Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 29 juin 2020, n° 18/02774

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, ch. civ., 29 juin 2020, n° 18/02774
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 18/02774
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Tours, 4 juillet 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 29/06/2020

SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES

SCP DE KILMAINE, SEREGE

ARRÊT du : 29 JUIN 2020

N° : – N° RG 18/02774 – N° Portalis DBVN-V-B7C-FY7D

DÉCISION ENTREPRISE :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du

05 Juillet 2018.

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 221499822035

Madame C DE B

[…]

[…]

[…]

représentée par la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOURS

D’UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 225443408057

Monsieur Z DE B

né le […] à TOURS

[…]

[…]

représenté par la SCP DE KILMAINE, SEREGE, avocat au barreau de TOURS

Madame E DE B épouse X

née le […] à TOURS

[…]

[…]

représentée par la SCP DE KILMAINE, SEREGE, avocat au barreau de TOURS

D’AUTRE PART

• DÉCLARATION D’APPEL en date du :25 Septembre 2018

• ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 04-02-2020

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

• Madame Laurence FAIVRE, président de chambre,

• Monsieur Laurent SOUSA, conseiller,

• Mme Laure Aimée GRUA, magistrat honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles, en vertu de l’ordonnance n°220/2019,

Greffier :

• Madame Marie-Lyne EL BOUDALI, Greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS :

A l’audience publique du 02 MARS 2020, à laquelle ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 29 JUIN 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

A de B né le […] à […] est décédé à […]) le […], laissant pour lui succéder ses trois enfants :

— Mme E de B épouse X,

— Mme C de B,

— M. Z de B.

Suivant acte en date du 5 mai 2010 reçu par Maître K L, notaire à Amboise, A de B a fait dresser un testament authentique aux termes duquel il léguait la quotité disponible de l’ensemble de ses biens à sa 'lle C et il lui attribuait la totalité de la propriété de Civray ainsi que tout le mobilier et meubles meublants et objets mobiliers garnissant cette propriété, à charge pour elle de conférer un droit d’usage et d’habitation à M. M H dans deux pièces qu’il occupait. Il attribuait par ailleurs par parts égales, moitié chacun, à son 'ls Z et à sa 'lle E, les immeubles situés à […].

Par actes d’huissier de justice en date des 18 et 24 septembre 2012, Mme C de B a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Tours, Mme E de B et M. Z de B aux fins d’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de A de B, de désignation d’un expert pour procéder à l’évaluation des biens immobiliers notamment du château de Civray de Touraine dont une partie est occupée par M. Z de B.

Par actes d’huissier de justice en date des 2 et 6 novembre 2012, Mme C de B a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Tours, Mme E de B et M. Z de B a’n de voir constater que le testament de A de B en date du 5

mai 2010 comporte une clause d’inaliénabilité ne répondant pas aux exigences légales qui doit être réputée non écrite.

Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances et a désigné un huissier de justice et un commissaire-priseur a’n de dresser un inventaire des meubles meublants et biens mobiliers objets du legs, se trouvant dans l’annexe de la propriété du château de Civray de Touraine appelée « Château vieux », occupée par M. Z de B, et a ordonné une expertise con’ée à M. D pour l’évaluation de la propriété de Civray de Touraine, lequel a déposé son rapport le 29 février 2016.

Par jugement en date du 5 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Tours a :

— ordonné l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de A de B,

— désigné pour y procéder Maître N O, notaire à […], et désigné pour surveiller les opérations et faire rapport, Mme S T U vice-président,

— dit qu’en cas d’empêchement du notaire ou du juge, il sera pourvu à leur remplacement par simple ordonnance sur requête de la partie la plus diligente,

— prononcé l’annulation de l’ensemble des dispositions du testament de A de B reçu par acte du 5 mai 2010 par Maître K L, notaire à Amboise,

— dit que le notaire chargé des opérations de compte liquidation et partage de la succession de A de B devra inscrire au passif de la succession : la somme de 18 833,60 € outre les intérêts au taux contractuel de 7 % à compter du 2 novembre 2012 due à la SA Credipar ainsi que cela résulte du jugement définitif du tribunal d’instance de Tours en date du 6 mai 2013 ayant condamné solidairement Mme C de B, Mme E de B épouse X et M. Z de B au paiement de ladite somme, la somme due en vertu du jugement du tribunal d’instance de Tours du 11 février 2013 à la SA OGF soit celle de 4 753 € assortie des intérêts au taux égal à deux fois le taux d’intérêt légal à compter du 6 février 2012,

— dit que le notaire chargé de la succession devra tenir compte de la somme de 55 000 € avancée au titre des droits de succession par Mme C de B a’n de la ventiler entre les différents héritiers,

— fixé la valeur du château de Civray de Touraine à la somme de 1 150 000 € si les bâtiments sont libres de toute occupation et à celle de 1 140 000 € en tenant compte de l’occupation par M. Z de B de la partie des communs dénommée Château vieux,

— dit que le notaire chargé de la succession de A de B devra inscrire à l’actif successoral la somme de 6 000 € correspondant au prix de vente du véhicule Citroën C6 versé le 28/05/2013 à Maître Jacob, notaire,

— dit que le don effectué en janvier 2007 à M. Z de B de la parure de bijoux composée d’un bracelet et d’un collier rivière de diamants et saphirs constitue un présent d’usage,

— dit que M. Z de B et Mme E de B épouse X ainsi que tous les membres de leurs familles respectives doivent avoir libre accès à la crypte familiale du château de Civray de Touraine, lieu où reposent leurs parents et grands parents, qu’à cet effet Mme C de B devra leur remettre les clés de l’accès au portail et à la crypte,

— dit n’y avoir lieu à faire application des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré que :

— la preuve de l’insanité d’esprit du testateur n’est pas établie, dès lors que les attestations et certificats médicaux produits mentionnent qu’il n’était pas intellectuellement affaibli et qu’il était parfaitement lucide jusqu’à son décès ;

— la clause inaliénabilité du testament selon laquelle « Si la propriété devait être vendue, elle devrait l’être à un membre de votre famille à défaut je souhaite qu’elle soit apportée à une fondation culturelle portant le nom de la famille de B » ne comporte aucun terme de sorte qu’il s’agit une obligation perpétuelle, contraire à l’article 900-1 du code civil ;

— déclarer non écrite ladite clause revient à remettre en question la volonté du testateur, de sorte que

la cause impulsive et déterminante de la libéralité consentie par A de B à sa 'lle C de B consiste en l’obligation de maintenir la propriété du château de Civray à la famille de B ; il doit donc être considéré que la nullité de la clause d’inaliénabilité entraîne la nullité de l’ensemble du testament ;

— il résulte d’un document manuscrit de janvier 2007 que A de B a donné à son 'ls, M. Z de B, à titre personnel, un collier avec brillants et saphirs, estimé en 2017 à la somme de 8 000 €, qui sera toujours la possession du chef de famille ; ce don est un présent d’usage eu égard à l’importance du patrimoine dont disposait le défunt lequel a été évalué, sans qu’il soit pris en compte de la valeur d’un appartement situé à Gand (Belgique), à la somme de 1 946 256,19 € selon la déclaration de succession ;

— la cession d’une propriété privée sur laquelle il existe des sépultures ne s’étend pas à ces dernières qui étant hors du commerce sont incessibles et inaliénables ; le droit d’usage et de jouissance de la famille ne pouvant être restreint, il y a lieu de prévoir un accès libre de la famille à la crypte familiale du château de Civray de Touraine, où reposent leurs parents et grands parents, et C de B devra remettre les clés de l’accès au portail et à la crypte à son frère et à sa s’ur.

Par déclaration en date du 25 septembre 2018, Mme C de B a interjeté appel partiel du jugement en ce qu’il a prononcé l’annulation de l’ensemble des dispositions du testament de A de B du 5 mai 2010, dit que le don effectué en janvier 2007 à Z de B de la parure de bijoux composée d’un bracelet d’un collier rivière de diamants et saphirs constitue un présent d’usage, dit que M. Z de B et Mme E de B ainsi que tous les membres de leurs familles respectives doivent avoir libre accès à la crypte familiale du château de Civray de Touraine lieu où reposent leurs parents et grands-parents qu’à cet effet C de B devra leur remettre les clés de l’accès au portail et à la crypte.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 19 juin 2019, Mme C de B demande de :

— débouter les intimés de l’ensemble de leurs demandes incidentes,

— réformer la décision entreprise quant aux chefs visés dans la déclaration d’appel, et statuant à nouveau,

— déclarer valable le testament authentique dans son intégralité,

— à défaut, si la cour devait confirmer le jugement entrepris sur l’annulation de l’ensemble des dispositions du testament authentique : lui attribuer préférentiellement la propriété du château de Civray de Touraine ainsi que l’ensemble des meubles le meublant et le garnissant,

— dire que le Notaire chargé des opérations de la succession devra inscrire à l’actif successoral la rivière de diamants et son bracelet pour une valeur estimée à 8 000 € et l’attribuer dans les opérations de partage à M. Z de B,

— dire que Mme E de B et M. Z de B seront autorisés à visiter la crypte familiale de la propriété sise à Civray de Touraine selon les modalités suivantes : pendant les horaires d’ouverture à la visite et sur rendez-vous pris au minimum 15 jours à l’avance,

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

— condamner solidairement Mme E de B et M. Z de B au paiement de la somme de 3 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner solidairement Mme E de B et M. Z de B aux entiers dépens de l’appel dont ceux au titre de l’article 699 et distraction au profit de la SCPA Thaumas, avocats aux offres de droit lesquels comprendront aussi les frais des officiers ministériels,

— ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

L’appelante soutient que la nullité du testament conduit au même résultat que le tribunal voulait éviter en n’annulant pas la clause d’inaliénabilité ; que c’est en prononçant la nullité du testament en son entier que le tribunal remet en cause les motifs ayant déterminé la libéralité consentie par le testateur à sa fille C ; que la cause impulsive et déterminante de la libéralité consentie par A de B à sa fille C, qui s’occupait de lui dont il était le plus proche, réside dans sa volonté de l’avantager dans la succession ; qu’en tout état de cause, elle renonce à voir déclarer non écrite la clause d’inaliénabilité ; que les intimées ne rapportent pas la preuve de l’insanité d’esprit du testateur ; qu’en cas de nullité du testament, le château de Civray devra lui être attribué à titre préférentiel, en application de l’article 831-2 du code civil, dès lors qu’il constituait son habitation principale avant le décès de A de B ; que le don de bijoux à M. Z de B ne remplit pas les conditions du présent d’usage, car il n’est pas établi de l’usage concerné ; que le caractère privatif du château de Civray de Touraine ne permet pas que son propriétaire se voit dans l’obligation de remettre les clés de sa propriété à ses frères et s’urs, alors que si la sépulture se trouvait dans un cimetière, les visiteurs seraient soumis aux horaires d’ouverture au public ; qu’en outre, ce lieu privé peut également être occupé temporairement par des tiers dans le cadre d’une activité de chambre d’hôtes ou de réception, qui ne doivent pas être troublés dans la jouissance du site.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 31 janvier 2020, Mme E de B et M. Z de B demandent de :

A titre principal,

— prononcer la nullité des dispositions testamentaires de A de B dans leur ensemble,

— dire que la clause d’inaliénabilité est la cause impulsive et déterminante des dispositions testamentaires et que dès lors son invalidation entraîne l’annulation de l’ensemble des dispositions du testament authentique de A de B du 5 mai 2010,

— voir en conséquence ordonner à la requête de Mme E de B et de M. Z de B par tel notaire de leur choix la publication de la clause d’inaliénabilité au bureau des hypothèques afin de rendre ladite clause opposable aux tiers,

— confirmer la qualification de présent d’usage concernant la parure donnée par A de B à son fils M. Z de B,

— débouter Mme C de B de sa demande d’attribution préférentielle présentée à titre subsidiaire par elle, celle-ci ne remplissant pas au jour du décès les conditions prévues par les dispositions légales,

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les dispositions testamentaires de A de B seraient validées par la cour,

— ordonner la réduction du legs fait à Mme C de B à la quotité disponible de la succession et rétablir Mme E de B et M. Z de B dans leurs droits à leur part de réserve héréditaire,

— confirmer les autres dispositions du jugement entrepris,

— condamner Mme C de B à régler à Mme E de B et à M Z de B une sonne de 3 500 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de la procédure d’appel, dont distraction au profit de Maître Marc Sérégé, avocat associé, membre de la SCP Patrice de Kilmaine – Marc Sérégé en vertu des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Les intimés expliquent que le testateur n’avait plus la pleine jouissance de ses facultés mentales et était donc dans l’impossibilité de tester, conformément aux dispositions de l’article 414-1 du code civil ; que dans les derniers mois de sa vie, A de B était devenu incohérent dans ses choix, et le testament est également incohérent ; que la clause d’inaliénabilité portant sur la vente du château est la cause déterminante du legs à Mme C de B ; que celle-ci ne peut prétendre à l’attribution préférentielle du château de Civray en cas d’annulation du testament, car il ne constituait nullement son domicile propre avant le décès de son père qui l’hébergeait et elle n’y exerçait alors aucune activité commerciale ; que même en cas d’abandon de la demande d’annulation de la clause d’inaliénabilité, la cour devra statuer sur le fait de savoir si la clause d’inaliénabilité est ou non la cause déterminante des dispositions testamentaires, car la disparition de cette clause entraînerait la disparition de l’ensemble des dispositions testamentaires ; que les dispositions testamentaires doivent être annulées au regard de la demande de nullité de la clause d’inaliénabilité présentée par Mme C de B ; qu’au regard des moyens financiers et du train de vie de A de B, le don d’une parure de bijoux est un présent d’usage dont la valeur ne peut être imputée sur la quotité disponible de la succession ; que la motivation du jugement quant au libre accès à la crypte familiale doit être reprise.

Le 6 mars 2020, la cour a sollicité les observations des parties sur l’application des dispositions des articles 922 et suivants du code civil quant à la demande de réduction du legs à la quotité disponible, et a demandé de justifier de la valeur de tous les biens existants au jour du décès.

Par note en délibéré communiquée le 27 avril 2020, l’appelant indique que les intimés n’établissent pas l’existence d’une atteinte à la réserve et ne fournissent pas les éléments permettant d’établir la masse de calcul de la quotité disponible conformément aux dispositions de l’article 922 du code civil, de sorte que leur demande doit être rejetée. En outre, il y a lieu de constater que leur demande apparaît prescrite en application des dispositions de l’article 921 du code civil.

Par note en délibéré du 20 mai 2020, les intimés indiquent que la demande de réduction du legs consenti à C de B à la quotité disponible, n’a fait l’objet d’aucune contestation de la part de cette dernière tant en première instance qu’en appel. La demande tendant à voir constater la prescription de la demande de réduction du legs n’est pas recevable, dès lors qu’elle n’a pas été soutenue devant le tribunal et la cour. Ils font également valoir que l’intégralité de l’actif et du passif de succession a été évaluée dans la déclaration de succession établie par Mme C de B et que le legs excède la part de celle-ci dans la succession qui est de 955 722 euros.

Il convient de se référer aux conclusions récapitulatives des parties pour un plus ample exposé des moyens soulevés.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur l’annulation du testament :

L’article 901 du code civil dispose « Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit ».

L’article 414-1 du code civil dispose : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».

La charge de la preuve de l’insanité d’esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament, lequel doit établir la preuve de l’absence de lucidité du testateur au moment de l’établissement de la libéralité litigieuse.

Le testament de A de B reçu par Maître L, notaire, le 5 mai 2010, est rédigé comme suit :

« Je lègue la quotité disponible de l’ensemble de tous mes biens à ma fille C et je lui attribue la totalité de la propriété de Civray ainsi que tout le mobilier et meubles meublants et objets mobiliers et bibelots garnissant cette propriété qui devront rester à leur place.

J’attribue par parts égales, moitié chacun, les immeubles situés à […] à mon fils Z et ma fille E.

C aura la charge de maintenir Monsieur M H (né à F le […]) en lui conférant le droit d’usage et d’habitation sa vie durant de deux pièces qu’il occupe et du mobilier les garnissant dont je reconnais qu’il lui appartient.

En cas de prédécès de ma fille C, les dispositions prises à son profit reviendront à mes deux petits enfants : G et Z P.

Si la propriété devait être vendue, elle devrait l’être à un membre de notre famille à défaut je souhaite qu’elle soit apportée à une fondation culturelle portant le nom de la famille de B.

J’exige également que mes héritiers fassent procéder à mon inhumation dans l’Autel de la crypte familiale à Civray.

En ce qui concerne la cérémonie de mes obsèques, je désire qu’elles soient identiques dans le texte et la musique à celles du Baron de Ville-d’Avray.

Je désire également que Monsieur M H soit inhumé dans la crypte familiale à un endroit à définir ».

Les intimés soutiennent que le testateur avait des comportements incohérents et s’appuient sur le fait qu’un bail d’habitation de neuf années avait été consenti le 12 novembre 2008 à M. Z de B par son père, avant que ce dernier lui demande de quitter les lieux à compter du 30 juin 2010.

La cour relève que la demande d’expulsion diligentée par A de B et poursuivie après son décès par Mme C de B, a été rejetée par jugement du tribunal d’instance de Tours en date du 17 décembre 2012, qui a néanmoins interprété le contrat de bail d’habitation produit comme un contrat de prêt à usage, en l’absence de loyer fixé au contrat. Les relations juridiques unissant A de B et M. Z de B comportaient donc une marge d’interprétation, dont le « bailleur » avait usé en sollicitant le départ des lieux du « locataire ». La demande de A de B ne témoigne en soi d’aucune insanité d’esprit mais illustre en revanche la dégradation des relations avec son fils, M. Z de B, en 2010, éclairant par ailleurs sur les choix qui ont présidé à l’établissement du testament du 5 mai 2010. Il en est de même de la demande de restitution de bijoux formée par A de B auprès de M. Z de B, alors qu’il lui en avait préalablement fait don suivant déclaration manuscrite de janvier 2007.

Il ne résulte pas des termes du testament une quelconque incohérence qui établirait l’insanité d’esprit du testateur. Celui-ci était en effet libre de prévoir une charge incombant à la légataire, Mme C de B, en vue de conférer un droit d’usage et d’habitation viager au profit de M. H qui a été à son service pendant de nombreuses années. Concernant l’inhumation de M. H dans la crypte familiale, il ne peut s’agir que d’un souhait valant autorisation d’inhumation dans cette crypte, qui ne pouvait se réaliser qu’en cas de volonté conforme de M. H et de sa famille.

Le fait que la clause d’inaliénabilité prévoit, subsidiairement, l’apport à une fondation, dont le testament ne mentionne pas le mode de financement, n’est pas de nature à caractériser une incohérence du testament et l’insanité d’esprit de son auteur. La volonté de A de B de voir apporter la propriété de Civray à une fondation, ne signifie pas nécessairement qu’il serait le créateur de celle-ci ou son financeur.

S’agissant de l’état des facultés intellectuelles de A de B au jour du testament, il est versé aux débats un certi’cat médical du 21 avril 2010, établi par le docteur I, médecin à la Croix en Touraine, mentionnant :

« Monsieur A de B me semble, autant que je puisse en juger, apte à dire ses volontés ».

Ce certificat médical a été communiqué par A de B, le 22 avril 2010, au notaire, Maître L, afin que ce dernier le joigne à son testament.

Contrairement aux allégations des intimés, ce certificat médical n’établit nullement l’existence d’une méfiance du notaire quant aux capacités de A de B, ni même que le médecin avait un doute sur celles-ci. Le médecin a ainsi exprimé sans ambiguïté le fait que A de B était apte à exprimer ses volontés. L’usage de la formule « autant que je puisse en juger » n’est pas de nature à contredire cette affirmation ou à exposer un doute, mais à exprimer la propre limite de son jugement médical qui ne résultait que de ce qu’il avait pu connaître de son patient dans le cadre de l’examen médical auquel il a procédé.

Les intimés qui sollicitent l’annulation du testament pour insanité d’esprit ne produisent aucun élément médical propre à contredire la constatation du docteur I formulée quelques jours avant la rédaction du testament litigieux.

En outre, l’appelante produit une attestation de M. J de Ville d’Avray qui précise, que fin novembre 2010, il a trouvé A de B « effectivement affaibli physiquement mais en aucun cas intellectuellement. Ses propos étaient parfaitement cohérents et raisonnés, sur tous les sujets évoqués [']

Il est resté complètement lucide, jusqu’au dernier jour de sa vie »

La lucidité de A de B jusqu’à la fin de sa vie est également attestée par M. H qui l’a servi dans sa propriété.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’insanité d’esprit de A de B au moment du testament, de sorte que celui-ci ne peut être annulé sur le fondement de l’article 414-1 du code civil.

Le jugement déféré a néanmoins annulé le testament en toutes ses dispositions au motif que la clause inaliénabilité qu’il comporte n’est pas conforme aux dispositions de l’article 900-1 du code civil, et que cette clause frappée de nullité constitue la cause impulsive et déterminante de la libéralité consentie par A de B à sa 'lle C de B. Les intimés demandent la confirmation de cette annulation prononcée sur le fondement de ce moyen.

L’article 900-1 du code civil dispose : « Les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas, le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige

Les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales. ».

Il est établi que le testament du 5 mai 2010 comporte une clause d’inaliénabilité relative rédigée comme suit :

« Si la propriété devait être vendue, elle devrait l’être à un membre de notre famille à défaut je souhaite qu’elle soit apportée à une fondation culturelle portant le nom de la famille de B ».

Mme C de B demande l’infirmation du jugement quant à l’annulation du testament, sans critiquer la motivation du jugement ayant retenu le caractère perpétuel de la clause d’inaliénabilité, mais seulement le fait que celle-ci constituerait la cause impulsive et déterminante de la libéralité.

Il convient de constater que le testament du 5 mai 2010 ne se limite nullement au sort de la propriété de Civray. Ainsi, le testateur a légué à Mme C de B la quotité disponible de l’ensemble de ses biens et lui a attribué la propriété de Civray, mais a également attribué à ses deux autres enfants, à parts égales, les immeubles situés rue Jolivet à Tours. Le testament comporte une charge incombant à Mme C de B tendant à l’octroi d’un droit d’usage et d’habitation viager au profit de M. H.

La clause d’inaliénabilité ne concerne pas tous les biens immobiliers cités dans le testament, mais s’applique uniquement à la propriété de Civray, ainsi que le testateur l’a exprimé en usant des termes « la propriété », après avoir exposé la charge de droit d’usage et d’habitation pesant sur Mme C de B. Les parties ne soutiennent d’ailleurs pas que cette clause aurait vocation à s’appliquer aux immeubles situés à Tours.

Le legs réalisé au profit de Mme C de B, étant affecté d’une charge portant sur un droit d’usage et d’habitation viager, la légataire encourrait la révocation du legs en cas de non-respect de cette charge, sans que la clause d’inaliénabilité ne soit utile pour garantir l’effectivité de ce droit d’usage et d’habitation.

Il résulte de ces éléments que la clause d’inaliénabilité n’est pas la cause impulsive et déterminante du testament, mais une clause accessoire dont la nullité ne peut entraîner la nullité de l’ensemble du testament.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a prononcé la nullité de la clause d’inaliénabilité mais infirmé en ce qu’il a prononcé l’annulation des dispositions du testament de A de B en date du 5 mai 2010.

Les intimés sont en outre mal fondés à voir ordonner de publier la clause d’inaliénabilité au bureau des hypothèques, dont ils sollicitaient l’invalidation, laquelle réputée non écrite, n’entraîne pas l’annulation du testament.

Sur le présent d’usage :

L’article 852 du code civil dispose que « les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant. Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».

L’existence d’un présent d’usage nécessite de déterminer à l’occasion de quel évènement et selon quel usage le défunt avait procédé au don.

Les intimés produisent une déclaration manuscrite de A de B datée de janvier 2007, dont une partie n’est pas lisible, qui mentionne le don à M. Z de B un collier avec brillants et saphirs « qui sera toujours la possession du chef de famille ». La transmission de ces bijoux s’inscrit dans une tradition familiale et nobiliaire que A de B voulait perpétuer, de sorte qu’il doit être considéré qu’elle constitue bien un présent d’usage. En outre, le don de ces bijoux d’une valeur de 8 000 euros est un présent de faible valeur au regard de l’importance de la fortune du donateur, ainsi que le tribunal l’a retenu.

Dans un courrier daté du 18 septembre 2010, A de B a écrit à M. Z de B un courrier comprenant le passage suivant :

« Je t’ai remis effectivement en dépôt, pour éviter le vol, un collier de diamants et saphirs ainsi qu’un bracelet dans l’attente de les mettre à la banque au coffre et non de te les donner ».

Ce courrier, établi à une période où le litige entre A de B et son fils M. Z de B était déjà existant, n’est pas de nature à contredire l’existence du don, mentionnée dans l’attestation manuscrite de janvier 2007. A de B s’étant dessaisi définitivement des bijoux, sans évoquer un dépôt en janvier 2007, ne pouvait revenir sur cet acte.

Le don de la parure de bijoux réalisé en janvier 2007 revêt donc la qualification de présent d’usage, de sorte qu’il n’est pas soumis à rapport à la succession. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur l’accès à la crypte familiale :

Le jugement déféré a justement rappelé que l a sépulture existante sur une propriété privée, par nature hors commerce, ne peut être cédée selon les modalités de transmission des biens. Cependant, l’absence de droit exclusif de la légataire du château de Civray sur la crypte familiale où A de B a été inhumé, ne règle pas en soi la question de l’accès de Mme E de B et de M. Z de B.

La présence d’une sépulture sur un terrain privé confère à la famille du défunt inhumé un droit de passage, auquel le propriétaire dudit terrain ne peut s’opposer afin que la famille puisse se recueillir. En conséquence, le droit de la famille à visiter la crypte familiale ne peut être restreint ou soumis à des conditions d’horaires ou de prise de rendez-vous, étant précisé que l’abus dans l’exercice d’un droit peut toujours être sanctionné en justice. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que M. Z de B et Mme E de B ainsi que tous les membres de leurs familles respectives doivent avoir libre accès à la crypte familiale du château de Civray de Touraine, et qu’ à cet effet Mme C de B devra leur remettre les clés de l’accès au portail et à la crypte.

S ur la réduction du legs à la quotité disponible :

La demande de l’appelante tendant à voir constater la prescription de la demande en réduction de legs a été formulée dans sa note en délibéré du 27 avril 2020, sans être exposée dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives. Or, une prétention nouvelle formulée postérieurement à l’ordonnance de clôture, fût-ce pour répondre à une invitation de la juridiction à fournir des explications de droit ou de fait, ne saisit pas la cour.

L’article 922 du code civil dispose : « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur.

Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. […]

On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu’il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer ».

La charge de la preuve du caractère excessif de la libéralité incombe à la partie qui s’en prévaut pour en demander la réduction.

En l’espèce, la déclaration de succession de A de B mentionne l’existence d’un appartement de 100 m² situé à Gand en Belgique. Il n’est produit aucune évaluation de ce bien immobilier de sorte que la masse des biens existants au jour du décès ne peut être déterminée par la cour.

Les intimés n’établissent pas la preuve du caractère excessif de la libéralité consentie à Mme C de B, en l’absence de détermination de l’intégralité de l’actif de la succession. Leur demande de réduction du legs doit en conséquence être rejetée.

Sur les demandes accessoires :

Au vu des circonstances de la cause et de la solution du litige, il n’y a pas lieu de faire application des articles 699 et 700 du code de procédure civile. Les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré mais seulement en sa disposition ayant prononcé l’annulation de l’ensemble des dispositions du testament de A de B reçu par acte du 5 mai 2010 par Maître K L, notaire à Amboise,

STATUANT À NOUVEAU sur les chefs infirmés,

DIT que la clause d’inaliénabilité n’est pas la cause impulsive et déterminante des dispositions testamentaires, et rejette la demande de Mme E de B et de M. Z de B de voir ordonner par tel notaire de leur choix la publication de la clause d’inaliénabilité au bureau des hypothèques,

DIT n’y avoir lieu à annulation des dispositions testamentaires de A de B reçues par acte du 5 mai 2010 par Maître K L, notaire à Amboise, à l’exception de la clause d’inaliénabilité réputée non écrite,

CONFIRME le jugement pour le surplus des chefs critiqués,

Y AJOUTANT,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

DIT que les dépens d’appel seront employés en frais privilégiés de compte, liquidation et partage.

Arrêt signé par Madame Laurence FAIVRE , Président de Chambre et Madame Marie-Lyne EL BOUDALI , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 29 juin 2020, n° 18/02774