Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 8 juin 2021, n° 19/00865

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Chronologie de l’affaire

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Conclusions du rapporteur public · 11 octobre 2023

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 8 juin 2021, n° 19/00865
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/00865
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 16 décembre 2018, N° 17/06217
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

Anciennement Pôle 2 – Chambre 1

ARRÊT DU 08 JUIN 2021

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00865 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7CUM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 décembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS
- RG n° 17/06217

APPELANT

Monsieur Z X

né le […] à […]

Domicilié au cabinet de Maître Slim BEN ACHOUR, avocat

[…]

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assisté de Me Slim BEN ACHOUR de la SELARLU CABINET SLIM BEN ACHOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : C1077

INTIMÉ

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

[…]

[…]

Représenté par Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141

Assisté de Me Laura GIOVANNONI de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS

En présence du DÉFENSEUR DES DROITS

Représenté et assisté de Me Nicolas DEMARD, avocat au barreau de Paris, toque : A997

LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE PARIS

[…]

[…]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 6 avril 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame d’Ardailhon Miramon, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente à la mise à disposition.

* * * * *

Le 1er mars 2017 vers 20 heures, M. Z X, âgé de 17 ans, de nationalité française et d’origine marocaine, M. D E F, âgé de 18 ans, de nationalité française et d’origine comorienne et M. B C, de nationalité française et d’origine malienne, également âgé de 18 ans ont fait l’objet d’un contrôle d’identité par les forces de l’ordre se trouvant dans l’enceinte de la gare du Nord, le premier alors qu’il descendait du train en provenance de Bruxelles et les deux autres alors qu’ils avaient avancé jusqu’au bout du quai.

Ils étaient, avec les 15 autres élèves de leur classe de terminale, accompagnés de leur professeur et d’un assistant pédagogique et de retour d’un voyage scolaire en vue de la découverte des institutions européennes. Ils ont tous trois été laissés libres de repartir dès leur carte d’identité vérifiées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2017, M. X et ses deux camarades ont demandé au ministère de l’intérieur de justifier sous huitaine des motifs du contrôle et n’ont pas eu de réponse.

Estimant avoir été victime d’un contrôle d’identité discriminatoire fondé sur ses origines, M. X a, comme les deux autres élèves, par acte du 13 avril 2017, assigné l’agent judiciaire de l’Etat et le ministre de l’intérieur devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 17 décembre 2018, le tribunal a':

— reçu le Défenseur des droits en son intervention volontaire,

— mis hors de cause le ministre de l’intérieur,

— rejeté les demandes,

— condamné M. X aux dépens.

Par déclaration du 11 janvier 2019, M. X a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 mars 2021, M. X demande à la cour de':

— infirmer le jugement dont appel,

— constater que l’Etat a commis une faute à son égard dès lors que le contrôle qu’il a subi présente un lien avec son origine et/ou son apparence physique et/ou son appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race,

en conséquence,

— condamner l’Etat à lui verser la somme de 30'000 euros en réparation de son préjudice moral,

— condamner l’Etat à lui verser la somme de 5'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner l’Etat aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel, distraits pour ces derniers, au profit de la SCP Regnier Bequet Moisan, avocats, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 2 avril 2021, l’agent judiciaire de l’État demande à la cour de':

— ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture du 2 mars 2021,

— déclarer recevables les présentes conclusions,

à titre principal':

— dire et juger M. X mal fondé en son appel et en toutes ses demandes, fins et conclusions,

— l’en débouter,

à titre subsidiaire,

— si par extraordinaire la cour retenait la responsabilité de l’Etat, réduire ses demandes à de plus justes proportions,

— condamner M. X à lui payer la somme de 1'500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens.

La Défenseure des droits a, comme le prévoit l’article 33 loi du 29 mars 2011, formulé à l’audience des observations conformes à ses observations écrites prises par décision du 9 mars 2021 reçue au greffe le 12 mars suivant.

L’avis du ministère public daté du 12 juin 2020, tend :

— à la confirmation en son principe du jugement,

— au rejet des demandes de l’appelant,

— à titre subsidiaire, à la réduction à de plus justes proportions des dommages et intérêts qui lui seraient dus.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 6 avril 202.

La révocation de la clôture et une nouvelle clôture de l’instruction ont été prononcées avant l’ouverture des débats puisque la Défenseure des droits a notifié sa décision du 9 mars 2021 dans laquelle elle présente ses observations et que l’agent judiciaire de l’Etat a souhaité y répondre par conclusions du 2 avril 2021, ses précédentes conclusions datant du 2 juillet 2019.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l’Etat

Sur la faute lourde

Le tribunal retient que':

— la faute lourde peut être constituée lorsqu’il est établi que le contrôle d’identité est réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, ce qui présente indéniablement un caractère discriminatoire,

— la Cour de cassation et le Conseil d’Etat procèdent comme la CEDH à un aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination en demandant à celui qui se prétend victime de discrimination de soumettre des éléments de fait susceptibles de faire présumer du sérieux de ses allégations et à l’Etat de démontrer l’absence de différence de traitement ou bien que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination,

— le contrôle ayant porté sur trois élèves de la classe, il convient de vérifier si le traitement des élèves a été différencié, sans justification raisonnable, alors qu’ils étaient placés dans des situations comparables,

— en l’espèce, au vu de la description de la classe, la discrimination ne peut pas être fondée sur l’appartenance raciale ou ethnique de M. X , réelle ou perçue, dès lors que tous les élèves de la classe sont décrits par la professeur comme étant d’origine étrangère,

— le contrôle effectué dans un objectif légitime de maintien de l’ordre, sans discrimination fondée sur l’origine, ne peut pas être considéré comme ayant été discriminatoire et il ne peut pas être reproché aux services de police de n’avoir contrôlé que trois élèves, dès lors qu’à la suite de la réquisition du procureur de la République, seuls des contrôles aléatoires pouvaient être effectués.

M. X soutient que':

— les juges de première instance ont méconnu le mécanisme de l’aménagement de la charge de la preuve attaché au droit de la non-discrimination en faisant semblant d’y avoir recours,

— les contrôles dits «'au faciès'» sont une réalité en France, attestée par des études statistiques et reconnue et dénoncée par des organisations internationales et inter-gouvernementales, mais aussi par des autorités étatiques,

— les 14 attestations qu’il produit relatant les circonstances du contrôle qu’il a subi, dont le motif discriminatoire a été immédiatement perçu par lui-même et par les témoins qui l’accompagnaient rapportent la preuve d’une présomption de discrimination,

— l’agent judiciaire de l’Etat ne rapporte aucun élément objectif étranger à toute discrimination,

— l’Etat est dans l’incapacité de rapporter les éléments matériels susceptibles d’appréhender les raisons du contrôle d’identité opéré,

— l’administration est responsable de la faute de l’agent qui a effectué un contrôle au faciès, laquelle est d’autant plus grave que la pratique est ancienne alors que des autorités policières émettent des doutes sur l’efficacité des contrôles dits de routine.

L’agent judiciaire de l’Etat répond que':

— les attestations versées aux débats ne présentent pas les garanties de conformité prévues à l’article 202 du code de procédure civile, dans la mesure où certaines ne sont pas datées, d’autres non signées et où elles proviennent de membres d’un même groupe scolaire, qui constitue une communauté d’intérêts,

— il ne peut être déduit de la lecture de ces attestations la preuve de la présomption de discrimination que l’appelant dénonce,

— les études et rapports généraux établis par des organisations internationales sur lesquels l’appelant fonde ses écritures ne sauraient constituer le faisceau d’indices suffisants pour démontrer l’existence d’une différence de traitement, alors que des statistiques seules, non corroborées par des témoignages faisant état d’une différence de traitement ne permettent pas d’établir la réalité d’un contrôle discriminatoire,

— le fait qu’une partie significative des garçons de la classe (3 sur 5) ait fait l’objet d’un contrôle ne saurait prouver la discrimination dont ils auraient fait l’objet, dès lors que le critère discriminatoire aurait dû conduire à contrôler également les autres garçons,

— les contrôles en cause répondaient à des critères objectifs, étrangers à toute discrimination,

— M. Z X a été contrôlé sur le quai d’arrivée du Thalys, dès sa sortie du train en provenance de Bruxelles, alors qu’il se tenait à l’écart du groupe scolaire.

La défenseure des droits insiste sur le principe de l’aménagement de la charge de la preuve tel qu’affirmé par la Cour de cassation dans ses arrêts du 9 novembre 2016 et sur la nécessité pour le juge d’appliquer les règles de preuve avec souplesse afin de garantir un recours effectif en cas de contrôle d’identité discriminatoire.

Elle observe que :

— si le juge décide au cas d’espèce de recourir à un panel de comparaison pour vérifier l’existence d’une discrimination, il doit comparer le traitement de l’appelant à celui d’une personne placée dans la même situation mais qui ne partage pas la même caractéristique protégée et le premier juge aurait dû choisir les autres personnes se trouvant sur le quai de la gare au moment des contrôles et non les élèves de la classe,

— les circonstances du contrôle, telles qu’elles ressortent des témoignages correspondent à la réalité documentée par des études sur les contrôles au faciès qui visent très largement les jeunes hommes noirs et d’origine maghrébine,

— en réponse à sa demande de communication des échanges radios réalisés au cours de l’intervention et de la liste des identités consultées auprès du fichier des personnes recherchées lors de la vacation des policiers, la préfecture de police a expliqué que l’établissement de cette liste était impossible, que les enregistrements radio n’étaient plus exploitables au delà de 62 jours, que les agents n’étaient pas équipés de caméras piéton et que la vidéo-protection de la gare SNCF n’était conservée que 72 heures,

— il n’a pas été donné suite à la réclamation de l’appelant faite dès le 21 mars 2017, ce qui interroge eu égard aux obligations procédurales qui pèsent sur les autorités en matière d’enquête effective et d’accès aux droits au regard de la Convention européenne des droits de l’homme lorsqu’elles sont saisies d’allégations de discrimination raciale,

— les explications données tant par le fonctionnaire de police que par le préfet de police pour justifier le contrôle illustrent la difficulté à objectiver les contrôles et apparaissent, en l’espèce, peu convaincantes alors que le contrôle a eu lieu sur le quai d’une gare, au moment de la descente de voyageurs d’un train international.

Le ministère public conclut à l’absence de faute lourde, dans la mesure où il résulte de l’analyse précise des attestations, qu’à la sortie du train, M. X se tenait a l’écart, sans être totalement éloigné du groupe d’élèves auquel il appartenait et qu’il échoue à rapporter la preuve d’une discrimination.

Le contrôle d’identité a été effectué, sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 6 du code de procédure pénale, dans le cadre de réquisitions écrites du procureur de la République de Paris en date du 21 février 2017 tendant à faire procéder, dans l’enceinte de la gare internationale de Paris Nord, incluant les zones Eurostar et Thalys, le 1er mars 2017 de 15 h à 21 h, à des contrôles d’identité avec inspections visuelles et fouilles de bagages, aux fins de rechercher des auteurs d’actes de terrorisme, d’infractions à la législation sur les armes, de vols, d’infraction à la législation sur les stupéfiants.

Dans ce cadre, les policiers peuvent effectuer des contrôles d’identité, indépendamment du comportement des individus visés.

A la faveur d’une question préjudicielle de constitutionnalité portant sur l’article 78-2 et l’article 78-2- 2 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 24 janvier 2017, a jugé que l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions peut justifier que soient engagées des procédures de contrôle d’identités et que s’il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en oeuvre dans ce cadre peuvent ne pas être en liés au comportement de la personne, la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d’aller et venir.

L’article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure dispose que :

Lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement motivant le contrôle.

Le contrôle d’identité se déroule sans qu’il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l’objet. La palpation de sécurité est exclusivement une mesure de sûreté. Elle ne revêt pas un caractère systématique. ('). Chaque fois que les circonstances le permettent, la palpation de sécurité est pratiquée à l’abri du regard du public.

La faute lourde résultant d’une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, doit être regardée comme constituée lorsqu’il est établi

qu’un contrôle d’identité présente un caractère discriminatoire et tel est le cas, notamment, d’un contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable.

Il appartient à celui qui s’en prétend victime d’apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination, et, le cas échéant, à l’administration de démontrer, soit l’absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. X produit de nombreuses études et informations statistiques qui attestent de la fréquence des contrôles d’identité effectués selon des motifs discriminatoires sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c’est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée.

En janvier 2017, le Défenseur des droits a publié une enquête confirmant une mise en oeuvre des contrôles visant essentiellement des jeunes hommes issus des minorités visibles et accréditant l’existence de contrôles au faciès.

Dans son rapport 2019 publié en juin 2020, l’Observatoire du Défenseur des droits a relevé que les personnes correspondant au profil de 'jeune homme perçu comme noir ou arabe’ font davantage l’objet de contrôles d’identité et témoignent également de relations plus dégradées avec les forces de l’ordre.

Une étude menée à Paris entre octobre 2007 et mai 2008 par des chercheurs du centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales, l’un des départements du CNRS à la demande de l’ONG américaine Open society justice initiative et intitulée 'Police et minorité visibles : les contrôles d’identité à Paris’ est, bien qu’un peu ancienne, particulièrement intéressante, au cas d’espèce, dans la mesure où elle a porté sur cinq lieux parisiens, la gare du Châtelet et plusieurs zones de la gare du Nord dont la zone de circulation des trains Thalys. Les enquêteurs ont observé, sans être vus des policiers, le rapport entre la population présente sur les lieux et celle contrôlée durant la même période, en prenant en considération des critères d’âge, de sexe, de couleur de peau et d’apparence vestimentaire. L’enquête a porté sur 37 833 personnes et sur l’ensemble des lieux étudiés 57,9 % des personnes observées étaient 'blanches', 23 % 'noires’ , 11,3 % 'arabes’ et 4,3 % ' asiatiques'.

Sur 525 contrôles dont les données ont été recueillies, 119 concernent la zone Thalys de la gare du Nord et il en est résulté que les Noirs étaient invariablement contrôlés dans des proportions plus élevées que les Blancs dans les cinq emplacements étudiés, la probabilité étant de 5,6 fois plus dans la zone Thalys et pour les Arabes de 5,5 fois plus.

Contrairement aux allégations de l’agent judiciaire de l’Etat, parmi les 13 attestations produites par l’appelant, une attestation n’est pas signée (pièce n°13), une n’est pas datée (pièce n°5) et une ne contient pas les mentions de l’article 441'7 du code pénal, les autres étant parfaitement conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile. En tout état de cause, ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité et il appartient au juge saisi d’apprécier si l’attestation non conforme aux dispositions de l’article précité présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction, ce qui est le cas, en l’espèce, s’agissant de déclarations spontanées de jeunes lycéens s’exprimant de manière non stéréotypée et formulées dans un laps de temps très proche du contrôle.

Ces attestations ne peuvent être critiquées comme provenant de personnes liées par une communauté d’intérêts ou présentant un lien de subordination au seul motif qu’elles sont toutes rédigées par les camarades de classe des intéressés et les membres de l’Education nationale les encadrant alors que ceux-ci ont été les témoins directs du contrôle d’identité contesté.

La professeur organisatrice du voyage scolaire a précisé que la classe était composée d’une large

majorité de filles, au nombre de 13 contre 5 garçons, âgés de 17 à 18 ans et que sur les 5 garçons, 3 étaient d’origine maghrébine, 1 d’origine malienne et 1 d’origine comorienne et sur les 13 filles, 6 étaient d’origine maghrébine, 1 d’origine haïtienne, 5 d’origine ' noire-africaine’ et 1 d’origine roumaine.

S’agissant du contrôle de M. X, dans son attestation, elle a indiqué que les élèves sont descendus petit à petit du train marchant les uns derrière les autres en direction du hall de la gare, que sortant la dernière du train, elle l’a vu se faire contrôler calmement par un policier lequel l’a laissé repartir après contrôle de son identité et que l’élève lui a dit qu’il était énervé car il venait de se faire contrôler à cause de ses origines.

Elle a précisé : 'une dame qui marche à côté de nous ajoute qu’elle est blanche, femme, qu’elle vient souvent à la gare du Nord mais qu’elle n’a jamais été contrôlée. Selon elle, c’est en effet du racisme'.

Les élèves présents ont été invités par leur professeur à rejoindre le reste du groupe et n’ont pas fait état d’un comportement particulier du policier.

S’agissant du contrôle des deux autres élèves, la professeur a ajouté :

'Au moment où nous arrivons sur le quai, nous voyons B C et D E F entourés par 3 policiers, B semble avoir un échange vif avec un policier à côté de lui et D a sa valise ouverte à ses pieds.

Je m’approche de la scène en colère en leur disant qu’à chaque sortie scolaire, c’est la même chose. Je leur explique que ce n’est pas la première fois que mes élèves se font contrôler et je leur demande ce qu’ils ont fait, les policiers me répondent seulement qu’ils font leur travail, en boucle. Celui qui me le répète sans cesse est le policier aux côtés de D qui ne vérifie plus sa valise ; celui-ci la referme d’ailleurs. Ce policier est plus calme. Puis le policier à gauche de B me dit que si je me permets de remettre en cause leur travail, il va remettre en cause le mien. Il m’explique que si je ne veux pas que mes élèves se fassent contrôler, je n’ai qu’à me mettre devant le groupe… A ce moment-là, il fait un pas en arrière et appelle une plate-forme, il raccroche puis annonce devant tout le monde qu’il fait bien son travail puisque mon élève a un casier judiciaire… A ce moment là, je lis l’humiliation sur le visage de B. Il commence à s’agiter alors qu’il s’était calmé en me voyant arriver. Il s’énerve contre ce même policier, l’ensemble des élèves commencent eux aussi à élever la voix. Je comprends à ce moment là que la situation peut se terminer par une garde à vue et un embarquement musclé'… Je dis à tout le monde qu'on y va. Les élèves me suivent et les policiers nous laissent partir.'

L’accompagnateur, ayant vu en descendant du train M. X se faire contrôler et ayant rejoint le reste du groupe dans le hall de gare, a déclaré : ' Il est déconcertant que 3 des 5 garçons de la classe ont été contrôlés de manière concomitante. Les policiers les tutoyaient et les provoquaient en justifiant leur contrôle par le fait qu’ils revenaient d’un voyage à Amsterdam.'

Un premier camarade a indiqué : 'les deux policiers avaient ordonné à D et B de se mettre dos à un panneau publicitaire et de poser leurs affaires au sol pour qu’ils procèdent à leur contrôle … Les deux policiers en question étaient quelque peu violents dans les mots. Ces deux policiers se sont montrés extrêmement agressifs avec ma prof ainsi qu’avec mes deux camarades. Ils se sont fait contrôler sans aucune raison alors qu’il y avait du monde autour de nous, ils n’ont choisi que deux noirs et un arabe', un second : 'B a dit : Vous me contrôlez parce que je suis noir et que je m’appelle B. Sur toute la classe, trois des garçons ont été contrôlés (deux noirs et un arabe), pourquoi n’ont-ils pas contrôlé les autres passagers du TGV ou la classe '', un troisième: 'les policiers les ont fouillés et ont vérifié leurs cartes d’identité et quand ils ont rien trouvé d’autre, ils les ont quand même retenus', un quatrième : 'au même moment, la prof est arrivée, elle n’était pas contente du tout car à chaque sortie qu’elle fait, ses élèves se font toujours contrôler', un cinquième :

'je vais vers B pour lui donner son chargeur et un policier me parle très mal et me dit de dégager' et un sixième ' le moment le plus grave était quand Mme Y s’est disputée avec les policiers car ils ne voulaient pas trop les laisser partir avant qu’ils les contrôlent bien et même s’ils n’avaient rien fait, ils les ont quand même retenus.'

M. E F a déclaré : 'Tout à coup, un policier attrape le bras de mon pote et nous dit contre le panneau de pub, on va procéder à un contrôle. Nous, on comprend rien ' pourquoi vous nous contrôlez’ eux ils disent ' on fait notre boulot’ ils ont commencé à poser des questions à mon pote, si il est connu des services de police… Au cours du contrôle, ils nous disaient d’ouvrir nos valises car ils pensaient qu’on venait d’Amsterdam… Quand tout à coup ma prof débarque et demande ce qui se passe, l’officier de police s’acharne sur ma prof.'

Il en résulte que les contrôles concomitants d’un premier élève à sa descente du train et de deux autres élèves dans le hall de la zone des trains Thalys de la gare du Nord ont été opérés sur trois jeunes gens de sexe masculin faisant partie d’un groupe de 18 élèves dont 13 filles et que ceux-ci étaient d’origine comorienne, malienne et marocaine sans qu’il apparaisse, ainsi que relevé par les témoins, que des personnes non issues de 'minorités visibles’ provenant du même train aient été dans le même temps contrôlées.

Ces éléments constituent des indices de ce que les caractéristiques physiques des personnes contrôlées, notamment leur origine, leur âge et leur sexe, ont été la cause réelle du contrôle et mettent en évidence une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination.

Les contrôles sauf s’ils sont suivis d’une vérification d’identité ou d’une garde à vue ne sont pas comptabilisés et identifiés de manière précise et ne sont consignés nulle part de sorte qu’il n’en résulte aucune traçabilité.

La préfecture de police a expliqué qu’à l’époque des faits, la méthode d’interrogation des fichiers de la police ne permettait pas d’établir la liste des identités soumises au contrôle par une équipe en particulier, sauf à consulter les enregistrements radio, que les agents n’étaient pas équipés de caméras piéton et que la vidéo-protection de la gare SNCF n’était conservée que 72 heures.

Cependant, alors que le ministre de l’intérieur a été saisi d’une demande de justification du motif du contrôle d’identité dans les cinq jours qui ont suivi ledit contrôle, la préfecture de police aurait dû s’empresser, pour répondre aux exigences de l’effectivité de l’enquête définies par la Cour européenne des droits de l’homme en cas d’allégation de discrimination raciale, de recueillir les témoignages des policiers et autres enregistrements audiovisuels et radio encore disponibles, ce qu’elle n’a pas fait s’agissant des enregistrements radio qui étaient ainsi qu’elle l’a reconnu dans sa réponse au Défenseur des droits, exploitables pendant 62 jours.

Le contrôle de M. X a été effectué par une équipe de policiers qui n’a pu être identifiée, les arrivées du Thalys, étant selon le commissaire divisionnaire de police, chef de la brigade des réseaux franciliens, propices à nombre de contrôles par différents services et aucune explication n’a pu être donnée sur les circonstances de ce contrôle.

Il est faux de soutenir que celui-ci était isolé puisque des élèves et les deux accompagnateurs l’ont vu se faire contrôler et l’agent judiciaire échoue à établir la preuve aussi bien d’une absence de différence de traitement que d’une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En conséquence, le contrôle d’identité est jugé discriminatoire et constitue une faute lourde de l’Etat.

Sur le lien de causalité et le préjudice

M. X soutient que':

— il est humiliant pour lui de constater que son origine supposée constitue un motif de suspicion dans l’esprit de la police et s’apparente pour lui à un indice de délinquance ou de criminalité,

— la palpation de sécurité et la fouille de son bagage, devant l’ensemble des élèves de sa classe et des passagers de la gare du Nord, ont aggravé son sentiment d’humiliation,

— le préjudice moral subi justifie l’allocation de la somme de 30'000 euros.

L’agent judiciaire de l’Etat relève le caractère exorbitant du montant sollicité, qui n’est étayé par aucun élément de nature à démontrer l’existence d’un tel préjudice moral.

Il n’est pas prouvé que M. X ait fait l’objet d’une palpation de sécurité ni d’une fouille de son bagage, dans le cadre du contrôle opéré.

Le préjudice moral subi doit être indemnisé, en l’absence de justificatifs permettant d’apprécier l’ampleur de l’impact personnel allégué dudit contrôle sur l’intéressé et au vu des éléments produits aux débats, par l’octroi de la somme de 1 500 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens d’appel doivent incomber à l’agent judiciaire de l’Etat, partie perdante, lequel sera également condamné à payer à l’appelant la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a mis hors de cause le ministre de l’intérieur,

Statuant à nouveau,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer à M. Z X la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer à M. Z X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 8 juin 2021, n° 19/00865