Cour d'appel de Paris, 24 septembre 2015

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 24 sept. 2015
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Décision précédente : Autorité de la concurrence, 7 juillet 2014, N° 14-D-06

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5-7

ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2015

(n° 109, 18 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 2014/17586

Décision déférée à la Cour : n° 14-D-06 rendue le 08 juillet 2014

par l’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

DEMANDERESSE AU RECOURS :

— La société CEGEDIM, S.A.

Prise en la personne de son représentant légal

Dont le siège social est : XXX

Elisant domicile au Cabinet de la SCP AFG

XXX

Représentée par :

— La SCP AFG,

avocats associés au barreau de PARIS,

toque : L0044

XXX

— Maître Louis de GAULLE, et Maître Frédéric MANIN,

avocats au barreau de PARIS

SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES

XXX

DEMANDERESSE AU RECOURS INCIDENT :

— La société EURIS, S.A

Prise en la personne de son représentant légal

Dont le siège social est : XXX

Élisant domicile au cabinet de la SELARL GUIZARD & ASSOCIES

XXX

Représentée par:

— La SELARL GUIZARD ET ASSOCIES,

avocats associés au barreau de PARIS,

toque : L0020

XXX

— Maître Jean-Louis FOURGOUX

avocat au barreau de PARIS,

toque : P0069

SELARL FOURGOUX ET ASSOCIES,

XXX

EN PRÉSENCE DE :

— L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Représentée par son Président

XXX

représentée à l’audience par M. E F, muni d’un pouvoir

— M. B DE L’ECONOMIE, DE L’INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

XXX

XXX

non comparant – non représenté

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 juin 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

— Mme C D- AMSELLEM, Conseillère faisant fonction de Présidente

— M. Olivier DOUVRELEUR, Conseiller

— M. G André RICHARD, Conseiller hors classe

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. I J-K

MINISTÈRE PUBLIC :

L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Mme Z A, Avocate Générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme C D-AMSELLEM, présidente et par M. I J-K, greffier.

* * * * * * * *

Faits et procédure

Pour faire connaître et promouvoir leurs médicaments, les laboratoires pharmaceutiques, adressent régulièrement des visiteurs médicaux aux médecins. Ces démarches de relations avec la clientèle sont connues sous l’appellation CRM, acronyme de l’expression anglo-saxonne « Customer Relationship Management ». Afin de rendre ces visites médicales le plus efficace possible, les laboratoires ont recours à deux types d’outils. Le premier consiste en des bases de données de clientèle qui doivent être fréquemment mises à jour, et sont d’autant plus performantes qu’elles contiennent des données complémentaires aux coordonnées des médecins comme par exemple, leurs adresses, les conditions de visite, le rattachement au secteur pertinent pour l’exploitation des données de vente de médicaments etc…. Le second outil est constitué par des logiciels de gestion visant à aider les directions de marketing et de vente des laboratoires à mieux comprendre qui prescrit les médicaments, comment et pourquoi ils sont prescrits et où ils sont vendus.

La société Euris, créée en 2000 avec le soutien de l’ANVAR, a mis au point des solutions de gestion de clientèle pour l’industrie pharmaceutique et propose un ensemble de logiciels CRM qui s’utilisent en ligne, désignés sous la dénomination «solution NetReps» (NetReps).

En septembre 2002, la société Euris a signé un contrat de partenariat avec la société Synavant qui avait développé une base de données dénommée « Pharbase » regroupant des informations relatives aux professionnels de santé. Le contrat avait pour objet d’autoriser la société Euris à proposer à ses clients utilisateurs de NetReps de conclure, en même temps que la licence sur le logiciel, un contrat d’abonnement à Pharbase avec la société Synavant, ce pourquoi elle était rémunérée par celle-ci. En juin 2003, la société Dendrite a acquis la société Synavant et le partenariat s’est poursuivi entre les sociétés Euris et Dendrite.

Le 2 mars 2007, la société Cegedim a annoncé l’acquisition de la société Dendrite et donc l’intégration de la base de données Pharbase dans celle qu’elle avait constituée depuis plusieurs années et dénommée « OneKey ». Par lettre du 19 mars 2007, la société Dendrite a fait savoir à la société Euris qu’elle résiliait le contrat de partenariat du 12 septembre 2002, mais que «'les contrats en cours avec les clients seraient quant à eux honorés jusqu’à leur terme'». Le 9 mai 2007, la société Cegedim a effectivement acquis la société Dendrite. Le 8 juin 2007, la société Cegedim a confirmé la résiliation du contrat de partenariat moyennant un préavis de trois mois et a précisé qu’à l’issue de ce délai, elle cesserait les prestations afférentes à ce contrat.

Le 19 octobre 2007, la société Cegedim, a introduit devant le tribunal de grande instance de Nanterre une requête aux fins de saisie-contrefaçon contre la société Euris, faisant valoir que cette dernière poursuivait « une utilisation non autorisée des extractions de la base de données PharBase, ainsi que des fichiers contenant des extractions de la base de données PharBase pour constituer et mettre à jour une base de données concurrente intitulée MédiaBase'».Par jugement du 24 octobre 2012, le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté les demandes en réparation de la société Cegedim à l’encontre de la société Euris. Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt rendu le 29 avril 2014, par la cour d’appel de Versailles.

Par lettre enregistrée le 25 novembre 2008, la société Euris a saisi l’Autorité de la concurrence ('l’Autorité') d’une plainte relative à des pratiques relevées dans le secteur des bases de données d’informations médicales. Elle reprochait à la société Cegedim de lui refuser l’accès à sa base de données OneKey, présentée comme le fichier mondial de référence des professionnels de santé, et de tenter de l’évincer du marché, pratiques prohibées par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle sollicitait, en outre, le prononcé de mesures conservatoires, afin, notamment, de pouvoir distribuer auprès des laboratoires pharmaceutiques les données françaises de la base OneKey.

Par une décision n° 09-D-29, du 31 juillet 2009, l’Autorité de la concurrence a rejeté la demande de mesures conservatoires.

À la suite d’une première phase d’instruction, une proposition de non-lieu fondée sur l’absence de position dominante de la société Cegedim sur le marché des bases de données médicales lui a été notifiée le 11 mars 2011.

Par une décision n°11-S-02 du 12 juillet 2011 l’Autorité de la concurrence a renvoyé l’affaire à l’instruction.

Le 10 avril 2013, la rapporteure générale de l’Autorité a adressé une notification de griefs à la société Cegedim lui reprochant d’avoir « mis en 'uvre une discrimination en refusant de vendre sa base de données OneKey, aux utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par Euris, alors qu’elle accepte de la vendre à des utilisateurs ayant recours à d’autres logiciels concurrents. Cette pratique, constitutive d’abus de position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales a débuté en octobre 2007 et perdure à ce jour. Elle a eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché connexe des solutions logicielles de gestion de la relation client dans le secteur d’activité de l’industrie de la santé et tombe sous le coup des dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce et de l’article 102 TFUE ».

Par une décision n° 14-D-06, rendue le 8 juillet 2014, l’Autorité de la concurrence a considéré qu’il était établi que la société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE en mettant en 'uvre, entre octobre 2007 et avril 2013, sur le marché des bases de données d’information médicale, un abus de position dominante caractérisé par le refus de vendre sa base de données OneKey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris. Elle a infligé à la société Cegedim une sanction pécuniaire de 5 767 000 euros et lui a enjoint de ne pas opérer pour le futur de discriminations entre ses clients sur la base du choix du logiciel de gestion. L’Autorité a, de plus, ordonné la publication d’un résumé de la décision dans les éditions papier des journaux «'Les Echos'» et «'Le Quotidien du médecin'».

La Cour,

Vu le recours en annulation et en réformation de la décision n° 14-D-06 déposé le 20 août 2014 au greffe de la cour par la société Cegedim ;

Vu les mémoires exposant ses moyens à l’appui du recours déposés au greffe de la Cour par la société Cegedim le 22 septembre 2014, complété par celui du 22 mai 2015 ;

Vu le recours incident en réformation déposé au greffe de la cour par la société Euris, le 22 septembre 2014 ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés au greffe de la cour par la société Euris les 9 janvier 2015 et 22 mai 2015 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par B chargé de l’économie le 5 mars 2015 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par l’Autorité de la concurrence le 6 mars 2015 ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 11 juin 2015, les conseils de la requérante, qui ont été mis en mesure de répliquer, les conseils de l’intimée, requérante à titre incident, ainsi que le représentant de l’Autorité de la concurrence et le ministère public ;

SUR CE,

Dans ses conclusions du 22 septembre 2014, complétées par celles du 22 mai 2015, la société Cegedim soutient que la décision de l’Autorité ne répond pas à l’exigence de preuve exigée pour la mise en 'uvre d’une procédure de sanction en droit de la concurrence.

Elle indique que la détermination des marchés pertinents et connexes est succincte et insuffisamment motivée, variant en fonction des développements de la décision et sans aucune référence à la pratique décisionnelle de l’Autorité. Elle estime que l’appréciation de la position dominante ne repose sur aucune donnée tangible de parts de marché malgré les six années d’instruction et qu’elle est réalisée à l’aide d’éléments inopérants pour une telle qualification.

Elle fait valoir que l’abus est caractérisé au moyen d’affirmations hâtives, non étayées et de surcroît fausses, selon lesquelles elle aurait admis connaître le caractère illicite de la pratique exonérant ainsi l’Autorité de rapporter la preuve de l’infraction. Elle ajoute que l’Autorité n’a pas rapporté la preuve de l’incidence anticoncurrentielle de l’abus de position dominante sur le marché connexe, sur la société Euris et sur ses clients.

La société requérante ajoute que la pratique n’a pas eu d’effet anticoncurrentiel. Elle soutient à cet égard que la baisse du chiffre d’affaires de la société Euris est liée à la dégradation de son activité à l’export et que son chiffre d’affaires réalisé en France est resté relativement stable.

Enfin, elle fait valoir que la sanction doit être réduite. A ce sujet, elle expose que l’assiette utilisée pour le calcul de la sanction, soit la valeur des ventes réalisées en 2012 sur le marché des logiciels CRM dans le secteur de la santé, se rapporte à un marché que l’Autorité a été incapable de délimiter de façon exacte. Elle estime que la sanction est disproportionnée par rapport au dommage à l’économie car le refus n’a concerné qu’un seul acteur, que l’activité de la société Euris s’est poursuivie et que ses pertes de parts du marché des logiciels s’expliquent en grande partie par une très forte intensité de la concurrence.

Dans ses conclusions récapitulatives du 9 janvier 2015, la société Euris expose que le marché pertinent est celui des bases de données d’information médicale à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales tel que cela ressort de l’instruction, ce que la société requérante n’a jamais contesté au cours de la procédure. Elle fait aussi valoir qu’il existe un lien de connexité entre le marché des bases de données et le marché des logiciel CRM car les deux sociétés sont présentes simultanément sur les mêmes marchés, s’adressent au mêmes clients et leurs produits sont concurrents et complémentaires.

Elle ajoute que la société requérante est incontestablement en position dominante sur le marché car elle est l’opérateur disposant de la base de données la plus complète et utilisée par la quasi-totalité des acteurs du marché. La société Euris oppose que la position dominante, voire monopolistique, de la société Cegedim est manifeste car elle n’a pas de concurrent sur le marché national. En effet, aucun des concurrents mentionnés par la société Cegedim comme pouvant constituer une alternative n’est cité par les laboratoires interrogés, et ne dispose à lui seul de l’ensemble des informations nécessaires pour constituer des fichiers de «'visite médicale'» régulièrement mis à jour, exhaustifs et de qualité, et n’apparaît comme crédible pour concurrencer la société Cegedim.

La société Euris fait valoir que l’abus de position dominante résulte tant du refus de vente discriminatoire que de l’impossibilité de disposer d’une base de données que l’Autorité aurait dû considérer comme étant une facilité essentielle.

Elle soutient sur ce dernier point que la base de données OneKey est indispensable à l’activité de visite médicale, qu’elle est non répliquable et sans équivalent.

S’agissant de l’existence d’une discrimination envers ses clients, l’intimée conteste avoir d’elle même indiqué à ses clients qu’ils ne pouvaient accéder à OneKey, comme le prétend la société Cegedim, et qu’il n’est nullement établi que des contrats entre cette dernière et des laboratoires aient été conclus pendant que ceux-ci étaient encore ses clients.

Enfin, elle soutient que la société Cegedim a refusé sans aucune justification objective légitime de fournir la base de données OneKey, l’absence de contrefaçon étant avérée et confirmée par le tribunal de commerce de Nanterre et la cour d’appel de Versailles.

Elle demande la réformation de la décision, d’une part, en ce qu’elle a refusé de qualifier le fichier de facilité essentielle, d’autre part, en ce qu’elle ne retient pas, d’abus de position dominante, relatif à la pratique de vente liée entre les logiciels CRM et la base de données OneKey proposés par la société Cegedim.

Sur la fin de non-recevoir

L’Autorité de la concurrence et la société Cegedim soutiennent que les demandes de la société Euris tendant à la réformation de la décision sont irrecevables au motif que cette dernière, ayant eu gain de cause devant l’Autorité, n’aurait pas intérêt à agir.

La société Euris soutient que ses demandes sont recevables au motif que l’article L.464-8 du code de commerce précise que le recours en réformation est ouvert à toutes les parties en cause et qu’en outre, la combinaison de l’effet dévolutif de l’appel et de ces dispositions impose à la cour, saisie d’un recours de plein contentieux, de statuer en droit et en fait sur la décision attaquée. Elle ajoute que l’Autorité de la concurrence a en partie écarté ses prétentions fondées sur un dénigrement anticoncurrentiel, l’existence d’un abus par défaut d’accès à une infrastructure essentielle et la pratique de vente liée. Elle fait aussi valoir qu’en dépit de la décision, la société Cegedim prétend ne pas être tenue de contracter avec elle pour lui donner accès à sa base de données et a refusé jusqu’à ce jour de respecter l’injonction de l’Autorité. Selon la société Euris, il convient que la cour réforme la décision de l’Autorité afin d’écarter toute ambiguïté sur la nécessité de l’accès par elle et ses clients à la base de données OneKey.

Selon l’article R.464-10 du code de commerce, «'Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours exercés devant la cour d’appel de Paris contre les décisions de l’Autorité de la concurrence sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de la présente section'».

L’article 31 du code de procédure civile, figurant au titre II du livre Ier intitulé «'Dispositions communes à toutes les juridictions'», dispose que': «'L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'»';

L’article 122 du même code, figurant aussi au Livre 1er, énonce que': « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'».

Ces dernières dispositions qui ne relèvent pas du livre II du code de procédure civile échappent aux dérogations prévues par l’article R.464-10 du code de commerce précité et sont applicables en l’espèce.

Il en résulte que si une partie devant l’Autorité de la concurrence peut introduire un recours en annulation ou en réformation d’une décision prise par celle-ci, relevant de l’une de celles mentionnées au premier alinéa de l’article L. 464-8 du code de commerce, ce droit doit s’exercer dans les conditions applicables à l’action en justice prévues par le code de procédure civile. En particulier, les parties requérantes au recours doivent justifier d’un intérêt à agir, sous peine de se voir déclarées, éventuellement d’office, irrecevables en leur recours ou en leurs demandes, sans examen au fond.

La société Euris demande, notamment, que la décision entreprise soit réformée en ce qu’elle a refusé de qualifier la base OneKey comme une infrastructure essentielle et qu’il soit enjoint à la société Cegedim «' de permettre pour le futur (') l’accès à l’infrastructure essentielle qu’est la base de données OneKey'»'. Cependant, en invoquant dans sa saisine de l’Autorité, puis dans son recours en réformation, un refus de vente discriminatoire et un refus d’accès à une ressource essentielle, la société Euris dénonce, en réalité, une seule et même pratique, à savoir le refus que lui a, à travers ses clients, opposé la société Cegedim d’accéder à sa base de données OneKey', la qualification de ressource essentielle ne modifiant en rien ni le caractère illicite de la pratique en cause qualifiée d’abus de position dominante, ni, pour l’une ou l’autre des parties, les effets de la décision prise par l’Autorité.

Sur ce point, la société Euris a eu devant l’Autorité totalement gain de cause, puisque celle-ci a qualifié la pratique de refus dénoncée d’abus de position dominante, l’a sanctionnée pécuniairement et a enjoint à la société Cegedim d’y mettre un terme pour le futur.

L’éventuel non respect par la société Cegedim de l’injonction de l’Autorité à son égard ne suffit pas à créer un intérêt à agir rendant le recours en réformation introduit par la société Euris recevable, puisque pour répondre à une telle situation, le législateur a prévu une voie d’action appropriée aux articles L.464-2 et L.464-3 du code de commerce, permettant à l’Autorité de faire respecter ses injonctions.

En conséquence, les demandes de la société Euris d’ «'infirmer la décision de l’Autorité de la concurrence en ce qu’elle a retenu que la base de données OneKey ne constitue pas une infrastructure essentielle'» et d’ «'enjoindre à la société Cegedim de permettre pour le futur (…) l’accès à l’infrastructure essentielle qu’est la base de données OneKey'» sont irrecevables pour défaut d’intérêt à agir.

En revanche, ses autres demandes qui tendent à l’infirmation de la décision en ce qu’elle a rejeté l’existence de ventes liées entre la base Onekey et la solution logicielle Teams, devenue Mobile Intelligence et qu’il soit enjoint à la société Cegedim de ne pas opérer de ventes liées entre la solution logicielle et la base de données, points sur lesquels elle n’a pas eu gain de cause, sont recevables.

Sur le fond

Sur le marché pertinent

La société Cegedim oppose que la décision ne fournit aucune explication sur les délimitations du marché pertinent sur lequel elle détiendrait une position dominante. Elle fait valoir que la définition adoptée, extrêmement étroite, ne va pas de soi et que, de plus, les termes de la définition du marché varient à plusieurs reprises dans les développements de la décision.

La décision a précisé au paragraphe 90 que le marché sur lequel les pratiques en cause avaient été mises en 'uvre était celui des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales. Elle a repris en cela le marché circonscrit dans la notification de griefs et énoncé dans la rédaction même du grief qui a été notifié à la société requérante.

Les éléments du dossier montrent, sans que cela soit d’ailleurs contesté, qu’il existe de la part des laboratoires pharmaceutiques une demande spécifique de données relatives aux noms, adresses et spécialités des médecins prescripteurs de médicaments ou de produits relatifs à la santé, afin de connaître quels sont les médecins qui prescrivent leurs médicaments et les zones géographiques les plus concernées par leur propres offres, ce qui leur permet d’entrer en contact avec ces professionnels pour leur faire connaître leurs médicaments et produits.

Ces informations qui répondent à un besoin particulier et propre aux laboratoires pharmaceutiques leur sont indispensables pour connaître les besoins de leur clientèle. Elles ne peuvent être substituées par d’autres informations portant, par exemple, sur un ou plusieurs autres secteurs d’activités, qui ne seraient d’aucune utilité pour les laboratoires.

Il ressort également des éléments du dossier qu’à cette demande spécifique et non substituable répond une offre de fourniture de ces informations, qui émane de divers acteurs, dont la société Cegedim.

La rencontre de cette offre et de cette demande portant sur des produits spécifiques non substituables constitue bien, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des tests quantitatifs, un marché pertinent.

Il est indifférent à cet égard que la notion de laboratoire pharmaceutique ne fasse pas l’objet d’une définition juridique ou économique précise, de même que les circonstances, invoquées par la société Cegedim, et selon lesquelles le seul refus de prestation caractérisé par la décision n’aurait pas concerné un laboratoire pharmaceutique, ou que parmi les quatre clients revendiqués par la société Euris, un seul répondrait à cette qualification, ou, enfin, que Cegedim aurait de nombreux clients qui ne relèveraient pas de ce statut. En effet, ces circonstances ne pourraient concerner que l’appréciation de l’existence d’une position dominante ou d’un abus, mais nullement le périmètre du marché pertinent.

Par ailleurs, le fait que, dans la décision critiquée, l’Autorité ait utilisé la désignation plus restreinte de « marché des bases de données » ou de « marché des bases de données médicales » ou encore de « marché des bases de données spécialisées dans le secteur de la santé » résulte de façon évidente d’une recherche de simplification de l’expression, mais ne témoigne pas d’une modification du marché pertinent, ou d’errements dans sa définition, ou encore d’une indécision de l’Autorité sur ce point.

C’est donc à juste titre que l’Autorité de la concurrence a retenu que le marché pertinent était celui des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales.

Les éléments du dossier démontrent, par ailleurs, qu’il existe bien une offre et une demande concernant les logiciels de gestion de la clientèle (CRM) visant à aider les services de vente et de marketing des entreprises.

Sur ce point, l’étude Xerfi produite par la société Cegedim énonce qu’il existe plusieurs « marchés de CRM » et non un seul, puisque les activités regroupées sous cette désignation sont multiples, parmi lesquelles notamment, le conseil en marketing relationnel ou en management et stratégie, l’édition de progiciels, ou le data management et datamining, et qu’il n’existe que peu d’acteurs spécialisés dans la seule activité de gestion de la relation clients ceux-ci exerçant en général cette activité parmi d’autres (Rapport p. 12). La même étude précise qu’on observe une assez forte étanchéité entre les différents métiers du CRM, mais qu’il existe des passerelles et treize « multispécialistes » parmi lesquels la société Cegedim, décrite comme un « spécialiste vertical » qui assemble des services pour le secteur de la santé (Rapport p. 53). L’étude fournit en pages 54 et 55, la liste des treize « multispécialistes » en précisant leurs activités, ce qui permet de constater que l’édition de logiciels ou de progiciels (logiciels professionnels) de CRM constitue une activité particulière qui n’est exercée que par peu d’acteurs sur ces marchés, puisqu’outre la société Cegedim, seules les sociétés Laser Group, Catalina Marketing France et Groupe ETO éditent des logiciels ou des progiciels.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations qu’il existe un marché pertinent des logiciels de gestion en matière de CRM, service spécifique et non substituable à d’autres services relatifs au marketing.

Sur la connexité des marchés

La société Cegedim conteste qu’il existe un lien de connexité entre le marché des logiciels de gestion en matière de CRM et celui des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales .

Il n’est toutefois pas contestable qu’un logiciel de gestion de relations clients ne peut fonctionner sans base de données des clients intéressés par le ou les produits commercialisés par l’entreprise qui recourt à ce service, que cette base regroupe des données internes à l’entreprise ou qu’elle soit produite par un tiers, ou encore que la base interne à l’entreprise soit enrichie par celle fournie par un tiers.

Il s’ensuit que le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la visite médicale est bien connexe à celui des logiciels de gestion de la relation clients et c’est à juste titre que la décision a retenu cette connexité, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que la base de données OneKey serait indispensable au fonctionnement des logiciels de CRM, ce que la décision ne soutient pas.

Sur ce point, la cour relève que le rapport Xerfi, produit par la société Cegedim, qui n’est pas une expertise relative à la détermination d’un marché pertinent mais une étude stratégique destinée aux professionnels, explique en page 37 que le marché du logiciel de CRM comprend cinq ou six grands segments parmi lesquels « la constitution de bases de données marketing », ce qui conforte l’analyse selon laquelle il existe un lien étroit entre les deux marchés retenus par l’Autorité.

La circonstance qu’il existe pour la société Cegedim des clientèles différentes pour le fichier OneKey et son logiciel de CRM, ou que l’importance de ces clientèles n’évolue pas de façon identique, n’est pas de nature à démontrer que les marchés ne seraient pas connexes. Le tableau produit à cet égard par la société Cegedim (P. 32 du mémoire du 22 septembre 2014) n’apporte pas d’éléments convaincants à ce sujet, dans la mesure où le fichier étant vendu seul à des entreprises ayant un logiciel concurrent de celui de la société Cegedim, il n’est pas anormal que l’évolution de la clientèle de la base OneKey et celle relative au CRM ne soient pas identiques.

Enfin, la décision n’est pas critiquée en ce qu’elle a retenu, par une motivation que la cour adopte, que la dimension du marché était nationale, dans la mesure où, d’une part, la société Cegedim utilisait, pour le rattachement des professionnels de santé de son fichier, des données nationales relevées par le Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques (le GERS), d’autre part, que le marché de la vente des médicaments était national.

Sur la position dominante

La société Cegedim reproche à la décision attaquée de ne comporter aucune donnée tangible de parts de marché et d’avoir retenu que puisqu’elle ne rapportait pas d’éléments permettant d’identifier les détenteurs de plus des deux tiers du marché, la part de marché non identifiée pouvait être considérée comme celle des bases de données internes aux laboratoires. La société requérante fait valoir sur ce point, d’une part, que la rapporteure du dossier, qui avait tout d’abord conclu à l’absence de position dominante, a, sans aucun élément nouveau, adopté une analyse totalement contraire deux années plus tard, d’autre part, qu’il appartenait à l’Autorité, alors que l’instruction avait duré six années, de produire une véritable analyse des parts de marché des différents opérateurs actifs sur celui-ci.

Il convient sur ce point de rappeler que l’existence d’une position dominante correspond à une situation de puissance économique qui donne à l’entreprise qui la détient le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents et de ses clients (CJUE 17 -02- 2011, C-52/09 aff. TeliaSonera Sverige, point 79). Il se déduit de cette définition que si la détention d’une part de marché importante constitue un critère de détermination de l’existence d’une position dominante, ce quantum n’est pas le seul élément à prendre en compte. En conséquence, les incertitudes sur le montant exact de la part du marché pertinent détenue par l’entreprise en cause peuvent être compensées par d’autres indices, dès lors que l’ensemble des éléments relevés permet de conclure que celle-ci peut faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur ce marché, sa situation lui donnant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable à l’égard de ses concurrents et de ses clients.

En l’espèce, l’Autorité de la concurrence après avoir, à juste titre, précisé que l’autoproduction, constituée par les bases de données internes des entreprises, ne devait pas être prise en compte dans le calcul des parts de marché, a retenu que la part de 22 à 23 % du marché national, ou de 30,17 % du marché européen, que se reconnaissait la société Cegedim, devait être réévaluée en déduisant du total des parts de marché ce que représentait la part de l’autoconsommation.

Elle a relevé à ce sujet que l’analyse des données dont elle disposait faisait apparaître une part importante du marché détenue par des opérateurs non identifiés, part qu’elle a considérée comme étant celle de l’autoconsommation, et a ensuite procédé à l’estimation du marché en le réduisant de la part non détenue par la société Cegedim ou ses concurrents. Ainsi, en recalculant la part de cette dernière sur un marché quantifié au regard du total de sa part (22 %) et de celle de ses concurrents (6%), l’Autorité de la concurrence a considéré que la part détenue par la société en cause était de 78 %.

L’importance de cette part de marché est confortée par les données du tableau figurant dans la décision au paragraphe 69 et qui permettent de constater que les plus grands laboratoires, parmi lesquels Abbott, Astra Zeneca, Bristoll Myers Squibb, Expanscience, Meda Pharma, XXX, Sanofi Winthrop et Y, sont clients de la société Cegedim et utilisent le fichier OneKey sous cette désignation, ou son ancienne dénomination TVF (par. 26). Elle est confirmée par le rapport Xerfi, produit par la société Cegedim, qui précise en page 168 que celle-ci « (…) occupe une position concurrentielle très forte au niveau international dans les bases de données marketing (…) ».

L’ensemble de ces éléments d’appréciation de la part du marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires détenue par la société Cegedim est encore conforté par les informations qu’elle a elle même diffusées au public dans les présentations de son site Internet qui précisaient en 2005 et 2006 qu’elle détenait avec OneKey et le logiciel Teams une part de marché de 80 %. La société Cegedim qui soutient que cette information destinée à la valoriser sur son site Internet doit être relativisée, n’apporte aucun élément qui permettrait d’attester son caractère erroné. Enfin le graphique reproduit par elle en page 32 de son mémoire initial permet de constater que le nombre d’utilisateurs de la base Onekey est bien supérieur au nombre de ses clients tous produits confondus et que la part de 80 % sus-énoncée est davantage celle de la base de données que celle du logiciel, puisque le schéma produit indique que les utilisateurs de la base de données sont au nombre de 140 000 et ceux des solutions de Cegedim de 43 000, soit trois fois moins.

La société Cegedim reproche à l’Autorité de ne pas avoir accompli de recherches supplémentaires pour obtenir des données relatives aux parts de marché et cite à ce sujet plusieurs entreprises dont elle aurait donné les noms dans le cours de l’enquête et qui lui opposeraient une pression concurrentielle. Elle ne soutient cependant pas que la part cumulée de ces concurrents serait supérieure aux 6 % qu’elle a elle même communiqués et retenus par la décision et ne produit aucun élément qui permettrait à la cour de vérifier ce point.

En outre, la puissance de marché de la société Cegedim résulte des qualités d’exhaustivité de spécificité et de services offerts, détaillés au paragraphe 119 de la décision, de sa base de données Onekey qui, ainsi que l’a relevé l’Autorité (Paragraphe 28 et s.), est disponible dans plus de 70 pays, a dépassé, début 2012, le seuil de huit millions de professionnels de santé, compte 160 000 utilisateurs dans le monde et est quotidiennement mise à jour par plus de 650 collaborateurs présents dans chaque pays, le fichier étant structuré en individus et unités de soins, mentionnant, notamment, les noms, les spécialités et les coordonnées des personnes ainsi que leurs habitudes concernant les visites médicales, ou bien encore les horaires des activités et les modes d’exercice de la profession.

De plus, si le marché est accessible pour les nouveaux entrants, il n’en demeure pas moins que la constitution d’un fichier aussi exhaustif que celui de la société Cegedim réclame un investissement important qui doit être poursuivi par la suite pour la mise à jour constante et régulière du fichier, évaluée par son dirigeant dans une fourchette de un à trois millions d’euros, ce qui constitue une réelle barrière à l’entrée.

S’agissant des difficultés d’accès au marché, c’est à juste titre que l’Autorité de la concurrence a retenu dans sa démonstration les indications contenues dans le document de référence pour 2013 de la société Cegedim, selon lesquelles « (…) La création d’une base de données sur un nouveau marché est longue, difficile et coûteuse » et Onekey « (…) est probablement la référence du secteur pharmaceutique quant au nombre de pays couverts, au volume de données saisies et au nombre d’utilisateurs (…) ». Il ne peut sur ce point être reproché à l’Autorité d’avoir retenu dans le faisceau d’indices ces observations qui sont confirmées par les éléments descriptifs de la base de donnée en cause et ne revêtent en conséquence pas un caractère particulièrement dithyrambique qu’il conviendrait de relativiser. La description de la base de données Médibase, exploitée initialement par la société Euris, comme étant, par ses qualités, concurrente de la base OneKey ne sont, en outre, pas de nature à contredire la position dominante occupée par la société Cegedim, dès lors que la qualification d’une telle position ne réclame pas que la société qui la détient se trouve en situation de monopole ou qu’elle n’ait aucun concurrent réel.

Par ailleurs, la déclaration du dirigeant de la société Cegedim selon laquelle si celle-ci détenait une part de marché permettant en principe de présumer l’existence d’une position dominante, «(…) sa situation ne [lui ]donne pas pour autant (…) la possibilité de s’abstraire des conditions de concurrence du marché (…)» est contredite par les qualités de la base de données qui en font un produit de référence, ainsi que les barrières à l’entrée précédemment relevées, mais encore par le constat, déjà mentionné, que les plus grands laboratoires utilisent la base de données en cause.

L’existence d’une position dominante sur un marché n’exige pas, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, que l’entreprise qui la détient ne soit pas concurrencée sur son marché et il est indifférent à ce sujet que la base OneKey n’ait pas été qualifiée d’infrastructure essentielle, dès lors que cette qualification est soumise à des conditions particulières et précises, non remplies en l’espèce, selon la décision.

Enfin, la concurrence éventuelle à la base Onekey que pourrait apporter le « répertoire partagé des professionnels de santé » institué par les pouvoirs publics français en février 2009 démontre seulement que d’autres fichiers d’informations médicales peuvent être constitués, mais nullement que la société Cegedim ne pourrait pas, compte tenu de l’ensemble des éléments qui ont été précédemment relevés, adopter un comportement indépendant vis-à-vis de ses concurrents ou de ses clients. À ce sujet, encore, le fait que la société Cegedim ait perdu des clients entre 2009 et 2014 n’est pas de nature, à lui seul et sans autre explication, à démontrer qu’elle n’aurait pas été en position dominante pendant la durée des pratiques. La cour relève d’ailleurs sur ce point que les données qu’elle produit dans son mémoire initial permettent de constater que le nombre d’utilisateurs de la base Onekey est resté durant ces années d’une grande stabilité passant d’un peu plus de 20 000 en janvier 2008 à 20 000 en janvier 2014. Il est par ailleurs notable qu’en présence de nouveau produits de CRM concurrents du sien, la courbe des utilisateurs du fichier OneKey demeure particulièrement stable ce qui contribue à démontrer sa dominance sur ce marché, indépendamment de sa situation sur les marchés de logiciels de CRM.

Il résulte de ce qui précède que l’Autorité de la concurrence était fondée à retenir que la société Cegedim se trouvait en position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales et que les moyens développés par la société Cegedim pour contester cette analyse doivent être rejetés.

Sur les pratiques constitutives d’abus de position dominante

L’Autorité de la concurrence a considéré qu’il était établi que la société Cegedim avait refusé de vendre la base OneKey aux clients de la société Euris utilisateurs des solutions logicielles Netreps que cette dernière commercialise.

La société Cegedim reconnaît avoir refusé la vente de sa base de données à l’association Santélys, mais expose que cette décision était justifiée par les soupçons de violation de ses droits de propriété intellectuelle qu’elle nourrissait à l’encontre de la société Euris. Elle soutient qu’en revanche, la preuve des autres refus qui lui sont reprochés n’est pas rapportée. Elle précise à ce sujet que les indications des personnes entendues dans le cadre de l’instruction et retenues par la décision ne précisent pas qu’un refus d’accès à la base OneKey aurait été opposé aux sociétés clientes de la société Euris. Elle ajoute que les propos retenus sont pour certains contradictoires avec les pièces qu’elle fournit et qui démontrent que des contrats ont été conclus avec des sociétés clientes de la société Euris ou que des devis leur ont été adressés. Elle fait enfin valoir que le doute qui ressort des propos consignés dans les procès-verbaux, ainsi que des pièces produites, aurait dû lui bénéficier.

Il convient de rappeler que la preuve d’une pratique anticoncurrentielle, lorsqu’elle ne peut être directement rapportée peut résulter d’un faisceau d’indices précis, graves et concordants.

En l’espèce, différents éléments agrégés au refus explicite opposé par la société Cegedim à l’association Santélys, établissent la preuve de la mise en 'uvre de la pratique reprochée.

Ainsi que l’a relevé la décision le courrier électronique adressé le 15 mai 2009 par l’ingénieur commercial de la société Cegedim au responsable de l’association Santélys selon lequel « C’est en raison de présomptions de violation des droits de propriété intellectuelle de Cegedim par Euris avec qui notre société est en litige de contrefaçon, que nous regrettons de ne pas pouvoir donner suite à votre demande » démontre sans ambiguïté le refus de vendre un accès à la base OneKey opposé à l’association utilisatrice de la solution logicielle NetReps et les motifs invoqués par la société Cegedim pour le justifier.

À celui-ci s’ajoutent d’autres refus opposés à différents clients de la société Cegedim qui ne sont pas pertinemment contestés par la société Cegedim.

En effet, le responsable de la société Bailleul-Biorga, dont la déclaration du 10 mai 2010 est retranscrite au paragraphe 203 de la décision, a exprimé en termes clairs et précis l’impossibilité d’utiliser le fichier TVF (devenu depuis, OneKey) en travaillant avec la société Euris. Le fait que la société Bailleul-Biorga ait, en janvier 2011, soit huit mois plus tard, finalement contracté avec la société Cegedim n’est pas contradictoire avec l’impossibilité dont il a fait été fait état lors de l’audition du mois de mai 2010, et il est sans effet que la société Euris n’ait pas déféré sur ce point à l’injonction de produire tout document de nature à établir la cessation de leurs relations.

En outre, un message électronique adressé par un représentant de la société La Roche-Posay le 29 avril 2010 à la société Euris (paragraphe n°63 de la décision) explique parfaitement que cette dernière ne pouvant pas fournir la base OneKey, la société La Roche-Posay a décidé d’examiner l’offre de la société Cegedim qui « intègre l’offre OneKey ». Cette affirmation n’est, son contexte étant rappelé, pas contradictoire avec l’offre de tarif pour l’utilisation du fichier, adressée le 4 mai 2010 par la société Cegedim à la société La Roche-Posay.

Par ailleurs, il résulte des réponses adressées par une responsable de la société Besins-Health Care à la rapporteure que pour travailler avec la société Euris il était impossible pour elle d’utiliser le fichier TVF, devenu OneKey et il est sans portée sur le caractère probant de cette attestation, ainsi que sur le sens précis de cette affirmation, que la société Besins-Health Care ait acquis quelques semaines plus tôt la partie sages-femmes du fichier OneKey.

Ces déclarations ne comportent aucune ambiguïté génératrice d’un doute qui remettrait en cause leur valeur probante au sein du faisceau d’indices et bien que les personnes entendues n’aient pas exprimé de façon formelle avoir été destinataires d’un refus de la part de la société Cegedim, les explications qu’elles ont fournies au rapporteur montrent qu’elles considéraient comme impossible d’utiliser le fichier OneKey avec les solutions logicielles de la société Euris. Ce qui est confirmé par le refus opposé à l’association Santélys, ainsi que par les déclarations des responsables de la société Cegedim lors de l’instruction et lors des séances de mesures conservatoires et de fond, qui seront examinées dans les développements qui suivent.

Ainsi, si la société Cegedim soutient à raison que le procès-verbal d’audition du responsable de la société Mundipharma ne fait pas état d’un refus qui aurait été opposé par la société Cegedim contrairement à ce qu’a retenu l’Autorité de la concurrence, il n’en demeure pas moins que celle-ci a bien refusé, à plusieurs reprises, de fournir le fichier OneKey à des clients qui utilisaient les solutions logicielles Net Reps de la société Euris, ou qu’il était admis par ces clients qu’il était impossible pour elles d’avoir recours à cette base de données.

Ces refus n’ont pas été contestés par la personne salariée de la société Cegedim interrogée par la rapporteure de l’Autorité, le 11 mai 2010, qui a indiqué qu’ils étaient opposés aux « utilisateurs actuels et potentiels du logiciel NetReps d’Euris » et qu’ils étaient légitimés par « l’ouverture des contentieux en contrefaçon entre Euris et Cegedim Dendrite ». La déclaration suivante et selon laquelle cette personne « n’a jamais été amenée à opposer d’autres refus d’acquérir OneKey sur quelque fondement que ce soit » ne peut, compte tenu du caractère général et non limité à l’association Santélys de la phrase précédente, être interprétée comme signifiant qu’aucun refus n’aurait été opposé à d’autres sociétés clientes de la société Euris. Les attestations fournies postérieurement à cette audition par des salariés de la société Cegedim sont à ce sujet dénuées de force probante.

Il est, de plus, démontré par les termes de la réponse adressée à l’association Santélys le 19 mai 2009, ceux du message électronique de la société La Roche-Posay à la société Euris, le 29 avril 2010, et ceux des auditions retranscrites dans la décision, en particulier, celles des représentants de la société Bailleul-Biorga et de la société Cegedim, que le refus de vendre le fichier OneKey aux utilisateurs actuels et potentiels du logiciel Net Reps de la société Euris procédait d’une stratégie commerciale revendiquée et assumée. La société Cegedim ne saurait à ce sujet se référer aux termes d’une jurisprudence concernant une pratique distincte de celle examinée en l’espèce et consistant en la mise en 'uvre d’une stratégie d’éviction par l’envoi aux acteurs potentiels d’un marché d’un signal d’agressivité, afin de les dissuader de tenter de s’y établir.

En outre, la production de contrats et de devis relatifs au fichier OneKey concernant des entreprises dont le nom est cité sur le site Internet de la société Euris ne démontre pas, contrairement à ce que prétend la société requérante, qu’elle n’aurait pas refusé l’accès à son fichier à des sociétés utilisatrices des logiciels de CRM de la société Euris. En effet, aucun élément du dossier ne permet à la cour de constater que les sociétés G H, Théa, X, Mayoli Spindler ou Nestlé Clinical Nutrition auraient été utilisatrices des solutions logicielles de la société Euris au moment où les contrats ont été conclus avec la société Cegedim, ou lorsque les devis leur ont été adressés par celle-ci.

Par ailleurs, la société Cegedim reproche à la décision d’avoir affirmé qu’elle avait admis être en faute ce qui est, selon elle, inexact.

Cependant, la décision attaquée ne contient pas une telle affirmation. Elle indique seulement qu’il résulte des déclarations formulées lors de la séance de mesures conservatoires par les dirigeants de la société Cegedim que celle-ci était informée du caractère illicite de la pratique en cause, mais avait décidé de continuer à l’appliquer prétextant de la protection légitime de ses droits de propriété intellectuelle. Or le fait que les dirigeants de la société se déclarent informés du caractère illicite de la pratique mise en 'uvre, ne signifie pas que celle-ci aurait admis être en faute. La cour relève, en outre, que la décision de mesures conservatoires 09-D-29, rappelle la jurisprudence applicable aux refus de vente et ayant qualifié de tels refus comme étant des pratiques abusives, elle précise ensuite que « en séance Cegedim a indiqué (…) qu’elle interdirait à Euris l’accès à OneKey à laquelle PharBase a été totalement intégrée depuis avril 2009, tant que la procédure en contrefaçon engagée à son encontre serait pendante ». Elle ajoute au paragraphe 59 que «Ces seules explications ne sont pas convaincantes pour justifier en tout état de cause de manière objective le refus que Cegedim Dendrite oppose à Euris. Certes, les suspicions à l’égard de cette dernière pouvaient lui permettre de saisir les juridictions compétentes, ce qu’elle a d’ailleurs fait, mais ne justifiaient pas nécessairement la résiliation préalable du contrat de partenariat ». Ces développements étaient de nature à renforcer l’information de la société Cegedim sur le caractère illicite de la pratique de refus de vente du fichier OneKey et c’est à juste titre que l’Autorité a considéré que c’est en connaissance de cause qu’elle a continué à la mettre en 'uvre.

Sur l’incidence de la pratique

C’est par une juste motivation que la cour adopte que l’Autorité a retenu que la pratique, qui relève à la fois d’un abus d’éviction et d’un abus d’exploitation, avait eu un effet anticoncurrentiel, car en refusant de vendre le fichier OneKey aux seuls clients actuels et potentiels de la société Euris, la société Cegedim avait créé au préjudice de celle-ci, sans justification économique ou juridique, un désavantage en termes de coûts et d’image par rapport à l’ensemble de ses concurrents sur le marché des logiciels de gestion de la relation client dans le secteur d’activité de l’industrie de la santé faussant ainsi le jeu de la concurrence par les mérites.

Il convient seulement d’ajouter à cette motivation pertinente que la société Cegedim n’est pas fondée à soutenir que la pratique n’aurait pas eu d’incidence en l’absence de lien de connexité entre le marché des bases de donnés d’information médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion et celui des logiciels de gestion de la relation client, puisque ce lien est établi, ainsi qu’il précédemment été retenu.

Par ailleurs, aucun élément ne permet d’affirmer ou même de présumer que la société Euris aurait diffusé elle-même et de façon inexacte auprès de ses clients qu’il n’était pas possible qu’elles obtiennent un accès au fichier OneKey si elles utilisaient les logiciels Netreps et ce d’autant moins que les responsables de la société Cegedim ont eux mêmes lors de la séance d’examen de la demande de mesures conservatoires, puis lors de l’instruction devant la rapporteure, expliqué les raisons de leurs refus qu’ils n’ont pas contestés.

Il convient, en outre, de relever qu’en l’absence d’éléments permettant de susciter un doute à ce sujet, l’Autorité de la concurrence n’avait pas à rechercher si les raisons des pertes de chiffres d’affaires rencontrées par la société Euris à compter du début de la pratique en cause, pouvaient se trouver dans un mécontentement de sa clientèle ou dans des insuffisances du logiciel NetReps. Les indications de deux sociétés Médapharma et Smith et Nephew, la première faisant état de « problèmes techniques » et la seconde déclarant ne pas avoir été « satisfait(e) par le produit», puis de « mauvaise gestion du projet, hotline et encadrement désastreux », ne permettent pas d’établir à elles seules les insuffisances allégués. Il ressort d’ailleurs, au contraire, sur ce point de l’échange de courriers électroniques du 29 avril 2010 entre la société Euris et un représentant du laboratoire La Roche-Posay que c’est bien l’absence d’accès au fichier OneKey qui a justifié que ce laboratoire étudie l’offre de Cegedim. En effet, le représentant de la société La Roche-Posay a indiqué « (…) Malgré notre satisfaction globale sur le CRM /NetReps, nous avons des problèmes d’exhaustivité et de mises à jour du fichier médecins. Euris ne pouvant pas nous fournir OneKey nous avons décidé d’étudier l’offre de CRM de Cegedim-Dendrite qui intègre l’offre OneKey.». À ce sujet aucun élément du dossier ne permet d’affirmer comme le fait la société requérante que la majorité des laboratoires auraient expliqué s’être détournés du logiciel de la société Euris en raison de ses insuffisances et la seule utilisation du terme « systématiquement » dans la décision ne saurait suffire à établir cette preuve.

Par ailleurs, c’est à juste titre que l’Autorité de la concurrence a examiné les effets de la pratique durant les années où elles se sont déroulées et il importe peu à ce sujet que la société Euris n’ait pas déposé ses comptes de 2011 à 2013, alors même qu’il n’est pas contesté qu’elle a transmis les comptes utiles à la décision à l’Autorité de la concurrence dans le cadre de l’instruction du dossier. Il est de plus inopérant que la dégradation de l’activité export soit importante de 2009 à 2010, dès lors, qu’ainsi que le fait observer l’Autorité, le chiffre d’affaire réalisé en France est lui même en recul de moitié entre 2009 et 2012 et que, de plus, les activités des deux sociétés dépassent largement les frontières nationales. Enfin, il est indifférent à ce stade que la société Euris ait déclaré à l’Autorité un chiffre d’affaires pour 2008 qui diffère d’environ 400 000 euros de celui indiqué dans des conclusions déposées en 2013 devant la cour d’appel de Versailles.

La société Cegedim soutient encore que l’Autorité de la concurrence n’a pas rapporté la preuve de la durée de la pratique et ajoute qu’elle aurait dû interroger les clients potentiels de la société Euris sur le point de savoir s’ils avaient fait l’objet d’un refus de vente de sa part, au lieu de retenir qu’il lui incombait d’apporter des éléments concrets démontrant qu’elle avait cessé la pratique en cause.

Il résulte cependant des développements qui précèdent qu’il est établi que la société Cegedim a opposé aux clients actuels et potentiels de la société Euris un refus de leur donner accès à la base OneKey. Par ailleurs, la décision précise aux paragraphes 254 et suivants, sans être démentie sur ce point, que le président de la société Cegedim a déclaré, lors de la séance devant l’Autorité, qu’il avait donné des consignes pour faire cesser la pratique en cause dès qu’il avait eu connaissance de l’illicéité de celle-ci, en situant ce moment « aux alentours de la saisine de l’Autorité par Euris » soit le 25 novembre 2008. Cependant, cette datation est démentie par l’ensemble des éléments relevés par la décision au paragraphe 257 et par la déclaration formulée lors de la séance d’examen de la demande de mesures conservatoires, le 19 mai 2009, transcrite dans la décision n° 09-D-29, au cours de laquelle le représentant de la société Cegedim a indiqué qu'« (…) elle interdirait à Euris l’accès à OneKey à laquelle PharBase a été totalement intégrée depuis avril 2009, tant que la procédure en contrefaçon engagée à son encontre serait pendante ». C’est en conséquence par une juste motivation que la cour adopte pour le surplus, que l’Autorité de la concurrence a considéré il n’était pas démontré que la pratique avait cessé avant la notification des griefs et qu’elle avait donc duré pendant 5 ans et 8 mois.

Sur le caractère légitime de la pratique

La société Cegedim fait valoir que le refus d’accès à sa base de données s’est produit dans un contexte particulier puisqu’elle soupçonnait la société Euris de contrefaçon, ce qui l’a conduite à diligenter une action judiciaire pour défendre ses droits de propriété intellectuelle, qui étaient menacés. Elle oppose que son seul et unique refus était proportionné à la défense de ses droits et qu’il n’avait pas pour objet de renforcer une éventuelle position dominante par des moyens contraires à l’exercice d’une concurrence par les mérites.

Il est toutefois affirmé par une jurisprudence constante, rappelée par l’Autorité de la concurrence dans sa décision (paragraphe n° 225), que la mise en 'uvre d’une pratique anticoncurrentielle ne peut être légitimée par un comportement illicite d’un opérateur, contre lequel existent des voies de droit appropriées. En l’occurrence, les soupçons de la société Cegedim sur d’éventuelles pratiques de contrefaçon ne pouvaient la conduire qu’à introduire les actions judiciaires prévues pour la protection de ses droits, ce qu’elle a d’ailleurs fait, mais ne l’autorisaient pas à la mise en 'uvre des pratiques discriminatoires, alors même qu’elle se trouvait en position dominante sur le marché des bases de données d’informations médicales. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, elle ne s’est pas limitée à la défense légitime de ses droits et la pratique de refus qu’elle a mise en 'uvre a bien eu pour effet l’exploitation abusive de sa position dominante.

Enfin, ainsi qu’il a été retenu précédemment, il est établi que le refus opposé à l’association Santélys, ne constitue pas la seule mise en 'uvre de la pratique en cause, mais qu’il s’est inscrit dans le cadre d’une politique de refus de permettre aux clients de la société Euris d’accéder à la base Onekey. Dès lors, le moyen par lequel la société Cegedim critique la décision pour avoir sanctionné « le seul refus démontré » et mis en 'uvre auprès d’une entreprise n’intervenant pas sur le marché pertinent, n’est en conséquence pas opérant.

Sur la vente liée reprochée par la société Euris

La société Euris fait grief à la décision attaquée de ne pas avoir reconnu comme étant établie la pratique de vente liée dont elle a saisi l’Autorité. Elle soutient que la société Cegedim cherche à l’évincer du marché des logiciels CRM dans le secteur d’activité de l’industrie de la santé, en subordonnant l’accès à la base de données OneKey, produit «'phare'» et incontournable du marché des bases de données d’informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, à l’emploi de ses propres logiciels CRM, à savoir Teams et désormais Mobile Intelligence. Elle indique que la société Cegedim irait jusqu’à proposer la gratuité de son logiciel CRM Teams à ses clients OneKey';

Elle ne produit cependant aucun élément qui démontrerait que la société Cegedim imposerait à ses clients la vente liée de la base OneKey au logiciel qu’elle propose sur le marché. Sur ce point la cour renvoie et adopte les motifs pertinent de la décision (paragraphe 266) se référant aux éléments chiffrés et aux contrats recueillis dans le cadre de l’instruction. Par ailleurs, la société Euris ne rapporte aucun élément qui conduirait à contredire l’analyse de l’Autorité (Paragraphe 268 et s.) concernant les ventes groupées mixtes et l’absence de preuve d’octroi de remises qui fausseraient le jeu de la concurrence loyale par les mérites. Sur ce point, la cour relève en outre que le fait qu’un responsable d’entreprise ait été «(…) encouragé à prendre le fichier et en escomptant une offre sur le logiciel de CRM Teams» ne permet pas de rapporter à lui seul la pratique de remises anticoncurrentielles dénoncées par la société Euris. Il en est de même du simple fait que 56 % des clients achètent les deux produits ensemble et que parmi ceux-ci se trouvent les laboratoires les plus importants.

Enfin, la précision dans un contrat vierge, non daté, selon laquelle la société Cegedim s’engagerait à fournir à son client « une prestation globale et indivisible dénommée prestation de traitement Teams de traitement informatique des visites médicales rendue à partir des bases de données appartenant et gérées par le prestataire (…) » ne démontre nullement que la société Cegedim ait rendu obligatoire cette prestation globale, alors même que les pièces du dossier rappelées dans la décision permettent d’établir que la base de données et les logiciels étaient vendus séparément.

La demande de réformation de la décision soutenue sur ce point par la société Euris doit en conséquence être rejetée.

Sur la sanction

La société Cegedim reproche à l’Autorité de la concurrence d’avoir retenu pour assiette de la sanction le montant de la valeur des ventes réalisées par elle sur le marché des logiciels CRM dans le secteur de la santé, alors qu’elle avait indiqué qu’elle ne pouvait délimiter ce marché de façon exacte. Elle estime que, dans ces conditions, la valeur des ventes retenue pour le calcul de la sanction apparaît comme étant parfaitement arbitraire.

Il ressort néanmoins de la motivation de la décision critiquée par la requérante que si l’Autorité a précisé que le marché des logiciels CRM dans le secteur de la santé ne pouvait être délimité de façon exacte afin d’apprécier une éventuelle position dominante de la société Cegedim, il n’en demeure pas moins que la valeur des ventes de logiciels CRM spécifiques au secteur de la santé réalisées par celle-ci puisse être identifiée sans incertitude. La cour relève sur ce point que le montant retenu par l’Autorité est celui communiqué par la société requérante qui n’apporte aucun élément permettant de remettre en cause ni le périmètre de l’activité dont le montant des ventes a été retenu, ni le bien fondé de la somme qu’elle conteste.

La société Cegedim conteste aussi que la pratique qui lui est reprochée ait pu influer sur la structure du marché et causer un dommage à l’économie.

Elle invoque à cet égard de façon inopérante la situation de deux opérateurs qui n’ont pas été satisfaits du produit en cause et soutient, sans que le dossier ne comporte d’élément probant sur ce point, que les sociétés Vygon et La Roche-Posay, qui ont poursuivi leur activité avec le logiciel NetReps d’Euris n’ont jamais souhaité « avoir » la base OneKey. Enfin, elle soutient que les nouveaux clients de la société Euris n’ont pas eu à faire d’arbitrage, puisque pour ceux qui en ont fait le choix, ils ont pu utiliser les solutions logicielles de celle-ci avec la base OneKey.

Il n’est toutefois, ainsi qu’il a déjà été précisé dans les développements qui précèdent, pas démontré que les contrats conclus par la société Cegedim avec les sociétés Bailleul Biorga, Besins Healthcare, H et X, l’ont été parallèlement à des engagements de ces sociétés avec la société Euris, ni que les devis adressés aux sociétés Théa et Mayoly Spindler leur aient été envoyés alors que celles-ci étaient clientes de cette dernière. Si, par ailleurs, l’activité de la société Euris a pu être maintenue, la baisse importante de son chiffre d’affaires entre le début des pratiques en 2008 et 2012, soit, selon les données retenues par la décision, de plus de 70 %, la chute du nombre de ses collaborateurs passés de 24 à 6 et la nécessité de recourir à une procédure collective de sauvegarde, montrent que l’acteur émergeant et dynamique qu’elle était sur le marché avec une croissance de 35 % par an, a été considérablement amoindri et affaibli.

La société Cegedim n’est pas non plus fondée à invoquer la baisse des exportations de la société plaignante, dès lors qu’ainsi qu’il a déjà été relevé, la diminution des exportations en 2009 et 2010 était moindre que la diminution du chiffre d’affaires réalisé sur le territoire national, la question étant ici d’apprécier la mesure du dommage à l’économie et non celle du préjudice de la société Euris.

En outre, la situation dans laquelle s’est trouvée la société Euris sur le marché du fait des pratiques relevées, ainsi qu’il vient d’être dit, ne pouvait lui permettre de réagir à l’arrivée de la société Veeva, qui ne peut, dès lors, être considérée comme étant une cause des difficultés rencontrées à partir de 2008. En tout état de cause, la société Cegedim n’apporte aucun élément qui permettrait d’apprécier la part de cette entrée sur le marché d’un nouveau concurrent dans l’affaiblissement de la société Euris.

C’est en conséquence par une juste motivation que la cour adopte pour le surplus, et sans que les moyens développés par la société Cegedim ne justifient une appréciation différente du dommage causé à l’économie, que l’Autorité a appliqué un coefficient de 4 % au titre du dit dommage, à l’assiette de la valeur des ventes.

Enfin, l’absence de référence à une pratique discriminatoire dans la saisine de l’Autorité de la concurrence par la société Euris est sans portée sur la date du début des pratiques, fixée par la décision à la date à laquelle la société Cegedim a introduit son action en contrefaçon. C’est aussi par une exacte appréciation qu’elle a retenu la date de la notification de griefs comme étant celle de leur arrêt, compte tenu des déclarations en séance du dirigeant de la société qui avait indiqué qu’elles avaient cessé lorsqu’il avait appris leur caractère illicite. Ainsi qu’il a été retenu dans les motifs qui précèdent, la société Cegedim n’a pas rapporté la preuve de ce qu’elle avait conclu des contrats relatifs à la fourniture de la base OneKey avec des entreprises qui étaient clientes de la société Euris. C’est donc à juste titre que l’Autorité de la concurrence a, par une motivation que la cour adopte pour le surplus, retenu que les pratiques avaient duré cinq ans et huit mois.

Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, la décision attaquée doit être confirmée et le recours de la société Cegedim doit être rejeté. En conséquence, il n’y a pas lieu d’accueillir sa demande de remboursement des frais exposés au titre des publications ordonnées par l’Autorité, ainsi que sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Bien que son recours incident soit pour partie irrecevable et pour l’autre rejeté, il n’en demeure pas moins que la société Euris victime de la pratique mise en 'uvre par la société Cegedim s’est trouvée dans l’obligation de défendre la décision de l’Autorité de la concurrence dans le cadre du présent recours. Il serait en conséquence inéquitable de laisser à sa charge l’intégralité des frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager à ce sujet et la société Cegedim sera condamnée à lui verser la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

DIT IRRECEVABLE le recours formé par la société Euris, d’une part, en ce qu’il demande d’infirmer la décision de l’Autorité pour ce qu’elle a retenu que la base de données OneKey ne constitue pas une infrastructure essentielle, d’autre part, en ce qu’il demande qu’il soit enjoint à la société Cegedim de permettre à la société Euris l’accès à l’infrastructure essentielle ;

REJETTE le recours de la société Cegedim et l’ensemble de ses demandes ;

REJETTE les demandes incidentes de la société Euris de réformation de la décision en ce qu’elle a rejeté l’existence des ventes liées entre la base de données OneKey et la solution logicielle Teams de la société Cegedim et qu’il soit enjoint à celle-ci de ne plus procéder à des ventes liées ;

CONDAMNE la société Cegedim à verser à la société Euris la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Cegedim aux dépens du présent recours.

LE GREFFIER,

I J-K

LA PRÉSIDENTE,

C D- AMSELLEM

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, 24 septembre 2015