Cour d'appel de Paris, 27 mai 2015, n° 13/19790

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 27 mai 2015, n° 13/19790
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/19790
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 9 juillet 2013, N° 12/09594

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 2 – Chambre 7

ARRET DU 27 MAI 2015

(n° 17, 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/19790

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2013 -Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 12/09594

APPELANTE

Madame F Y

XXX

XXX

Représentée par Me Jean-claude ZYLBERSTEIN de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE D’AVOCATS ZYLBERSTEIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0153, avocat postulant

Représenté par Me BURKARD Louis de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE D’AVOCATS ZYLBERSTEIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0153, avocat plaidant

INTIMEES

Madame H C

XXX

XXX

Représentée par Me Martine ULLMANN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2116

SAS LIBRAIRIE EDITIONS L’HARMATTAN prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

Représentée par Me Jean-loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1106, avocat postulant

Représentée par Me Antoine COMTE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0638, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 Février 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme J PORTIER, Présidente de chambre

M. Pierre DILLANGE, Conseiller

Mme J- K L, Conseillère

qui en ont délibéré sur le rapport de Mme J-K L

Greffier, lors des débats : Mme Maria IBNOU TOUZI TAZI

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme J PORTIER, président et par Mme Maria IBNOU TOUZI TAZI, greffier présent lors du prononcé.

*

* *

Rappel des faits et de la procédure

H C, a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris, par acte délivré le 6 juin 2012, la société Librairie Editions L’Harmattan et F Y en leur qualité respective d’éditeur et d’auteur du livre intitulé N comme nuit, sur le fondement des articles 9 du Code civil et L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, aux fins de :

— Dire et juger que l’ouvrage «N comme Nuit» dont F Y est l’auteur sous le pseudonyme de Victoria CLAIR, publié aux Editions L’HARMATTAN porte atteinte à sa vie privé,

— Dire et juger que l’essentiel du «roman » « N comme Nuit» est constitué du récit du harcèlement subi par elle et relaté dans manuscrit "Harcèlement dans l’enseignement. Silence dans les rangs! "

— Ordonner la cessation de la diffusion de l’ouvrage par les Editions l’HARMATTAN et sa mise au pilon,

— Ordonner le retour de tous les exemplaires de l’ouvrage encore entre les mains des libraires chez l’Editeur dans un délai de quinze jours à compter du jugement qui sera rendu, – Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

— Ordonner la publication de la décision à intervenir dans « La République de Seine et Marne »,

— Condamner les défenderesses à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

La demanderesse, exposant le contexte de la procédure, explique qu’elle était professeur d’anglais dans un lycée catholique privé à Z, le lycée Jeanne d’Arc Saint Aspais, depuis 1992, qu’elle a été désignée en 2000, pour exercer les fonctions de délégué syndical et de représentant syndical au comité d’entreprise de l’établissement, qu’elle a alors été l’objet de brimades et de vexations de la part de la directrice du lycée, au point qu’après une vaine tentative de médiation auprès de l’évêché de Meaux, elle a saisi le conseil des prud’hommes de Z qui a rendu deux décisions condamnant l’établissement, pour discrimination syndicale le 18 mars 2005 et, pour harcèlement moral le 14 juin 2005, la dernière décision ayant été infirmée par la cour d’appel de Paris et la première confirmée par cette juridiction d’appel.

Elle précise que son état de santé s’est dégradé au cours des années 2000 à 2003 et qu’elle a relaté cette expérience dans un texte dactylographié intitulé : Harcèlement dans l’enseignement. Silence dans les rangs! dont elle a effectué le dépôt au mois d’avril 2004 à la SGDL (Société des Gens de Lettres de France) avant de le proposer, en vain, à plusieurs éditeurs et qu’elle a, par la suite, pour diverses raisons personnelles, renoncé à ce projet de publication ;

Elle indique avoir en 2004, transmis, pour avis et corrections, son manuscrit à quelques collègues, dont F Y, également enseignante d’anglais dans ce même lycée entre 1988 et 2012, et avoir découvert avec surprise et sans en avoir été informée, malgré les relations amicales qu’elles entretenaient, que celle-ci avait publié au mois d’octobre 2011, sous le pseudonyme de Victoria CLAIR, un ouvrage, qualifié par l’éditeur de roman, N comme nuit, racontant dans le détail le harcèlement dont elle avait été victime dans cet établissement scolaire.

Elle considère que cet ouvrage constitue un plagiat de son manuscrit et que, de surcroît, il porte atteinte à sa vie privée alors qu’elle est parfaitement reconnaissable comme le personnage principal de ce roman, décrit comme 'Emma Dailissieu, professeur de lettres dans un petit lycée de province [qui] bascule le jour où elle devient la proie et la victime de son chef d 'établissement '

Elle précise que les conséquences personnelles et professionnelles de ce harcèlement sont décrites, ainsi qu’une vaine tentative de médiation par les services du rectorat, que la seconde partie est essentiellement consacrée à la procédure judiciaire engagée à l’encontre de la directrice, l’attestation d’un professeur d’histoire étant reproduite ainsi qu’un article de journal rapportant la décision du conseil des prud’hommes, qu’ainsi F Y a plagié le manuscrit qu’elle lui avait donné à lire et s’est appropriée les confidences qu’elle avait pu lui faire.

Par jugement rendu contradictoirement le 10 juillet 2013, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris a :

— Débouté H C de ses demandes fondées sur l’atteinte à la vie privée,

— Dit que 1'ouvrage intitulé N comme Nuit, publié par la société Librairie Éditions L’Harmattan sous le pseudonyme de Victoria Clair rédigé par F Y, constitue une contrefaçon du texte de H C, Harcèlement dans l’enseignement;Silence dans les rangs!,

— Condamné in solidum la société Librairie Éditions L’Harmattan et F Y à verser à H C la somme de trois mille euros (3.000 € ) à titre de dommages-intérêts outre celle de deux mille cinq cents euros (2.500 € ) sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

— Ordonné la publication dans le journal La République de Seine et Marne du communiqué suivant aux frais in solidum de la société Librairie Editions L’Harmattan et de F Y dans la limite de 2.500 euros (HT) :

« Par jugement en date du 16 juillet 2013 la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Librairie Éditions l’Harmattan et F Y, éditeur et auteur d’un ouvrage intitulé : N comme Nuit, pour contrefaçon de l''uvre de H C intitulée : Harcèlement dans l’enseignement Silence dans les rangs!",

— Condamné F Y à garantir la société Librairie Éditions L’Harmattan de toutes les condamnations mises à sa charge,

— Débouté les parties des autres demandes,

— Condamné la société Librairie Éditions L’Harmattan et F Y aux dépens ;

F Y a interjeté appel le 15 octobre 2013 ;

H C a constitué avocat le 20 novembre 2013 et a formé appel incident par conclusions déposées par A le 14 mars 2014,

Les éditions l’Harmattan ont constitué avocat et formé appel incident par conclusions signifiées le 13 janvier 2014,

Dans ses dernières conclusions du 8 décembre 2014 F Y demande à la cour de

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que l’atteinte à la vie privée n’était pas caractérisée et en ce qu’il a débouté Madame C de toutes ses demandes à ce titre ;

Et infirmant le jugement entrepris, il est demandé à la Cour de :

— Dire et juger que le livre de Madame Y N comme Nuit ne constitue pas une contrefaçon du manuscrit Harcèlement dans l’enseignement – Silence dans les rangs! de Madame C ;

Et par conséquent, statuant à nouveau :

— Débouter Madame C de toutes ses demandes formées à ce titre ;

— Condamner Madame C à payer à Madame Y la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

— Condamner Madame C à payer à Madame Y la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— La condamner encore aux entiers dépens ;

Au soutien de ses prétentions l’appelante expose que pour caractériser la contrefaçon il ne faut pas s’en tenir qu’aux ressemblance entre les ouvrages qui doivent porter sur les éléments caractéristiques essentiels de l''uvre première mais également aux différences, aux faits relatés non protégés par le droit d’auteur car de notoriété publique ainsi qu’à l’absence de reprise de formes originales, s’agissant de faits connus, soit rapportés par la presse locale soit vécus par les autres collègues ou par Madame Y elle-même, ou connus de ceux-ci ;

Elle ajoute que certaines expressions utilisées par Madame C et reprises dans son ouvrage sont des expressions courantes de la langue française, que certaines anecdotes ne sont que la reprise de confidences ou d’expériences partagées, qu’en outre Madame C était au courant du projet de publication de Madame Y qu’elle a encouragé.

Elle conteste par ailleurs toute atteinte à la vie privée estimant que l’on ne peut pas identifier Madame C étant donné la différence d’âge entre le personnage principal et celle-ci, la différence de matière d’enseignement, de patronyme, de lieu dans lequel se déroule l’histoire et affirme que le harcèlement était subi par une grande partie du corps enseignant, que les attestations et les procédures judiciaires rendues publiques révèlent que rien n’a été privé ou secret, que l’intimé avait la volonté elle-même de publier son manuscrit traduisant ainsi son intention de ne plus garder secrète sa vie au lycée, que de plus le personnage soupçonné de représenter Madame C est décrit comme une personnalité attachante pour lequel le lecteur ne peut manquer de ressentir de l’empathie ;

Dans leurs dernières conclusions déposées le 12 mars 2014 la SA Librairie Edition l’Harmattan demande à la cour de :

— Dire et juger l’appel incident recevable et bien fondé,

— Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame C de ses demandes fondées sur l’atteinte à la vie privée ,

— Dire et juger que l’ouvrage incriminé ne constitue pas une reproduction du texte de Madame C ,

En conséquence,

— Infirmer le jugement en ce qu 'i1 a retenu que l’ouvrage de Madame Y revêt un caractère contrefaisant,

— Débouter Madame B de ses demandes fondée sur l’existence d’une contrefaçon,

— Dire et juger que les demandes de Madame C sont disproportionnées en ce qu’elles tendent à une interdiction générale et absolue de publication, interdite par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ,

— Confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande,

A titre subsidiaire, et pour le cas où la juridiction confirmerait la décision des Premiers Juges,

— Dire et juger que 1'attestation anti-plagiat signée par Madame Y et contenue dans le contrat d’édition conclu avec la S.A.S. EDITIONSL’HARMATTAN produira, en tant que de besoin, son plein et entier effet au bénéfice de celle-ci, en la garantissant de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;

Et, faisant application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— Constater que la SA LIBRAIRIE-EDITIONS L’HARMATTAN a du exposer des frais pour faire valoir ses justes droits,

En conséquence,

— Condamner Madame C à lui payer la somme de 3.000 euros,

— La condamner en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître PEYTAVI, selon les termes de l 'article 699 du Code de Procédure Civile ;

Au soutien de ses prétentions la SA LIBRAIRIE-EDITIONS L’HARMATTAN soutient que les faits relatés par Madame Y dans son ouvrage sont des faits connus et partagés par de nombreuses personnes et ne constituent en aucun cas une atteinte à la vie privée du fait de leur notoriété publique.

Elle affirme qu’il ne peut y avoir contrefaçon dans la mesure où la composition, l’expression et le style des deux 'uvres ne sont pas du tout comparables, qu’il n’existe aucune reprise des éléments caractéristiques du texte Madame C et qu’il n’est pas établi qu’il existe un emprunt de l’expression particulière et originale de son 'uvre dans le texte poursuivi.

Elle affirme que les demandes de l’intimée tendant à la cessation de la diffusion de l’ouvrage querellé sont disproportionnées car elles aboutissent à l’obtention d’une mesure de censure.

Sur la garantie due à l’éditeur, la société éditrice sollicite que l’auteur de l’ouvrage litigieux la garantisse de toute condamnation compte-tenu de la présence d’une attestation anti plagiat dans le contrat d’édition conclu entre celle-ci et Madame Y, aucune faute ne pouvant être personnellement imputée à la société concluante;

Dans ses dernières conclusions déposées le 25 janvier 2015 H C demande à la cour de :

— Recevoir Mme C en son appel incident, l’y déclarer bien fondée ;

— Dire et juger que le roman « N comme Nuit » écrit par Mme Y porte atteinte à la vie privée de H C,

Et réformant partiellement la décision entreprise, condamner Mme Y et son éditeur à payer à H C la somme de 5.000 € à titre de dommages intérêts pour atteinte à la vie privée.

— Déclarer Mme Y et la Librairie EDITIONS L’HARMATTAN mal fondées en leur appel principal et incident ;

— Débouter Mme Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN de leurs demandes, fins et conclusions

— Confirmer pour le surplus la décision entreprise sur les faits de contrefaçon et la condamnation de Mme Y et de la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN au paiement de dommages-intérêts de ce chef et à la publication de la décision dans la République de Seine et Marne ;

— Condamner les défenderesses à payer à Mme C une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

— Condamner les défenderesses en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Martine ULLMANN avocat aux offres de droit ;

A l’appui de ses demandes Madame C soutient que l’ouvrage querellé a porté atteinte à sa vie privée dans la mesure où Madame Y a utilisé des confidences qu’elle lui avait faites dans le cadre d’anciennes conversations amicales qui n’apparaissaient pas dans son manuscrit Harcèlement dans l’enseignement Silence dans les rangs! notamment sur les sujets suivants:

— rapport de couple entre X et la narratrice : discussion datée de 2009 entre les deux parties.

— attitude du père du personnage principal : récit de Mme C à Mme Y.

— rapport de la narratrice avec sa soeur : évocation des relations entre Mme C et sa belle soeur au court d’une entrevue entre Mme C et Mme Y.

Elle ajoute que toutes les personnes qui ont pu lire le livre ont pu reconnaître la vie de Mme C à travers les fait relatés dans le roman, que celle-ci est aisément reconnaissable par tous ses collègues du lycée et collège, de collègues des établissements scolaire de la ville et environs.

Sur la contrefaçon elle maintient que les parties ne se trouvent pas dans le cadre de faits historiques qui ne pourraient pas faire l’objet de la moindre appropriation, que Madame Y a repris des phrases entières dans le corps du manuscrit pour décrire les conséquences psychologiques du harcèlement subi par Madame C qui n’était pas connues de tous, qu’il existe des similitudes de formulation entre les deux livres sur certaines expressions ainsi qu’en ce qui concerne les anecdotes rapportées.

Elle ajoute que Madame Y n’a pas été victime elle-même du harcèlement de la directrice de l’établissement, que sa dépression date de septembre 2008 alors que les brimades se sont arrêtées en janvier 2003 .

Elle souligne que Madame Y elle-même, a déclaré dans une interview s’être inspirée de la vie d’un jeune collègue puis s’être réappropriée ce drame, avoue ainsi implicitement qu’elle s’est servie du vécu d’une autre dont elle avait eu connaissance en lisant le manuscrit Harcèlement dans l’enseignement Silence dans les rangs! et au travers de conversations amicales et qu’elle a ainsi repris sans autorisation les éléments du manuscrit se contentant d’habiller les faits décrits par la première.

D’autre part elle conteste les dires de Madame Y quand au prêt de son ouvrage et affirme n’avoir jamais lu l’ouvrage ni suivi sa rédaction.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 février 2015.

SUR CE,

LA COUR,

Sur la contrefaçon,

Considérant que l’article L 122 -4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »

Considérant que toute reproduction ou adaptation fût-elle partielle, constitue une contrefaçon si elle est matérialisée dans la reprise de traits caractéristiques de la première 'uvre, qu’il suffit de ressemblance dans la composition et l’expression des scènes marquantes, des personnages, que peu importe les différences si elles ne sont pas de nature à renverser l’impression d’ensemble ;

Considérant que les premiers juges ont justement constaté que la preuve de l’antériorité du tapuscrit de H C est rapportée par l’attestation de dépôt fait auprès de la SDGL en avril 2004 ; qu’il est en outre reconnu par F Y dans ses conclusions, qu’elle a eu connaissance du texte de Mme C ; que s’agissant de l’originalité de l''uvre contenant l’empreinte de la personnalité de son auteur, il doit être considéré que cette condition est également remplie, ce texte relatant sur 120 pages divisées en trois parties, le harcèlement dont son auteur a été victime dans l’établissement scolaire où elle enseignait jusqu’à la décision du conseil des prud’hommes reconnaissant les faits dénoncés ; qu’il est sans incidence sur l’appréciation de cette qualification que le récit en cause soit proche de la réalité et peu romancé, l''uvre de l’esprit n’étant pas nécessairement une 'uvre de fiction ;

Considérant que l’appelante conteste toute contrefaçon exposant que pour la caractériser il ne faut pas s’en tenir qu’aux ressemblance entre les ouvrages qui doivent porter sur les éléments caractéristiques essentiels de l''uvre première, mais également aux différences, aux faits relatés non protégés par le droit d’auteur car de notoriété publique ainsi qu’à l’absence de reprise de formes originales, s’agissant de faits connus, soit rapportés par la presse locale, soit vécus par les autres collègues ou par Madame Y elle-même, ou connus de ceux-ci ; qu’elle ajoute que certaines expressions utilisées par Madame C et reprises dans son ouvrage sont des expressions courantes de la langue française ; que certaines anecdotes ne sont que la reprise de confidences ou d’expériences partagées ; qu’en outre Madame C était au courant du projet de publication de Madame Y qu’elle a encouragé ;

Considérant qu’il est exact que l’ouvrage de Madame C s’apparente plus à un journal de bord chronologique qu’à une 'uvre littéraire alors que l''uvre de Madame Y est écrite sous la forme d’un roman dans un style plus recherché, que ce livre comporte des anecdotes supplémentaires qui n’existaient pas dans le manuscrit ainsi que six poèmes ; que leurs ressemblances sont toutefois extrêmement nombreuses, tant en ce qui concerne les caractéristiques et profils psychologiques des personnages principaux, que les événements auxquels ils sont confrontés : conflit, harcèlement, procédure judiciaire, lieu de l’intrigue : établissement scolaire d’une petite ville de province ; que si Madame Y reconnaît qu’elle s’est inspirée de faits vécus dans le lycée qui l’employait et ne conteste pas qu’elle ait eu connaissance du manuscrit de sa collègue, elle prétend cependant que ces éléments décrits dans les deux ouvrages étaient devenus de notoriété publique en raison de la connaissance qu’en avait chaque professeur de l’établissement, de la publicité suscitée par les procédures judiciaires et les articles de presse, tels que : la délégation syndicale du personnage principal, le surnom donné à la directrice ainsi que sa vulgarité, la contravention devant le lycée, la rétention des bulletins de salaire, le harcèlement, la procédure de médiation de l’évêché ainsi que la procédure prud’homale ;

Considérant toutefois qu’il convient de constater que les éléments tels que le ressenti du harcèlement est décrit de la même manière, dans des termes similaires, dans le premier manuscrit (page trois) et dans l’autre ouvrage (page 31) : l’amaigrissement, l’incompréhension de son entourage et les conflits subséquents, les insomnies ainsi que le départ de son compagnon ; que si ces conséquences peuvent être des suites habituelles de faits de harcèlement, l’utilisation d’expressions strictement identiques telles que « ça tue à petit feu’ dans le roman, 'ça vous tue à petit feu 'dans le manuscrit, n’apparaît pas inévitable compte-tenu de la richesse de la langue française, de même que les termes 'je vomis tout ça', page 20 du manuscrit, 'je crache des mots les uns après les autres, je les vomis’ page 154 du roman ; que les menaces qu’aurait reçues directement le professeur harcelé par la directrice sont exprimées dans les mêmes termes 'je vais devoir réclamer une inspection’ dans le roman page 24, 'je ne vous raterai pas pour l’inspection’ dans le manuscrit page 103 ; que s’il n’est pas étonnant que la directrice connue et peu appréciée des deux auteurs soit décrite dans des termes péjoratifs similaires, il convient de constater que certaines expressions sont strictement identiques dans le manuscrit, page 26,' au réfectoire des enseignants où la directrice trône chaque midi’ et dans le roman, page 16, ' à la cantine (…)c’est toujours elle qui trône’ ; qu’il est fait référence au manège de chevaux de bois et soldats d’Empire dans le manuscrit , à Z, tout comme dans le roman (page 114 ), qui pourtant n’est pas situé dans la même ville ;

Considérant que si les expressions utilisées dans le manuscrit telles que 'bouc émissaire', 'engrenage', 'diviser pour mieux régner', 'la peau sur les os', 'survivre', 'Docteur E et Mister Hyde’sont trop courantes pour être constitutives de contrefaçon, il convient de constater qu’elles ont été également reprises dans le roman de l’appelante pour décrire exactement les mêmes situations ;

Considérant que par ailleurs il n’est pas établi formellement que H C ait eu connaissance du projet d’écriture de F Y avant sa publication, les attestations fournies pour le démontrer n’étant pas suffisamment pertinentes ;

Considérant qu’en conséquence il résulte de l’ensemble de ces éléments que quand bien même le style de l’ouvrage N comme Nuit serait totalement différent du manuscrit de Madame C, il ne comporte aucune originalité ni spécificités qui peut le rendre indépendant par rapport à l’ouvrage initial dont il paraît être une adaptation romancée comportant des passages textuellement recopiés ;

Qu’il convient de confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont retenu le caractère contrefaisant de l’ouvrage N comme Nuit ;

Considérant que l’atteinte au droit d’auteur apparaît être indemnisée dans une juste mesure ; que la décision sera confirmée tant en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts que la demande de publication judiciaire dans les conditions précisées dans le dispositif de la décision ;

Sur l’atteinte à la vie privée,

Considérant que c’est par des motifs pertinents que les premiers juges ont indiqué que Madame C pouvait, à juste titre, prétendre être identifiable dans le personnage d’Emma DAILISSIEU, notamment en raison du succès de sa procédure judiciaire et de la reproduction à la page 211 du livre N comme Nuit d’un article de la presse locale faisant état de cette condamnation, seuls les noms ayant été modifiés, celui de H C ayant, dans cette reproduction, été remplacé par celui d’Emma DAILISSIEU ; qu’il en va de même de la reproduction, aux pages 205 à 210, d’une attestation, rédigée par un collègue de la demanderesse et produite par elle devant la juridiction prud’homale ; que cette identification est également établie par les attestations produites aux débats (pièces n° 7,10 et 11) ; que toutefois le tribunal a considéré que l’atteinte à la vie privée invoquée n’était pas caractérisée faute de précisions sur les éléments visés ;

Considérant que Madame C soutient que l’ouvrage querellé a porté atteinte à sa vie privée dans la mesure où Madame Y a utilisé des confidences qu’elle lui avait faites dans le cadre d’anciennes conversations amicales qui n’apparaissaient pas dans son manuscrit Harcèlement dans l’enseignement Silence dans les rangs! notamment sur le rapport de couple entre X et la narratrice, sur l’attitude du père du personnage principal, ainsi que sur le rapport de la narratrice avec sa soeur inspirée par l’évocation des relations entre Mme C et sa belle soeur, différents éléments de sa vie privée qu’elle aurait confiés à l’appelante lors de différentes entrevues ;

Considérant que le contenu des querelles de couple consécutives au harcèlement dont a été victime Madame C est rapporté en page 37 du roman dans un chapitre de deux pages alors que Beatrice C ne l’avait évoqué qu’ en deux paragraphes en pages 73 du manuscrit ; que le caractère de son père est évoqué en page 42 et 119 du roman alors qu’elle n’en a jamais parlé dans son manuscrit; qu’en page 100 Madame Y fait état des rapports que l’intimée entretenait avec sa s’ur ; que si la chute dans l’escalier que Madame C a évoquée dans son manuscrit a été connue de son entourage dans la mesure où les pompiers sont intervenus, les réflexions morbides qu’elle suscite dans le roman en page 139 et 140 révèlent des détails sur son état moral et psychologique, réel ou supposé, lors de cette chute, qui concerne la santé de H C ; que l’ensemble de ces éléments détaillés fait partie de la sphère protégée de la vie privée et que la publication de ces faits précis que H C avait fait le choix de ne pas dévoiler avec autant de précision dans son manuscrit, constitue une atteinte au respect du à la vie privée qu’il convient de réparer par le versement d’une somme de 2.000 € de dommages-intérêts ; que le jugement sera donc infirmé en ce sens ;

Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de H C les frais irrépétibles et qu’ il convient de confirmer la condamnation de F Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN à payer à Mme C une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et de condamner F Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN à payer à Mme C une somme supplémentaire de 1.500 € en cause d’appel, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Martin Ullmann avocat aux offres de droit ;

Considérant que sera confirmée la demande non contestée de la société Librairie Editions l’Harmattan tendant à l’application de la clause anti-plagiat stipulée dans le contrat d’édition conclu avec F Y, et que celle-ci devra garantir la société éditrice des condamnations prononcées à son encontre au titre de la contrefaçon ;

Considérant que Mme Y sera déboutée de sa demande fondée sur le caractère abusif de la procédure engagée dont le bien fondé est reconnue ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement,

Par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté H C de ses demandes faites au titre de l’atteinte à la vie privée,

Dit que le roman « N comme Nuit » écrit par F Y porte atteinte à la vie privée de H C ,

Condamne en conséquence in solidum F Y et son éditeur Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN à payer à H C la somme de 2.000 € à titre de dommages intérêts ;

Confirme pour le surplus la décision entreprise sur les faits de contrefaçon et la condamnation de F Y et de la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN au paiement de dommages-intérêts de ce chef et à la publication de la décision dans la République de Seine et Marne ;

Dit que les termes du communiqué qui sera publié dans le journal La République de Seine-et-Marne sont les suivants :

' Par arrêt du 27 mai 2015 la chambre 7 du pôle 2 de la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 10 juillet 2013 par le tribunal de grande instance de Paris qui a condamné la société Librairie Éditions l’Harmattan et F Y, en leur qualité respective d’éditeur et auteur d’un ouvrage intitulé : N comme Nuit, pour contrefaçon de l''uvre de H C intitulée : Harcèlement dans l’enseignement Silence dans les rangs! '

Confirme la condamnation de F Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN à payer à Mme C une somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamne F Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN à payer à Mme C une somme de 1500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile en cause d’appel,

Confirme le jugement en ce qu’il a condamné F Y à garantir la société Librairie Éditions L’Harmattan de toutes les condamnations mises à sa charge au titre de la contrefaçon ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne Mme Y et la Librairie EDITIONS DE L’HARMATTAN en tous les dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Martine ULLMANN avocat aux offres de droit .

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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