Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 3 décembre 2021, n° 21/05841

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 8, 3 déc. 2021, n° 21/05841
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/05841
Décision précédente : Tribunal de commerce de Créteil, 9 mars 2021, N° 21/00020
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 03 DECEMBRE 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05841 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDMDL

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de CRETEIL – RG n° 21/00020

APPELANTES

S.A.S. CARREFOUR FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[…]

[…]

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[…]

[…]

[…]

S.A.S. CSF agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[…]

[…]

Représentées par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistées par Me Thibaud D’ALES du cabinet CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP, substituant Me Diego DE LAMMERVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : H112

INTIMEE

S.N.C. LIDL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Jean-Louis FOURGOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P69

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 octobre 2021, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président chargée du rapport et Rachel LE COTTY, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Florence LAGEMI, Président,

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier présent lors de la mise à disposition.

Les sociétés CSF, Carrefour France et Carrefour Hypermarchés (ci-après les sociétés Carrefour) ont lancé, le 1er janvier 2020, une campagne publicitaire dite 'prix imbattable' concernant une liste déterminée de 500 produits 'de grande marque', garantissant les prix les plus bas tout au long de l’année et proposant au consommateur un remboursement de deux fois la différence si le produit est vendu moins cher par un concurrent.

Par courrier du 9 novembre 2020, la société Lidl a mis en demeure les sociétés Carrefour de justifier la véracité de l’allégation 'prix imbattable’ et la méthodologie utilisée pour retenir un tel slogan sur l’ensemble de l’année.

Soutenant que cette campagne publicitaire s’analyse en une publicité comparative constitutive d’une pratique commerciale trompeuse, contraire aux dispositions du code de la consommation, la société Lidl a, par acte du 8 décembre 2020, fait assigner les sociétés Carrefour, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Créteil, aux fins, notamment, d’obtenir, sous astreinte, la communication de la liste des magasins franchisés ayant participé à l’opération 'prix imbattable garanti toute l’année', un échantillon des supports mentionnant cette opération, le nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits identifiés sur le territoire national métropolitain ou auprès des enseignes Carrefour entre le 1er janvier et le 30 octobre 2020 avec le ratio entre les unités vendues et les demandes de remboursement, le plan média depuis l’origine de la campagne promotionnelle, la liste des clients ayant obtenu un remboursement et de ceux ayant vu leur demande rejetée depuis janvier 2020, une version exploitable des relevés de prix et de la méthodologie utilisée fondant l’assertion de 'prix

imbattable’ et le processus pour garantir ce dispositif auprès des franchisés.

Par ordonnance du 10 mars 2021, ce magistrat a :

• ordonné aux sociétés CSF, Carrefour France et Carrefour Hypermarchés de communiquer à la société Lidl dans les 14 jours de la signification de la décision :

• la liste des magasins sous enseigne Carrefour dont les magasins franchisés ayant participé à l’opération « prix imbattable » depuis le 1er janvier 2020 ; l’historique d’affichage des bandeaux et mentions « prix imbattable » sur le site carrefour.fr,

un échantillonnage complet mensuel des fichiers, documents, flyers, catalogues et prospectus mentionnant l’opération «prix imbattable», «500 produits de grandes marques», «prix le plus bas garanti toute l’année», «2 fois la différence» depuis le 1er janvier 2020, à raison d’un exemplaire de catalogue ou prospectus, bandeau, insertion sur tous supports par mois et complété par une liste complémentaire exhaustive de l’intégralité des opérations recourant à l’utilisation de la mention 'prix imbattable’ depuis le 1er janvier 2020,

le plan média, y compris presse, TV radio, et hors média depuis le 1er janvier 2020 jusqu’à la date de l’ordonnance,

les modalités des relevés effectués pour vérifier la garantie « prix imbattable », de la méthodologie exhaustive utilisée pour pouvoir affirmer que les prix seraient imbattables toute l’année,

le processus mis en place pour garantir l’application du dispositif « prix imbattable » chez les franchisés ;

• dit qu’à compter 15ème jour suivant la 'décision’ de l’ordonnance, les sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF seront condamnées à une astreinte de 2.500,00 euros par jour, jusqu’à communication entière et totale des documents et ce pendant une période de 3 mois à l’issue de laquelle, le cas échéant, il sera fait à nouveau droit ;

• s’est réservé la faculté de liquider l’astreinte conformément aux dispositions de l’article L.131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;

• dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leur demande formée de ce chef ;

• rejeté toutes autres demandes ;

• mis les dépens solidairement à la charge des parties défenderesses.

Par déclaration du 25 mars 2021, les sociétés Carrefour ont relevé appel de cette ordonnance.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 12 octobre 2021, elles demandent à la cour de :

• infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a débouté la société Lidl de ses demandes relatives à la campagne publicitaire menée par le magasin sous enseigne Carrefour de Digne-les-Bains, à la communication d’une version exploitable des relevés de prix, au plan média, « depuis l’origine de la campagne promotionnelle » ; au nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits identifiés, du ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement et du nombre de clients qui sont parvenus à se faire remettre deux fois la différence de l’écart de prix, dont la confirmation est demandée ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

• juger que la campagne publicitaire « Prix imbattable » ne constitue pas une publicité comparative ;

• juger que la demande de mesures d’instruction de la société Lidl ne repose sur aucun motif légitime, et subsidiairement, est illégitime, mal fondée et porte sur des informations protégées au titre du secret des affaires ;

• En conséquence, débouter la société Lidl de l’ensemble de ses prétentions ;

A titre subsidiaire,

• juger que l’astreinte ordonnée est mal fondée et, à titre infiniment subsidiaire, qu’elle doit débuter à compter du 15ème jour à compter de la signification de l’ordonnance et non de la décision ;

En tout état de cause,

• condamner la société Lidl à leur payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

• condamner la société Lidl aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 8 octobre 2021, la société Lidl demande à la cour de :

• déclarer mal fondé l’appel formé par les sociétés Carrefour ;

En conséquence,

• confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle leur a enjoint d’avoir à communiquer dans les 14 jours de la signification de l’ordonnance à intervenir :

la liste des magasins sous enseigne carrefour dont les magasins franchisés ayant participé à l’opération « prix imbattable » depuis le 1er janvier 2020 ; l’historique d’affichage des bandeaux et mentions « prix imbattables » sur le site carrefour.fr;

un échantillonnage complet mensuel des fichiers, documents, flyers, catalogues et prospectus mentionnant l’opération « prix imbattable », « 500 produits de grandes marques », « prix le plus bas garanti toute l’année », « 2 fois la différence » depuis le 1er janvier 2020, à raison d’un exemplaire de catalogue ou prospectus, bandeau, insertion sur tous supports par mois et complété par une liste complémentaire exhaustive de l’intégralité des opérations recourant à l’utilisation de la mention prix imbattable depuis le 1er janvier 2020 ;

le plan média, y compris presse, TV, radio, et hors média depuis le 1er janvier 2020 jusqu’à la date de l’ordonnance ; les modalités des relevés effectués pour vérifier la garantie « prix imbattable », de la méthodologie exhaustive utilisée pour pouvoir affirmer que les prix seraient imbattables toute l’année,

le processus mis en place pour garantir l’application du dispositif « prix imbattables » chez les franchisés » ;

• confirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a assorti l’injonction d’une astreinte de 2.500 euros par jour de retard et pour chaque infraction constatée à compter du 15ème jour suivant la décision à intervenir et ce pendant une période de 3 mois à l’issue de laquelle le cas échéant, il sera de nouveau fait droit ;

• la déclarer bien fondée dans son appel incident ;

En conséquence,

• infirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande tendant à voir ordonner sous astreinte la communication des éléments suivants :

• le nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits identifiés sur le territoire national métropolitain ou auprès des enseignes Carrefour ayant participé à l’opération entre le 1er janvier 2020 et le 30 octobre 2020 ainsi que le ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement ;

une liste du nombre de clients qui sont parvenus à se faire remettre deux fois la différence de l’écart du prix des « 500 produits de grandes marques » entre les points de vente sous enseigne Carrefour et ceux de ses concurrents depuis le 1er janvier 2020 ainsi que ceux qui ont vu leurs demandes rejetées ;

une version exploitable des relevés de prix, pour vérifier la garantie « prix imbattable », de la méthodologie exhaustive utilisée pour pouvoir affirmer que les prix seraient imbattables toute l’année ainsi que l’ensemble des documents relatifs à l’opération « prix imbattable » concernant l’hypermarché carrefour de Digne-les-bains ;

• infirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de condamnation in solidum des parties défenderesses à lui payer 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

• ordonner sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour de la signification de la décision, aux sociétés CSF, Carrefour France et Carrefour Hypermarchés, de communiquer les éléments suivants :

• le nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits identifiés sur le territoire national métropolitain ou auprès des enseignes Carrefour ayant participé à l’opération entre le 1er janvier 2020 et le 30 octobre 2020 ainsi que le ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement ;

une liste du nombre de clients qui sont parvenus à se faire remettre deux fois la différence de l’écart du prix des « 500 produits de grandes marques » entre les points de vente sous enseigne Carrefour et ceux de ses concurrents depuis le 1er janvier 2020 ainsi que ceux qui ont vu leurs demandes rejetées ;

une version exploitable des relevés de prix, pour vérifier la garantie « prix imbattable », de la méthodologie exhaustive utilisée pour pouvoir affirmer que les prix seraient imbattables toute l’année ainsi que l’ensemble des documents relatifs à l’opération « prix imbattable » concernant l’hypermarché Carrefour de Digne-les-bains ;

En tout état de cause,

• débouter les sociétés Carrefour de l’ensemble de leurs demandes ;

• les condamner in solidum au paiement de la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 13 octobre 2021.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande de communication de pièces

Selon les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de ce texte suppose que soit constatée l’existence d’un procès 'en germe’ possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés par le défendeur, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que celle-ci ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui.

En l’espèce, il est soutenu par la société Lidl que la campagne publicitaire 'prix imbattable' des sociétés Carrefour, est de nature à constituer une publicité comparative illicite et une pratique commerciale trompeuse en ce qu’elle induit une comparaison entre les prix des produits qu’elles offrent à la vente et de ceux vendus par d’autres acteurs de la grande distribution. Elle prétend encore que l’engagement de garantie de 'prix imbattable' sur toute l’année n’est pas justifié au regard des relevés de prix qu’elle a fait effectuer et que les conditions de remboursement de 'deux fois la différence' sont particulièrement restrictives.

Pour leur part, les sociétés Carrefour font valoir que la campagne publicitaire litigieuse n’est pas une publicité comparative dont la qualification ne relève pas des pouvoirs de la juridiction des référés.

Elles soutiennent, en tout état de cause, que l’annonce portant sur une comparaison d’ordre général et s’analysant en un engagement unilatéral de leur part destiné à garantir au consommateur, toute l’année, sur une liste de 500 produits de grandes marques déterminés, le prix le plus bas en lui remboursant, le cas échéant, le double de la différence entre le prix qu’elles proposent et le prix d’un concurrent, ne rentre pas dans le champ d’application des dispositions de l’article L.122-1 du code de la consommation.

Elles contestent, en outre, toute pratique commerciale trompeuse dès lors que l’engagement de remboursement rend effectif le caractère 'imbattable’ du prix et ne relève pas de la réglementation applicable à la publicité comparative.

Selon l’article L. 122-1 du code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si :

1/ elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

2/ elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;

3/ elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services dont le prix peut faire partie.

En application de l’article L. 122-5 du même code, l’annonceur pour le compte duquel une publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l’exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité.

L’article L.121-1 de ce code énonce que les pratiques commerciales déloyales sont interdites et précise qu’une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l’égard d’un bien ou d’un service.

Enfin, est trompeuse au sens de l’article L. 121-2, une pratique commerciale commise, notamment,

lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant, entre autres, sur le prix ou le mode de calcul du prix, son caractère promotionnel et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service.

Il est constant que la campagne publicitaire lancée par les sociétés Carrefour, sur différents supports, vise à garantir, toute l’année, les prix les plus bas sur 500 produits de grandes marques et, dans l’hypothèse où le consommateur trouverait moins cher chez un de leur concurrent, à lui rembourser deux fois la différence de prix.

Cette campagne se traduit, notamment, par les slogans 'Prix imbattable', 'prix le plus bas garanti toute l’année', 'Et si vous trouvez moins cher ailleurs, on vous rembourse deux fois la différence' parus sur le site internet de Carrefour, les catalogues publicitaires, les affichages au sein des magasins, les réseaux sociaux et diffusés sur les espaces publicitaires des chaînes de télévision et par messages radiophoniques.

L’utilisation du slogan 'prix imbattable' ne caractérise pas en soi une publicité comparative trompeuse.

Toutefois, il est relevé que les produits concernés par la campagne publicitaire sont des produits 'de grandes marques' commercialisés par l’ensemble des concurrents des sociétés Carrefour, et notamment, la société Lidl, laquelle indique, sans être contestée, proposer à la vente 94 produits de grandes marques compris dans la liste de ceux concernés par la publicité litigieuse.

Ainsi, en n’ayant pas limité la campagne publicitaire aux seuls produits de leur marque distributeur, les sociétés Carrefour ont fait le choix de cibler des produits commercialisés par les principaux acteurs de la grande distribution et manifesté leur volonté de se démarquer de ceux-ci en proposant et garantissant des 'prix imbattables’ sur les mêmes produits.

Au surplus, les sociétés Carrefour ne contestent pas avoir diffusé, entre septembre et novembre 2020, le message radiophonique 'Ne cherchez pas , vous ne trouverez pas moins cher ailleurs', lequel est de nature à induire une nécessaire comparaison entre les prix des produits qu’elles proposent et de ceux vendus par leurs concurrents.

Le fait qu’aucun concurrent ne soit explicitement identifié dans cette campagne, ainsi que le soutiennent les appelantes, apparaît donc dépourvu de pertinence dès lors qu’au regard du sens des slogans utilisés, sont nécessairement visés les autres enseignes directement concurrentes des sociétés Carrefour, chez lesquelles le consommateur est d’ailleurs invité à comparer les prix pratiqués afin de pouvoir éventuellement bénéficier du remboursement 'de deux fois la différence' annoncé dans la campagne publicitaire.

Par ailleurs, la société Lidl justifie par six relevés de prix qu’elle a fait effectuer le 16 mars 2020 et entre le 22 juin et le 20 juillet 2020 par la société Optimix, dans 50 zones de chalandises définies par les sociétés Carrefour, que les produits commercialisés par ces dernières ne sont pas systématiquement proposés au prix le plus bas, certains étant à un prix comparable à ceux pratiqués par la société Lidl tandis que d’autres sont proposés à un prix supérieur.

Pour la période susvisée, et sur la liste des 94 produits issus de la liste 'prix imbattable' communs aux deux enseignes, le pourcentage de produits proposés par Carrefour à un prix plus élevé que ceux proposés par Lidl varie entre 28 % et 49 %.

Ces résultats ne sont donc pas en cohérence avec la garantie annoncée de 'prix le plus bas toute l’année' et apparaissent de nature à pouvoir remettre en cause la fiabilité des slogans susvisés, permettant ainsi à la société Lidl de justifier d’une présomption de pratique commerciale trompeuse.

La critique émise par les sociétés Carrefour portant sur la méthodologie retenue pour la réalisation des relevés de prix est inopérante dès lors que ceux-ci ne sont pas produits pour justifier des demandes dans le cadre d’une procédure au fond mais seulement pour étayer l’existence d’un motif légitime et demander, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction et ce d’autant que les relevés de prix produits par les appelantes (pièce 54) n’infirment pas les résultats de l’étude de la société Optimix.

Enfin, les contestations élevées par les sociétés Carrefour quant à la légalité de leur campagne publicitaire ne sont pas davantage de nature à faire échec à la demande de la société Lidl dès lors qu’il n’appartient pas à la présente juridiction, saisie sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de statuer sur le degré de sérieux des contestations, la cour rappelant que la présente action n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.

Au regard des éléments qui précèdent, les slogans publicitaires, qui induisent dans l’esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, que les sociétés Carrefour pratiquent, toute l’année, des prix plus bas que leurs concurrents sur 500 produits de grandes marques, suffisent à rendre plausible une violation par les appelantes des dispositions des textes susvisés et à démontrer l’intérêt de la société Lidl à solliciter la communication de pièces permettant de contrôler la véracité des slogans publicitaires et la loyauté de la campagne publicitaire, dans la perspective d’un litige futur éventuel, qui n’apparaît pas, à ce stade, manifestement voué à l’échec.

La mesure d’instruction destinée à améliorer la situation probatoire de la société Lidl, se doit de concilier le droit à la preuve, auquel prétend cette dernière avec le droit au secret des affaires, auquel prétendent les sociétés Carrefour, étant rappelé que la mesure doit être utile et pertinente pour l’éventuel futur procès.

La décision entreprise en ce qu’elle a ordonné la communication de :

• la liste des magasins sous enseigne Carrefour dont les magasins franchisés ayant participé à l’opération « prix imbattable » depuis le 1er janvier 2020, l’historique d’affichage des bandeaux et mentions « prix imbattable» sur le site carrefour.fr,

• un échantillonnage complet mensuel des fichiers, documents, flyers, catalogues et prospectus mentionnant l’opération «prix imbattable», «500 produits de grandes marques», «prix le plus bas garanti toute l’année», «2 fois la différence» depuis le 1er janvier 2020, à raison d’un exemplaire de catalogue ou prospectus, bandeau, insertion sur tous supports par mois et complété par une liste complémentaire exhaustive de l’intégralité des opérations recourant à l’utilisation de la mention prix imbattable depuis le 1er janvier 2020,

• le plan média, y compris presse, TV radio, et hors média depuis le 1er janvier 2020 jusqu’à la date de l’ordonnance,

• les modalités des relevés effectués pour vérifier la garantie « prix imbattable », la méthodologie exhaustive utilisée pour pouvoir affirmer que les prix seraient imbattables toute l’année,

• et le processus mis en place pour garantir l’application du dispositif « prix imbattable » chez les franchisés,

sera confirmée, les sociétés Carrefour ne démontrant pas que les informations susvisées seraient inutiles à la résolution d’un futur procès ni qu’elles porteraient une atteinte manifestement disproportionnée à leurs droits.

Ces pièces apparaissent en revanche pertinentes dès lors qu’elles sont de nature à justifier l’étendue de la campagne publicitaire, la véracité des slogans utilisés et le contrôle par les appelantes du respect par leurs franchisés de la campagne publicitaire qu’elles mettent en oeuvre.

Outre ces pièces dont la communication a été ordonnée par le premier juge, la société Lidl sollicite, dans le cadre de son appel incident, la communication de :

• l’ensemble des documents relatifs à l’opération 'prix imbattable’ concernant l’hypermarché de Digne-les-Bains,

• le nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits identifiés sur le territoire national métropolitain ou auprès des enseignes Carrefour ayant participé à l’opération entre le 1er janvier 2020 et le 30 octobre 2020 et le ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement,

• la liste du nombre de clients ayant obtenu le remboursement de deux fois la différence de l’écart du prix des '500 produits de grandes marques’ entre les points de vente Carrefour et ceux de ses concurrents depuis le 1er janvier 2020 ainsi que celle des clients ayant vu leur demande rejetée,

• une version exploitable des relevés de prix.

Sur les documents relatifs à l’hypermarché de Digne-les-Bains

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes et qu’a retenu le premier juge, la demande de la société Lidl apparaît de ce chef recevable en dépit de l’absence de mise en cause de la société Sodimodis exploitant l’hypermarché de Digne-les-Bains.

En effet, il résulte de l’application combinée des articles 10, 11 et 145 du code de procédure civile qu’il peut être ordonné à des tiers, sur requête ou en référé, de produire tous documents qu’ils détiennent, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige et si aucun empêchement légitime de s’oppose à cette production par le tiers détenteur.

Cependant, la société Lidl ne démontre pas l’utilité de la communication des pièces relatives à la mise en oeuvre par cet hypermarché de la publicité 'prix imbattable'.

S’il est en effet justifié par les photographies des affiches publicitaires de la société Sodimodis que celle-ci visait spécifiquement la société Lidl pour une offre de produit, il apparaît toutefois qu’il s’agit d’une initiative locale et isolée ainsi que le soutiennent les appelantes, sans être contestées sur ce point.

Ainsi, dès lors que la société Lidl n’est pas directement visée par la campagne publicitaire nationale 'prix imbattable', elle ne justifie d’aucun intérêt probatoire pour le procès futur qu’elle pourrait éventuellement engager contre les appelantes à obtenir des éléments de la campagne publicitaire menée par la société Sodimodis alors, au surplus, que les affiches litigieuses portent non pas sur le prix mais sur la disponibilité de quelques produits, censés faire défaut chez Lidl.

Cette dernière sera donc déboutée de ce chef de demande.

Sur la production du nombre d’unités vendues pour chacun des 500 produits figurant dans la liste des produits 'imbattables’ et du ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement

La société Lidl soutient que ces éléments permettront de constater l’étendue de la concurrence déloyale à laquelle se seraient livrées les sociétés Carrefour au détriment de leurs concurrents et de mettre en évidence l’impact de la campagne publicitaire sur le comportement économique des consommateurs. Elle considère que cette demande est proportionnée, limitée dans le temps et ne vise pas à obtenir le détail du chiffre d’affaires de chaque produit mais des indications agrégées qui ne violent pas le secret des affaires.

Les sociétés Carrefour prétendent en revanche, que cette demande porte sur une information confidentielle protégée au titre du secret des affaires et que sa communication porterait une atteinte disproportionnée à leurs droits.

Il est constant que l’information dont la communication est sollicitée est susceptible d’être couverte par le secret des affaires en ce qu’elle n’est pas connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité, qu’elle revêt une valeur commerciale certaine entre deux concurrents directs et qu’elle fait nécessairement l’objet de mesures de protection raisonnables, n’étant, par principe, pas diffusée, la cour relevant, au surplus, qu’elle n’a pas vocation à être isolée dans le chiffre d’affaires global réalisé et publié.

Toutefois, cet élément apparaît utile à la société Lidl pour déterminer l’étendue de son éventuel préjudice, étant rappelé que le secret des affaires ne fait pas obstacle à la communication d’une pièce utile à la solution du litige.

Il convient donc d’accueillir la demande de communication de la société Lidl, sauf à la limiter aux seuls 94 produits de grandes marques issus de la liste 'prix imbattable', communs aux enseignes Carrefour et Lidl, pour la période sollicitée, soit du 1er janvier au 30 octobre 2020, la communication des éléments portant sur l’ensemble des 500 produits apparaissant disproportionnée et inutile à la société intimée. Il sera également ordonné la communication du ratio entre le nombre d’unités vendues pour chacun de ces 94 produits et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement.

Sur la production des éléments relatifs aux demandes de remboursement

L’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de la société Lidl tendant à la communication d’une liste de clients ayant obtenu le remboursement de deux fois la différence de l’écart du prix des '500 produits de grandes marques’ entre les points de vente Carrefour et ceux de ses concurrents depuis le 1er janvier 2020 ainsi que des clients ayant vu leur demande rejetée.

En effet, la communication de ces éléments apparaît dépourvu d’intérêt dès lors que la société Lidl ne verse aux débats aucune pièce permettant de suspecter que les sociétés Carrefour ne respecteraient pas leur engagement de rembourser deux fois la différence de l’écart de prix des produits concernés par la campagne publicitaire.

Sur la production d’une version exploitable des relevés de prix

L’ordonnance entreprise sera également confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de la société Lidl de ce chef dès lors que cette dernière dispose de relevés de prix effectués par la société Optimix ainsi qu’il a été précédemment indiqué et qu’elle ne démontre pas l’utilité pour le futur procès de la production sollicitée.

Sur le prononcé de l’astreinte

Afin d’assurer l’effectivité de la communication des pièces, le premier juge a exactement assorti sa décision d’une astreinte de 2.500 euros par jour de retard.

Il sera toutefois relevé que dans le dispositif de la décision entreprise, il a été indiqué, tout comme dans les motifs, que cette astreinte sera due à compter du 15ème jour suivant 'la décision de la présente ordonnance'.

L’ordonnance sera donc infirmée de ce chef et il sera dit que l’astreinte sera due à compter du 15ème jour suivant la signification de l’ordonnance.

La communication ordonnée par la cour du nombre d’unités vendues pour chacun des 94 produits de grandes marques issus de la liste 'prix imbattables' communs aux enseignes Carrefour et Lidl et du ratio entre le nombre d’unités vendues de ces produits et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement, sera également assortie d’une astreinte du même montant ainsi qu’il sera précisé au dispositif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l’absence de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.

Succombant en l’essentiel de leurs prétentions, les sociétés Carrefour supporteront les dépens d’appel.

Aucune considération ne commande, au regard des circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a d’une part, assorti la communication de pièces d’une astreinte journalière de 2.500 euros à compter du 15ème jour suivant 'la décision de la présente ordonnance’ et, d’autre part, rejeté la demande de communication du nombre d’unités vendues et du ratio entre le nombre d’unités vendues et les demandes des consommateurs pour obtenir remboursement de deux fois la différence de l’écart de prix ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que l’astreinte de 2.500 euros par jour de retard prononcée par le premier juge sera due à compter du 15ème jour suivant la signification de l’ordonnance entreprise jusqu’à communication entière et totale des documents visés dans l’ordonnance et ce pendant une période de trois mois à l’issue de laquelle, le cas échéant, il pourra, à nouveau, être statué ;

Ordonne aux sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF de communiquer à la société Lidl, dans les 14 jours de la signification du présent arrêt, le nombre d’unités vendues pour chacun des 94 produits de grandes marques issus de la liste 'prix imbattable' communs aux enseignes Carrefour et Lidl, sur le territoire métropolitain, auprès des enseignes Carrefour ayant participé à l’opération 'prix imbattable', pour la période comprise entre le 1er janvier et le 30 octobre 2020 ;

Ordonne aux sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF de communiquer à la société Lidl, dans les 14 jours de la signification du présent arrêt, le ratio entre le nombre d’unités vendues pour chacun des 94 produits susvisés et les demandes des consommateurs pour obtenir un remboursement de deux fois l’éventuel écart de prix de ces mêmes produits proposés à la vente par les enseignes Carrefour et Lidl ;

Dit qu’à défaut de communication de ces éléments dans le délai susvisé, les sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF seront tenues à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt, au paiement d’une astreinte de 2.500 euros par jour de retard, laquelle sera due pendant une période de trois mois à l’issue de laquelle il pourra être statué à nouveau ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne les sociétés Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et CSF aux dépens d’appel ;

Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 8, 3 décembre 2021, n° 21/05841