Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 29 juin 2020, n° 18/02185

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, 1re ch. civ., 29 juin 2020, n° 18/02185
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 18/02185
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Rouen, 8 avril 2018, N° 17/00733
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 18/02185 – N° Portalis DBV2-V-B7C-H3IZ

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 29 JUIN 2020

DÉCISION DÉFÉRÉE :

[…]

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 09 Avril 2018

APPELANTS :

Monsieur C X

né le […] à AMIENS

[…]

[…]

représenté par Me Christophe BOBEE de la SCP BOBEE TESSIER, avocat au barreau de ROUEN

Madame D E épouse X

née le […] à AMIENS

[…]

[…]

représentée par Me Christophe BOBEE de la SCP BOBEE TESSIER, avocat au barreau de ROUEN

INTIMES :

Monsieur N-O Y

né le […] à POISSY

[…]

[…]

représenté par Me Djamel MERABET de la SCP L, M & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

Madame F G épouse Y

née le […] à DIEPPE

[…]

[…]

représentée par Me Djamel MERABET de la SCP L, M & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 prise sous le visa de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie du Covid-19, l’affaire a été retenue sans débats par Monsieur Jean-B MELLET, Conseiller rapporteur, qui en a rendu compte pour délibéré par la Cour composée de :

Monsieur Yves LOTTIN, Président

Madame Audrey DEBEUGNY, Conseillère

Monsieur Jean-B MELLET, Conseiller

SANS DEBATS

Sur dépôt de dossiers fixé au 30 Mars 2020, l’affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2020

ARRET :

mis à disposition du public le 29 Juin 2020 au greffe de la Cour, et signé par Monsieur Yves LOTTIN, Président et par Madame Catherine CHEVALIER, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant acte authentique en date du 5 octobre 2012, M. C X et Mme D E épouse X (ci-après les époux X) ont vendu à M. N-O Y et Mme F G épouse Y (ci-après les époux Y) une maison à usage d’habitation située […].

Au début de l’année 2014, les époux Y ont constaté l’apparition de fissures sur le placoplâtre de l’escalier menant à l’étage, autour d’un vélux situé dans la cage d’escalier, ainsi que l’apparition d’un jour entre les plinthes et le parquet de l’étage.

Après qu’un charpentier ait préconisé l’étayage d’une poutre encoffrée dans le plafond du séjour, les époux Y ont, par assignation en date du 4 février 2015, sollicité une mesure d’expertise judiciaire.

Par ordonnance en date du 19 mars 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen a désigné Monsieur B H en qualité d’expert.

Ce dernier a remis son rapport le 14 juin 2016.

Par jugement contradictoire en date du 9 avril 2018, le tribunal de grande instance de Rouen a statué ainsi qu’il suit :

'Condamne solidairement M. C X et Mme D X à payer à M. et Y :

- 23.113,10 Euro à titre de restitution partielle du prix de vente de l’immeuble,

- 6.000 Euro de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance,

- 6.000 Euro au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire sauf pour les sommes dues au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne solidairement M. C X et Mme D X aux dépens y compris les frais de l’expertise judiciaire'.

Le tribunal a retenu l’existence d’un vice caché, et considéré que les époux X, qui avaient personnellement réalisé la démolition d’un mur porteur en rapport direct avec le désordre constaté, ne pouvaient se prévaloir de la clause élusive de garantie des vices cachés stipulée dans l’acte de vente. Il les a donc condamnés, à titre de restitution partielle du prix, au coût de la remise en état, outre le coût de leur hébergement durant les travaux et les frais de recherches annexes.

Par déclaration reçue au greffe le 23 mai 2018, les époux X ont interjeté appel de la décision en ce qu’elle :

'- les a déboutés de leurs demandes tendant à voir dire que l’action engagée le 23 février 2017 par les époux Y l’avait été plus de 10 ans après la date de départ de l’action en garantie décennale

- les a condamnés solidairement à payer à M. et Mme Y :

. 23.113,10 € à titre de restitution partielle du prix de vente de l’immeuble

. 6.000,00 € de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance

. 6.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

- a ordonné l’exécution provisoire sauf pour les sommes dues au titre de l’article 700 du code de procédure civile

- a rejeté toute autre demande

- a condamné solidairement M. C X et Mme D X aux dépens y compris les frais de l’expertise judiciaire'.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 janvier 2019, les époux X, appelants, demandent à la cour d’appel de :

'Débouter les époux Y de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

SUBSIDIAIREMENT

Déclarer les époux Y prescrits en leurs demandes fondées sur l’article 1792 du Code civil

Condamner les époux Y au paiement de la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de Procédure Civile,

Les condamner en tous les frais et dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise'.

Ils soutiennent que clause exonératoire des vices cachés est pleinement opposable, dès lors qu’ils n’avaient pas connaissance des vices apparus deux après la vente, que les travaux de démolition avaient été réalisés plus de dix ans avant cette dernière, et que seule la qualité de professionnel du bâtiment interdit au vendeur de se prévaloir de ce type de clause.

Ils soutiennent que les demandes formées subsidiairement sur le fondement décennal sont forcloses, puisque la réception est intervenue au cours de l’année 2003 et le premier acte interruptif est daté du 4 février 2015.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 22 février 2019, les époux Y, intimés, forment les demandes suivantes :

' Vu les pièces versées aux débats,

Vu le rapport d’expertise de Monsieur B H,

Vu les articles 1641 et suivants du Code Civil et 1792 et suivants du Code Civil,

Confirmer, à titre principal, au visa des articles 1641 et suivants du Code Civil, et à titre subsidiaire, au visa des articles 1792 et suivants du Code Civil, le jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN du 9 avril 2018 en ce qu’il a condamné les époux X à verser aux époux Y les sommes suivantes :

- la somme de 8.371,88 € TTC (TVA à 10 %) pour le remplacement du sommier et les travaux consécutifs,

- la somme de 3.421 € TTC pour la remise en conformité des fermes modifiées (2 fois 1.710,50 € TTC),

- la somme de 5.330,82 € TTC pour la réfection des peintures,

- la somme de 3.640 € TTC au titre des frais d’hébergement de la famille durant les travaux de réfection qui doivent durer 4 semaines hors peinture du rez-de-chaussée,

- la somme de 102 € TTC au titre de la facture de Monsieur A du 1er août 2014,

- la somme de 1.994,40 € TTC au titre de la facture pour l’intervention du bureau d’études BESB,

- la somme de 253 € TTC au titre de constat d’Huissier de Maître J K

- la somme de 6.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile

- les entiers dépens en ce compris les frais d’expertise de Monsieur B

H.

Déclarer Monsieur N-O Y et Madame F Y recevables en leur appel incident et les en déclarer bien fondés,

Infirmer le jugement rendu le 9 avril 2018 par le Tribunal de Grande Instance de ROUEN en ce qu’il a condamné Monsieur C X et Madame D X à verser à Monsieur N-O Y et Madame F Y la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance,

Statuant à nouveau,

- Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D X à verser à Monsieur N-O Y et Madame F Y la somme de 15.000 € au titre de leur préjudice de jouissance.

En tout état de cause,

- Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D X à verser à Monsieur N-O Y et Madame F Y la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles,

- Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D X aux entiers dépens de première instance et d’appel que la SCP L M & ASSOCIES sera autorisée à recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC'.

Ils soutiennent essentiellement ce qui suit :

— la connaissance par les vendeurs de l’existence du vice fait obstacle à l’application de la clause d’exclusion de la garantie des vices cachés ;

— les époux X avaient nécessairement connaissance de l’atteinte à la solidité de l’ouvrage, puisqu’ils ont effectué eux-mêmes les travaux afférents à la structure de la maison sans être des professionnels du bâtiment ;

— les époux X ne sauraient valablement invoquer la prescription décennale à l’encontre des époux Y, dans la mesure où ils ne démontrent pas la date de réception des travaux précités.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2020, et l’affaire, plaidée à l’audience du 30 mars 2020, a été retenue sans audience avec l’accord des conseils, et mise en délibéré au 29 juin 2020.

MOTIFS :

Aux termes de l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou

qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

Il résulte des débats, et plus particulièrement du rapport d’expertise, que les époux X ont réalisé eux-mêmes divers travaux destinés à permettre l’aménagement du salon et du grenier de leur maison.

Selon les attestations versées aux débats par les appelants en pièces n°11 à 15, ces travaux ont été réalisés au cours de l’année 2003.

Ils ont pour ce faire procédé à la démolition d’un mur de brique situé sous un sommier près de l’escalier intérieur, qu’ils ont renforcé en y clouant un bastaing, et ont modifié les fermes supportant la toiture.

Les ouvrages ainsi réalisés ont ensuite eté encoffrés.

Selon l’expert, ces travaux sont à l’origine des désordres, puisqu’il en est résulté un affaissement du plancher du premier étage dans son ensemble et l’apparition de diverses fissures sur les murs.

Ainsi que l’a retenu le tribunal de grande instance, l’existence d’un vice caché inhérent à la chose et compromettant sa destination normale est établie, dès lors qu’au jour de la vente, les fissures et affaissement n’étaient pas visibles et que la poutre dont la flèche anormale aurait pu alerter les acheteurs était placée dans un coffrage et était donc invisible. La déformation de l’ensemble des planchers du premier étage est due à la déformation du sommier qui ne repose plus sur le mur de brique détruit, et certaines des fermes de la charpente peuvent s’effondrer, si bien que la solidité de l’ouvrage est compromise.

Aux termes de l’article 1645 du code civil, 'si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur'.

La clause élusive de garantie des vices cachés est tenue en échec par la mauvaise foi du vendeur dès lors qu’il est établi qu’il connaissait les vices de la chose vendue.

Le vendeur professionnel est en conséquence présumé être de mauvaise foi.

S’il est exact, comme l’a retenu le tribunal de grande instance, que l’entrepreneur de travaux qui réalise personnellement les travaux en relation directe avec l’apparition de désordres mettant en péril l’immeuble ne peut se prévaloir de la clause de non-garantie, cette solution n’est pas applicable en l’espèce, puisqu’il n’est pas contesté que les époux X, vendeurs profanes, n’étaient ni auto-entrepreneurs de travaux, ni professionnels de la construction.

La bonne foi des vendeurs profanes se présume, quand bien même ils ont réalisé eux-même les travaux à l’origine du vice caché.

La mauvaise foi des époux X doit donc être démontrée.

Or, il résulte des débats qu’ils ont vendu la maison après avoir réalisé des travaux de structure qui, non seulement n’ont pas été déclarés aux acheteurs au moment de la vente, mais leur ont même été cachés, puisque le compromis de vente notarié du 27 juillet 2012 comporte une clause déclarative selon laquelle aucun ouvrage de nature décennale n’a été réalisée dans le délai de dix ans.

Par ailleurs, ces travaux ont été réalisés personnellement, par ces vendeurs profanes, en contradiction totale avec les règles de l’art et la prudence la plus élémentaire.

Afin d’agrandir le séjour, ils ont supprimé un mur porteur en brique, et pour le remplacer, ont fixé sur la poutre existante un étai en procédant à un simple clouage, décrit par l’expert comme 'aléatoire', et ce sans prévoir aucune reprise de charge aux extrémités, puisque cette pièce ajoutée n’a pas été scellée dans les murs porteurs.

Les photographies jointes en page 2 et 3 de la note du cabinet GUILLERMAIN OUEST, prises après décoffrage de l’ensemble, permettent de constater le caractère particulièrement précaire de l’ouvrage réalisé par M. X.

Un tel procédé ne pouvait que déséquilibrer la structure de l’immeuble dans son ensemble, ce qui était d’évidence même pour un profane.

Par ailleurs, afin de créer deux chambres à l’étage, les vendeurs ont pris l’initiative de modifier les fermes qui supportent la toiture, en supprimant le poinçon du faîtage au sommier, le nouveau faîtage étant supporté, à dire d’expert, par un 'échaffaudage de cales inqualifiable (absence totale de respect des règles de l’art)'.

Les vendeurs ne peuvent sérieusement prétendre, après avoir retenu et mis en oeuvre eux-même de tels procédés constructifs sur des éléments de structure, qu’ils ignoraient totalement les risques associés sur le bâti, quand bien même ces risques ne se seraient pas manifestés pendant leur période d’occupation.

Il était au contraire évident que ces travaux ne pouvaient qu’entraîner, à terme, au mieux des fissurations, au pire un risque d’effondrement.

Leur connaissance du vice est donc établie.

Il y a donc lieu de confirmer la décision querellée en ce que les vendeurs de mauvaise foi doivent être condamnés à restitution d’une partie du prix conformément à l’article 1644 du code civil.

Le montant de l’indemnisation a été fixé par le tribunal en considération du coût de la remise en état, soit :

—  8.371,88 euros TTC au titre du remplacement du sommier défaillant ;

—  3.421 euros TTC au titre du remplacement de deux fermes ;

—  5.330,82 euros TTC au titre des travaux de peinture pendant quatre semaines ;

auquel il a ajouté une somme de 3.640 euros retenu par l’expert au titre des 4 semaines de travaux, ainsi que les frais de recherches et de constat, soit la somme totale de 23.113,10 Euros.

Ces montants ne sont pas contestés en appel.

Les intimés forment appel incident quant à l’indemnisation de leur préjudice de jouissance, que le premier juge a fixé à 6.000 euros après avoir retenu que le fait de devoir vivre depuis près de quatre ans dans une maison devant être étayée afin d’éviter un effondrement constituait d’évidence un préjudice de jouissance.

Si les intimés demandent l’attribution d’une somme de 15.000 euros en cause d’appel, il n’est pas démontré que les étais, sur lesquels aucune précision technique n’est apportée, seraient particulièrement encombrants ou inesthétiques, le préjudice concerné n’ayant d’ailleurs pas été soumis à l’expert.

Il n’y a donc pas lieu d’infirmer ce chef du jugement, étant précisé que la décision querellée était revêtue de l’exécution provisoire, et que la persistance du préjudice de jouissance postérieurement au jugement est donc liée à l’absence de réalisation des travaux pour lesquels les intimés ont été indemnisés.

Les époux X qui succombent seront condamnés solidairement aux dépens d’appel, outre une somme pour frais irrépétibles qu’il est équitable de fixer à 5.000 euros

Le bénéfice de distraction est accordée aux conseils qui en ont fait la demande.

PAR CES MOTIFS

La cour d’appel de Rouen, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort :

CONFIRME la décision querellée en toutes ses dispositions déférées à la cour d’appel ;

CONDAMNE solidairement M. C E et Mme D E époux X aux dépens d’appel,

CONDAMNE solidairement M. C E et Mme D E époux X à payer à M. N-O Y et Mme F G épouse Y la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure d’appel ;

ACCORDE le bénéfice de distraction aux conseils qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre ;

Le Greffier Le Président

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