail.

Mme Y a été déclarée temporairement inapte à son activité le 20 décembre 2010 par le médecin du travail et démissionné de son emploi à l’ADMR le 12 avril 2011.

Par décision du 23 avril 2013, la maison des personnes handicapées d’Indre-et-Loire a admis Mme Y au titre de l’orientation professionnelle et de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 1er février 2013 au 31 janvier 2016.

Le 8 mars 2011, Mme Y a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux de la région Centre (la CRCI) et une expertise médicale a été réalisée par le Dr A. Suite au dépôt du rapport d’expertise, la CRCI a conclu à l’absence de faute imputable au Dr Z et a considéré que le syndrome algoneurodystrophique post-opératoire de la patiente pouvait être qualifié d’accident médical mais qu’il ne pouvait être pris en charge par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale aux motifs que les préjudices en découlant n’atteignaient pas les seuils de gravité requis par l’article D1142-1 du code de la santé publique.

Par actes d’huissier des 18 et 19 août 2015, Mme Y a fait assigner M. Z et la CPAM d’Indre-et-Loire devant le tribunal de grande instance de Tours aux fins de voir ordonner une «'contre-expertise'» médicale et de surseoir à statuer sur la responsabilité de M. Z, au visa des articles L.1111-2 et L.1142-1-1 du code de la santé publique et L.376-1 du code de la sécurité sociale.

Par jugement du 23 mai 2017, le tribunal de grande instance de Tours a':

— débouté Mme Y de sa demande de contre-expertise médicale,

— débouté Mme Y de l’ensemble de ses autres demandes,

— condamné Mme Y à verser au Docteur B Z une indemnité de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— déclaré le jugement commun et opposable à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Indre-et-Loire,

— dit que Mme Y supportera les entiers dépens de l’instance.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré que':

— le rapport d’expertise du Dr A est complet et le fait qu’il ait conduit la CRCI à écarter toute faute du Dr Z n’est pas de nature à invalider le rapport sur le plan technique et déontologique, de sorte qu’il n’y a pas lieu à contre-expertise';

— les diagnostics de kyste et de syndrome du nerf médian au canal carpien étaient exacts et basés sur des symptômes cliniques, l’intervention chirurgicale a été réalisée dans les règles de l’art et la surveillance a été attentive, diligente et conforme';

— la complication survenue à savoir l’algodystrophie post-opératoire, était un risque dont aucun test ne permet de prédire la survenue avant l’opération et qui est d’une fréquence très variable de sorte que la responsabilité de M. Z dans la survenance du dommage médical

allégué n’est pas établie.

Par déclaration du 4 juillet 2017, Mme Y a interjeté appel intégral du jugement en visant les autres parties en qualité d’intimées. Par acte d’huissier de justice du 24 août 2017, l’appelante a fait signifier la déclaration d’appel à la CPAM d’Indre-et-Loire, par acte remis à personne. La CPAM n’a pas constitué avocat.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 26 septembre 2017 à M. Z, et par acte d’huissier du 3 octobre 2017 délivré à personne à la CPAM d’Indre-et-Loire, Mme Y demande de':

— infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau':

A titre principal,

— ordonner la contre-expertise médicale de Mme Y commettre pour y procéder tel expert idoine hors du département d’Indre et Loire avec pour mission mentionnée dans ses conclusions,

— dire que l’expert donnera connaissance de ses conclusions aux parties dans un pré-rapport et répondra à tous dires écrits de leur part formulés dans le délai qui leur aura été imparti avant d’établir un rapport définitif qu’il déposera au secrétariat-greffe dans les trois mois du jour où il aura été saisi de sa mission,

— surseoir à statuer sur la responsabilité du Dr Z et la liquidation des préjudices de Mme Y dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise médicale,

Subsidiairement,

— dire que M. Z a commis un manquement à son obligation d’information dont il est résulté pour Mme Y, d’une part, une perte de chance de refuser l’opération du 6 octobre 2010, et d’autre part, un préjudice moral d’impréparation au risque réalisé,

— évaluer cette perte de chance à hauteur de 80'%,

— évaluer, dans les postes de préjudice patrimoniaux soumis à recours, le préjudice de Mme Y comme suit':

— Dépenses de santé actuelles (977,33 €+mémoire)='''mémoire.

— Frais divers ='…………… mémoire.

— Pertes de gains professionnels actuels=''''4.289,60 €.

— Pertes de gains professionnels futurs=''''27.546,58 €.

— Incidence professionnelle='''''''' 8.000,00 €.

— évaluer, dans les postes de préjudice extra-patrimoniaux, le préjudice de Mme Y comme suit':

— Déficit fonctionnel temporaire='..'''''794,88 €.

— Souffrances endurées='''''''''2.800,00 €.

— Déficit fonctionnel permanent=''''' 5.080,00 €.

— Préjudice d’agrément='''''''''.mémoire.

— condamner M. Z, sous réserve de la déduction poste par poste de préjudice de la créance de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Indre et Loire (977,33 €), à verser à Madame C Y épouse X :

— au titre des Dépenses de santé actuelles='''''mémoire.

— au titre des Frais divers='''''''''…' mémoire.

— au titre des Pertes de gains professionnels actuels ='''''4.289,60 €.

— au titre des Pertes de gains professionnels futurs='''''27.546,58 €.

— au titre de l’Incidence Professionnelle ='''''''''8.000,00 €.

— au titre du Déficit fonctionnel temporaire ='..''''''…794,88 €.

— au titre des Souffrances endurées =.''''''''''.'2.800,00 €.

— au titre du Déficit fonctionnel permanent=''''..'''''5.080,00 €.

— au titre du Préjudice d’agrément='''''''''mémoire.

— condamner M. Z à lui verser au titre de son préjudice moral d’impréparation au risque réalisé, une indemnité de 4.000 €,

— débouter M. Z de l’ensemble de ses demandes,

— ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à venir,

— condamner M. Z à lui régler la somme de 3.000 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Indre et Loire,

— condamner M. Z aux entiers dépens dont distraction au profit de la Sarl Arcole agissant par Maître F G en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’appelante indique qu’il y a lieu de prononcer une contre-expertise, car le rapport du Dr A est critiquable en ce qu’il a rejeté une faute de diagnostic de M. Z qui a décidé d’opérer le syndrome du canal carpien alors que celui-ci n’était pas confirmé à l’électromyogramme'; que le rapport d’expert est également critiquable en ce qu’il n’a pas retenu de manquement de M. Z à son devoir d’information à l’égard de la patiente. Subsidiairement, elle demande de retenir un manquement de M. Z à son devoir d’information sur les risques de l’intervention chirurgicale et de liquider son préjudice en retenant une perte de chance de 80'%, et un préjudice d’impréparation au risque réalisé.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 27 novembre 2017, et par acte d’huissier du 4 décembre 2017 délivré à personne à la CPAM d’Indre-et-Loire, M.

Z demande de':

A titre principal':

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes dirigées à son encontre,

— condamner Mme Y à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux entiers dépens de la procédure,

A titre subsidiaire':

— lui donner acte de ses protestations et réserves tant sur le principe de sa responsabilité que sur la mesure d’expertise sollicitée,

— désigner tel expert compétent en chirurgie orthopédique et compléter la mission de l’expert selon les chefs de mission développés dans ses conclusions,

— dire que les frais d’expertise seront à la charge de Mme Y,

— débouter Mme Y de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— réserver les dépens,

A titre infiniment subsidiaire':

— fixer au plus à 25'% la perte de chance subie par Mme Y du fait du défaut d’information allégué et dire que sa responsabilité au titre du retard de prise en charge ne saurait excéder 25'%,

— ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées par Mme Y.

L’intimé soutient qu’il n’y a pas lieu à contre-expertise car l’expertise a été parfaitement réalisée sur la demande de la CRCI et qu’il n’a commis aucun manquement de nature à remettre en cause les conclusions de l’expert. Sur le fond, il affirme n’avoir commis aucun manquement à son devoir d’information, la patiente ayant été avertie de l’opération portant sur le canal carpien et des risques encourus'; que si sa responsabilité était retenue, il y a lieu de fixer la perte de chance à 25'% et de réduire l’indemnisation sollicitée à de plus justes proportions.

La procédure a été clôturée le 15 janvier 2019.

SUR QUOI, LA COUR,

I- Sur la demande d’expertise judiciaire :

L’appelante ne critique ni la méthodologie, ni l’indépendance et l’impartialité du Dr A qui a réalisé l’expertise à la demande de la CRCI, mais seulement les conclusions techniques de l’expert.

Elle critique ainsi le fait que le rapport du Dr A a rejeté l’existence d’une faute de diagnostic de la part de M. Z au motif qu’il a diagnostiqué un syndrome du canal

carpien sur la base d’une appréciation erronée de l’électromyogramme.

Cependant, l’expert a analysé le déroulement des faits ayant conduit à M. Z à diagnostiquer un syndrome du canal carpien et en a conclu, à l’issue d’une discussion motivée, à l’absence d’erreur de diagnostic. L’erreur de M. Z porte, en réalité, non sur le diagnostic mais sur les mentions apposées sur les compte-rendus de consultations aux termes desquelles l’électromyogramme confirmait le syndrome canalaire du nerf médian au canal carpien. Ces mentions étaient inexactes puisque l’électromyogramme était normal. L’expert a relevé que M. Z avait reconnu une formulation erronée': «'interrogé sur le point litigieux de la lettre, à savoir la phrase affirmant que l’électromyogramme confirmait le syndrome canalaire du nerf médian au canal carpien, alors que le compte-rendu de cet examen concluait à un électromyogramme normal, le Dr Z admet que cette phrase était malencontreuse'».

L’expert a néanmoins considéré que «'le diagnostic de syndrome du nerf médian au canal carpien était essentiellement clinique, non confirmé par l’électromyogramme'». Les symptômes cliniques étaient une hypoesthésie de la pulpe de l’index et des antécédents de paresthésie de la main ayant justifié des examens et consultations dès 2008.

L’appelante produit un courrier du Dr Patillot mentionnant que «'la patiente a été opérée alors que le diagnostic n’était pas établi à l’EMG'», sans qu’il en conclut nécessairement que les mentions erronées des compte-rendus de consultations de M. Z aient conduit à une erreur de diagnostic. Elle ne conteste ainsi pas avoir ressenti d’hyposthésie et de paresthésie qui sont des symptômes du syndrome du canal carpien, et ne produit pas de documentation médicale concluant à l’existence d’un électromyogramme confirmant le syndrome du canal carpien avant toute opération chirurgicale.

En second lieu, Mme Y critique le rapport de l’expert diligenté par la CRCI au motif qu’il n’a pas retenu de faute de la part de M. Z au titre de son obligation d’information. Cependant, la juridiction n’est pas tenue par les conclusions d’expertise, et le seul fait que l’expert ne se soit pas prononcé sur ce point qui ne faisait pas partie de sa mission, n’est pas de nature à justifier que soit ordonnée une nouvelle expertise judiciaire.

La cour étant suffisamment informée par le rapport d’expertise établi par le Dr A, qui ne comporte pas de lacunes, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’expertise judiciaire.

II- Sur la responsabilité du médecin :

A- Sur la faute du médecin

L’article L1142-1 du code de la santé publique dispose': «'Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.'».

L’expert dit que Mme Y a subi un dommage en lien avec un acte de soin réalisé par M. Z':

«'- le dommage trouve son origine dans la réalisation d’un risque inhérent à l’acte réalisé'

'-Oui, à savoir, une algodystrophie post-opératoire. Ce type de complication survient

préférentiellement chez la femme après un acte chirurgical, mais aussi parfois après un traumatisme banal. La physiopathologie de ce syndrome neuro-algodystrophique, désormais qualifié « syndrome douloureux régional complexe de type 2 » n’est pas connu. Le traitement en est symptomatique. Il n’y a aucun test permettant, avant une intervention chirurgicale, de prédire la survenue de ce risque dont la fréquence est très variable. il n’est pas possible de donner de chiffre précis de risque de survenue de ce syndrome dans le cas précis d’une chirurgie du canal carpien dans la mesure où il s’agit d’une complication qui n’est pas spécifique à cette chirurgie'».

L’expert a exclu toute faute de M. Z ayant conduit à ce préjudice, dès lors que «'le dommage est imputable, non à l’acte de soin réalisé (libération du nerf médian au canal carpien), mais à la survenue d’une complication consistant en un syndrome neuro-algodystrophique'». Il a considéré que le diagnostic était exact et l’acte chirurgical a été réalisé conformément aux règles de l’art. La responsabilité de M. Z ne peut donc être engagée au titre de l’acte chirurgical réalisé sur Mme Y.

L’article L1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, dispose':

«'Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.

Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.

(…)

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen'».

En application de cette disposition, le médecin a l’obligation d’informer son patient des risques inhérents à l’acte médical, même s’il n’a commis aucune faute médicale. En outre, le fait qu’un risque n’est pas fréquent ne dispense nullement le praticien d’en informer le patient, compte tenu de sa gravité.

En l’espèce, Mme Y soutient que M. Z ne l’a pas informée, avant l’opération du 6 octobre 2010, qu’il comptait l’opérer d’un syndrome du canal carpien, et des risques encourus par une telle opération dont l’algo-neurodystrophie.

L’expert judiciaire a relevé que Mme Y, dès le 11 mars 2010 «'confirme avoir été informée par le chirurgien que « cela pouvait être un canal carpien ». Elle n’ignorait donc pas la possibilité qu’ elle pouvait souffrir d’ 'un syndrome du canal carpien associé à son kyste synovial'». Les déclarations de Mme Y devant l’expert judiciaire permettent donc d’écarter le défaut d’information sur l’existence d’un syndrome de canal carpien.

Il appartenait toutefois à M. Z d’informer parfaitement la patiente sur les risques de

l’opération du syndrome du canal carpien y compris sur l’algodystrophie pour laquelle le risque s’est réalisé après l’opération. L’expert judiciaire indique que ce risque est de fréquence très variable et non spécifique à l’opération du canal carpien, et que ce type de complication intervient de manière préférentielle chez la femme après un acte chirurgical.

S’agissant d’un syndrome douloureux persistant dont le traitement est symptomatique, la gravité du risque de survenance de ce syndrome justifiait qu’il soit porté à la connaissance de Mme Y avant l’intervention chirurgicale du 6 octobre 2010, même si sa fréquence de survenance est variable.

M. Z allègue avoir porté à la connaissance de la patiente les risques inhérents à ce type d’intervention, notamment les risques de lésions nerveuses. Cependant, il ne produit aucun élément propre à prouver son allégation qui ne constitue pas la preuve de l’exécution de son obligation d’information. En conséquence, il y a lieu de dire que M. Z a manqué à son devoir d’informer la patiente des risques liées à l’acte chirurgical.

B- Sur la liquidation du préjudice

Le défaut d’information sur les risques inhérents à l’acte chirurgical pratiqué par M. Z, a causé à la patiente, qui a vu le risque d’algodystrophie se réaliser, un préjudice résultant d’un défaut de préparation aux conséquences de ce risque. Ce préjudice doit être indemnisé de manière distincte de la perte de chance d’éviter le dommage constitué par les conséquences de l’algodystrophie.

Au regard de la nature persistante du risque avéré et des douleurs associées justifiant la prise de médicaments antalgiques, il y a lieu d’indemniser le préjudice d’impréparation aux risques en allouant à Mme Y la somme de 3.000 euros à laquelle M. Z sera condamné.

Il y a également lieu de fixer le préjudice patrimonial et extra-patrimonial subi par Mme Y sur la base des conclusions du rapport d’expertise établi par le Dr A, avant d’examiner la fraction dont le médecin est responsable au titre de la perte de chance.

B1- détermination de l’assiette du préjudice

1. Préjudices patrimoniaux temporaires

1.1. Dépenses de Santé Actuelles:

Ces dépenses de santé s’élèvent au montant pris en charge par la CPAM soit la somme de 977,33 euros. Il n’est pas allégué de dépenses de santé restées à la charge de la patiente.

1.2. Pertes de Gains Professionnels Actuels:

Ce poste indemnise le préjudice économique subi par la victime avant consolidation. Le Dr A a retenu qu’en l’absence d’algodystrophie, «'l’incapacité temporaire de travail'» de Mme Y aurait été de 45 jours, soit du 6 octobre au 21 novembre 2010. Avec l’algodystrophie, l’expert a constaté que Mme Y n’a repris son travail que le 3 avril 2011.

Mme Y explique que compte tenu des douleurs ressenties à son poignet droit dans le cadre de son activité, elle s’est résignée à démissionner de son emploi auprès de l’ADMR dès le 12 avril 2011, et a renoncé à intervenir chez les deux ou trois particuliers chez qui elle intervenait sans jamais pouvoir reprendre son emploi. Elle sollicite l’indemnisation d’une perte de gains professionnels de 383 euros par mois sur la période du 21 novembre 2010 au 6 janvier 2012.

Cependant, aux termes de l’expertise, l’incapacité de travailler à raison de l’algodystrophie est limitée au 3 avril 2011. Il n’est pas démontré que les pertes de gains ultérieures présentent un lien de causalité certain et direct avec l’accident médical et non avec la pathologie initiale. La perte de gains professionnels avant consolidation sera donc indemnisée du 21 novembre 2010 au 3 avril 2011 soit pendant 4 mois et 12 jours.

Mme Y a perçu un salaire mensuel net moyen de 150,23 euros par mois sur la période de janvier à septembre 2010, au vu des bulletins de paie versés aux débats.

Le préjudice de perte de gains professionnels avant consolidation d’élève donc à la somme de 661,01 euros ((4'×'150,23) + (150,23 / 30'×'12)).

2. Préjudices patrimoniaux permanents :

La date de consolidation a été fixée par l’expert au 16 janvier 2012.

2.1. Pertes de Gains Professionnels Futurs:

Ce poste indemnise la perte ou la diminution des revenus consécutive à l’incapacité permanente à compter de la date de consolidation.

En l’espèce, le Dr A a expressément indiqué que l’inaptitude définitive à l’activité professionnelle «'n’est pas imputable à l’intervention et sa complication, mais est en rapport avec la pathologie initiale'». En conséquence, le préjudice professionnel allégué après consolidation ne présente pas de lien de causalité avec l’algodystrophie post-opératoire. Il convient de rejeter la demande d’indemnité au titre de ce poste de préjudice.

2.3. Incidence Professionnelle:

Le Dr A a conclu que l’incidence professionnelle (pénibilité, dévalorisation) n’est pas imputable à l’accident médical. En conséquence, en l’absence de lien de causalité, la demande formée à ce titre sera rejetée.

3. Préjudices extra-patrimoniaux temporaires:

3.1. Déficit Fonctionnel Temporaire:

Le Dr A a retenu un déficit fonctionnel temporaire de 10'%, entre le 29 novembre 2010 et le 16 janvier 2012, soit durant 413 jours. Mme Y sollicite une indemnisation à hauteur de 24 euros par jour et M. Z propose 20 euros par jour.

Au regard de la nature de gêne fonctionnelle, le taux d’indemnisation de 20 euros par jour permet de réparer intégralement le préjudice subi. Le déficit fonctionnel temporaire doit être ainsi évalué à 826 euros (413'×'20 x 10%)

3.2. Souffrances Endurées:

Elles ont été évaluées par le Dr A à 2/7. Mme Y demande une évaluation de son préjudice à la somme de 3.500 euros et M. Z indique qu’il doit être évalué à la somme de 2.500 euros. Les souffrances endurées seront indemnisées intégralement à hauteur de 2.500 euros.

4. Préjudices extra-patrimoniaux permanents:

4.1. Déficit Fonctionnel Permanent:

Le taux de déficit fonctionnel permanent a été évalué par l’expert à 5'%, étant précisé que Mme Y était âgée de 57 ans au jour de la consolidation. Les parties évaluent toutes deux le point d’incapacité à 1.270 euros. En conséquence, le déficit fonctionnel permanent doit être indemnisé à hauteur de 6.350 euros (1270'×'5).

B2- détermination des indemnités à la charge du responsable

Il convient de déterminer si la patiente disposait d’une possibilité raisonnable de refus et, en ce cas d’évaluer cette possibilité, afin de fixer l’étendue de la perte de chance, et partant, les indemnités à la charge du médecin responsable du défaut d’information.

Mme Y exerçait la profession d’aide à domicile à mi-temps, au sein de l’ADMR depuis 2002. Il résulte du rapport d’expertise du Dr A que Mme Y avait été opérée en 1994 d’un kyste synovial du poignet gauche.

Le 22 mai 2008, un électromyogramme du membre supérieur droit de Mme Y a été réalisé. En effet, la patiente utilisait beaucoup son membre supérieur droit du fait d’une activité de repassage importante, à l’origine d’une fatigabilité de ce membre, avec lâchage d’objets. Il était fait état d’engourdissement et paresthésies de la main, mais elle n’était pas réveillée la nuit. À l’issue de ces investigations, il a été évoqué un syndrome du défilé coraco-brachial, et le neurologue a proposé des explorations visant à éliminer la présente d’une éventuelle côte cervicale à l’origine de ce syndrome.

En 2010, Mme Y a consulté son médecin traitant en raison de l’apparition d’un kyste au bord radial du poignet droit, qui lui créait une gêne tant pour son travail que pour les activités de la vie quotidienne, mais elle n’avait pas cessé son activité professionnelle. Le médecin traitant l’a orientée auprès du Dr Z qui a constaté que les mobilités articulaires de la patiente étaient normales. Il a toutefois noté l’existence de symptômes de syndrome du canal carpien débutant, avec paresthésies distales sans déficit. Lors d’un nouvel électromyogramme en février 2010, le neurologue rapportait l’existence depuis un an et demi de fourmillements dans la main droite, avec perte de force et douleur du coude et de l’épaule depuis quelques semaines. L’expert judiciaire relatait que Mme Y avait effectivement ressenti des fourmillements en 2008 avant leur disparition en 2009.

Mme Y H une gêne modérée et chronique liée au kyste synovial de la tabatière anatomique, M. Z notait en mars 2010, que la patiente souhaitait une exérèse chirurgicale «'à la rentrée prochaine'». Lors de la consultation du 28 septembre 2010, M. Z a proposé à Mme Y de procéder à la libération chirurgicale du canal carpien en même temps que l’exérèse du kyste synovial, tel que cela a été réalisé lors de l’intervention du 6 octobre 2010.

Il résulte de ces éléments que Mme Y avait une activité professionnelle essentiellement manuelle et qu’elle était gênée par son kyste synovial, y compris dans sa vie quotidienne. À ce problème s’est ajouté un syndrome du canal carpien qui lui a causé des fourmillements intermittents. L’expert, le Dr A, n’indique pas que l’opération chirurgicale du 6 octobre 2010 était impérieuse et que sans cette intervention, l’état de santé de la patiente se serait fortement dégradé. Mme Y disposait donc d’une chance de refuser l’intervention si elle avait été pleinement informée des risques liés à l’opération chirurgicale.

Cependant, il est à noter qu’elle a consulté à plusieurs reprises des médecins en raison de la gêne évoquée et qu’elle avait sollicité l’exérèse du kyste synovial comme cela lui avait été antérieurement pratiqué, sans qu’il ne soit relaté de complications post-opératoires liées à

cette précédente opération. Il résulte ainsi de l’ensemble de ces éléments que la perte de chance d’éviter le dommage doit être évalué à 25'%.

Les sommes mises à la charge de M. Z doivent ainsi être fixées':

— Dépenses de Santé Actuelles': 977,33'×'25'% = 244,33 €, somme intégralement due à la CPAM

— Perte de gains professionnels actuels': 661,01'×'25'% = 165,25 €

— Déficit Fonctionnel Temporaire': 826'×'25'% = 206,50 €

— Souffrances Endurées': 2500'×'25% = 625 €

— Déficit Fonctionnel Permanent': 6350'×'25% = 1587,50 €

Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu’il a débouté Mme Y de sa demande indemnitaire à l’encontre de M. Z. Il convient donc de condamner M. Z à verser à Mme Y la somme totale de 2.584,25 euros au titre de la perte de chance d’éviter le préjudice patrimonial et extra-patrimonial ainsi fixé.

III ' Sur les demandes annexes :

L’arrêt étant prononcé en dernier ressort, la demande d’exécution provisoire est sans objet.

Le jugement sera infirmé en ses chefs de décision relatifs aux dépens et aux frais irrépétibles. M. Z sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel, et à verser à Mme Y la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté Mme C Y de sa demande de contre-expertise médicale,

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que M. B Z a commis un manquement à son devoir d’information à l’égard de Mme C Y quant aux risques encourus de l’opération chirurgicale du 6 octobre 2010,

CONDAMNE M. B Z à payer à Mme C Y la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’impréparation aux risques,

FIXE le préjudice patrimonial et extra-patrimonial de Mme C Y subi, suite à l’opération chirurgicale du 6 octobre 2010, comme suit':

— Dépenses de Santé Actuelles': 977,33 euros

— Perte de gains professionnels actuels': 661,01 euros

— Déficit Fonctionnel Temporaire': 826 euros

— Souffrances Endurées': 2500 euros

— Déficit Fonctionnel Permanent': 6350 euros

REJETTE les demandes d’indemnisation formées par Mme C Y au titre des autres postes de préjudice,

DÉCLARE l’arrêt commun et opposable à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie d’Indre et Loire,

DIT que Mme C Y a subi une perte de chance de 25'% d’éviter le dommage à raison du manquement du devoir d’information de M. B Z et limite les sommes mises à la charge de ce dernier à cette proportion,

FIXE la créance de la CPAM d’Indre-et-Loire à la somme de 244,33 euros,

CONDAMNE M. B Z à payer à Mme C Y la somme totale de 2.584,25 euros au titre de la perte de chance d’éviter le préjudice patrimonial et extra-patrimonial précédemment fixé,

CONSTATE que la demande d’exécution provisoire est sans objet,

CONDAMNE M. B Z à verser à Mme C Y la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. B Z aux entiers dépens de première instance et d’appel,

AUTORISE les avocats de la cause à recouvrer directement et à leur profit, contre la partie condamnée aux dépens, ceux dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Arrêt signé par Madame Sylvie GUYON-NEROT, Président de Chambre, et Madame Marie-Lyne EL BOUDALI , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 6 mai 2019, n° 17/02064