Cour d'appel de Paris, Pôle 1 chambre 2, 28 février 2019, n° 18/19810

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 ch. 2, 28 févr. 2019, n° 18/19810
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/19810
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Sens, 18 juillet 2018, N° 2018R00008
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 octobre 2022
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Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 28 FEVRIER 2019

(n°133, 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/19810 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6I45

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Juillet 2018 -Président du Tribunal de Commerce de SENS – RG n° 2018R00008

APPELANTE

SAS ADEQUAT 223, représentée par son dirigeant en exercice, domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 2]

N° SIRET : 831 332 226

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée par Me Xavier VAHRAMIAN de la CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE LYON, avocat au barreau de LYON

INTIMEE

SAS TRIANGLE 35 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée par Me Christine LUSSAULT de la SELARL ODINOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0271

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 31 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

M. François ANCEL, Président

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par M. François ANCEL, Président, dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Véronique DELLELIS, Présidente et par Aymeric PINTIAU, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Triangle 35 exploite une agence de travail temporaire située [Adresse 5].

La Société Adequat 223 exploite une agence de travail temporaire située [Adresse 6].

Madame [B] [W] a été salariée de la société Triangle 35 et responsable de son agence d’intérim jusqu’au 21 septembre 2017, après avoir démissionné de ses fonctions.

Par courrier en date du 15 juin 2017, la société Triangle 35 a consenti à délier Mme [W] de son obligation de non concurrence.

Ayant constaté que Madame [B] [W], son ancienne salariée, avait été embauchée par la société Adequat 223 en décembre 2017, ainsi qu’une baisse de son chiffre d’affaires entre le mois de novembre 2017 et le mois de janvier 2018, et soupçonnant des agissements de concurrence déloyale, la société Triangle 35 a sollicité, par requête du 5 mars 2018, du président du tribunal de commerce de Sens, une mesure d’instruction fondée sur l’article 145 du code de procédure civile afin d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige.

Par ordonnance du 12 mars 2018, le président du tribunal de commerce de Sens a commis un huissier de justice afin notamment de se rendre à l’agence Adéquat située [Adresse 6] et se faire remettre les fichiers des clients et intérimaires, les données commerciales et les descriptifs des actions commerciales en cours, le registre d’entrée et de sortie du personnel permanent et temporaire et à en prendre copie par tous moyens.

Les opérations de constat se sont déroulées le 9 avril 2018, date à laquelle l’huissier de justice a dressé son procès-verbal.

Statuant sur la demande de la société Adequat 223, le président du tribunal de commerce de Sens a, par ordonnance du 19 juillet 2018, refusé de rétracter cette mesure d’instruction estimant qu’il existait un motif légitime fondant la mesure d’instruction sollicitée par la société Triangle 35.

Par déclaration en date du 7 août 2018, la société Adequat 223 a fait appel de cette ordonnance. Il est reproché à l’ordonnance attaquée d’avoir débouté la société Adequat 223 de l’ensemble de ses demandes et plus largement sont contestées toutes les dispositions visées au dispositif faisant grief à l’appelant.

Au terme de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 janvier 2019, la société Adequat 223 demande à la cour, sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile et l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, de réformer la décision entreprise et statuant à nouveau :

— dire et juger que la société Triangle 35 ne justifie d’aucun motif légitime et notamment de circonstances justifiant le recours à une procédure non contradictoire ;

— dire et juger que la mission confiée à l’huissier constitue une mesure d’investigation générale ;

— dire et juger qu’elle ne connaît pas le détail des fichiers copiés, ce qui constitue un vice irréversible de la procédure sur requête ;

— dire et juger que la mission confiée à l’huissier porte atteinte à son secret des affaires de manière disproportionnée et sur des éléments sans aucun lien avec les faits reprochés par Triangle 35 dans sa requête ;

En conséquence :

— rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 22 mars 2018 au bénéfice de la société Triangle 35, l’autorisant à réaliser une mesure de constat dans ses locaux par la SCP [G] et [S], huissiers de justice, daté du 9 avril 2018 ;

— annuler le procès-verbal de constat établi par la SCP [G] et [S], Huissiers de Justice, daté du 9 avril 2018,

— ordonner à la SCP [G] et [S] la restitution à la société Adequat 223 de l’ensemble des données et documents copiés et saisis au cours des opérations de constat du 9 avril 2018 sous un délai de 8 jours à compter de l’ordonnance à intervenir ;

— dire et juger que passé ce délai de 8 jours, la société Triangle 35 sera redevable envers elle d’une astreinte de 250 euros par jour de retard ;

— faire interdiction à la société Triangle 35 d’utiliser, à quelque fin que ce soit, le procès-verbal de constat d’huissier dressé en application de l’ordonnance sur requête, ainsi que l’un quelconque des documents obtenus dans le prolongement des opérations de saisie du 9 avril 2018, et ce, sous astreinte de 50 000 euros par infraction constatée ;

— se réserver la liquidation de l’astreinte ;

— rejeter les demandes indemnitaires de la société Triangle 35 ;

— condamner la société Triagle 35 à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la même en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Adequat 223 fait valoir en substance que :

— Aucune circonstance ne justifie le recours à une procédure non contradictoire étant observé que l’ordonnance ne comporte aucun motif sur ce point et que le premier juge s’est fondé sur des éléments postérieurs à la requête pour en justifier le bien fondé et n’a pas expliqué en quoi, dans le cadre de la requête, l’absence de recours à une procédure contradictoire était caractérisée.

— Le risque de disparition, modification ou dépérissement de preuves recherchés n’est pas un motif suffisant pour justifier l’atteinte au contradictoire et le juge saisi d’une demande de rétractation se prononce, au besoin d’office, sur la motivation de la requête ou de l’ordonnance justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s’opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.

— Le risque de dépérissement des preuves est non fondé dès lors que la société Adequat 223, comme toute société française employant des salariés, a l’obligation de tenir un registre du personnel portant mention de toutes les entrées et sorties des salariés ainsi que celui de tenir une comptabilité retraçant toutes les recettes et dépenses de la société et de conclure avec l’entreprise utilisatrice, un contrat de mise à disposition et avec le salarié intérimaire un contrat de mission de sorte que rien ne justifiait qu’il soit recouru à une procédure non contradictoire pour obtenir ces éléments, dont la communication pouvait parfaitement être sollicitée dans le cadre d’une procédure de référé.

— La mission confiée à l’huissier est illicite dès lors qu’il a été autorisé à appréhender toutes les données de la société Adequat 223, et ce, sans aucune limitation (aucun mot clé, aucune limitation du champ et temporelle), l’huissier ayant été autorisé à copier, sans aucune exception, ou limitation, toutes les données commerciales, les fichiers clients et intérimaires de la société Adequat 223, à charge pour celui-ci, ultérieurement, de rechercher, parmi les données copiées, celles susceptibles d’être en rapport avec le litige.

— La mission est illicite au regard de l’article 1er de l’Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice qui limite leur intervention à « des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter » dès lors qu’il a été demandé à l’huissier de justice de procéder à un travail d’analyse et de qualification en procédant sur la base des données appréhendées le 19 décembre 2017 au sein de l’agence de SENS de la société Triangle 35 par la SCP [X] et [A] [M], à toute comparaison et extraction de données se rapportant à ces fichiers et à ne faire état, dans ses constatations, des seules données et informations concernant lesdits Clients et Intérimaires.

— La mission porte une atteinte disproportionnée au secret des affaires au regard de sa généralité dans la mesure où l’huissier de justice disposait de la faculté d’accéder à tout document de la société Adequat 223, quel qu’en soit le support, la nature, l’objet ou encore la date, et d’en prendre copie étant ajouté que cette société est dans l’impossibilité de savoir avec exactitude les documents et données qui ont été copiés, en totale violation de devoir de loyauté présidant toute procédure judiciaire, même non contradictoire.

— La nullité du procès-verbal de constat établis par la SCP [G] et [S], Huissiers de Justice le 9 avril 2018 doit être prononcée pour toutes ces raisons et la restitution à la société Adequat 223 de l’ensemble des données et documents copiés et saisis au cours des opérations de constat du 9 avril 2018, sous un délai de 8 jours à compter de l’ordonnance à intervenir.

La société Triangle 35, par conclusions transmises par voie électronique le 2 novembre 2018, demande à la cour, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de :

— constater l’existence d’un motif légitime fondant la mesure d’instruction non contradictoire ordonnée ;

— constater que la mesure d’instruction figure parmi celles légalement admissibles au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;

— constater l’absence de toute atteinte au secret des affaires ;

En conséquence :

— confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance des référés rendue le 19 juillet 2018 et débouter en conséquence la société Adequat 223 de sa demande de rétractation ;

— débouter la société Adequat 223 de ses demandes d’annulation du procès-verbal de constat établi à la suite de l’ordonnance critiquée, de ses demandes de restitution des données appréhendées et de sa demande d’interdiction d’utiliser à quelque fin que ce soit ledit procès-verbal de constat d’huissier ;

— débouter la société Adequat 223 de sa demande d’indemnisation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Accueillant la société Triangle 35 en sa demande en ce sens et ajoutant à la décision déférée :

— condamner la société Adequat 223 à lui verser la somme de 12 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel ;

— la condamner aux entiers dépens.

La société Triangle 35 expose en substance que :

— le caractère nécessairement non contradictoire de la mesure est justifié par le contexte conflictuel entre les parties, la baisse significative du chiffre d’affaire de l’agence de Sens à cette période et le risque de déperdition de preuves dans un contexte de concurrence déloyale.

— la mesure d’instruction est parfaitement limitée dans son objet et ne porte pas atteinte au secret des affaires dès lors que les éléments susceptibles d’être recueillis étaient mentionnés limitativement et que l’huissier désigné a parfaitement respecté les termes de l’ordonnance.

— Ayant fait réaliser le 19 décembre 2017 au sein de son agence de Sens un constat par voie d’Huissier permettant de connaître à cette date l’état des clients de l’agence et du chiffre d’affaires réalisé, et les personnels intérimaires qu’elle avait en portefeuille, il a été demandé à l’huissier de faire une comparaison, et non une analyse, entre ces données et les mêmes éléments dont dispose l’agence de Sens nouvellement ouverte par le Groupe Adequat, à l’effet de vérifier si des clients ou des intérimaires qui lui sont attachés étaient devenus des clients ou des intérimaires de la société Adequat 223.

— Le constat d’huissier décline de manière extrêmement précise les données appréhendées et la société Adequat 223 avait parfaitement la faculté soit amiablement, soit au travers de la présente procédure, de demander la fourniture de la copie des éléments saisis.

SUR CE LA COUR

Sur le motif légitime et la nécessité d’une mesure non contradictoire ;

En application de l’article 875 du code de procédure civile, le président peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

Il ressort de ce texte que les mesures sollicitées ne peuvent être ordonnées par voie de requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement et que les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction doivent être caractérisées par la requête ou par l’ordonnance rendue sur celle-ci.

En l’espèce, il ressort des motifs de l’ordonnance attaquée que la demande en rétractation a été rejetée après avoir considéré que la dérogation au caractère contradictoire était justifiée par l’existence d’un conflit entre les parties, l’attitude de Mme [W] lors des opérations de constat et au motif qu’il aurait été 'évident que les preuves d’une éventuelle concurrence auraient disparues’ si une procédure contradictoire avait été engagée.

Cependant, d’une part, la seule existence d’un conflit entre des parties ne peut justifier le recours à une mesure non contradictoire. D’autre part, les conditions de déroulement des opérations d’instruction, postérieures à la présentation de la requête, ne sont pas opérantes pour justifier de la nécessité d’une mesure non contradictoire. Enfin l’affirmation du caractère évident d’une mesure non contradictoire pour éviter une disparition des preuves est également insuffisant.

Dès lors ces motifs sont insuffisants pour caractériser la nécessité de recourir à une mesure non contradictoire.

Cependant, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli .

Cette voie de contestation n’étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s’y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci .

Il doit ainsi apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire.

Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

En l’espèce, il convient de relever que si l’ordonnance rendue le 12 mars 2018 est muette sur les circonstances justifiant le recours à une mesure non contradictoire, cette ordonnance renvoie par un visa à la requête et les pièces présentées à son appui dont elle adopte ainsi les motifs.

Pour justifier une mesure d’instruction non contradictoire, la requête rappelle que Mme [W], une ancienne salariée de la société Triangle 35, qu’elle employait depuis 2003 et qui exerçait depuis février 2017 les fonctions de responsable d’une agence d’intérim, a démissionné en juin 2017 et a été embauchée moins de deux mois après la fin de son préavis par La société Adequat 223, laquelle exploite dans la même ville de Sens une agence d’intérim et avait accepté de la délier de sa clause de non concurrence croyant faussement qu’elle n’entendait pas exercer une activité similaire.

La requête précise en outre que la société Triangle 35 a constaté une baisse de son chiffre d’affaires entre le mois de novembre 2017 et le mois de janvier 2018 de 71,3 K euros à 54,7 K euros et rappelle qu’en matière de concurrence déloyale, les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction sont caractérisées 'lorsqu’il est certain que la mission confiée à l’huissier aura davantage de chance de succès si elle est exécutée si la partie adverse n’est pas avertie notamment parce qu’elle évite la destruction de documents ou la concertation de personnes entendues'.

Au regard de ces éléments circonstanciés énoncés dans la requête, la société Triangle 35 avait des raisons de soupçonner des agissements de concurrence déloyale et justifiait ainsi de la légitimité de sa demande et de la nécessité, pour établir la preuve des faits ainsi allégués, d’agir dans un premier temps de manière non contradictoire, notamment pour éviter un risque de dépérissement des preuves.

Sur le caractère illicite de la mission confiée à l’huissier de justice ;

Il est constant que la légitimité d’une mesure d’instruction ne suffit pas à caractériser sa licéité dès lors que l’article 145 du code de procédure civile n’autorise pas une mesure générale d’investigation portant sur l’ensemble de l’activité d’une société.

En l’espèce, il ressort de l’ordonnance rendue le 12 mars 2018 que l’huissier de justice était autorisé à se rendre dans l’agence du Groupe Adequat situé [Adresse 6], mais aussi dans 'tous locaux où pourraient être détenus les éléments commerciaux et comptables de celle-ci, et notamment le fichier clients, le fichier des intérimaires, le registre d’entrée et de sortie du personnel permament et temporaire'.

Il ressort ainsi du procès-verbal dressé le 9 avril 2018 que les documents suivants ont été copiés par l’huissier de justice :

— deux listes des noms des clients de l’agence entre le 1er décembre 2017 et le 9 avril 2018,

— deux listes des noms des intérimaires ayant été embauchés depuis le 1er décembre 2017,

— ces mêmes données à compter du 1er janvier 2017 ;

— la liste des sociétés avec lesquelles un accord cadre a été conclu avec le groupe Adequat,

— depuis un premier ordinateur présent sur les lieux les échanges de courriels depuis les adresses florence.chalard@groupeadequat.net et agence.sens2@groupeadequat.fr;

— les fichiers d’ordinateurs intitulés 'Annonces', 'CV', 'RH', 'PA', 'Clients’ ;

— depuis un autre ordinateur présents sur les lieux, les échanges de courriels depuis les adresses Jessica.nyamielidrissi@groupeadequat.net et agence.sens2@groupeadequat.fr ;

— la liste des clients et des heures facturées depuis le 1er décembre 2017.

Cependant, si l’étendue des documents susceptibles d’être remis à l’huissier de justice est effectivement large, l’ordonnance précise aussi que l’huissier procède, 'sur la base des données appréhendées le 19 décembre 2017 au sein de l’agence de sens de la société Triangle 35 par la SCP [X] et [A] [M], à toute comparaison et extraction de données se rapportant à ces fichiers'.

Ainsi, la mission de l’huissier de justice est bien cantonnée à l’extraction des seuls noms des clients et des intérimaires figurant dans les fichiers de la société Adequat 223 et qui sont aussi présents dans les fichiers de la société Triangle 35, tels que recueillis aux termes d’un procès-verbal de constat dressé le 19 décembre 2017 dans l’agence de cette dernière, l’huissier de justice étant en outre invité à oblitérer 'toutes mentions ou indications qui ne se rapporteraient pas à des clients ou des intérimaires identifiés Triangle 35 et ne faire état, dans ses constatations, des seules données et informations concernant lesdits clients et intérimaires'.

A cet égard, la société Triangle 35 n’est pas fondée à soutenir que l’extraction et la comparaison ainsi confiée à l’huissier de justice, qui pouvait être réalisée selon l’ordonnance de manière différée 'à l’aide d’outils d’investigations’ au choix de l’huissier, méconnaît les pouvoirs suscetpibles d’être confiés à un huissier de justice en application de l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, dès lors que cette mission ne conduit pas l’huissier de justice à procéder à une appréciation et une analyse au fond des documents copiés pour en apprécier la portée, mais seulement à constater la présence des mêmes noms de clients et d’intérimaires entre les fichiers récupérés dans l’agence de la société Adequat 223 et les fichiers de la société Triangle 35, ce qui, quand bien même des outils d’investigation sont utilisés pour faciliter ce travail de comparaison constituent toujours des constatations matérielles qui entrent bien dans la mission d’un huissier de justice.

Il convient en conséquence de rejeter ce moyen.

Sur l’atteinte disproportionnée au secret des affaires ;

Il convient de rappeler que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

En l’espèce, outre que l’existence d’un motif légitime résulte des circonstances du litige liées au contexte de concurrence déloyale allégué entre les deux parties, il ressort des éléments qui précédent que si l’huissier de justice a pu avoir communication de nombreux documents de la société Adequat 223, la mission qui lui a été confiée a été cantonnée à une comparaison entre le noms des clients et des intérimaires des deux parties selon une liste établie préalablement puisque résultant d’un constat d’huissier du 19 décembre 2017.

En outre, il ressort du procès verbal du 9 avril 2018 que celui-ci a été dressé avec les seuls éléments suivants : 'la base de données de la société Triangle 35 extraite pendant le constat de Maître [A] [M], huissier de justice à Sens, les listes des clients et intérimaires de l’agence Adequat fournies par Madame [W], les factures clients et relevées d’heures des intérimaires de l’agence Adequat'.

Au terme de ce travail de comparaison, sept clients communs ont été ainsi repérés et un travailleur intérimaire et sont mentionnés dans le procès-verbal étant observé qu’il est précisé que 'l’ensemble des listes intérimaires, clients, documents et boîtes mails récupérés pour les besoins de ce présent constat ne sont pas joints au présent constat pour des raisons de confidentialités évidentes. L’ensemble de ces données sont consignées en mon étude, sous scellés, pendant trois ans sauf indication contraires de la requèrante'.

Il ressort de ces éléments que seuls les éléments en relation avec les circonstances du litige entre les parties ont été consignés sur le procès-verbal de constat de sorte que la mesure d’instruction est proportionnée avec la nature des faits, la société Triangle 35 n’ayant pas eu accès aux fichiers et documents copiés qui sont restés entre les mains de l’huissier de justice.

Il convient à cet égard d’ordonner la restitution par l’huissier de justice à la société Adequat dans le délai de 8 jours à compter de la présente décision de l’ensemble des documents dont le maintien sous scellés n’a plus lieu d’être, les éléments pertinents ayant été repris dans le procès-verbal de l’huissier de justice.

Enfin, comme indiqué ci-dessus, les documents copiés par l’huissier sont expressément mentionnés dans le procès-verbal dressé le 9 avril 2018 de sorte que la société Adequat 223 ne peut donc exciper ne pas savoir, alors que ces mêmes documents qui n’ont été que copiés sont toujours entre ses mains, quels documents ont fait l’objet de la mesure d’instruction.

Au regard de l’ensemble de ces motifs, qui se substituent à ceux du premier juge, il convient de confirmer l’ordonnance du 19 juillet 2018.

Sur les frais et les dépens ;

Le sort des dépens et de l’indemnité de procédure a été exactement règlé par le tribunal de commerce.

A hauteur de cour, il y a lieu de condamner la société Adequat 223, partie perdante, aux dépens.

En outre, elle doit être condamnée à verser à la société Triangle 35, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 8 000 euros

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance du 19 juillet 2018 ;

Ordonne la restitution à la société Adequat 223 de l’ensemble des fichiers visés dans le procès-verbal du 9 avril 2018 et placés sous scellés par l’huissier de justice ;

Condamne la société Adequat 223 à payer à la société Triangle 35 la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Adequat 223 aux dépens.

Le greffier, Le président,

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