Cour d'appel de Rouen, Chambre de la proximité, 17 décembre 2020, n° 19/04343

  • Chantier naval·
  • Bateau·
  • Immobilier·
  • Ordonnance sur requête·
  • Tribunaux de commerce·
  • Motif légitime·
  • Constat·
  • Navire·
  • Rétractation·
  • Bail

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. de la proximité, 17 déc. 2020, n° 19/04343
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 19/04343
Décision précédente : Tribunal de commerce de Le Havre, 15 octobre 2019, N° 19/00087
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 19/04343 – N° Portalis DBV2-V-B7D-IKQZ

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE DE LA PROXIMITE

ARRET DU 17 DECEMBRE 2020

DÉCISION

DÉFÉRÉE :

[…]

Jugement du TRIBUNAL DE COMMERCE DU HAVRE du 16 Octobre 2019

APPELANTE :

S.A.R.L. CHANTIER NAVAL DES TORPILLEURS

[…]

[…]

représentée par Me Marie-pierre NOUAUD de la SCP BONIFACE – DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.C.I. LE DOMAINE IMMOBILIER

[…]

[…]

représentée et assistée par Me Thomas DUGARD de la SELARL VD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline RETOUT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 786 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 Octobre 2020 sans opposition des avocats devant Madame GERMAIN, Conseillère, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur MELLET, Conseiller faisant fonction de Président

Madame LABAYE, Conseillère

Madame GERMAIN, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame X,

DEBATS :

A l’audience publique du 12 Octobre 2020, où l’affaire a été mise en délibéré au 17 Décembre 2020

ARRET :

Contradictoire

Prononcé publiquement le 17 Décembre 2020, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Monsieur MELLET, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame X, Greffière.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant bail commercial en date du 11 octobre 2007, la SCI Le Domaine Immobilier a donné en location à la société Chantier Naval des Torpilleurs divers locaux à usage commercial situés […] à Tancarville, pour une durée de neuf années consécutives jusqu’au 30 septembre 2016, et portant sur un bâtiment d’une superficie de 435 m², un bureau, un local compresseur, un local karcher, un terrain pour stockage d’une superficie de 14.900 m² suivant un loyer annuel de 39.324 euros HT.

Par ordonnance rendue le 14 juin 2019, sur requête en date du 4 juin 2019 de la SCI Le Domaine Immobilier, le président du tribunal de commerce du Havre a autorisé la SCI Le Domaine Immobilier à faire dresser un procès-verbal de constat de l’occupation des bateaux qui se trouvent sur les parcelles et sur les navires se trouvant sur l’eau.

Le président du tribunal de commerce du Havre a en outre désigné la SCP Lerasle et Mehrung, huissiers de justice associés au Havre, laquelle a établi son constat le 17 juillet 2019 à 6h55.

L’ordonnance rendue sur requête a été signifiée à la SARL Chantier Naval des Torpilleurs suivant acte du 17 juillet 2019 et remis à l’étude.

Suivant assignation délivrée le 20 août 2019, la SARL Chantier Naval des Torpilleurs a saisi le président du tribunal de commerce du Havre aux fins de voir rétracter l’ordonnance sur requête, en ce qu’elle comporterait des vices de forme et ne serait pas justifiée sur le fond.

Par ordonnance du 16 octobre 2019, le président du tribunal de commerce du Havre a débouté la SARL Chantier Naval des Torpilleurs de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée à régler la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Pour statuer ainsi, le président du tribunal de commerce a considéré que l’ordonnance du 14 juin 2019, qui vise la requête présentée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, satisfaisait aux exigences de l’article 495 du code de procédure civile ; qu’il n’existait aucune infraction entachant de nullité la signification de la requête et de l’ordonnance ; qu’il résultait des débats que la SCI Le Domaine Immobilier avait voulu mettre en évidence, par la mise en place d’une mesure d’instruction non contradictoire, le non respect des clauses du bail.

Suivant déclaration au greffe en date du 7 novembre 2019, la SARL Chantier Naval des Torpilleurs a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 24 décembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des moyens développés, demande à la cour :

— de réformer l’ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,

— d’ordonner la rétractation de l’ordonnance sur requête en date du 14 juin 2019,

— de faire interdiction à la SCI Le Domaine Immobilier de produire et utiliser en Justice le procès-verbal de constat dressé en vertu de l’ordonnance du 14 juin 2019, en raison des contestations sérieuses qui affectent la demande et ce tant qu’un juge du fond n’en aura pas décidé autrement,

— de condamner la société SCI Le Domaine Immobilier au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de 1re instance et d’appel.

Au soutien de ses prétentions elle fait valoir :

— qu’au visa de l’article 495 du code de procédure civile applicable aux ordonnances sur requête, la Cour de cassation a précisé que l’ordonnance devait faire état des motifs justifiant de la nécessité d’ordonner des mesures en dérogeant au principe du contradictoire, et que la simple référence aux motifs de la requête ne peut suffire,

— qu’il appartient au requérant de caractériser le motif légitime justifiant de conserver ou d’établir une preuve avant tout procès et qu’il ne suffit pas de procéder par voie d’affirmation mais bien d’apporter un début de preuve formelle justifiant ledit motif légitime ; qu’à la lecture de la requête présentée, la SCI Le Domaine Immobilier n’a fait qu’affirmer que la SARL Chantier Naval des Torpilleurs permettait à des plaisanciers d’habiter sur leurs bateaux sans apporter le moindre commencement de preuve,

— que l’ordonnance a autorisé à faire dresser un procès-verbal de constat de l’occupation des bateaux qui se trouvent sur la parcelle dont la SCI Le Domaine Immobilier est propriétaire et exploitée par la société SARL Chantier Naval des Torpilleurs, […] et sur les navires se trouvant dans l’eau, alors que la SCI Le Domaine Immobilier n’a aucun droit ni titre concernant l’exploitation du fleuve jouxtant sa parcelle, qui appartient au domaine public portuaire,

— qu’à supposer que certains propriétaires des bateaux résident ponctuellement sur ces derniers, aucun grief ne pourrait en être fait à la SARL Chantier Naval des Torpilleurs alors que les dispositions contractuelles le prévoient,

— qu’en choisissant la voie non contradictoire, la SCI Le Domaine Immobilier n’a pas communiqué au magistrat la totalité des éléments du litige et que sa demande était affectée d’une contestation sérieuse qui aurait dû conduire au rejet de cette dernière,

— que la situation dénoncée par ses soins auprès du président du tribunal de commerce était connue et acceptée par la SCI Le Domaine Immobilier et acceptée depuis plusieurs années et qu’il n’existait donc aucun motif légitime à établir la preuve de l’occupation des bateaux de façon unilatérale,

— qu’en conséquence le président du tribunal de commerce devait rétracter son ordonnance et faire interdiction à la SCI Le Domaine Immobilier d’utiliser le procès-verbal réalisé sur ce fondement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 13 janvier 2020 et auxquelles il convient de se

reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, la SCI Le Domaine Immobilier demande à la cour :

— de la recevoir en ses conclusions et de la déclarer bien fondée,

— de débouter la SARL Chantier Naval des Torpilleurs de l’intégralité de ses demandes,

— de confirmer l’ordonnance de référé du 16 octobre 2019 qui a confirmé l’ordonnance sur requête rendue le 14 juin 2019 par le président du tribunal de commerce du Havre,

— de condamner la SARL Chantier Naval des Torpilleurs à lui régler la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles en cause d’appel, en sus de ceux déjà alloués en première instance et de la condamner aux dépens de première instance et d’appel.

Elle soutient :

— que l’ordonnance du 14 juin 2019 vise la requête développée ce qui suffit à satisfaire aux dispositions de l’article 495 du code de procédure civile,

— que le président du tribunal de commerce statuant en référé n’a fait que contrôler l’existence d’une motivation dans la requête à laquelle l’ordonnance se réfère et a constaté qu’il existait une motivation sans en apprécier le bienfondé,

— qu’elle a constaté une activité non autorisée par le bail et a légitimement souhaité en obtenir une preuve, afin de faire ensuite juger le manquement constaté, par le tribunal de grande instance du Havre,

— que les attestations versées aux débats par l’appelante ne viennent pas démontrer que personne ne dort sur les bateaux à titre onéreux, bien au contraire,

— que si le constat d’huissier s’était déroulé contradictoirement, il n’y aurait plus eu personne sur le bateaux et qu’il n’aurait pas été possible de constater la présence de locataires, de sorte qu’elle avait bien un motif légitime à solliciter un constat non contradictoire,

— que le fait d’être autorisé à constater que des personnes vivent de manière habituelle sur les bateaux qui sont dans l’eau, vient confirmer que la SARL Chantier Naval des Torpilleurs a une activité qui n’entre pas dans son objet social, pour laquelle elle n’a aucune autorisation et que ces personnes utilisent le domaine privé de la SCI Le Domaine Immobilier.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 26 mars 2020.

L’audience du 26 mars 2020 ayant été supprimée du fait de la mise en oeuvre du plan de continuation d’activité dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid 19 et les parties ayant souhaité plaider le dossier, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 12 octobre 2020 et mise en délibéré au 17 décembre 2020.

MOTIFS

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Par ailleurs l’article 493 du même code dispose que l’ordonnance sur requête est une décision

provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. Cette ordonnance sur requête est motivée ainsi que le prévoit l’article 495.

En l’espèce la SARL Chantier Naval des Torpilleurs reproche à l’ordonnance sur requête du 14 juin 2019 son absence de motivation, dès lors qu’elle se borne à viser la requête et alors que les motifs repris dans la requête sont emprunts de mauvaise foi.

Toutefois, il est constant que l’ordonnance qui vise la requête, en adopte les motifs.

Or en l’espèce, la requête déposée à l’appui de la demande de la mesure d’instruction est motivée par la nécessité d’établir la violation prétendue des clauses du bail par le preneur, en ce que le bail stipule l’interdiction de sous-location sauf accord formel du bailleur ainsi que l’interdiction faite au preneur d’héberger des tiers, même à titre gratuit et qu’il a été constaté à de très nombreuses reprises, que la SARL Chantier Naval des Torpilleurs autorisait des clients extérieurs au chantier et dont les bateaux ne sont pas en maintenance ou en réparation, à loger sur des bateaux qui se trouvent sur le chantier et sur la berge (…) moyennant le versement d’une indemnité, contrevenant ainsi aux dispositions du contrat.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le président du tribunal de commerce, saisi en rétractation de l’ordonnance sur requête du 14 juin 2019, a considéré que l’ordonnance satisfaisait aux exigences de l’article 495 du code de procédure civile, la requête visée par cette ordonnance étant suffisamment motivée.

Pour autant, et pour qu’il soit fait droit à la demande de mesure d’instruction sur le fondement des articles 145 et 493 du code de procédure civile, il appartient au juge saisi de la requête, de vérifier que la mesure sollicitée est fondée sur des motifs légitimes et que les circonstances imposent qu’elle ne soit pas contradictoirement ordonnée.

La SARL Chantier Naval des Torpilleurs soutient que la requête par laquelle la SCI Le Domaine Immobilier a saisi le président du tribunal de commerce, ne répond pas aux exigences de ces textes, en ce qu’elle ne fait qu’affirmer que son preneur permettrait à des plaisanciers d’habiter sur leurs bateaux sans même apporter le moindre commencement de preuve, à l’exception de photographies prises très tôt le matin, lesquelles sont insuffisantes selon elle, puisqu’il n’existe aucune restriction d’horaires opposable aux plaisanciers pour se rendre sur leurs navires.

Il résulte de la requête et des pièces jointes, que pour fonder sa demande tendant à faire constater que la SARL Chantier Naval des Torpilleurs ne respecte pas les stipulations du contrat de location dont elle est titulaire, puisqu’elle permettrait à des personnes de séjourner sur des navires, moyennant le versement d’une indemnité, la SCI Le Domaine Immobilier a joint à sa requête une copie du contrat de location ainsi que des photographies prises de nuit.

Or, ces éléments sont insuffisants à caractériser le motif légitime pour la SCI Le Domaine à demander, non contradictoirement, de faire établir un constat, puisqu’en effet la société requérante qui affirme que la SARL Chantier Naval des Torpilleurs autorise des clients extérieurs au chantier, à loger sur des bateaux, en contrepartie d’une indemnité et qui prétend que cette situation a été constatée à de très nombreuses reprises, se fonde sur des affirmations non étayées et sur trois photographies de mauvaise qualité, qui ne permettent ni de connaître le lieu, ni même l’heure où elles ont été prises. En outre, le simple fait qu’une cabine soit éclairée dans un bateau est insuffisant à laisser supposer une occupation nocturne en infraction aux dispositions contractuelles, alors que l’occupation de leurs navires par les clients de la SARL Chantier Naval des Torpilleurs n’est quant à elle pas interdite, le bail prévoyant en effet la possibilité d’héberger des tiers dans le cadre des activités du Preneur et cette faculté étant rappelée dans la requête elle-même en ces termes : 'la société Chantier Naval des Torpilleurs autorise les clients extérieurs au chantier, à savoir dont les bateaux ne sont pas en maintenance ou en réparation, à loger sur des bateaux qui se trouvent sur le chantier même et sur la berge.', ce qui a contrario confirme que les clients dont les bateaux sont en maintenance ou en réparation, peuvent loger sur leurs bateaux installés sur le chantier.

En outre selon une jurisprudence constante, doit être cassé l’arrêt qui rejette la demande de rétractation d’une requête, alors que ni la requête ni les juges du fond ne caractérisent les circonstances susceptibles de justifier d’une dérogation au principe de la contradiction.

Les circonstances justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction doivent être caractérisées dans la requête et l’ordonnance, autrement que comme en l’espèce, par un simple attendu de principe rappelant sans les caractériser, les circonstances exigeant qu’une mesure urgente soit prise.

Aucune circonstance n’est caractérisée en l’espèce justifiant le non respect du contradictoire, que ce soit dans la requête ou dans l’ordonnance, et seules les conclusions postérieures à la requête précisent que le non respect du contradictoire se justifie par le fait que si le constat s’était déroulé contradictoirement, il n’y aurait plus eu personne sur les bateaux. Néanmoins cette circonstance ne ressort nullement de la requête ou de l’ordonnance.

En conséquence il y a lieu de faire droit aux demandes de la SARL Chantier Naval des Torpilleurs tendant à la rétractation de l’ordonnance du 14 juin 2019, avec toutes ses conséquences, la SCI Le Domaine Immobilier étant déboutée de l’ensemble de ses demandes.

L’équité ne commande pas qu’il soit fait droit aux demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rétracte l’ordonnance du 14 juin 2019,

Fait interdiction à la SCI Le Domaine Immobilier de produire et utiliser en Justice le procès-verbal de constat dressé en vertu de l’ordonnance du 14 juin 2019,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit n’y avoir lieu à allocation d’indemnité par application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCI Le Domaine Immobilier aux entiers dépens de première instance et d’appel conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

La Greffière Le Conseiller faisant fonction de Président

*

* *

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Rouen, Chambre de la proximité, 17 décembre 2020, n° 19/04343