Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 29 janvier 2021, n° 17/06072

  • Licenciement·
  • Harcèlement moral·
  • Salariée·
  • Maladie professionnelle·
  • Marches·
  • Arrêt de travail·
  • Service·
  • Reconnaissance·
  • Sociétés·
  • Témoignage

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 29 janv. 2021, n° 17/06072
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 17/06072
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Castres, 6 décembre 2017, N° F17/00037
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

29/01/2021

ARRÊT N° 2021/51

N° RG 17/06072 – N° Portalis DBVI-V-B7B-MAOV

M.[…]

Décision déférée du 07 Décembre 2017 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CASTRES – F17/00037

SECTION COMMERCE

SARL ALDI MARCHE TOULOUSE

C/

J X

CONFIRMATION PARTIELLE

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4e Chambre Section 1 - Chambre sociale

***

ARRÊT DU VINGT NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN

***

APPELANTE

SARL ALDI MARCHE TOULOUSE

[…]

[…]

représentée par la SCP INTER-BARREAUX D’AVOCATS MARGUERIT BAYSSET RUFFIE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

Madame J X

[…]

[…]

représentée par la SCP D’AVOCATS CATALA-ESPARBIE-TRICOIRE, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 18 Novembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de:

S. BLUME, présidente

C. KHAZNADAR, conseillère

M. DARIES, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

FAITS ET PROCÉDURE:

La société Aldi Marché Toulouse exploite une activité de distribution de produits alimentaires.

Le 9 septembre 2003, Mme K X a été engagée par la société en qualité d’assistante et affectée à ce titre au service du personnel à Saint Sulpice La Pointe par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.

La salariée a été placée en arrêt de travail du 16 au 25 mars 2012 puis

du 6 décembre 2013 au 19 mars 2014.

Elle a repris le travail le 20 mars 2014 et a de nouveau été placée en arrêt maladie du 21 mars 2014 à novembre 2014.

Elle a été convoquée le 22 octobre 2014 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 octobre 2014, reporté au 12 novembre 2014.

A compter du 27 octobre 2014, les arrêts de travail étaient établis sur un CERFA relatif aux accidents du travail et à la maladie professionnelle.

Le 27 octobre 2014, elle a saisi la CPAM du Tarn d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie.

Madame X a été licenciée par la société le 18 novembre 2014 pour cause réelle et sérieuse

Le 1er juillet 2015, la CPAM a accepté la prise en charge au titre de la maladie professionnelle,

décision contre laquelle la sarl Aldi a formé un recours le 31 août 2015 devant la commission de recours amiable.

Le 27 octobre 2015, la société a contesté auprès du TASS la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.

L’affaire a été plaidée le 17 mai 2017 et le TASS a renvoyé le dossier devant le CRRMP de la Gironde (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles).

Le 22 mai 2017, Mme J X a saisi le conseil de prud’hommes de Castres pour contester son licenciement au motif qu’elle a été victime de harcèlement moral et pour obtenir paiement d’indemnités et des dommages et intérêts.

Par jugement du 7 décembre 2017, le conseil de prud’hommes de Castres, a:

— dit que la salariée avait été victime de harcèlement moral,

— dit que la rupture de son contrat de travail avait été opérée durant une période de suspension du contrat de travail,

— dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

— condamné la société à lui verser les sommes suivantes:

*67 716 euros correspondant à trois années de salaires au titre de la nullité de son licenciement,

*12 000 euros correspondant à la réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime,

*2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné le remboursement par l’employeur fautif des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités prévue à l’article L1235-4 du code du travail,

— ordonné le remboursement par l’employeur fautif des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de 6 mois d’indemnités, prévue à l’article L 1235-4 du code du travail,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes,

— condamné la société aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration du 21 décembre 2017 parvenue au greffe de la cour d’appel de Toulouse, la société Aldi Marché Toulouse a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 8 décembre 2017.

PRETENTIONS DES PARTIES:

Par ses dernières conclusions du 9 mars 2018, la société Aldi Marché Toulouse demande à la cour de :

— dire que la salariée ne peut pas démontrer les faits laissant présumer un harcèlement moral,

— dire que le licenciement de la salariée n’est ni nul ni sans cause réelle et sérieuse,

— dire que la salariée ne justifie pas des préjudices qu’elle allègue,

— débouter la salariée de l’intégralité de ses demandes,

— à titre subsidiaire, ramener au minimum le montant des dommages et intérêts à 6 mois de salaire,

— condamner la salariée à lui payer 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, la société Aldi conteste tout agissement de harcèlement moral à l’encontre de Madame X. Elle remet en cause les attestations versées par celle-ci ainsi que l’enquête effectuée par la CPAM du Tarn qui se fonde notamment sur 2 témoignages anonymes. Elle réfute en outre le manque de formation alléguée par la salariée et considère que ses difficultés étaient d’ordre familial.

A titre subsidiaire, sur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle, elle expose qu’elle n’est pas liée par la décision de la CPAM ayant reconnu le caractère professionnel de son état anxio-dépressif et qui est contestée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, lequel a renvoyé le dossier devant le CRRMP de la Gironde, procédure toujours en cours.

Elle dénie toute origine professionnelle même partielle de la maladie et affirme qu’elle n’avait pas connaissance de la demande de reconnaissance à ce titre de la salariée à la date d’engagement de la procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse, motivé par son absence prolongée désorganisant l’activité de l’entreprise, n’ayant reçu le certificat médical initial de maladie professionnelle que le 03 novembre 2014. Elle considère donc qu’elle n’avait pas à respecter la procédure spéciale de licenciement.

Elle affirme que ce dernier est fondé puisque Madame X, employée administrative polyvalente dédiée au service ressources humaines, était absente depuis plus de 11 mois ce qui a gravement perturbé le fonctionnement de la centrale (l’activité du service étant très dense du fait du nombre de 76 magasins à gérer) et qu’elle ne pouvait recruter sur ce poste, nécessitant une formation approfondie, un salarié à titre temporaire.

L’appelante conclut au rejet des demandes indemnitaires en l’absence notamment de la preuve du préjudice allégué par l’intimée.

Par ses dernières conclusions du 1er juin 2018, Mme J X demande à la cour de:

— A titre principal, constater qu’elle a été victime de harcèlement moral au sein de la société entre le début de l’année 2012 et son licenciement,

Condamner la société à lui verser:

*67 716 euros correspondant à trois années de salaires au titre de la nullité de son licenciement,

*12 000 euros correspondant à la réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime,

*3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— A titre subsidiaire, constater que la rupture du contrat a été réalisée durant une période de suspension du contrat de travail de la salariée due à un syndrome anxio-dépressif reconnu maladie professionnelle,

— condamner la société à lui verser les sommes suivantes:

*67 716 euros correspondant à trois années de salaires au titre de la nullité de son licenciement,

*12 000 euros correspondant à la réparation du préjudice subi,

*3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— A titre infiniment subsidiaire, constater l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, et condamner la société à:

*67 716 euros correspondant à trois années de salaires au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*12 000 euros correspondant à la réparation du préjudice subi par la salariée,

*3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame X explique qu’elle travaille pour la société Aldi depuis 2013, que les relations se sont dégradées depuis le début de l’année 2012 à la suite de l’arrivée d’une nouvelle supérieure hiérarchique Madame L Y et qu’elle a été victime de harcèlement moral lié au mode de management de celle-ci, ce qui a entraîné les arrêts de travail pour les périodes du 21 juin 2012 au 29 juin 2012 puis

du 14 novembre 2013 au 1er décembre 2013 puis de nouveau à compter

du 21 mars 2014 jusqu’à la date de son licenciement dont elle sollicite le prononcé de la nullité.

À titre subsidiaire, elle rappelle que le syndrome anxio-dépressif dont elle est affectée, a été reconnu comme maladie professionnelle le 1er juillet 2015 avec prise d’effet à compter du 27 octobre 2014, date du certificat médical initial de maladie professionnelle communiqué à la sarl Aldi Marché et qui s’accompagnait d’une demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

Elle allègue qu’ainsi le licenciement prononcé le 18 novembre 2014 est nul, comme l’ayant été pendant la période de suspension du contrat de travail alors que l’employeur savait qu’elle avait sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de

la maladie .

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, Madame X M que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la sarl Aldi Marché ne rapportant pas la preuve d’une embauche d’un nouveau salarié par contrat à durée indéterminée, ni celle de la réalité de la perturbation du fonctionnement de la société résultant de son absence pour maladie.

La clôture de la procédure a été prononcée le 5 novembre 2020.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

MOTIVATION:

Sur le harcèlement moral:

Selon l’article L 1152-1 du code du travail « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de

harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » .

Madame X soutient qu’à compter de l’année 2012, sa situation a changé avec l’arrivée de Madame Y au poste de nouvelle supérieure hiérarchique qui:

— venait s’asseoir sur son bureau pour lui donner des ordres et lui faire des reproches à haute voix pour l’humilier devant ses collègues de travail présents sur la plate-forme ouverte où ils travaillaient,

— lui demandait de réaliser des tâches ne relevant pas de sa fiche de poste et pour lesquelles elle n’avait pas été formée (déclaration URSSAF, déclarations trimestrielles et annuelles, solde de tout compte dans le calcul des indemnités de licenciement, déclarations des mouvements de main-d''uvre, tenue des comptes comptables, calcul de la prime conventionnelle),

— lui imposait un temps précis pour effectuer les tâches,

— lui faisait des critiques constantes: 'booste-toi ! , tu ne comprends rien, tu devrais aller plus vite, tu ne sais rien faire !',

— décidait unilatéralement et soudainement, alors que le contrat de travail prévoyait des heures fixes, des heures de départ, ce qui impliquait pour elle des difficultés d’organisation dans le cadre de sa vie privée.

Ainsi ce mode de management (dit modèle Harzburg) a dégradé ses conditions de travail et ses relations avec ses collègues, a déclenché un syndrome anxio-dépressif et des arrêts de travail successifs jusqu’au licenciement.

L’intimée conteste que ses problèmes de santé soient liés à des difficultés familiales, comme le lui oppose l’employeur.

Pour corroborer ses griefs, la salariée s’appuie sur les pièces suivantes:

+ une enquête administrative maladie professionnelle ( syndrôme anxio-dépressif) du 16 avril 2015 diligentée par la CPAM du Tarn au cours de laquelle:

— Mme X a été entendue, décrivant les travaux qu’elle réalisait et

relatant les difficultés intervenues avec Mme Y à compter de fin 2011-début 2012 ( travail à effectuer dans un temps programmé – la chef de service s’asseyait sur son bureau et lui disait d’aller plus vite devant tout le personnel présent sur le

plateau (24-25 personnes) – elle lui demandait de savoir faire les tâches de son poste mais elle n’y arrivait pas – Mme X a demandé à changer de service ce qui lui a été refusé – la supérieure lui donnait des heures d’entrée et de sortie alors qu’elle badgeait et avait des horaires flottants – elle n’a pas cessé de travailler pendant les 2 premiers arrêts de travail par peur de représailles – elle était en souffrance),

— ont été recueillis 3 témoignages de:

. Madame V W AA dans un courrier adressé à la CPAM en date du 13 avril 2015 libellé 'attestation sur l’honneur',

' avoir pu constater lors des missions chez ALDI Marché à ST Sulpice que Mme X avait des difficultés à son poste de travail, celles-ci venaient du fait qu’elle était très stressée par sa supérieure hiérarchique Mme Y.

Mme Y était très dure dans sa façon de lui parler et de lui donner des ordres, son comportement autoritaire effrayait Madame X. Pour lui faire faire son travail journalier, elle n’hésitait pas s’asseoir sur le bureau de Madame X et hausser le ton ( tout le monde l’entendait la réprimander).

L’ambiance au service personnel était très tendue et ces deux personnes n’avaient aucune affinité ni collaboration pour faire un bon travail ensemble.

A force de pression verbale, Madame X est devenue introvertie et apeurée, elle a dû s’arrêter de travailler car elle ne supportait plus cette pression. (je l’ai vu pleurer en salle de pause) ',

2 témoignages anonymes,

— le premier fait à SAINT SULPICE en date du 14 avril 2015 :

' Au cours de mon expérience dans ce service, j’ai pu observer des pressions morales assez importantes. J’ai été arrétée pour maladie (ce qui n 'a pas été trés bien vu). A mon retour, les choses avaient changé. J’allais travailler par force en ayant la boule au ventre. ll me tardait que la journée se termine. ll m’est même arrivé d’en pleurer. A ce jour, je ne fais plus partie de la société car les conditions de travail au sein du service mais également de l’entreprise elle même m’étaient trop pénibles, avec un stress important se répercutant sur ma santé ',

— le second fait à HAWKINGE en date du 14 avril 2015 :

' Par la présente, je témoigne anonymement par peur d’éventuelles représailles de la société. En effet, les conditions de travail au service du personnel étaient trés dures. Nous avions des temps limités pour effectuer les tâches demandées. Nous devions travailler vite, Mme Y était constamment derrière nous en nous disant de nous booster et cela plusieurs fois dans la journée. Elle s’asseyait réguliérement sur nos bureaux pour mieux nous dominer er parlait trés fort pour que l’ensemble du plateau entende les reproches qu’elle faisait au service du personnel. Nous étions stressés et avions la pression en permanence. J’ai moi même craqué le soir en rentrant à mon domicile. »

— un contact avec M. B, à la retraite mais toujours délégué syndical CGT national, qui a indiqué que les conditions de management chez Aldi Marché sont insoutenables, que la gestion du personnel se fait suivant le modèle de Harzburg, qu’il y a beaucoup de licenciements chez Aldi Toulouse où il y a eu 2 tentatives de suicide.

+ la demande d’enquête faite par la salariée le 02 décembre 2014 pour atteinte aux droits de la personne ( dont harcèlement moral) auprès d’un délégué du personnel qui l’a sollicitée auprès de l’employeur dont la réponse a été négative,

+ la décision de la CPAM du 1er juillet 2015 après avis du CRRMP comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ayant déclaré sa maladie d’origine professionnelle,

+ Des témoignages de:

— Mme N H selon attestation en date du 23 janvier 2017, ayant effectué un contrat de professionnalisation de 2 ans à la centrale Aldi Marché de ST Sulpice de 2011 à 2013:

'Pendant la durée de mon contrat, je travaillais au service du personnel avec Mme J X, employée administrative, Mme P Y, chef du service du personnel et Mme Q R également sous contrat de professionnalisation, arrivée durant mon contrat.

Dans mon service, j’ai pu constater une ambiance malsaine avec des conditions de travail insupportables psychologiquement et une relation de dominée à dominant.

Nous avions des temps limités par notre responsable pour effectuer les tâches demandées. Elle était de plus en plus présente derrière mon dos en me disant de booster et cela plusieurs fois dans la journée. Elle s’asseyait régulièrement sur nos bureaux pour mieux nous dominer et parlait fort pour que l’ensemble du plateau administratif entende les reproches qu’elle nous faisait. Elle nous rabaissait moralement, nous étions stressés et avions la pression en permanence. Je faisais des erreurs dans mon travail de plus en plus récurrentes.

Mme Y ne souhaitait pas que je prenne RDV avec la direction. En cas de problème nous devions d’abord lui faire remonter avant d’en informer M. CRIQUET ( responsable du personnel administratif). Nous n’osions pas nous plaindre par peur de représailles.

En milieu d’année 2012, Mme X a commencé à souffrir de fortes migraines dûes au stress. Elle a perdu confiance en elle (comme moi-même) sous la pression de Madame Y. J’ai moi même souvent craqué le soir en rentrant à mon domicile. Je voulais déjà quitter l’entreprise 6 mois après le début de mon contrat mais j’ai tenu bon pour obtenir mon BTS',

— Madame S C déclarant: 'J’ai fait une mission d’intérim du 11 février 2014 au 19 mars 2014. Durant cette mission, Madame L Y me faisait subir une pression importante, avait des changements d’humeur.

Durant les pauses, elle parlait de Madame J X de façon agressive. Le 20/03/2014, Madame J X réintégrait son poste pour une journée.

Moi j’ai été embauchée au service statistiques ( juste à côté). J’ai pu entendre de nouveau l’agressivité de L Y ainsi que son manque de respect »,

— un dépot de plainte et une audition de Madame C le 21 décembre 2015 à l’encontre de Madame Y pour des faits de harcèlement moral et a indiqué avoir fait une tentative de suicide 3 mois après être arrivée au service du personnel,

— Monsieur AB AC AD, concubin de Madame X, constatait la détresse de sa compagne à son retour du bureau le 20 mars 2015,

+ des éléments médicaux:

— un arrêt de travail du 08 février 2012 mentionnant un état anxio-dépressif majeur,

— un arrêt-maladie à partir du 21 juin 2012 jusqu’au 29 juin 2012, puis du 14 novembre 2013 au 1er décembre 2013 mais Mme X déclare que craignant des représailles de sa hiérarchie, elle ne s’arrêtait pas de travailler durant ces périodes et elle prenait un traitement médicamenteux ( antidépresseurs),

— un arrêt de travail à compter du 05 décembre 2013 toujours pour syndrôme anxio-dépressif, prolongé le 06 janvier 2014 puis le 06 février 2014 et le 16 mars 2014 jusqu’au 19 mars 2014,

— à l’issue de sa reprise la journée du 20 mars 2014, le Docteur T U de nouveau Mme X en arrêt pour un ' syndrome anxio-dépressif réactionnel', qui était prolongé,

— le Docteur Martre, médecin du travail, écrivait le 31 mars 2014 au Docteur D, Médecin Conseil, à la suite d’une visite de reprise : ' Mme X présente un syndrôme anxio dépressif réactionnel par rapport à sa supérieure hiérarchique; je l’ai rencontrée une première fois le 23 décembre 2013 et le 03 mars. Elle a repris son travail le 20 mars . Son entretien avec son employeur s’est mal passé et elle est de nouveau en arrêt. A l’issue de cet arrêt elle souhaite essayer de reprendre en mi-temps thérapeutique',

— le médecin contrôleur, intervenu le 14 août 2014 sur demande de contre-visite de l’employeur, mentionne que l’arrêt de travail est médicalement justifié,

— la fin de l’arrêt de travail le 29 fevrier 2017, date de sa consolidation avec séquelles selon le Docteur E, médecin conseil de la CPAM.

— des ordonnances concernant un traitement à base d’anti-dépresseurs et la consultation d’un neurologue pour des migraines réactionnelles au stress,

— un certificat de suivi du centre médico-psychologique de Gaillac en date

du 28 mars 2018 mentionnant que la salariée est suivie depuis janvier 2014.

Madame X ajoute que le 22 octobre 2014, soit le lendemain du terme de la période de protection des salariés, l’employeur lui adressait une convocation à un entretien préalable le 29 octobre 2014 qui était reporté au 12 novembre 2014, les délais légaux n’étant pas respectés. Enfin la société lui notifiait le licenciement

le 18 novembre 2014 alors qu’elle avait déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 27 octobre 2014 ce qui impliquait qu’elle était en maladie longue durée à cause de la société Aldi et son environnement

Aucune des pièces versées n’établissant que des tâches pour lesquelles elle n’aurait pas été formée et ne relevant pas de sa fonction auraient été imposées à Mme X, ce grief ne sera pas retenu.

Les autres éléments (dont les éléments médicaux) pris en leur ensemble laissent présumer une situation de harcèlement moral.

Il incombe à l’employeur, au vu de ceux-ci, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société remet en cause les témoignages versés comme n’établissant pas la réalité des griefs reprochés par la salariée à son encontre de même que les éléments médicaux, opposant que les difficultés de santé de Mme X sont liées à des problèmes d’ordre privé.

La Cour relève que si les témoignages versés ne mentionnent pas de dates précises, sont identifiées ou identifiables les périodes de référence de travail des personnes concernées et celle de Mme X et si tous ne constatent pas des agissements directs à l’encontre de l’intimée, ils corroborent un contexte de travail délétère lié au comportement de Mme Y.

La société demande d’écarter l’attestation de Mme F ( dont elle ne conteste pas qu’elle ait été salariée de l’entreprise) comme ne comportant pas de pièce d’identité conformément à l’article 202 du code de procédure civile mais elle a été recueillie dans le contexte particulier de l’enquête de la CPAM du Tarn sur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de l’intimée et sera considérée comme présentant des garanties suffisantes pour être retenue. Il peut être relevé de la même façon s’agissant de l’attestation de Mme G, versée dans l’intérêt de l’employeur,

qu’elle ne contient pas toutes les mentions exigées à savoir celle de la sanction pénale dans le cas d’une fausse attestation.

Mme F confirme l’état des relations très difficiles entre Mme X et Mme Y, qualifiant celle-ci de 'très dure’ avec la salariée, 'd’autoritaire et l’effrayant'. Elle fait état de l’attitude intrusive et humiliante de la supérieure hiérarchique dans le cadre de travail d’un 'plateau ouvert’ ( avec plus de 20 salariés ) 'n’hésitant pas à s’asseoir sur le bureau de Mme X et de hausser le ton, tout le monde l’entendant la réprimander'.

L’attestation de Mme G, versée dans l’intérêt de la société, chef de service facturation depuis 2010 ne remet pas en question ce témoignage. Si elle déclare 'n’avoir, les bureaux étant en open-space, à aucun moment depuis mon poste de travail, entendu crier Mme Y sur la personne de Mme X'','elle n’établit pas avoir été présente à tout moment sur les lieux et elle n’atteste pas ne pas avoir vu la chef de service s’asseoir sur le bureau.

De même, le fait qu’étant membre du CHSCT depuis 2012, Mme X ne l’a pas contactée pour évoquer des problèmes dans son travail avec Mme Y, n’exclut pas cette possibilité, sa collègue de travail ayant souligné qu’elle était effrayée et Mme X ayant déclaré avoir continué à travailler par «'peur de représailles'».

Il sera à cet effet souligné concernant ce contexte que Mme H évoque ne pas avoir osé se plaindre, par cette même peur et que 2 témoignages (dont il ne pourra être tenu compte) dans le cadre de l’enquête CPAM ont été effectués de façon anonyme.

Mme H a travaillé pendant la période de 2011 à 2013 au même service et avec Mme X. Elle décrit le contexte et les mêmes comportements à son égard de la part de Mme Y que ceux invoqués par l’intimée et fait état de l’apparition chez celle-ci «'en milieu d’année 2012, de fortes migraines'» en lien avec le stress.

De même Mme C qui est intervenue en remplacement temporaire de Mme X en février et mars 2015 fait part de la pression subie de la part de Mme Y, telle qu’elle a déposé plainte et le seul fait qu’il existait un contentieux avec la société ne décribilise pas ce témoignage.

Elle était présente le 20 mars, jour de retour d’arrêt maladie de l’intimée et atteste avoir constaté l’agressivité de Mme Y à son encontre.

Cela est tout à fait plausible, puisque le compagnon de Mme X déclare que celle-ci était en pleurs, il a rappelé son mal être et l’intimée a été de nouveau placée en arrêt de travail pour « syndrôme anxio-dépressif réactionnel'».

Ce diagnostic a été posé tel qu’il s’évince des divers arrêts de travail

dès février 2012, période correspondant à l’arrivée de Mme Y puis maintenu même au-delà de la rupture du contrat de travail et a été pris en charge à compter du 1er juillet 2015 au titre de maladie professionnelle à la suite de l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, précision étant faite qu’une procédure de recours diligentée par l’employeur est toujours en cours.

L’objection de la société selon laquelle la dégradation de l’état de santé de l’intimée est liée à un contexte familial n’a pas d’incidence au regard des attestations versées faisant mention des problèmes de santé de sa mère à partir de février 2013, pour lesquels intervenaient les s’urs de l’intimée et de l’accueil de son frère, atteint d’un handicap, en Esat depuis plusieurs années et ne rentrait chez sa mère qu’un week-end sur deux en utilisant les transports en commun, ce qui impliquait que ce dernier disposait d’une certaine autonomie et qu’elle n’en n’avait pas la charge.

Le lien entre les conditions de travail et l’état de santé de l’intimée est en outre précisé par le médecin de travail le 31 mars 2014': ' Mme X présente un syndrome anxio-dépressif réactionnel par rapport à sa supérieure hiérarchique'».

Aussi les éléments sus-développés caractérisent un mode de management harcelant de l’employeur par des agissements répétés agressifs et dévalorisants à l’égard de Mme X, ayant eu des incidences tant sur les conditions de travail que de santé de la salariée qui a été placée en arrêt de travail pendant plusieurs mois

jusqu’ à la rupture du contrat de travail et a obtenu le statut de travailleur handicapé.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera donc confirmé sur ce chef .

Mme X expose qu’elle n’a pas retravaillé depuis son licenciement, qu’elle poursuit un suivi psychologique qui s’accompagne d’un lourd traitement médicamenteux. Elle a fait l’objet d’une reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé par le MDPH à compter du 28 février 2017 jusqu’au 30 avril 2019.

Il sera alloué à Madame X une somme de 12000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait du harcèlement moral.

Le jugement du conseil de prud’hommes est confirmé sur ces points.

Sur le licenciement:

La société a licencié la salariée au motif que ses absences répétées ont gravement perturbé le fonctionnement du service.

Ces absences prolongées résultant de la dégradation de l’état de santé de Mme X du fait du harcèlement moral subi de la part de l’employeur, le licenciement sera qualifié de nul et non de sans cause réelle et sérieuse.

Madame X réclame à titre de dommages et intérêts 3 ans de salaires sur la base d’un salaire mensuel brut de 1881 euros et d’une ancienneté de plus de 12 ans.

La société oppose que la prétention est à tout le moins excessive.

L’intimée ne justifie pas de sa situation actuelle.

Au regard des éléments de l’espèce, la sarl Aldi sera condamnée à verser une somme de 32 000,00 de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur les autres demandes :

La sarl Aldi Marché Toulouse qui succombe, est tenue aux dépens d’appel.

La société sera condamnée à verser 2000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS:

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré du conseil de prud’hommes de Castres

du 07 décembre 2017 en ce qui concerne la qualification du licenciement et le quantum des dommages et intérêts afférents,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant:

Prononce la nullité du licenciement de Madame J X, victime de harcèlement moral de la part de la sal Aldi Marché Toulouse,

Condamne la sarl Aldi Marché Toulouse à payer à Madame J X les sommes de:

—  32000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

—  2000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

Ordonne le remboursement par la sarl Aldi Marché Toulouse aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Madame X dans la limite de six mois.

Dit que conformément aux dispositions des articles L 1235-4 et R 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure la salariée.

Condamne la sarl Aldi Marché Toulouse aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

[…]

.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code du travail
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Toulouse, 4eme chambre section 1, 29 janvier 2021, n° 17/06072