Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 13 décembre 2021, n° 20/00638

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Pau, 2e ch - sect. 1, 13 déc. 2021, n° 20/00638
Juridiction : Cour d'appel de Pau
Numéro(s) : 20/00638
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

MM/ND

Numéro 21/4540

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRÊT DU 13/12/2021

Dossier : N° RG 20/00638 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HQIB

Nature affaire :

Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts

Affaire :

SASU TRANSPORTS MORAUD

C/

S.A.S. PERGUILHEM, S.A.S. VERMILION REP

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 13 Décembre 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 04 octobre 2021, devant :

Monsieur C D, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame P Q, greffière présente à l’appel des causes,

C D, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Monsieur I DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur C D, Conseiller

Monsieur R-Luc GRACIA, Vice-Président placé par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 01 juillet 2021

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S.U TRANSPORTS MORAUD

immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n° 351 451 778, prise en la personne de son représentant légal la société T Investissement, représentée par M. R S T

[…]

[…]

Représentée par Me Marie-Claude LABORDE-APELLE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Me Christophe ACCARDO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

S.A.S. PERGUILHEM

immatriculée au RCS de Pau sous le […], prise en la personne de son représentat légal M. R PERGUILHEM, domicilié ès qualité au siège

[…]

[…]

Représentée par Me Isabelle LABADIE HEMERY, avocat au barreau de PAU

S.A.S. VERMILION REP

immatriculée au RCS de Mont-de-Marsan sous le n° 410 964 837, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège à toutes fins que de droit

[…]

40160 PARENTIS-EN-BORN

Représentée par Me Edwige GARRETA de la SCP GARRETA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PAU

Assistée de Me Q BORGIA (SELARL BORGIA & Co), avocat au barreau de BORDEAUX

sur appel de la décision

en date du 03 DECEMBRE 2019

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE PAU

EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :

La société Vermilion Rep SAS, dont le siège est à Parentis en Born, est une société spécialisée dans l’extraction de pétrole brut dépendant du groupe Vermilion.

En 2014, elle a passé avec la société Transports Moraud, ayant son siège à Mérignac, filiale du groupe T, un contrat de fourniture de prestation de service de transport de pétrole brut destiné au transport des hydrocarbures extraits de ses gisements aquitains et leur livraison au lieu de déchargement.

Ce contrat a fait l’objet de plusieurs avenants, le dernier en date couvrant la période du 1er mars 2016 au 31 mars 2017.

Par courrier en date du 14 mars 2017, la société Vermilion Rep SAS a informé la société Transports Moraud qu’elle entendait proroger le contrat jusqu’au 30 juin 2017 et, dans le même temps, mettre en place un nouvel appel d’offres dont les modalités seraient communiquées à la société Transports Moraud «dans les prochaines semaines ».

La société SAS Perguilhem, ayant son siège à Lacq, autre entreprise de transport, a répondu à cet appel d’offres et, par courriel du 23 mai 2017, la responsable des achats de la société Vermilion lui a fait savoir que son offre était retenue pour les sites de Parentis et de Cazaux.

Un nouveau contrat de prestation de chargement, transport et déchargement a été conclu entre les deux sociétés à effet du 1er juillet 2017.

Par lettre du 10 juillet 2017, la société Transports Moraud a mis en demeure la société Perguilhem de lui adresser une proposition d’indemnisation à la suite de la perte de ce marché, lui reprochant :

' une concurrence déloyale et parasitaire, en ce qu’elle aurait débauché trois de ses conducteurs poids-lourds citernes précédemment affectés, depuis des années, au service du client Vermilion ;

' ce débauchage massif de près de 20 % de ses effectifs en quelques jours, mettant l’entreprise Transports Moraud en difficulté.

La société Transports Moraud chiffrait alors son préjudice à la somme de 90 000,00 euros, représentant le chiffre d’affaires brut réalisé par ces trois chauffeurs sur trois mois, laps de temps nécessaire au recrutement et à la qualification ADR de trois nouveaux chauffeurs.

Par ordonnance en date du 30 janvier 2018, sur requête de la société Transports Moraud, le Président du Tribunal de Commerce de PAU, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, a désigné E F, huissier de justice à Pau, aux fins de procéder à toute constatation utile dans les locaux de la S.A.S.Perguilhem, ce qui a donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal du 15 février 2018.

Par actes du 18 juillet et du 30 juillet 2018, la SASU Transports Moraud a fait assigner la SAS Perguilhem et la SAS Vermilion Rep devant le tribunal de commerce de Pau aux fins de voir :

— relever les actes de débauchage des chauffeurs X, A et Y ;

— relever l’imputabilité de ces actes aux sociétés Perguilhem et Vermilion Rep ;

— relever les conséquences préjudiciables qui ont résulté du comportement des sociétés Perguilhem et Vermilion Rep ;

— relever le caractère déloyal des actes incriminés ;

En conséquence,

— dire et juger que les sociétés Perguilhem et Vermilion Rep se sont rendues coupables d’actes de concurrence déloyale,

— condamner in solidum les sociétés Perguilhem et Vermilion Rep au paiement à la demanderesse, à titre de dommages et intérêts, des sommes suivantes :

—  944.876,00 euros en raison de la perte de chiffre d’affaires ;

—  90.000,00 euros en raison du coût financier généré par l’immobilisation des trois ensembles routiers citernes inexploitables car sans chauffeurs ADR durant la période de juin à octobre 2017 ;

—  5686,00 euros en raison des formations acquittées et dont a bénéficié la société Perguilhem sans bourse déliée ;

—  9000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;

— outre les dépens de l’instance comme ceux afférents à l’exécution de l’ordonnance sur requête rendue le 30 janvier 2018, et à venir, ainsi que les intérêts légaux à compter de la mise en demeure de la SASU Transports Moraud ;

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement du 3 décembre 2019, le tribunal de commerce de Pau a :

— constaté que la SASU Transports Moraud ne rapportait pas la preuve d’un débauchage de salariés imputable à faute à la SAS Perguilhem ;

— constaté que la SASU Transports Moraud ne rapportait pas la preuve d’un dommage qui était constitué par la désorganisation de son entreprise ;

— constaté que la SASU Transports Moraud ne rapportait pas la preuve d’un lien de causalité entre le débauchage et le dommage invoqué ;

— constaté en tout état de cause que la SASU Transports Moraud ne rapportait pas la preuve d’un préjudice consécutif à l’acte de concurrence déloyale qui était imputable à la SAS Perguilhem ;

— débouté ce faisant la SASU Transports Moraud de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

— rejeté l’action de la SASU Transports Moraud à l’encontre de la SAS Vermilion REP ;

— condamné la SASU Transports Moraud à payer à la SAS Perguilhem, la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du CPC et à la SAS Vermilion Rep, la somme de 1700 euros au titre de l’article 700 du CPC ;

— débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

— condamné la SASU Transports Moraud à payer les entiers dépens de l’instance dont les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 84,48 euros en ce compris l’expédition de la décision outre les dépens en ce compris les frais d’huissier à titre de l’article 10 de leur tarif pour exécution forcée.

Par déclaration en date du 26 février 2020, la SASU Transports Moraud a relevé appel de ce jugement.

La clôture est intervenue le 22 septembre 2021, l’affaire étant fixée au 4 octobre 2021.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l’espèce des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour entend se référer pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Vu les conclusions notifiées le 03 septembre 2021 par la société SASU Transports Moraud, qui demande de :

Vu les articles 1240 et suivants du Code Civil ;

Vu les pièces produites aux débats ;

— infirmer le jugement rendu le 3 décembre 2019 par le Tribunal de Commerce de Pau

— constater que la société Perguilhem a formulé une proposition d’embauche auprès des chauffeurs X, Y et A, en raison du contrat conclu avec la société Vermilion Rep ;

— Constater que la société Perguilhem a formulé une proposition d’embauche auprès des chauffeurs, alors qu’ils étaient en poste au sein de la société Moraud ;

— constater que les embauches des chauffeurs par la société Perguilhem, sont dépourvues de caractère spontané

— constater que les embauches des chauffeurs par la société Perguilhem, ont consisté notamment en une offre de rémunération plus intéressante, afin de les inciter à démissionner

— constater que la société Perguilhem a formulé une proposition d’embauche assortie de conditions contractuelles incitatives

— constater que la démission des chauffeurs a été concomitante de leur embauche par la société Perguilhem

— constater que la société Perguilhem a été ainsi à l’origine d’une démarche active à l’endroit des chauffeurs X, Y et A ;

— constater que la société Vermilion Rep a participé activement à cette proposition, notamment en facilitant la rencontre et les négociations entre son cocontractant et les chauffeurs démissionnaires

— constater que l’absence de clause contractuelle de non-concurrence, n’exonère pas l’employeur de ses man’uvres visant à débaucher des salariés employés au sein de son concurrent

— constater que le débauchage des chauffeurs X, Y et A, a concerné l’essentiel des salariés qualifiés et spécialisés dans le transport de carburant, dans l’effectif de la société Moraud

— constater que le débauchage des chauffeurs a été simultané et immédiat, de telle manière qu’il n’a pas permis à la société Moraud, de recruter et de former dans l’urgence, des chauffeurs qualifiés et spécialisés

— constater que le débauchage des chauffeurs a permis de favoriser un concurrent direct de la société Moraud

— constater que le débauchage des chauffeurs a permis à la société Perguilhem de bénéficier de leurs connaissances et de leur savoir-faire

— constater que le débauchage des chauffeurs a permis à la société Perguilhem d’exécuter immédiatement le contrat conclu avec la société Vermilion Rep

— constater que le débauchage des chauffeurs a permis à la société Perguilhem de bénéficier immédiatement d’un personnel qualifié et spécialisé

— constater que la qualification et la spécialisation des chauffeurs ont constitué des éléments de recrutement déterminants pour la société Perguilhem

— constater que le débauchage des chauffeurs a impacté directement l’activité de transport de carburant de la société Moraud, qui a ainsi été brutalement et durablement suspendue

En conséquence :

— condamner in solidum les sociétés Perguilhem et Vermilion Rep à payer à la SAS Transports Moraud, à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes :

—  944.876,00 € au titre de la perte de chiffre d’affaires,

—  90.000 € au titre de la perte d’exploitation,

—  5.686 € au titre des formations acquittées,

— condamner in solidum les sociétés Perguilhem et Vermilion Rep à payer à la SAS Transports Moraud, la somme suivante :

—  12.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et frais de postulation,

*

Vu les conclusions notifiées le 21 octobre 2020 par la SAS Perguilhem qui demande de :

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu le principe de la liberté de travail,

Vu le principe de la libre concurrence,

— débouter la SASU Transports Moraud se son appel, la déclarer mal fondée,

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

— condamner la société Transports Moraud à payer à la société Perguilhem la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais d’huissier au titre de l’article 10 de leurs tarif pour exécution forcée.

*

Vu les conclusions notifiées le 22 septembre 2020 par la SAS Vermilion Rep qui demande de :

— rejeter l’appel ;

— condamner l’appelante à payer à Vermilion REP la somme de 4000€ au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner l’appelante aux dépens.

MOTIVATION :

La société Transports Moraud recherche la responsabilité des sociétés intimées sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil dans sa rédaction applicable depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016.

Aux termes de l’article 1240, tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le demandeur doit établir la faute, le dommage et l’existence d’un lien de causalité directe entre eux.

A hauteur d’appel, La société Transports Moraud demande à la cour de qualifier de déloyal le débauchage de trois de ses salariés par l’entreprise Perguilhem , avec la participation de la société Vermilion, en raison d’un faisceau d’indices constitué des éléments suivants :

' La société Perguilhem a été à l’origine d’une proposition d’embauche auprès des chauffeurs X, Y et A,

' la proposition d’embauche par la société Perguilhem a été initiée en raison du contrat conclu avec la société Vermilion REP,

' la société Perguilhem a formulé une proposition d’embauche auprès des chauffeurs alors qu’ils étaient encore en poste au sein de la société Moraud

' les embauches des chauffeurs par la société Perguilhem sont dépourvues de caractère spontané,

' les embauches des chauffeurs par la société Perguilhem ont consisté notamment en une offre de rémunération plus intéressante, afin de les inciter à démissionner,

' la société Perguilhem a formulé une proposition d’embauche assortie de conditions contractuelles incitatives

' la démission des chauffeurs a été sensiblement concomitante de leur embauche par la société Perguilhem

' la société Perguilhem a ainsi été à l’origine d’une démarche active à l’endroit des chauffeurs X, Y et A

' la société Vermilion Rep a participé activement à cette proposition, notamment en facilitant la rencontre et les négociations entre son cocontractant et les chauffeurs démissionnaires,

' ce débauchage a entraîné une désorganisation de la société appelante qui doit être appréciée au niveau de l’entreprise concurrente à celle qui a recruté les salariés, sans prendre en compte les relations de groupe de la concluante, mais en retenant, par contre, la concomitance des démissions, la proportion des salariés démissionnaires dans l’effectif des salariés qualifiés et spécialisés dans le transport de carburant de l’entreprise Moraud,

' le débauchage a impacté directement l’activité de transport de carburant de la société Moraud brutalement et durablement suspendue.

En réponse, la société Perguilhem fait valoir que la société appelante ne rapporte pas la preuve d’une démarche active de sa part pour débaucher les chauffeurs de la société Moraud, attachés au contrat de prestation de service passé avec la société Vermilion, se contentant de procéder par affirmations, et encore moins la preuve d’un débauchage abusif.

Elle ajoute que l’embauche des salariés attachés au précédent « contrat Vermilion » n’était pas une priorité aux fins de remporter l’appel d’offre, puisque le marché lui était acquis depuis le 23 mai 2017. Elle indique à cet égard que parmi les mails cités par la partie adverse, figure un message indiquant que la société Perguilhem entendait recruter 8 chauffeurs supplémentaires pour ce nouveau contrat.

Elle conteste la notion de débauchage massif et de désorganisation de la société Transports Moraud, en l’absence de démonstration d’un impact fort, consécutif aux démissions des trois chauffeurs concernés. De ce point de vue, la société intimée relève que la société appelante fait partie du groupe T, fort de plus de 1000 employés et de 500 conducteurs, de sorte qu’elle pouvait pallier au départ de trois salariés attachés exclusivement à un marché d’ores et déjà perdu.

Elle en déduit que le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué n’est pas établi par la société Transports Moraud.

Sur le préjudice, dont elle remet en cause le calcul, elle considère que la société Transports Moraud opère une confusion entre les conséquences financières de la perte d’un client, l’entreprise Vermilion, au terme d’un appel d’offres dont la régularité n’est pas remise en cause, et le départ des trois chauffeurs attachés à ce client. L’immobilisation de trois ensembles routiers pendant trois mois ayant généré une perte d’exploitation de 90000,00 euros, au demeurant non justifiée, est liée, selon elle, à la perte du contrat Vermilion, tout comme la perte du chiffre d’affaires réalisé sur trois ans avec ce client, pour laquelle la société appelante réclame la somme de 944 876,00 euros. Sur ce point, elle rappelle que l’action aujourd’hui poursuivie porte exclusivement sur la captation de salariés et non sur le

détournement de clientèle.

Pour sa part, la société Vermilion soutient quelle n’a jamais demandé à l’entreprise Perguilhem de reprendre les trois chauffeurs de l’entreprise Transports Moraud attachés à l’exécution du contrat de transport passé avec cette dernière, le seul élément en faveur de cette thèse, produit par la société appelante, étant l’attestation du chauffeur A qui a depuis réintégré une société du groupe T. Elle dénonce le caractère mensonger de cette attestation et souligne qu’en tout état de cause la reprise de salariés, en cas de changement de prestataire consécutif à la perte d’un marché, est une démarche souhaitable et appropriée.

Elle ajoute que le lien de causalité entre la faute qui lui est imputée et le préjudice allégué est pour le moins indirect, puisque entre les deux il supposait une offre de l’entreprise Perguilhem acceptée par les salariés, ces derniers étant libres d’accepter ou non la proposition faite.

Enfin, elle conteste l’élément de désorganisation allégué par l’entreprise Transports Moraud, condition de la concurrence déloyale. Notamment, elle considère que la reprise de trois salariés par la société Perguilhem ne prouve en rien que trois ensembles routiers auraient été empêchés de circuler avec d’autres conducteurs au volant.

En droit, l’embauche d’un ou plusieurs salariés d’une entreprise concurrente ne constitue pas en tant que tel un acte de concurrence déloyale. A cet égard, le fait pour une entreprise de chercher à recruter les meilleurs collaborateurs fait partie du libre jeu de la concurrence et, en l’absence d’obligation contractuelle contraire, un salarié a parfaitement le droit de rompre son contrat pour travailler chez un concurrent.

En revanche, ce débauchage est constitutif d’un acte de concurrence déloyale s’il s’accompagne d’un comportement fautif du nouvel employeur ayant conduit à une désorganisation de l’entreprise quittée ou même de l’un de ses services, seulement, ou si l’embauche a été réalisée en violation d’une clause de non-concurrence post contractuelle dont le nouvel employeur avait connaissance.

Pour caractériser la faute du nouvel employeur, la jurisprudence s’attache à rechercher la convergence de certains indices comme par exemple le caractère concomitant et/ou massif des embauches, ou encore l’existence de 'man’uvres’ de la part du concurrent pour embaucher le ou les salariés, ces manoeuvres pouvant consister dans des conditions d’embauche inhabituellement favorables, notamment un salaire exceptionnellement élevé.

En l’absence de clause de non-concurrence, et alors que l’entreprise qui se dit victime de concurrence déloyale doit démontrer que les recrutements litigieux ont eu pour effet de la désorganiser, la 'simple perturbation’ n’est pas suffisante. Il faut que l’organisation même de la société soit en péril. L’élément intentionnel n’est en revanche pas requis et il suffit que le débauchage ait abouti à ce résultat.

Par ailleurs, le fait que les anciens salariés utilisent nécessairement leur connaissance des savoir-faire et de la clientèle de leur ancien employeur, ou l’expérience et les qualifications acquises en son sein, ne suffit pas à caractériser l’existence de manoeuvres déloyales du nouvel employeur.

A hauteur d’appel, la société des Transports Moraud ne soutient plus expressément que la S.A.S.PERGUILHEM a pu remporter le marché de transports de produits pétroliers de la S.A.S.Vermilion Rep, au prix d’un débauchage massif du personnel chauffeur routier quali’é ADR de la concluante : Messieurs X, Y et A.

Toutefois, la société appelante souligne la proximité de la démission des chauffeurs et du contrat conclu entre les sociétés Perguilhem et Vermilion, pour conclure à leur concomitance et à leur lien de causalité.

Cependant, force est de constater que la société Perguilhem a été informée de l’attribution de ce marché, par mail du 23 mai 2017, par la responsable des achats de l’entreprise Vermilion, alors qu’il ressort de l’attestation de M A G, l’un des trois chauffeurs embauchés par la société Perguilhem, qu’il a été informé en juin 2017 par M Z, préposé de la société Vermilion, du remplacement de l’entreprise Transports Moraud par l’entreprise Perguilhem. Son débauchage ne peut donc avoir démarré avant la décision d’attribution du nouveau marché à l’entreprise Perguilhem.

De la même façon, la fiche CV de H X, second chauffeur embauché par l’entreprise Perguilhmen, a été établie à la suite d’un entretien du 7 juin 2017 avec le directeur technique du nouvel employeur.

Ces deux éléments ne permettent pas cependant de caractériser un débauchage des salariés de l’entreprise Moraud, avant l’attribution du marché de transport de la société Vermilion à l’entreprise Perguilhem.

Et, si la société Transports Moraud demande à la cour de relever la proximité du recrutement de ses trois chauffeurs démissionnaires avec le contrat passé entre les sociétés Vermilion et Perguilhem, pour conclure à leur concomitance et à leur lien de causalité, il n’est pas possible d’affirmer que c’est parce que l’entreprise Perguilhem a recruté ces trois salariés qu’elle a vu son offre contractuelle retenue par la société Vermilion.

En revanche, il est manifeste qu’à défaut de remporter cet appel d’offres, la société Perguilhem n’aurait pas envisagé de recruter les trois conducteurs démissionnaires, dont l’embauche ne présentait d’intérêt que par rapport au marché de l’entreprise Vermilion. Toutefois, cette causalité constitue tout au plus un indice d’un débauchage actif de messieurs X, Y et A, qu’il convient de vérifier par d’autres éléments.

La société appelante produit une attestation de M A, chauffeur démissionnaire de l’entreprise Transports Moraud, recruté en juin 2017 par l’entreprise Perguilhem, mais qui a ensuite démissionné de ce nouvel emploi pour rejoindre une autre entreprise du groupe T.

Celui-ci atteste des faits suivants:

«  depuis 2014, j’exerçais la profession de chauffeur routier pour le compte de la société Transports Moraud et exclusivement auprès de la société Vermilion, comme mes collègues I Y et H X…

En juin 2017, J Z de la société Vermilion nous informe de leur intention de changer de prestataire au profit de l’entreprise Perguilhem, mais l’entreprise Vermilion souhaitait nous conserver comme conducteurs au regard de notre habitude avec ses locaux, ses installations à risque, son matériel et surtout du secteur délicat avec ses forêts de sable.

J’ai trouvé cela étonnant car les contrats Perguilhem se ( sont) finalement révélés plus chers que ceux des transports Moraud, alors que cette dernière s’est toujours pliée aux exigences de Vermilion surtout dans l’urgence.

C’est pourquoi, l’entreprise Perguilhem, futur prestataire a proposé une rencontre dans l’enceinte des ses locaux de l’entreprise Vermilion, nous sommes 10 jours avant la fin des contrats entre mon employeur d’alors et la société Vermilion, cette dernière a mis à disposition ses locaux pour cette rencontre et c’est ainsi que nous avons fait la connaissance de M K L qui s’est présenté alors comme numéro 2 de l’entreprise Perguilhem, dans la cour du dépôt Vermilion, lors de l’un de ses passages.

Perguilhem avait envisagé de me recruter, ainsi que I Y et H X pour former ses chauffeurs qui ne connaissaient pas alors cette activité de citernes sur le secteur du bassin.

H X a démissionné 20 jours avant pour mettre en place les citernes et leurs spécificités chez Perguilhem, car cette société ne connaissait les particularités du matériels.

Et Perguilhem a reproduit l’existant de chez Moraud car chaque citerne est adaptée au puit qu’il desserre.

Lors de cet entretien, il nous a demandé de lui indiquer ce qui nous motiverait à partir de chez les transports Moraud et qu’il était prêt à se montrer généreux.

Nous lui avons fait part de nos exigences et par la suite, c’est M B qui a été notre interlocuteur pour finaliser notre embauche .

Personnellement, j’ai échangé par téléphone avec M concernant les différentes propositions offertes par la société Perguilhem et seul H X était devenu mon seul et unique interlocuteur. »

Les sociétés intimées contestent la sincérité de ce témoignage aux motifs qu’il comporte des incohérences et émane de quelqu’un qui, depuis, est redevenu un salarié du groupe T.

Toutefois, ce soupçon de partialité peut également être opposé aux sociétés Perguilhem et Vermilion, s’agissant des attestations établies respectivement par messieurs Y et X, toujours salariés de la société Perguilhem, pour les prestations de transport exécutées pour le client Vermilion, lesquels au contraire indiquent avoir saisi l’opportunité de la fin du marché de prestation de transports passé avec leur ancien employeur pour démissionner et postuler auprès de l’entreprise Perguilhem, et ce en raison de désaccords sur des questions de sécurité, d’entretien des véhicules et de qualité de la prestation fournie au client.

Ces trois attestations doivent en conséquence être reçues avec réserve, en raison des liens de subordination existant entre les témoins et, respectivement, la société Perguilhem et le groupe T à laquelle appartient la société Transports Moraud.

Toutefois, il apparaît qu’un intérêt commun a pu favoriser la négociation des futurs contrats de travail conclus entre la société Perguilhem et messieurs X, Y et A, cet intérêt commun rejoignant celui de la société Vermilion.

En effet, les premiers étaient assurés de conserver un circuit de transport sur un itinéraire et auprès d’un client qu’ils connaissaient depuis plusieurs années, et donc de conserver, au moins dans un premier temps, les mêmes conditions de travail, échappant ainsi à l’aléa que constituait la perspective d’être affectés à un autre contrat de transport.

A l’inverse, la société Vermilion était assurée de voir la prestation de transport exécutée par la société Perguilhem, réalisée au moins en partie par des chauffeurs qu’elle connaissait et qui avaient sa confiance depuis là encore plusieurs années, en l’absence de manquements répertoriés aux règles de sécurité en matière de transport de produits pétroliers.

De même, la société Perguilhem avait la garantie de répondre aux attentes de son nouveau client par la qualification des personnels recrutés et leur connaissance des procédures de chargement et déchargement sur les sites desservis, deux éléments indispensables à la sécurité des prestations de transport de produits dangereux.

Cet intérêt commun étant manifeste, la cour retient, au vu des pièces versées aux débats, que plusieurs indices convergents permettent d’établir une démarche active de la société Perguilhem en vue de recruter les trois chauffeurs de l’entreprise Transports Moraud affectés à l’entreprise Vermilion.

' D’une part, le bref délai qui s’est écoulé entre l’annonce du changement de prestataire ( le 23 mai 2017) et les premiers contacts avec H X. Selon le compte rendu de la réunion du 2 juin 2017, récupéré par l’huissier ayant exécuté la mesure d’investigation ordonnée par le président du tribunal de commerce, ce document indique «  pour l’instant nous avons H X ' Trois entretiens de recrutement le 14/06/2017 Action DT/MI… une option avec U V W AA, N O on statuera après le 14…

Proposition de reprise de chauffeurs Moraud à discuter, nomination d’un référent sur place, une personne de Lacq et une d 'Ambés pour démarrer… référent H X » .

Ce document révèle ainsi qu’à la date du 2 juin 2017, des contacts avaient déjà été pris avec H X en vue de son recrutement par l’entreprise Perguilhem. Celui-ci a d’ailleurs donné sa démission à son ancien employeur dès le 13 juin 2017 et a fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche par son nouvel employeur le 23 juin 2017.

' en second lieu, ce document fait état d’une « proposition de reprise des chauffeurs Moraud » formulation qui va à l’encontre de la thèse d’une initiative individuelle de chacun des chauffeurs en question.

' M Y a lui aussi été recruté très rapidement, par l’entreprise Perguilhem, à l’ issue d’un entretien du 14 juin 2017, faisant l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche par son nouvel employeur, le 20 juin 2017, alors que sa lettre de démission avait été remise la veille à l’entreprise Transports Moraud.

' Le même constat vaut pour G A, reçu en entretien le 14 juin 2017 et qui a fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche par l’entreprise Vermilion le 29 juin 2017, après avoir donné sa démission à son ancien employeur le 19 juin 2017.

Si les conditions salariales auxquelles ces trois conducteurs ont été recrutés par l’entreprise Perguilhem ne révèlent pas des conditions d’embauche inhabituellement favorables, en revanche, il ressort des fichiers dont la copie a été saisie par l’huissier que les trois salariés ont été recrutés, chacun, sur la base d’une étude comparative du coût salarial engendré par leur embauche, au regard de leurs conditions de rémunération chez leur ancien employeur.

Des bulletins de paie tests ont ainsi été édités et un tableau comparatif a même été établi puis modifié pour M X. Au final celui-ci a bénéficié d’une rémunération à l’embauche comparable à celle versée par son ancien employeur . La différence constatée par la société appelante sur le bulletin de décembre 2017, de l’ordre de 340 euros, étant la conséquence d’une indemnité « grands déplacements repas ».

Pour être abusif et sanctionnable, le débauchage des trois salariés de la société Transport Moraud par la société Perguilhem doit cependant avoir eu pour conséquence une désorganisation de l’entreprise quittée, cette désorganisation pouvant se limiter à celle d’un service.

A cet égard, force est de constater que la société Transports Moraud, loin de rapporter la preuve de cette désorganisation, procède par affirmations.

En effet elle invoque une immobilisation des trois véhicules de transports qui étaient affectés aux trois conducteurs démissionnaires, pendant trois mois, par suite de la difficulté de recruter et former des conducteurs disposant des mêmes qualifications en matière de transport de produits pétroliers.

Cependant étant rappelé, ce qui n’est pas contesté, que les trois chauffeurs démissionnaires étaient affectés exclusivement au contrat Vermilion, la société appelante ne justifie d’aucun projet concret de les réaffecter sur une autre tournée, auprès d’un autre client, autrement que par le mail émanant de M X adressé à M B, le 9 juin 2017, faisant état d’une vague proposition de reclassement sur « la ligne régulière Bilbao ».

Elle ne justifie pas non plus de ses démarches pour recruter trois autres chauffeurs disposant des mêmes qualifications et de l’immobilisation pendant trois mois des véhicules pris en crédit-bail mobilier.

Force est de constater également qu’elle ne justifie pas du ratio de 20 % de son personnel spécialisé, représenté par les trois chauffeurs démissionnaires, alors qu’elle produit une comptabilité faisant état de la rémunération de personnels extérieurs à l’entreprise et de déclaration de données sociales 2015-2016 indiquant un effectif global incompatible avec ce ratio.

Enfin, il convient de relever que le document établi par son commissaire aux comptes, le 29 juin 2018, validant le tableau de la Holding T, présidente de la SAS Transports Moraud, certifie l’exactitude du chiffre d’affaires total réalisé avec la société Vermilion entre 2015 et 2017, celui réalisé avec ce client par les trois conducteurs démissionnaires et la marge correspondante, sans pour autant démontrer l’existence d’une perte de chiffre d’affaires et de marge liée à la démission des chauffeurs en cause et à l’impossibilité de les affecter à d’autres contrats. Le préjudice invoqué apparaît ainsi être directement lié à la perte du contrat de prestation de transport non renouvelé par la société Vermillion, sans lien avec la démission de ses anciens chauffeurs, ni lien établi avec une quelconque désorganisation de ses services, consécutive à ces démissions.

Dès lors, les trois éléments constitutifs d’une hypothétique responsabilité des sociétés intimées, pour concurrence déloyale, ne sont pas réunis et c’est donc à bon droit que le tribunal a débouté la société Transports Moraud de l’ensemble de ses demandes. Le jugement sera ainsi confirmé.

Sur les demandes annexes :

La Société SASU Transports Moraud, qui succombe en totalité, supportera la charge des dépens de l’entière procédure.

Au regard des circonstances de la cause et de la position respective des parties, l’équité justifie de confirmer le jugement sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et d’y ajouter en condamnant la SASU Transports Moraud à payer aux sociétés Vermilion et Perguilhem et à chacune une somme supplémentaire de 1500,00 euros au titre des frais son compris dans les dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier

ressort,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SASU Transports Moraud aux dépens d’appel,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SASU Transports Moraud à payer à la SAS Perguilhem et à la SAS Vermilion Rep, et à chacune, un somme de 1500,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur C D, suite à l’empêchement de Monsieur I DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame P Q, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière, Le Président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 13 décembre 2021, n° 20/00638