Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 20 avril 2021, n° 19/00140

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Orléans, ch. civ., 20 avr. 2021, n° 19/00140
Juridiction : Cour d'appel d'Orléans
Numéro(s) : 19/00140
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Orléans, 5 décembre 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 20/04/2021

la SCP LAVAL – FIRKOWSKI

la SCP LAVISSE BOUAMRIRENE GAFTONIUC

Me François TARDIVON

ARRÊT du : 20 AVRIL 2021

N° : /2021 - : N° RG 19/00140 – N° Portalis DBVN-V-B7D-F22B

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement Tribunal de Grande Instance d’ORLEANS en date du 06 Décembre 2018

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265234685346121

SA COGEP-GROUPE D’EXPERTS COMPTABLES ET DE COMMISSAIRES AUX COMPTES

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat postulant au barreau d’ORLEANS et par Me Patricia LE TOUARNIN-LAILLET, de la SCP RAFFIN-RAFFIN COURBE ET GOFARD, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS P 133,

D’UNE PART

INTIMÉES :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265 2601 2007 1626

SARL […]

société exerçant une activité de commerce de gros (commerce interentreprises) de fournitures et équipements divers pour le commerce et les services, prise en la personne de son Gérant , Monsieur X Y, représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Pascal LAVISSE de la SCP LAVISSE BOUAMRIRENE GAFTONIUC,

avocat au barreau d’ORLEANS

—  Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265235440486077

Société SOCIETE D’ASSURANCE MUTUELLE LA MONDIALE

prise en la personne de son représentant légal actuellement en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

ayant pour avocat postulant Me François TARDIVON de la SCPA François TARDIVON, avocat plaidant au barreau d’ORLEANS, ayant pour avocat plaidant Me Gwendoline MUSELET, inscrit au barreau de Lille

D’AUTRE PART

• DÉCLARATION D’APPEL en date du :10 Janvier 2019

• ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 07 avril 2020

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

• Madame Laurence FAIVRE, Présidente de chambre,

• M. Laurent SOUSA, Conseiller,

• Mme B C D, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Greffier :

• Madame Marie-Lyne EL BOUDALI greffier lors des débats, et Mme Fatima HAJBI, greffier lors du prononcé.

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 JANVIER 2021, à laquelle ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 20 AVRIL 2021 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 16 mars 1998, la société Fogeco, dont la société Cogep est l’expert-comptable, a souscrit un contrat de prévoyance collective ainsi qu’un contrat de retraite collective au profit de ses salariés cadres auprès de la société AG2R La Mondiale.

Z Y, salariée de la société Fogeco, a été promue au statut de cadre à compter du 1er janvier 2011. La demande d’affiliation de cette salariée au contrat collectif a été faite le 16 juin 2011.

Z Y est décédée le […] d’un cancer foudroyant.

Par courrier du 25 août 2011, la société AG2R La Mondiale a indiqué que le décès de Z Y étant intervenu avant l’acceptation du dossier par l’assureur, le sinistre ne pouvait être pris en charge, et a procédé à la résiliation du contrat de prévoyance collective pour l’ensemble de l’entreprise et de son personnel.

En l’absence d’affiliation obligatoire de la salariée promue cadre au jour de son décès, la société Fogeco a versé aux ayants droit de Z Y une somme de 95'000 euros en application de la convention collective nationale des cadres.

Par exploit d’huissier de justice en date du 25 septembre 2012, la société Fogeco a fait assigner la société Cogep devant le tribunal de commerce d’Orléans aux fins de voir engager sa responsabilité contractuelle.

La société Cogep a fait appeler en la cause la société AG2R La Mondiale.

Par jugement du 5 novembre 2015, le tribunal de commerce d’Orléans s’est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé l’affaire devant le tribunal de grande instance d’Orléans.

Par jugement du 6 décembre 2018 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance d’Orléans a':

— déclaré recevables les demandes de la société Fogeco à l’égard de la société Cogep';

— déclaré irrecevables à raison de la prescription les demandes formées à l’encontre de la société AG2R La Mondiale';

— débouté la société Cogep de l’ensemble de ses demandes';

— condamné la société Cogep à payer à la société Fogeco la somme de 95'000'€ en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement';

— dit que les intérêts de la somme due seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l’article 1343-2 nouveau du code civil';

— débouté la société Fogeco de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral';

— condamné la société Cogep à verser à la société Fogeco la somme de 3'000'€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile';

— débouté la société AG2R La Mondiale de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile';

— condamné la société Cogep aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment considéré que':

— la société Fogeco a intérêt à agir à l’encontre de la société Cogep puisqu’elle lui reproche de n’avoir pas procédé à l’affiliation obligatoire de sa salariée promue au statut de cadre, et de lui avoir ainsi causé un préjudice consistant à devoir assumer sur sa trésorerie la garantie décès dus aux ayants droit de sa salariée';

— toute demande formulée par la société Fogeco ou par la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale, qui n’a été appelée à la cause que le 26 septembre 2014, est prescrite depuis le 25 août 2013, conformément aux termes du contrat';

— s’agissant de la responsabilité contractuelle de la société Cogep, celle-ci était en charge des démarches sociales de la société Fogeco et effectuait en particulier les déclarations telles que l’affiliation des salariés au régime de prévoyance'; il ressort des conditions générales du contrat d’assurance, que la société Cogep aurait dû procéder à la demande d’affiliation de Z Y au régime obligatoire de prévoyance, ce qu’elle n’a fait qu’en avril 2011, soit plus de quatre mois après sa promotion, alors que le contrat conclu avec la société La Mondiale prévoyait que les demandes d’affiliation et les documents afférents devaient être transmis à la société d’assurance au plus tard 15 jours après la promotion du salarié au statut de cadre'; la société Cogep n’ayant pas exécuté correctement ses missions qui comprenaient les démarches sociales, a donc commis une faute contractuelle directement à l’origine du préjudice subi par la société Fogeco.

Par déclaration du 10 janvier 2019, la société Cogep a interjeté appel de tous les chefs du jugement à l’exception du rejet de la demande de dommages et intérêts formée par la société Fogeco au titre du préjudice moral et du rejet de la demande de la société AG2R La Mondiale au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 31 juillet 2019, la société Cogep demande de':

— la déclarer tant recevable que bien fondée en son appel';

— infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';

— déclarer la société Fogeco mal fondée en son appel incident et la débouter de l’ensemble de ses demandes';

— prononcer sa mise hors de cause';

Subsidiairement':

— la déclarer recevable et bien fondée en son appel en garantie';

— dire que son refus de garantie illicite et fautif oblige la société La Mondiale à réparer le préjudice qui lui a été causé';

— condamner la société La Mondiale à la garantir de toutes condamnations';

— condamner la société La Mondiale à lui verser': 20'000'€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et 8'000'€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de 1re instance et d’appel';

— condamner la société La Mondiale aux entiers dépens de 1re instance et d’appel, directement recouvrables, sur le fondement de l’article 699 du même code, par la SCP Laval-Firkowski, avocats au barreau d’Orléans.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 2 mai 2019, la société Fogeco demande de':

— dire la société Cogep mal fondée en son appel et l’en débouter';

— confirmer partiellement le jugement entrepris et pour le surplus faire droit à l’appel incident';

— statuer ce que de droit sur les arguments développés par la société Cogep contre AG2R La Mondiale et, le cas échéant, dire que la garantie est acquise et que AG2R la mondiale doit lui payer la somme de 95'000 euros sauf à parfaire';

— constater que dès l’appel en cause de l’assureur La Mondiale, elle s’était réservé de former toutes demandes contre La Mondiale au vu des écritures à venir de celle-ci';

— condamner, le cas échéant, La Mondiale à lui payer la somme de 95'000 euros';

En tout état de cause':

— à défaut de condamnation de La Mondiale et en tout état de cause au titre du retard pris dans la prise en charge, dire que Cogep a commis une faute qui a directement entraîné le préjudice qu’elle a subi';

— condamner la société Cogep à lui payer la somme de 95'000 euros sauf à parfaire en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure';

— ordonner la capitalisation des intérêts,

Faisant droit à l’appel incident':

— condamner la société Cogep à lui payer la somme de 10'000 euros en compensation du préjudice financier accessoire et la somme de 10'000'€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral';

— rejeter toutes les demandes de la société Cogep';

— condamner la société Cogep et le cas échéant La Mondiale à lui payer la somme de 5'000'€ en application de l’article 700 du code de procédure civile en sus de celle de première instance';

— condamner la société Cogep et le cas échéant La Mondiale aux entiers dépens.

Suivant conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 23 mai 2019, la société AG2R La Mondiale demande de':

— confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a déclaré toutes demandes à son encontre irrecevables comme prescrites, notamment celles de la société Fogeco';

— subsidiairement, débouter la société Cogep de toutes ses demandes à son encontre';

— condamner la société Cogep à lui payer la somme de 3'000'€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile';

— condamner tout succombant aux entiers dépens de l’instance.

Il convient de se référer aux conclusions récapitulatives des parties pour un plus ample exposé des moyens soulevés.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la recevabilité des demandes

L’appelante a interjeté appel des chefs déclarant recevables les demandes de la société Fogeco à l’égard de la société Cogep, et déclarant irrecevables à raison de la prescription les demandes de la société Fogeco formées à l’encontre de la société AG2R La Mondiale.

Cependant, la cour n’étant saisie d’aucun moyen permettant de fonder l’infirmation de ces chefs du jugement, il convient de les confirmer, sous réserve de ce qui sera jugé quant à la recevabilité des demandes de la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Cogep

L’appelante soutient que la société AG2R La Mondiale a refusé de manière fautive, l’affiliation de Z Y'; que La Mondiale a écarté l’adhésion de Z Y dès le moment où elle a pris connaissance de son dossier médical, et ce en violation de l’article 2 de la loi Evin du 31 décembre 1989'; que cette inexécution fautive étant en lien direct avec le préjudice subi par la société Fogeco, le retard d’affiliation de Z Y et l’existence d’un dossier médical à risques sont de mauvais prétextes soulevés par La Mondiale pour tenter de justifier son refus de garantie'; que la preuve d’une faute imputable à la société Cogep en lien avec le préjudice allégué n’est pas établie'; que le préjudice causé par La Mondiale à la société Fogeco est devenu certain et définitif, à partir du moment où celle-ci a laissé prescrire son action, à l’effet d’obtenir que la compagnie d’assurance délivre sa garantie'; qu’il n’entrait pas dans sa mission, fut-elle sociale, d’apprécier en droit le bien-fondé du refus de garantie, et elle n’a à aucun moment été requise pour donner son avis sur ce refus'; que le préjudice invoqué est certes principalement en lien avec le refus de garantie illicite et fautif de La Mondiale, mais aussi avec l’inertie fautive de la société Fogeco.

La société Fogeco fait valoir que l’expert-comptable est tenu à une obligation générale de moyens et pour certains points particuliers, de résultat'; que l’expert-comptable doit veiller à l’affiliation des cadres au régime de prévoyance'; que la société Cogep a commis une double faute caractérisée en ne déclarant pas immédiatement Z Y auprès de l’AG2R La Mondiale et en s’abstenant de vérifier le caractère effectif de l’affiliation et le paiement des cotisations et d’attirer l’attention de son client sur les risques encourus'; que dès le 25 janvier 2011, la société Cogep avait été avertie du changement de statut de Z Y et a omis d’effectuer les démarches dans le délai de 15 jours suivant la promotion de la salariée, afin de changer le régime de prévoyance et de retraite de la salariée'; que la société Cogep ne l’a jamais invitée à agir contre La Mondiale, pour obtenir l’affiliation de sa salariée, et ne l’a jamais assistée dans cette démarche'; que si la société Cogep n’avait pas omis de déclarer immédiatement la salariée dès qu’elle a été avertie du changement de statut, AG2R La Mondiale n’aurait pas refusé de l’assurer, puisque la maladie ne s’est déclarée qu’en avril 2011'; que la société Cogep procédait toujours aux déclarations que ce soit à AG2R ou aux autres organismes sociaux, et a procédé à la demande d’affiliation de Z Y après la découverte de son omission'; qu’à la lecture des factures, il est patent que les missions exécutées par la société Cogep étaient bien plus importantes que celles indiquées dans la lettre de mission.

L’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable à la cause, dispose': «'le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part'».

Le défaut de mise en garde de l’employeur par son expert-comptable sur les conséquences du défaut d’affiliation obligatoire d’un cadre à un organisme de prévoyance constitue un manquement à l’obligation générale de conseil à laquelle les experts-comptables sont soumis à l’égard de leurs clients, ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 2e, 12 mai 2010, n° 09-13.496).

En application de l’article 7 de la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947, l’employeur a l’obligation de souscrire un contrat de prévoyance pour son personnel cadre incluant a minima une garantie décès. En l’espèce, la société Fogeco a souscrit le 16'mars1998 un contrat de prévoyance collective au profit de ses salariés cadres, auprès de la société AG2R La Mondiale.

Il est établi par la lettre de mission et les autres pièces produites que la société Cogep était chargée d’une mission sociale, ce qu’elle ne conteste pas, consistant notamment dans l’établissement des bulletins de paie des salariés et la réalisation des différentes déclarations sociales.

Z Y a été promue cadre à compter du mois de janvier 2011, et les bulletins de paie établis à compter de cette date par l’expert-comptable mentionnent expressément la qualification de cadre et le versement des cotisations patronales au titre du contrat de prévoyance La Mondiale.

Compte tenu de sa mission, il appartenait ainsi à la société Cogep, qui avait connaissance du nouveau statut de cadre de Z Y, de procéder aux démarches d’affiliation de celle-ci au contrat de prévoyance souscrit auprès de AG2R La Mondiale auquel elle pouvait prétendre.

L’article 5.2.b des dispositions générales du contrat de prévoyance stipule':

«'pour un nouveau salarié entré dans la catégorie retenue':

Les garanties prennent effet le lendemain à 0 heure de la date d’embauche de ce nouveau salarié ou de celle de sa promotion dans la catégorie définie aux conditions particulières sous réserve':

- de l’envoi par l’entreprise à l’assureur de la déclaration individuelle d’affiliation dans un délai maximum de 15 jours à partir de la date d’embauche ou de promotion. Au-delà de ce délai, les garanties prennent effet le lendemain à 0 heure qui suit la date de réception de la déclaration individuelle d’affiliation

- de la réception du dossier médical du salarié

- de l’acceptation de l’assureur'».

Afin de ne pas retarder les effets de l’affiliation de la salariée promue cadre de la société Fogeco, la société Cogep devait ainsi adresser la déclaration individuelle d’affiliation à l’assureur avant le 16 janvier 2011.

L’expert-comptable, en sa qualité de professionnelle, ne pouvait ignorer que tout retard dans l’envoi de la déclaration d’affiliation de la salariée promue cadre, faisait encourir à l’employeur, en cas de survenance du risque décès de la salariée, le fait de devoir payer aux ayants droit de celle-ci une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès, en application de l’article 7 de la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947.

Il résulte des pièces versées aux débats que non seulement la société Cogep n’a pas procédé à l’envoi de la demande d’affiliation de Z Y dans le délai de quinze jours à compter de sa promotion en qualité de cadre de la société Fogeco, mais qu’elle n’a pas spontanément réparé son omission à bref délai. En effet, l’assureur a adressé à la société Fogeco, le 2 mai 2011, les documents nécessaires à l’affiliation de Z Y, suite à un entretien téléphonique avec l’employeur. La demande d’affiliation de la salariée a finalement été établie le 16 juin 2011 et envoyée à l’assureur qui indique l’avoir réceptionnée le 20 juin 2011.

La société Cogep n’allègue ni ne justifie avoir mis en garde la société Fogeco sur l’absence d’affiliation de Z Y et sur les risques encourus à ce titre.

Il s’ensuit que l’expert-comptable a commis une faute résultant tant de l’omission de procéder à la déclaration d’affiliation de la salariée promue cadre au contrat de prévoyance AG2R La Mondiale, que du défaut d’information et de conseil qu’elle aurait dû délivrer à sa cliente relativement à cette affiliation.

L’appelante considère que la faute qui lui est imputée est sans lien avec le préjudice allégué qui résulterait de l’inexécution fautive du contrat de prévoyance par l’assureur, et le défaut de diligence de l’employeur pour agir en justice à l’encontre de celui-ci.

Cependant, l’article 5 des dispositions générales du contrat de prévoyance précité, prévoit expressément que la garantie de l’assureur est subordonnée de manière cumulative à l’envoi de la déclaration individuelle d’affiliation, à la réception du dossier médical du salarié, et à l’acceptation de l’assureur.

En l’espèce, l’assureur n’a pas accepté la demande d’affiliation de Z Y avant son décès survenu le […]. La non-prise d’effet de la garantie ne résulte donc pas d’une inexécution fautive du contrat par la société AG2R La Mondiale, ou de la violation du principe de non-sélection individuelle des risques résultant de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1989, mais de l’application des termes du contrat relatif aux conditions d’entrée en vigueur des garanties.

Une action en justice de la société Fogeco à l’encontre de l’assureur dans le délai biennal de prescription n’aurait nullement changé le fait que l’acceptation de la demande d’affiliation par la société AG2R La Mondiale faisait défaut au jour du décès de Z Y compte tenu de la date tardive de transmission de sa demande d’affiliation.

Au regard de ces éléments, l’appelante ne justifie pas l’existence d’une cause étrangère de nature à l’exonérer de sa responsabilité contractuelle à l’égard de la société Fogeco, à raison de sa faute présentant un lien de causalité avec le préjudice allégué.

Sur le préjudice de la société Fogeco

L’appelante explique qu’elle a réglé la somme de 95'000 euros sans que la société Fogeco établisse avoir auparavant réglé ce même montant à l’ayant droit de la salariée décédée, ce qui la prive du droit d’invoquer un préjudice financier, qui lui serait propre'; que le préjudice moral ne peut être invoqué par l’employeur, personne morale, de la salariée décédée.

La société Fogeco indique que le dommage est direct et certain puisqu’en raison de la grave omission de la société Cogep, elle n’a pu obtenir la garantie de sa salariée auprès de l’AG2R La Mondiale'; qu’elle est donc obligée d’assumer le paiement d’une indemnité et d’un capital décès en lieu et place de l’assureur'; qu’elle a subi un préjudice lié au fait qu’elle n’a pas pu encaisser la somme durant des années de procédure et encore après décision sous bénéfice d’exécution provisoire'; qu’elle a également subi un préjudice moral important du fait des problèmes que la société Cogep a engendré par son omission'; que sa confiance en son expert-comptable a été trahie, et son image a également été écornée vis-à-vis des ayants droits de Z Y du fait du refus de garantie par l’assureur.

Z Y ayant été promue cadre le 1er janvier 2011, la demande d’affiliation aurait dû être transmise à l’assureur avant le 16 janvier 2011, de sorte que l’assureur aurait nécessairement eu à se à prendre une décision sur l’affiliation avant le décès de la salariée survenu le […].

En l’absence d’affiliation obligatoire de la salariée promue cadre au jour de son décès, l’employeur est tenu de payer aux ayants droit de Z Y une somme égale à trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur lors du décès, en application de l’article 7 de la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947.

En application de l’arrêté du 26 novembre 2010, le plafond annuel de la sécurité sociale pour l’année 2011 s’élevait à la somme de 35'352 euros. La société Fogeco est donc tenue au paiement de la somme de 106'056 euros (35'352 x 3) aux ayants droit de Z Y.

Ce préjudice étant certain et directement causé par la faute de la société Cogep, celle-ci doit être condamnée à payer à la société Fogeco, la somme de 95'000 euros à laquelle elle a plafonné sa demande.

La société Fogeco ne fournissant aucun élément propre à démontrer un préjudice financier lié au versement de cette somme aux ayants droit de la salariée, la demande indemnitaire formée à ce titre doit être rejetée.

S’agissant de la réparation du préjudice moral, il convient de rappeler qu’elle est en principe ouverte à une personne morale, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation (Com., 15 mai 2012, n° 11-10.278).

Cependant, il appartient à la société qui s’en prévaut d’en établir la preuve, sans se contenter de simples allégations. En l’espèce, il n’est pas établi que la société Fogeco ait subi un préjudice moral, l’atteinte à son image n’étant pas démontrée, outre le fait que le préjudice subi par la faute de l’expert-comptable est pleinement réparé par la condamnation de celui-ci à supporter intégralement la somme devant être versée aux ayants droit de la salariée décédée.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Cogep à payer à la société Fogeco la somme de 95'000 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement, dit que les intérêts de la somme due seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l’article 1343-2 nouveau du code civil, et débouté la société Fogeco de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Il y sera ajouté le rejet de la demande de la société Fogeco relative au préjudice financier.

Sur l’appel en garantie de la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale

L’appelante soutient que son action en responsabilité extra-contractuelle à l’encontre de l’assureur n’est pas prescrite, le point de départ du délai pour agir, remontant à l’assignation en responsabilité délivrée le 25 septembre 2012'; que le délai pour agir a été interrompu par ses conclusions du 4 juillet 2016'; que le jugement doit être infirmé en ce qu’il a déclaré ses demandes irrecevables en appliquant la prescription biennale du contrat d’assurance, qui ne vaut que dans les rapports assureur / assuré. Sur le fond, elle indique qu’en application du contrat de prévoyance, Z Y, promue cadre à compter du 1er janvier 2011, bénéficiait donc d’une couverture d’assurance à compter du 2 janvier 2011'; que l’affiliation de plein droit ne peut dépendre du bon vouloir de l’assureur et d’une appréciation du questionnaire de santé du nouvel entrant, ce que prohibe absolument l’article 2 de la loi Evin'; que la résiliation ne peut remettre en cause le droit aux prestations, lié à la réalisation d’un sinistre survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance'; qu’elle se trouve être la victime par ricochet de ce refus illicite de garantie, et bien fondée à demander à être relevée et garantie de toutes condamnations par La Mondiale.

La société AG2R La Mondiale explique que l’article 2 de la loi Evin n° 89-1009 du 31 décembre 1989 édicte un principe d’interdiction de la sélection individuelle des risques à l’égard de l’assureur qui ne peut donc exclure un membre du groupe au motif qu’il présente un risque aggravé'; que pour autant, ce texte n’empêche pas l’assureur de procéder à une sélection médicale, mais restreint simplement sa liberté de sélection du risque qui doit porter sur l’entreprise dans la mesure où il est exigé une tarification collective'; que dans l’hypothèse d’un nouvel entrant dans le régime de prévoyance collective présentant un risque aggravé, l’assureur, conformément aux dispositions de l’article L 113-4 du code des assurances, a la faculté de revoir son acceptation et de sanctionner cette aggravation du risque soit par un nouveau montant de prime, soit par la résiliation, si l’aggravation est telle qu’elle remet en cause l’opération d’assurance et son caractère aléatoire qui doit lui présider'; que la prise d’effet des garanties était donc reportée à 0'h le lendemain qui suit la date de réception de la déclaration individuelle d’affiliation, sous réserve toutefois de l’acceptation de l’assureur'; que le décès de Z Y le […] est intervenu en pleine phase d’analyse du risque et avant toute acceptation de l’assureur ôtant ainsi au contrat d’assurance toute existence d’un aléa.

L’action en responsabilité délictuelle à l’encontre d’un assureur n’est pas soumise au délai biennal de prescription prévu par l’article L.114-1 du code des assurances applicable aux actions dérivant d’un contrat d’assurance.

Il s’ensuit que le délai de prescription de droit commun, de cinq ans, s’applique à l’action en garantie de la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale.

Il n’est pas contesté que la société Cogep a eu connaissance du fait dommageable lors de son assignation en justice le 25 septembre 2012 et que ce délai a été interrompu par ses conclusions du 4 juillet 2016 sollicitant la mise en 'uvre de la responsabilité de l’assureur.

Sa demande en garantie est donc recevable, et le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale.

L’article 2 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dans sa version applicable à la cause, dispose': «'Lorsque des salariés sont garantis collectivement, soit sur la base d’une convention ou d’un accord collectif, soit à la suite de la ratification par la majorité des intéressés d’un projet d’accord proposé par le chef d’entreprise, soit par décision unilatérale de l’employeur, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, l’organisme qui délivre sa garantie prend en charge les suites des états pathologiques survenus antérieurement à la souscription du contrat ou de la convention ou à l’adhésion à ceux-ci, sous réserve des sanctions prévues en cas de fausse déclaration'».

En application de cette disposition, l’assureur qui consent à assumer les garanties d’un contrat collectif dans le régime de prévoyance des cadres d’une entreprise, a l’interdiction d’opérer une sélection médicale en refusant d’assurer une personne du groupe ou de prendre en charge des risques dont la réalisation trouverait son origine dans l’état de santé antérieur de l’assuré, ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 1re, 7 juillet 1998, n° 96-13.843).

En l’espèce, la société AG2R La Mondiale n’a pas refusé de garantir le risque décès de Z Y, mais la garantie n’a pas reçu effet, en application des conditions générales du contrat collectif souscrit par la société Fogeco, dès lors que l’assureur instruisait la demande d’affiliation qu’elle n’avait pas encore accepté au jour du décès de la salariée.

Or,ainsi que le prévoit l’article 5 des dispositions générales d’assurance, les garanties étaient subordonnées à l’acceptation de la demande d’affiliation par l’assureur.

Aucun élément ne permet d’établir que l’assureur aurait refusé la demande d’affiliation de Z Y à raison de son état de santé, si celle-ci lui avait été adressée plus tôt.

Il n’est pas établi que la condition relative à l’acceptation de l’affiliation par l’assureur correspondait à une sélection individuelle des risques, cette condition étant justifiée par la nécessité de vérifier le respect des conditions contractuelles pour la prise d’effet des garanties et le niveau de risque.

L’article L. 113-4 du code des assurances, auquel l’article 2 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 ne déroge pas, prévoit':

«'En cas d’aggravation du risque en cours de contrat, telle que, si les circonstances nouvelles avaient été déclarées lors de la conclusion ou du renouvellement du contrat, l’assureur n’aurait pas contracté ou ne l’aurait fait que moyennant une prime plus élevée, l’assureur a la faculté soit de dénoncer le contrat, soit de proposer un nouveau montant de prime.

[…]

Toutefois, l’assureur ne peut plus se prévaloir de l’aggravation des risques quand, après en avoir été informé de quelque manière que ce soit, il a manifesté son consentement au maintien de l’assurance, spécialement en continuant à recevoir les primes ou en payant, après un sinistre, une indemnité'».

Si l’assureur ne peut procéder à une appréciation individuelle des risques en refusant une affiliation d’un salarié cadre de la société souscriptrice, elle peut porter une appréciation sur le risque au niveau de l’entreprise, dont l’aggravation peut justifier une augmentation de la prime ou la résiliation du contrat. L’acceptation d’une demande d’affiliation qui établirait une aggravation du risque interdit en revanche à l’assureur de se prévaloir de celle-ci pour

augmenter la prime ou dénoncer le contrat.

En l’espèce, il convient de relever que la société AG2R a considéré que la demande d’affiliation au régime de prévoyance d’une salariée présentant un risque aggravé, révélait une aggravation du risque au niveau de la société Fogeco, et lui a notifié la résiliation du contrat de prévoyance.

Il résulte de ces éléments que la société AG2R La Mondiale qui n’a fait qu’appliquer les dispositions contractuelles et légales, n’a commis aucune faute délictuelle au préjudice de la société Cogep.

La demande en garantie formée par celle-ci sera donc rejetée, de même que la demande de dommages et intérêts au titre de la prétendue résistance abusive de l’assureur.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions statuant sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Cogep succombant en cause d’appel, il convient de la condamner aux entiers dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il convient également de la condamner à verser la somme de 3'000 euros à la société Fogeco et à la société AG2R La Mondiale, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale';

STATUANT À NOUVEAU sur le chef infirmé':

DÉCLARE RECEVABLES les demandes formées par la société Cogep à l’encontre de la société AG2R La Mondiale';

DÉBOUTE la société Cogep de sa demande en garantie et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, formées à l’encontre de la société AG2R La Mondiale';

CONFIRME le jugement pour le surplus';

Y AJOUTANT':

DÉBOUTE la société Fogeco de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice financier';

CONDAMNE la société Cogep à payer à la société Fogeco la somme de 3'000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société Cogep à payer à la société AG2R La Mondiale la somme de 3'000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la société Cogep aux entiers dépens d’appel';

AUTORISE les avocats de la cause à recouvrer directement et à leur profit, contre la partie condamnée aux dépens, ceux dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

Arrêt signé par Madame Laurence FAIVRE, Président de Chambre et Madame Fatima HAJBI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Orléans, Chambre civile, 20 avril 2021, n° 19/00140