Cour d'appel de Pau, 1re chambre, 23 mars 2010, n° 08/00721

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Pau, 1re ch., 23 mars 2010, n° 08/00721
Juridiction : Cour d'appel de Pau
Numéro(s) : 08/00721
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Tarbes, 12 décembre 2007
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 1 janvier 2023
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Sur les parties

Texte intégral

MD/NL

Numéro 1294/10

COUR D’APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRET DU 23/03/10

Dossier : 08/00721

Nature affaire :

Demande en exécution ou en dommages-intérêts pour mauvaise exécution d’un contrat

Affaire :

COMPAGNIE D’AMENAGEMENT DES COTEAUX DE GASCOGNE

C/

[S] [U],

[F] [O],

[OH] [I],

[X] [KV],

et autres …

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour le 23 mars 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 25 Janvier 2010, devant :

Monsieur NEGRE, Président

Monsieur LESAINT, Conseiller

Monsieur DEFIX, Conseiller, Magistrat chargé du rapport conformément à l’article 785 du code de procédure civile.

assistés de Madame PEYRON, Greffier, présente à l’appel des causes.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

COMPAGNIE D’AMENAGEMENT DES COTEAUX DE GASCOGNE – (CACG) représentée par son Directeur domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 11]

[Localité 17]

représentée par la SCP PIAULT / LACRAMPE-CARRAZE, avoués à la Cour

assistée du Cabinet SOURZAC, avocats au barreau de TOULOUSE

INTIMES :

Madame [B] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 13]

Monsieur [A] [R]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 12]

Monsieur [PF] [D]

[Adresse 16]

[Localité 13]

Madame [Y] [T]

[Adresse 9]

[Localité 13]

Madame [UP] [T] épouse [O] es qualités de tutrice de Madame [YC] [D], venant aux droits de Monsieur [G] [T] décédé à [Localité 18] le [Date décès 10] 2004

[Adresse 15]

[Localité 13]

Madame [S] [U]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 13]

Monsieur [F] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 13]

représentés par la SCP LONGIN, LONGIN-DUPEYRON, MARIOL, avoués à la Cour

assistés de Me FERNANDEZ, avocat au barreau de TOULOUSE

Monsieur [OH] [I]

[Adresse 6]

[Localité 13]

Monsieur [X] [KV]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 13]

Monsieur [X] [GP]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 13]

Monsieur [W] [LA]

[Adresse 8]

[Localité 13]

Monsieur [Y] [SU]

[Adresse 3]

[Localité 13]

Monsieur [RD] [WG]

[Adresse 14]

[Localité 13]

représentés par la SCP LONGIN, LONGIN-DUPEYRON, MARIOL, avoués à la Cour

assistés de Me FERNANDEZ, avocat au barreau de TOULOUSE

sur appel de la décision

en date du 13 DECEMBRE 2007

rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TARBES

FAITS-PROC’DURE-PR’TENTIONS

L’Association Syndicale Autorisée (ASA) d’Irrigation du Lauragais Tarnais, constituée par arrêté préfectoral du 05 septembre 1967, regroupe des agriculteurs en vue de la mise en place d’un réseau d’irrigation pour la constitution duquel divers emprunts ont été contractés auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole du Tarn garantis par les adhérents à hauteur de leurs quote-parts fixée en fonction de la superficie de leurs terres respectives.

Le 16 mai 1989, l’assemblée générale extraordinaire de cette association syndicale s’est favorablement prononcée sur le projet de concession de réseau à la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), société d’économie mixte dont le siège est situé à [Localité 17] (65) et qui acceptait de prendre à sa charge le remboursement de la créance du Crédit Agricole de laquelle se trouvaient déduites des remises concédées en vertu de la loi de finance du 30 décembre 1986 aux adhérents pour beaucoup d’entre eux rapatriés, ainsi que le solde évalué à 4.951.054,39 francs de cette dette augmentée de la valeur de divers actifs, en contrepartie de l’autorisation de facturer aux adhérents une redevance individuelle de consommation suivant un contrat d’adhésion dont le modèle était annexé au cahier des charges.

21 adhérents rapatriés ont refusé de signer ces contrats au motif qu’en appliquant un tarif unique aux adhérents rapatriés et non rapatriés, la société concessionnaire méconnaissait les remises de dettes qui avaient été personnellement consenties par la loi aux seuls rapatriés. La société a alors refusé d’assurer la distribution d’eau nécessaire à l’irrigation de leurs exploitations.

Par jugement du 14 octobre 1991, le tribunal de grande instance de Tarbes, saisi par ces 21 adhérents, a :

— rejeté l’exception d’incompétence matérielle au profit du tribunal administratif de Pau,

— constaté que la dette des usagers rapatriés vis à vis du Crédit Agricole, était éteinte du fait de la loi du 30 décembre 1986,

— dit en conséquence que ceux-ci n’étaient pas tenus dans le cadre de la remise en fonctionnement du réseau d’irrigation de la [Adresse 19] de verser une quote part quelconque correspondant au remboursement du prêt du Crédit Agricole,

— dit que la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne ne pouvait priver ces usagers du service de l’eau en se basant sur la réclamation justifiée de ces derniers tendant à obtenir que l’allègement de leur dette soit répercutée au niveau de leurs contrats individuels,

— invité cette société à établir de nouveaux contrats, et avant dire droit sur le préjudice subi par les demandeurs, a ordonné à cette fin une expertise confiée à Monsieur [H] [L], ingénieur en agriculture.

Par arrêt du 11 février 1993, la cour d’appel de Pau a confirmé ce jugement.

Le tribunal des conflits a, le 07 mars 1994, annulé l’arrêt de la cour d’appel pour avoir statué sur le fond sans avoir laissé le temps au préfet des Hautes-Pyrénées de formaliser son recours contre la décision ayant écarté son déclinatoire de compétence mais a, sur celui-ci, considéré que le litige qui tend à obtenir que la compagnie pratique des tarifs différents selon que les membres de l’association sont ou non des rapatriés et à en tirer les conséquences, relève de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire.

Par arrêt du 24 mai 1995, la cour d’appel de Pau a réformé le jugement du 14 octobre 1991 et a débouté les adhérents contestataires de leurs demandes en considérant qu’ils étaient tous tenus de payer une redevance identique à celles des membres non rapatriés.

Cet arrêt a été cassé par la cour de cassation, le 27 janvier 1998, pour n’avoir pas répondu aux conclusions des adhérents rapatriés qui faisaient valoir que la remise des prêts prévue par l’article 44 de la loi de finances rectificative du 31 décembre 1986, ne pouvait bénéficier qu’aux rapatriés, ce qui interdisait à la CACG d’appliquer un tarif unique, puisque cela revenait à répartir sur l’ensemble des adhérents l’allégement de la dette consécutive à la remise intervenue au seul bénéfice des rapatriés, et faisait ainsi profiter de cet avantage des personnes qui n’y avaient pas droit.

Sur renvoi, la cour d’appel d’Agen a, le 04 octobre 2000, confirmé le jugement du 14 octobre 1991. Suivant arrêt du 06 novembre 2002, la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la CACG.

L’affaire étant entretemps revenue devant le tribunal de grande instance de Tarbes, le juge de la mise en état de ce tribunal a suivant ordonnance du 03 juillet 2001, décidé que l’expertise confiée à Monsieur [L] devait être mise à exécution avec un complément de mission.

L’expert a déposé son rapport en avril 2003.

Le tribunal de grande instance de Tarbes a, selon jugement du 13 décembre 2007 :

— constaté que Mesdames et Messieurs [V] [W], [YC] [T], [K] [N], [EK] [I], [BP] et [HI] [U], [J] [P] et [Z] [E] ne formulaient aucune demande à l’encontre de la CACG,

— ordonné la réouverture des débats sur les demandes de Monsieur [G] [T], décédé en cours d’instance et renvoyé sur ce point l’affaire à la mise en état pour l’appel en la cause des héritiers,

— dit que Mesdames et Messieurs [Y] [KC], [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG], ont tous la qualité d’usagers du service de l’eau pour des périodes déterminées,

— déclaré irrecevables leur demande d’indemnisation d’un préjudice moral comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée et a visé à cet égard l’arrêt de la cour d’appel d’AGEN,

— dit que ces neuf demandeurs ont subi un préjudice économique,

— dit que la méthode d’évaluation de ce préjudice est celle de la comparaison de la marge brute réalisée sans irrigation avec celle qui aurait été réalisée avec irrigation à partir des assolements en cultures sèches réalisés, des rendements réalisés et des prix obtenus en cultures sèches, des surfaces agricoles souscrites auprès de l’ASA, du matériel et des compétences disponibles sur l’exploitation, des charges opérationnelles variables par culture, en prenant pour référence les données moyennes départementales pour le Tarn issues des études de la DDA, du CER et de l’AFEID (Association Française pour l’Eau, l’Irrigation et le Drainage)

— dit que pour l’évaluation du préjudice économique de Monsieur [KC], soumis au régime du bénéfice réel, les données effectivement déclarées ont été prises en compte,

— dit que pour l’évaluation du préjudice économique de Mesdames et Messieurs [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG], ont été pris en compte les bénéfices moyens fixés, pour chaque nature de culture ou d’exploitation, dans le cadre du département ou de la région agricole, ces demandeurs se prévalant du régime fiscal du forfait,

— dit que l’expertise privée diligentée par Monsieur [M] respecte la méthode retenue par le tribunal et dégage le juste préjudice économique subi par les 8 demandeurs susvisés,

— condamné en conséquence la CACG à payer avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement à :

Monsieur [OH] [I] la somme de 8.238 €,

Madame [S] [U] la somme de 4.965 €,

Monsieur [F] [O] la somme de 82.967 €,

Monsieur [X] [KV] la somme de 14.051 €,

Monsieur [X] [GP] la somme de 6.414 €,

Monsieur [W] [LA] la somme de 50.083 €,

Monsieur [Y] [SU] la somme de 26.870 €,

Monsieur [RD] [WG] la somme de 21.706 €,

— rejeté l’extrapolation mathématique opérée par Monsieur [BO], expert privé de Monsieur [KC] et condamné en conséquence, la CACG à payer à Monsieur [KC] la somme de 375.607 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement,

— rejeté les demandes de remise en état du matériel d’irrigation,

— rejeté les demandes de dommages intérêts pour préjudices complémentaires,

— donné acte aux demandeurs de leurs réserves sur les éventuels droits historiques d’irrigation dont ils seraient privés sur leurs droits à la retraite,

— condamné la CACG à payer à Monsieur [KC] d’une part et aux autres demandeurs d’autre part, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire du jugement,

— condamné la CACG aux entiers dépens en ce compris le coût des rapports d’expertise privée ainsi que le coût de l’expertise judiciaire.

Par déclarations déposées au greffe d’une part le 12 février 2008 au nom de Mesdames et Messieurs [B] [E], [A] [R], [PF] [D] et [Y] [T] et d’autre part le 27 février 2008, au nom de la CACG, appel a été formé contre cette décision.

''''''

Suivant ordonnance du 23 septembre 2009, le conseiller de la mise en état a :

— rejeté l’exception d’irrecevabilité de l’appel des consorts [E], soulevée par la CACG qui ne pouvait se prévaloir d’un acte de signification du jugement, entaché d’une irrégularité de fond, le délai pour faire appel ayant couru à compter de la deuxième signification faite le 30 janvier 2008,

— rejeté l’exception de nullité partielle de l’appel de la CACG, soulevée par les consorts [E], l’appelant étant réputé avoir fait appel contre la succession de Monsieur [G] [T], situation régularisée en cours d’instance par l’intervention volontaire de sa veuve elle-même représentée par sa tutrice.

''''''

Vu les conclusions responsives et récapitulatives déposées le 12 mai 2009 dans l’intérêt commun de Mesdames et Messieurs [B] [E], [A] [R], [PF] [D] et [Y] [T] appelants d’une part, de Madame [UP] [T] es qualités de tutrice de [YC] [D] venant aux droits de son époux Monsieur [G] [T], décédé le [Date décès 10] 2004, d’autre part et de [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG], intimés, encore d’autre part,

Vu les conclusions déposées le 05 janvier 2010 dans l’intérêt de la COMPANIE D’AMÉNAGEMENT DES COTEAUX DE GASCOGNE ;

Vu l’ordonnance de clôture du 07 janvier 2010 ;

SUR CE, LA COUR :

' sur les parties à la procédure d’appel :

Attendu que les appelants aux termes de leurs deux déclarations d’appel ont fait un appel général déférant par définition, la décision dans son ensemble devant la formation d’appel étant d’abord précisé que le jugement de première instance a été rendu en présence de Mesdames et Messieurs [V] [W], [YC] [T], [K] [N], [EK] [I], [BP] et [HI] [U], [J] [P] et [Z] [E] qui ne demandaient rien devant le Tribunal à l’encontre de la CACG ; que ces derniers n’ont pas constitué avoué et aucune conclusion ne leur a été signifiée ; que rien n’est demandé à l’endroit de cette disposition de la décision déférée ;

qu’ensuite le jugement de première instance a rejeté l’extrapolation mathématique opérée par Monsieur [BO], expert privé de Monsieur [KC] et a condamné en conséquence, la CACG à payer à Monsieur [KC] la somme de 375.607 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement ; que ce dernier n’a pas constitué avoué et aucune conclusion ne lui a été signifiée ; que rien n’est demandé par la CACG à l’endroit de cette disposition de la décision déférée, les autres appelants et intimés relevant seulement l’illogisme de cette différence de traitement dans l’analyse de la décision de première instance par la CACG ;

qu’en tout état de cause, constatant l’absence d’assignation à comparaître devant la cour par l’un quelconque des appelants, ces parties devront être considérées comme absentes de l’instance d’appel dont l’objet sera de fait limité aux chefs critiqués par les parties appelantes ou intimées ;

Attendu qu’il sera par ailleurs relevé que le conseiller de la mise en état a rejeté les moyens respectifs des parties au titre de la recevabilité des appels ; que ces moyens ne sont pas repris par des conclusions ultérieures et qu’il convient en conséquence de constater que le débat sur ces questions est définitivement clos ;

Attendu enfin que le tribunal a jugé qu’il ne pouvait examiner la demande d'[G] [T], décédé en cours d’instance exigeant une régularisation dans le cadre d’un renvoi à la mise en état ; que Madame [UP] [T] es qualités de tutrice de [YC] [D] venant aux droits de son époux Monsieur [G] [T], décédé le [Date décès 10] 2004, ne demande rien mais est présente à l’instance d’appel ; qu’en tout état de cause, il convient d’évoquer, dans le souci d’une bonne administration de la justice, le fond du dossier à son égard pour être statué dans une seule et même décision avec le dossier concernant les coauteurs de ses conclusions ;

' sur la recevabilité et le bien fondé des demandes d’indemnisation du préjudice matériel :

Attendu que le tribunal a dans les motifs de sa décision indiqué que la lecture du jugement du 14 octobre 1991 permettait de constater que le tribunal ne visait que la seule qualité de rapatriés usagers du service de l’eau et qu’aucune fin de non recevoir tirée du défaut d’agir n’ayant été, selon le jugement déféré, présentée avant toute défense au fond à l’audience du 1er juillet 1991, les dispositions du jugement du 14 octobre 1991 relatives au statut de rapatrié membre de l’ASA du Lauragais sont définitives ; qu’ainsi, selon le tribunal, la CACG ne pouvait plus discuter le statut de rapatrié revendiqué par les demandeurs mais que seule la notion d’usager du service de l’eau pouvait être encore soumise à interprétation ;

que les parties rapatriées opposent l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de la cour d’appel d’Agen confirmant dans son intégralité le jugement du Tribunal de Grande Instance de Tarbes du 14 octobre 1991 ayant nécessairement retenu la recevabilité de l’action engagée par chacune des parties aujourd’hui appelantes en ordonnant une mesure d’instruction pour examiner leurs préjudices respectifs ;

que la CACG en réponse aux uns et aux autres, a considéré que ce n’était nullement remettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 14 octobre 1991 que de soutenir que seuls les exploitants remplissant la triple qualité de rapatrié, de membre de l’ASA du Lauragais et d’exploitant en faire valoir direct d’une unité agricole au jour de l’assignation introductive d’instance sont habiles à solliciter l’indemnisation de l’éventuel préjudice qu’ils auraient pu souffir du fait de l’impossibilité d’irriguer ; qu’elle a alors souligné le fait que le juge de la mise en état avait demandé à l’expert de rechercher et de définir pour chaque demandeur, l’assiette de son exploitation au jour de l’assignation introductive d’instance, l’historique de cette exploitation et ses modalités et de préciser à quelle date tels demandeurs ont pu éventuellement cesser d’exploiter personnellement ;

Attendu qu’il est constant que le tribunal saisi le 10 juillet 1990 par les agriculteurs réclamant une tarification différenciée de l’eau nécessaire à leurs exploitations agricoles et parmi lesquels figuraient l’ensemble des appelants et intimés aujourd’hui présents en appel, n’a jamais été appelé à trancher une fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir au regard du statut de rapatrié ou de membre de l’ASA à la date où le tribunal statuait ; que seule pouvait être encore discutée l’effectivité de la qualité d’usager du service de l’eau pour l’appréciation de l’existence d’un préjudice personnel dont l’examen de la réalité et de l’étendue avait été différé après l’exécution d’une mesure d’instruction ;

que le préjudice est en effet défini en l’espèce par les effets sur le patrimoine de chaque demandeur du défaut d’irrigation des terres ; que s’il est acquis que chacun d’entre eux avait bien la qualité de rapatriés et pouvait personnellement prétendre au bénéfice d’un tarif particulier eu égard à cette qualité, ces derniers ont la charge de la preuve qu’ils ont personnellement souffert du dommage qui est intimement lié aux revenus qu’ils étaient en droit d’attendre de l’exploitation irriguée de ces terres quelles que soient la forme de cette exploitation ;

que doivent être ainsi écartées les demandes formées par les propriétaires qui ont donné leurs terres en location à des tiers ou qui ont cessé toute exploitation soit avant l’arrêt de l’irrigation survenue en 1989 soit, si ces évènements sont postérieurs à cette date, dans la seule proportion de leur période d’exploitation ;

que s’agissant de la situation des rapatriés déboutés par le tribunal il convient de relever que Madame [Y] [T] et Monsieur [PF] [D] qui exploitaient en indivision leurs terres n’avaient certes plus la qualité d’usagers du service de l’eau au moment de l’assignation introductive d’instance pour avoir loué leurs terres en novembre 1989 mais peuvent justifier d’un droit à indemnisation pour la seule année 1989 avant cette mise en location ; que Madame [B] [E] a personnellement perdu cette qualité d’usager de ce service pour avoir créé une EARL pour l’exploitation des terres à compter du 1er janvier 1990 et pouvait donc justififer d’un droit à indemnisation pour la seule année 1989 ;

que Monsieur [A] [R] avait été radié en sa qualité de chef d’exploitation agricole à compter du 31 décembre 1988 pour être admis à la retraite à compter du 1er janvier 1989 date à laquelle son épouse a pris la charge de l’exploitation jusqu’à son admission à la retraite au 1er janvier 2001 ; que Monsieur [OH] [I] n’était plus exploitant en 1989 mais seulement son épouse jusqu’en 1991 ; que Monsieur [X] [GP] a perdu la qualité d’exploitant agricole le 1er décembre 1987 pour être admis à la retraite, l’exploitation étant poursuivie par son épouse jusqu’au 1er septembre 1990 ; que Monsieur [SU] n’établit pas sa qualité d’exploitation agricole en 1989, les documents produits laissant apparaître que c’est en réalité son épouse et/ou leur fils qui a exploité les terres jusqu’en 1993 ; que Monsieur [W] [LA] ayant pris sa retraite en 1992, son épouse a repris l’exploitation jusqu’à 1995 ; qu’à l’égard de tous ces demandeurs ayant ainsi cessé leur activité avant ou en cours de la période litigieuse, la diminution de revenus agricoles ne pouvaient les avoir affectés directement que durant le temps où ils étaient règulièrement inscrits à ce titre et que postérieurement à la perte de leur qualité d’usager de l’eau, seuls leurs conjoints dont on peut supposer que leur qualité de rapatriés a été reconnue et qu’ils pouvaient à ce titre prétendre s’opposer au paiement des factures d’eau au prix unique, avaient qualité à solliciter les indemnisations ; que ces derniers ne sont jamais intervenus à l’instance qui a duré suffisamment longtemps pour leur permettre d’effectuer cette démarche aisée à réaliser et dont l’intérêt était déjà apparu dès un compte rendu de réunion d’expertise du 09 décembre 2002 ; que les demandeurs devenus retraités, à supposer même qu’ils aient pu souffrir indirectement de la perte de revenu de leurs conjoints, sont radicalement taisants sur la nature de leur régime matrimonial, la part des revenus déclarés de chacun des époux dans le revenu du ménage et tous autres éléments concrets sur la diminution du train de vie du demandeur imputable à cette baisse de revenus ;

que les autres demandeurs justifient avoir personnellement exploité les terres non irriguées, [S] [U] jusqu’en 1991, [F] [O] jusqu’en 1995, [X] [KV] jusqu’en 1990 ; qu’il ressort des pièces produites au dossier telles que les fiches d’assolement que [RD] [WG] a bien exploité ses terres jusqu’en 1997 ;

que l’héritière de Monsieur [G] [T] ne formulant aucune demande, l’examen de la situation de ce dernier au moment des faits n’a plus d’objet ;

que c’est donc dans les limites de ces constatations qu’il convient d’apprécier l’étendue du préjudice subi par chacun des demandeurs ayant conservé en tout ou partie le droit de réclamer l’indemnisation réclamée à savoir :

[Y] [T]

1989

[PF] [D]

1989

[S] [U]

de 1989 à 1991

[B] [E]

1989

[F] [O]

de 1989 à 1995

[X] [KV]

1989 et 1990

[W] [LA]

de 1989 à 1992

[RD] [WG]

de 1989 à 1997

Qu’infirmant sur ce point les dispositions contraires du jugement entrepris, il convient de débouter d’ores et déjà Messieurs [A] [R], [OH] [I], [Y] [SU] et [X] [GP] de leurs demandes et d’examiner l’étendue du dommage réellement subi par les autres réclamants sur les périodes qui viennent d’être circonscrites ;

Attendu qu’à cet égard, la cour constate que l’ensemble des parties récuse les travaux de l’expert judiciaire qui relèvent effectivement plus de la compilation que de l’analyse étant tout de même relevé qu’au-delà du défaut de consignation d’un supplément de provision, obérant déjà les chances de voir déposer un rapport complet, les parties n’ont guère fait preuve de collaboration avec ce technicien spécialement dans la production des pièces utiles au bon déroulement de sa mission ; que le juge de la mise en état saisi en 2004 a rejeté la demande de remplacement de l’expert et que les demandes doivent donc être examinées au regard des éléments de preuves dont les consorts [T] ont principalement la charge et qui ont pu être contradictoirement débattus au cours de la procédure ;

que le premier juge a retenu le rapport d’expertise établi par Monsieur [C] [M], ingénieur agricole et foncier et expert près la cour d’appel de Toulouse, saisi unilatéralement par les consorts [T] pour l’évaluation de leur préjudice économique et qui selon les propres énonciations de son rapport, dans le délai imparti d’une quinzaine de jours par ses mandants, a adopté une méthode sur des bases indicatives et des moyennes ne reflétant nullement la situation concrète de chaque exploitation ;

que la circonstance selon laquelle certains des consorts [T] étaient assujettis au forfait agricole permettant la tenue d’une comptabilité allégée, ne les dispensait pas de tenir toute comptabilité de trésorerie au moins pour les recettes et encore moins leurs avis d’imposition ; que cet expert n’a pu obtenir que des éléments partiels voir aucun sur le prix moyen de vente des denrées menées en des culture sèches comme sur les rendements effectifs par terres assolées, Monsieur [WG] affirmant par exemple avoir égaré les bulletins de livraison des récoltes ; qu’en définitive, si les prémices de l’analyse menée par ce technicien à savoir l’écart de marge brute entre assolement réalisé en culture sèche et un assolement mixte (culture sèche et irriguée) étaient recevables pour la définition du préjudice, son calcul abstrait sans aucune référence précise aux revenus antérieurs à 1989 et à ceux postérieurs ne permet pas de satisfaire au principe de la réparation adaptée à la réalité du préjudice effectivement subi ; que cette difficulté à effectuer une reconstitution concrète de la perte de revenus repose exclusivement sur la carence des demandeurs à justifier des éléments basiques d’appréciation qu’ils étaient légalement dans l’obligation de posséder ;

qu’à ce stade de la procédure, après le constat déconcertant d’une telle insuffisance dans l’exercice par les consorts [T] de leur charge probatoire, contre indiquant radicalement toute nouvelle mesure d’instruction, la cour ne peut qu’infirmer la décision du premier juge qui s’était exclusivement fondé sur une expertise non contradictoire pour déterminer les indemnisations dont l’adéquation au dommage subi est totalement invérifiable et débouter ainsi Mesdames et Messieurs [Y] [T], [PF] [D] [S] [U], [B] [E], [F] [O], [X] [KV], [W] [LA] et [RD] [WG] de leurs demandes respectives à ce titre ;

Attendu que de manière identique sur un autre aspect du préjudice potentiellement subi par les réclamants, le matériel d’irrigation non utilisé demeurait une charge pour les exploitants concernés et que son entretien voire avec le temps passé sa remise en étant étaient susceptibles d’indemnisation ; que le tribunal avait à cet égard rejeté la demande de remise en état de ce matériel d’irrigation au motif qu’il n’était pas établi que ces installations soient dégradées du fait de leur non utilisation ; qu’il est encore demandé la condamnation de la CACG à procéder à la remise en état des installations d’irrigation sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir alors qu’il n’est toujours strictement rien démontré sur l’état actuel de ce matériel alors que cette preuve aurait été aisée à rapporter (constats d’huissier, devis,…) ; qu’il convient donc de confirmer sur ce point la décision entreprise ;

Attendu que sur la demande de donner acte à « l’ensemble des concluants » qu’ils seront susceptibles de formuler une demande complémentaire dans l’hypothèse où ils auraient perdu tout droit à irrigation à venir, (droits historiques d’irrigation liés aux années de référence), les consorts [T] restent flous sur l’objet de cette demande qui constitue en réalité une réserve sur des prétentions futures et éventuelles à laquelle le tribunal n’était pas tenu de répondre ; qu’en le faisant dans des termes encore plus généraux, le tribunal n’a pris aucune décision consacrant la reconnaissance d’un droit au profit de l’une des parties et susceptible de donner lieu à infirmation ou à confirmation ;

qu’il en est de même de la demande tendant à « réserver » leurs droits à l’encontre de la CACG quant à la régularisation des pensions de retraites suite à la régularisation du préjudice économique subi ; qu’en raison de rejet de leurs demandes d’indemnisation de ce préjudice, cette demande s’apparentant plus à un donner acte de réserves sur l’exercice d’une action future que d’une demande de sursis à statuer est sans objet ;

' sur la recevabilité et le bien fondé des demandes d’indemnisation du préjudice moral :

Attendu que l’ensemble des appelants et intimés rapatriés a demandé pour chacun d’entre eux la condamnation de la CACG à la somme de 10.000 euros en réparation de leur préjudice moral « pour la cause d’appel » ; que la CACG leur a opposé l’autorité de la chose jugée ;

qu’en effet, la cour d’appel d’Agen avait, dans son arrêt du 04 octobre 2000 devenu définitif, débouté les consorts [T] de leur demande en réparation de leur préjudice moral alors motivée par le fait qu’ils s’étaient trouvés dans l’incertitude du fait de la longueur et du coût de la procédure judiciaire émaillée de nombreux recours ; ce rejet avait été fondé sur le fait que ces difficultés ne caractérisaient pas un préjudice moral mais des frais irrépétibles indemnisés par ailleurs ; que le jugement aujourd’hui entrepris a déclaré irrecevable cette demande en raison de l’autorité attachée à cette décision du 04 octobre 2000 ;

qu’il n’est pas apporté de motivation différente de celle déjà rejetée par la cour d’appel d’Agen et qu’en tout état de cause, l’appel aujourd’hui interjeté par la CACG n’était pas dénué de fondement de telle sorte que l’exercice fructueux de son droit d’appel ne saurait être la source d’un quelconque dommage moral ;

— sur les demandes accessoires :

Attendu que l’ensemble des appelants et intimés rapatriés a demandé la réformation de la décision en ce qui concerne l’allocation « d’une juste indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile » et ont sollicité la condamnation de la CGAC à leur payer la somme globale de 100.000 euros à ce titre ainsi qu’aux entiers dépens en ce compris les frais de l’expertise [M] avec bénéfice de distraction ;

Que la CACG demande pour sa part la condamnation de ses adversaires à lui payer une somme de 60.000 € au titre des frais irrépétibles ;

qu’il sera relevé que si la durée et la complexité de la procédure ne saurait être discutée, la précédente décision devenue définitive intervenue sur le fond du litige et consacrant le droit des consorts [T] de s’opposer au tarif unique a statué sur les frais irrépétibles liés à cette instance en attribuant à ces derniers une somme de 20.000 francs et condamnant la CACG aux entiers dépens exposés devant les juridictions du fond ;

qu’au regard de la présente procédure qui n’en est que le prolongement pour la réparation, il sera tout à la fois constaté que son échec est lié aux carences probaboires imputables aux appelants et intimés rapatriés et que sa complication par le gel des opérations d’expertise durant de nombreuses années, préjudiciable pour la réunion des preuves, n’est que le fruit d’une volonté jugée mal fondée de la CACG de refuser aux rapatriés le bénéfice tarifaire de leur statut ; qu’il convient en application de la faculté offerte par les dispositions de l’article 696 du code de procédure civile de partager les dépens non encore liquidés par moitié entre la CACG d’une part et les autres parties appelantes ou intimées d’autre part ;

que sur le plan des frais irrépétibles, il n’est nullement inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties, les frais non compris dans les dépens qu’elles ont pu exposer et de les débouter de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Tarbes du 13 décembre 2007 en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande d’indemnisation du préjudice moral et rejeté la demande de remise en état sous astreinte du matériel d’irrigation.

Reçoit l’intervention à l’instance de [UP] [T] épouse [O] es qualités de tutrice de Madame [YC] [D] venant aux droits de Monsieur [G] [T], décédé le [Date décès 10] 2004, et évoque la partie du litige le concernant.

Constate l’absence de demande dans l’intérêt de la succession de Monsieur [G] [T].

Vu les articles 9 et 11 du code de procédure civile et 1315 du code civil ;

Infirme le jugement en ses dispositions relatives à l’indemnisation de Mesdames et Messieurs [E], [A] [R], [PF] [D], [Y] [T], [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG] et objet des appels principal et incident dont la cour est présentement saisie.

Statuant à nouveau sur ce point,

Déboute Mesdames et Messieurs [E], [A] [R], [PF] [D], [Y] [T], [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG] de l’ensemble de leurs demandes.

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Partage par moitié les entiers dépens de l’instance exposés depuis les conclusions déposées au greffe le 1er mars 2001 par les consorts [T] en vue de la poursuite de la procédure après l’arrêt de la cour d’appel d’Agen du 04 octobre 2000 et ce, entre d’une part la SA D’AMÉNAGEMENT DES COTEAUX DE GASCOGNE – COMPAGNIE CACG et d’autre part Mesdames et Messieurs [E], [A] [R], [PF] [D], [Y] [T], [UP] [T] épouse [O] es qualités de tutrice de Madame [YC] [D] venant aux droits de Monsieur [G] [T], [OH] [I], [S] [U], [F] [O], [X] [KV], [X] [GP], [W] [LA], [Y] [SU] et [RD] [WG].

Accorde à la SCP LONGIN ' LONGIN-DUPEYRON ' MARIOL et à la SCP PIAULT et LACRAMPE-CARRAZE, avoués, le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile dans les limites qui viennent d’être fixées sur le sort des dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roger NEGRE, Président, et par Madame Mireille PEYRON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Mireille PEYRON Roger NÈGRE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Pau, 1re chambre, 23 mars 2010, n° 08/00721