Cour d'appel de Versailles, 18 mars 2016, 14/04196

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Seize années après l'adoption des directives européennes 2000/43/CE et 2000/78/CE, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle vient mettre à niveau les degrés de protection que le droit interne accordait aux victimes de discrimination en matière civile. En parallèle, elle répond – partiellement – à un besoin manifeste d'harmonisation des régimes juridiques et laisse espérer le prolongement de cette entreprise voire, pour les plus optimistes, l'amorce d'un processus de consolidation. Robin Médard, Doctorant contractuel à l'Université de Paris Ouest Nanterre la Défense …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 9e ch., 18 mars 2016, n° 14/04196
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 14/04196
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal correctionnel de Nanterre, 1er mai 2014
Dispositif : other
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000032382853
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Sur les parties

Texte intégral

No

du 18 MARS 2016

9ème CHAMBRE

RG : 14/ 04196

Société LOGEMENT ET GESTION IMMOBILIÈRE POUR LA RÉGION PARISIENNE-SA LOGIREP

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

Arrêt prononcé publiquement le DIX HUIT MARS DEUX MILLE SEIZE, par Monsieur WYON, Président de la 9ème chambre des appels correctionnels, en présence du ministère public,

Nature de l’arrêt :

voir dispositif

Sur appel d’un jugement du tribunal correctionnel de Nanterre- 15ème chambre, du 02 mai 2014

COMPOSITION DE LA COUR

lors des débats, du délibéré, et au prononcé de l’arrêt

Président : Monsieur WYON,

Conseillers : Monsieur DOMERGUE,

Madame DESSET,

DÉCISION :

voir dispositif

MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur BONAN, avocat général, lors des débats,

GREFFIER : Madame LAMANDIN, lors des débats et Madame MOLINIER au prononcé de l’arrêt,

PARTIES EN CAUSE

Bordereau No

du

PRÉVENU

Société LOGEMENT ET GESTION IMMOBILIERE POUR LA REGION PARISIENNE-SA LOGIREP, no de SIREN : 552-093-338

127 rue GAMBETTA-BP 135-92150 SURESNES

Comparante en la personne de Monsieur X…, assistée de Maître PECH DE LACLAUSE Christophe, avocat au barreau de PARIS, qui a déposé des conclusions.

PARTIES CIVILES

FÉDÉRATION NATIONALE DES MAISONS DES POTES

16, square Dunois-75013 PARIS

Comparante en la personne de Monsieur Y… Samuel, assistée de Maître PATRIGEON Bertrand, avocat au barreau de PARIS.

MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ

16, square Dunois-75013 PARIS

Comparante en la personne de Monsieur Y… SAmuel, assistée de Maître PATRIGEON Bertrand, avocat au barreau de PARIS, qui a déposé des conclusions.

SOS RACISME-TOUCHE PAS A MON POTE

51, avenue de Flandre-75019 PARIS

Non comparant, représenté par Maître NAJSZTAT Eric, avocat au barreau de PARIS, qui a déposé des conclusions.

B… Frédéric

Demeurant …

Non comparant, représenté par Maître NAJSZTAT Eric, avocat au barreau de PARIS, qui a déposé des conclusions.

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LA PREVENTION :

Société LOGEMENT ET GESTION IMMOBILIERE POUR LA REGION PARISIENNE-SA LOGIREP est prévenue :

— D’avoir à SURESNES, en tout cas dans les Hauts de Seine, et depuis temps non couvert par la prescription, le 12 juillet 2005, étant chargée d’une mission de service public en sa qualité de société anonyme d’habitations à loyer modéré (HLM), refusé à Frédéric B… le droit à un logement relevant des habitations à loyer modéré en raison de son appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race,

Infraction prévue par les articles 225-2 1o, 4o et 225-1 du Code pénal et réprimée par les articles 225-2 al. 1 et 225-19 1o, 2o, 3o, 4o, 6o du Code pénal.

— D’avoir à SURESNES, en tout cas dans les Hauts de Seine, et depuis temps non couvert par la prescription, entre juillet 2004 à juillet 2005, sans le consentement exprès des intéressés, mis ou conservé en mémoire informatisée des données à caractère personnel qui directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes concernées,

infraction prévue par les articles 226-19 al. 1 et 226-23 du Code pénal et l’article 8 et l’article 2 de la loi 78-17 du 06/ 01/ 1978 et réprimée par les articles 226-19 al. 1, 226-22-2, 226-31 du Code pénal.

LE JUGEMENT :

Par jugement contradictoire en date du 2 mai 2014, le tribunal correctionnel de Nanterre- 15ème chambre :

Sur l’action publique :

— a rejeté l’exception de nullité soulevée par le conseil de la prévenue ;

— a relaxé la société LOGIREP pour les faits de :

DISCRIMINATION A RAISON DE L’ORIGINE, L’ETHNIE OU LA NATIONALITE-OFFRE OU FOURNITURE D’UN BIEN OU D’UN SERVICE-commis du 12 juillet 2005 à SURESNES ;

— a déclaré la société LOGIREP coupable pour les faits de :

ENREGISTREMENT OU CONSERVATION DE DONNÉES A CARACTÈRE PERSONNEL SENSIBLES SANS L’ACCORD DE L’INTÉRESSÉ-commis entre juillet 2004 à juillet 2005 à SURESNES ;

— l’a condamné au paiement d’une amende de vingt mille euros (20 000 euros).

Sur l’action civile :

— a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l’association FÉDÉRATION NATIONALE DES MAISONS DES POTES ;

— a reçu la constitution de partie civile de B… Frédéric et le l’a débouté de ses demandes ;

— a déclaré recevable la constitution de partie civile de l’association SOS RACISME TOUCHE PAS A MON POTE et de la MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ ;

— a déclaré la Société LOGIREP responsable du préjudice subi par l’association SOS RACISME-TOUCHE PAS A MON POTE et la MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ ;

— a condamné la Société LOGIREP à payer à TASSO SOS RACISME, TOUCHE PAS A MON POTE, partie civile :

• la somme de dix mille euros (10000 euros) en réparation du préjudice moral,

• la somme de 2500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

— a condamné la Société LOGIREP à payer à la MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ, partie civile, la somme de dix mille euros (10000 euros) au titre de dommages et intérêts ;

• la somme de dix mille euros (10000 euros) à titre de dommages et intérêts,

• la somme de 2500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

— Monsieur B… Frédéric, appel principal formé le 07 mai 2014, son appel étant limité aux dispositions civiles ;

— La FÉDÉRATION NATIONALE DES MAISONS DES POTES, appel principal formé le 07 mai 2014, son appel étant limité aux dispositions civiles ;

— La Société LOGEMENT ET GESTION IMMOBILIÈRE POUR LA RÉGION PARISIENNE-SA LOGIREP, appel principal formé le 09 mai 2014, son appel portant tant sur les dispositions pénales que civiles, à l’exception de la décision de relaxe ;

— M. le procureur de la République, appel incident, formé le 09 mai 2014 ;

— MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ, appel principal formé le 09 mai 2014, son appel étant limité aux dispositions civiles ;

— SOS RACISME-TOUCHE PAS A MON POTE, appel principal formé le 12 mai 2014, son appel étant limité aux dispositions civiles.

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

À l’audience publique du 24 juin 2015, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 5 février 2016 ;

À l’audience publique du 5 février 2016, Monsieur le Président a constaté la présence de la société LOGIREP, prévenue, en la personne de Monsieur X…, qui a comparu assistée de son conseil, la présence de la Fédération nationale des maisons des potes et de la Maison des potes-maison de l’égalité, parties civiles en la personne de M. Y…, qui ont comparu assistées de leur conseil commun et l’absence de SOS racisme-touche pas à mon pote et de B… Frédéric, parties civiles, tous deux représentés par leur conseil commun ;

Ont été entendus sur les nullités :

Maître PECH DE LACLAUSE, avocat de la société LOGIREP, prévenue, en sa plaidoirie sur ses conclusions de nullité,

Maître PATRIGEON, avocat de la Fédération nationale des maisons des potes et de la Maison des potes-maison de l’égalité, parties civiles, en sa plaidoirie sur les nullités soulevées,

Maître NAJSZTAT Eric, avocat de SOS racisme-touche pas à mon pote et de B… Frédéric, parties civiles, qui n’a pas d’observations,

Monsieur BONAN, avocat général, en ses réquisitions sur les nullités,

Après en avoir délibéré, la cour a décidé de joindre l’incident au fond, sur le fondement de l’article 459 du Code de procédure pénale,

Ont été entendus sur le fond :

Le Président a informé Monsieur X…, représentant de la société LOGIREP, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire,

Monsieur DOMERGUE, conseiller, en son rapport et interrogatoire,

Monsieur X…, représentant de la société LOGIREP, prévenue, en ses explications,

Monsieur Y… Samuel, représentant de la MAISON DES POTES-MAISON DE L’EGALITE, partie civile, en ses observations,

Maître NAJSZTAT, avocat de SOS RACISME et B… Frédéric, parties civiles, en sa plaidoirie et ses conclusions,

Maître PATRIGEAON, avocat de la FÉDÉRATION NATIONALE DES MAISONS DES POTES, partie civile, qui indique à la Cour le désistement d’appel de la fédération nationale des maisons des potes,

Maître PATRIGEAON, avocat de la MAISON DES POTES-MAISON DE L’ÉGALITÉ, partie civile, en sa plaidoirie et ses conclusions,

Monsieur BONAN, avocat général, en ses réquisitions,

Maître PECH de LACLAUSE, avocat de LOGIREP, prévenue, en sa plaidoirie et ses conclusions,

M. X…, représentant de LOGIREP, prévenue, qui a eu la parole en dernier.

Monsieur le président a ensuite averti les parties que l’arrêt serait prononcé à l’audience du 4 mars 2016.

A l’audience publique du 4 mars 2016, le Président a annoncé que l’arrêt serait prononcé à l’audience du 18 mars 2016.

DÉCISION

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l’arrêt suivant :

LE RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 2 août 2005, le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Nanterre était destinataire d’une plainte avec constitution de partie civile déposée conjointement par Frédéric B… et par l’association SOS Racisme-Touche pas à mon Pote (ci-après SOS Racisme) contre la société anonyme d’habitations à loyer modéré Logirep (ci-après Logirep) pour discrimination raciale commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. La plainte était déposée à la suite du refus de cette société, propriétaire-bailleur, d’attribuer à Frédéric B… un logement à raison, selon les parties civiles, de son appartenance vraie ou supposée à une race, une ethnie ou une origine.

Les plaignants exposaient que Frédéric B… s’était vu proposer par le « Point habitat » de la RATP, son employeur, réservataire de logements gérés par Logirep, un appartement de type F3 situé dans la tour Ouessant, 85 bd du Général Leclerc à Nanterre (92). Après visite de ce logement, Frédéric B… avait accepté de l’occuper et son dossier avait été transmis à la commission d’attribution de Logirep.

De retour de vacances le 19 juillet 2005, Frédéric B… avait téléphoné à la conseillère clientèle en charge de son dossier à Logirep, Safia Z…, qui lui avait appris que la commission d’attribution réunie en séance le 12 juillet 2005 avait refusé de lui attribuer l’appartement parce qu’il était d’origine africaine et qu’il y avait « trop de Noirs » dans cette tour. La mère de Frédéric B… enregistrait sur un dictaphone la suite de la conversation.

Selon la retranscription de cet enregistrement, Safia Z… s’exprimait notamment dans les termes suivants : « On est obligés d’appliquer cela dans des tours et notamment à Nanterre parce que c’est déjà des tours qui vivent très mal, il y a beaucoup de problèmes et on essaie de mixer un peu toutes les origines et tous les revenus, donc voilà, c’est pas moi qui décide, hein, c’est la commission. » Safia Z… ajoutait que cette décision se fondait sur l’article 56 de la loi contre l’exclusion qui, selon elle, avait pour objectif d'« éviter de créer des ghettos ».

Quelques jours plus tard, Frédéric B… avait reçu un courrier signé de Danièle A…, chef du service clientèle de Logirep, lui notifiant le rejet de sa demande de logement en ces termes : « Monsieur, Nous regrettons de vous informer que votre dossier examiné par la commission d’attribution de logement du 12/ 7/ 2005 n’a pas été accepté en raison de : Art. 56 de la loi contre l’exclusion. Toutefois, votre demande reste valide dans le fichier départemental. Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos sincères salutations. »

Les auteurs de la plainte soulignaient que l’article 56 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions et ses dispositions d’application, codifiées dans le code de la construction et de l’habitation, évoquaient une mixité sociale conçue pour organiser la « coexistence des diverses catégories sociales » mais ne faisait pas état d’une mixité ethnique.

Une information était ouverte le 4 octobre 2005. L’enquête sur commission rogatoire permettait aux services de police de saisir au siège de Logirep, le 13 décembre 2005, le dossier de Frédéric B…, l’original du procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2005 et la fiche de ce candidat dont la mention « refusé » était entourée au stylo avec à côté les mots manuscrits « mixité sociale », le procès-verbal et la fiche étant signés par le président de la commission.

Etaient également saisis un courrier du 4 août 2005 signé de Martine C…, directeur général adjoint de Logirep invitant la RATP à examiner avec Frédéric B… d’autres offres de logement, un document intitulé « Profil des locataires entrés à Nanterre, Chemin de l’Ile à Nanterre de juillet 2004 à juillet 2005 » (scellé no4), un tableau de sept feuillets intitulé « Attributions mai juin juillet 2005 parc total Logirep » (scellé no5), un formulaire relatif à l’occupation du patrimoine social consacré aux tours Ouessant/ Martinique ainsi qu’une note interne portant sur le dossier B….

Il était procédé à l’audition des personnes composant la commission d’attribution au cours de sa séance du 12 juillet 2005.

Bertrand D…, directeur du patrimoine de Logirep, indiquait avoir présidé la commission d’attribution du 12 juillet 2005 en remplacement de Danièle A…, titulaire du poste. Il déclarait que la demande de Frédéric B… avait été présentée par Safia Z…, en charge de ce dossier, affirmant ignorer lui-même que le candidat était noir. Bertrand D… expliquait que le refus d’attribution à Frédéric B…, lequel devait occuper le logement avec sa mère, était motivé par la fragilité de cette famille dans une tour réputée pour être difficile. Cette incompatibilité justifiait le motif inscrit par lui de « mixité sociale ». Il précisait que la décision de la commission, conformément à l’usage, avait été prise par consensus, sans vote formel.

Safia Z…, en poste à Logirep depuis novembre 2002, confirmait avoir rapporté le dossier de Frédéric B…. Durant l’instruction de son dossier, elle avait pu constater que l’affirmation du demandeur selon laquelle le logement qu’il souhaitait quitter était insalubre était inexacte, le logement ayant bénéficié d’une rénovation récente. Par ailleurs, selon le gardien de son immeuble, la mère de Frédéric B… était à l’origine de troubles de voisinage. S’agissant du motif du rejet de la demande, Safia Z… déclarait qu’il n’y avait « pas eu de désapprobation » quand le président avait retenu le motif « mixité sociale ». Elle-même avait ensuite mentionné dans la lettre de notification comme motif de rejet l’article 56 de la loi sur l’exclusion, lettre qu’elle avait fait signer par Danièle A….

Safia Z… reconnaissait avoir été l’interlocuteur de Frédéric B… lors de la conversation enregistrée du 19 juillet 2005 et avoir tenu les propos dont elle avait entendu ensuite l’enregistrement à la radio et à la télévision. Elle estimait que son interprétation de la mixité sociale était alors erronée et que les propos tenus dans cette conversation téléphonique ne reflétaient pas sa pensée. Elle contestait toute discrimination raciale au sein de Logirep, ajoutant que, dans le cas contraire, elle n’aurait pas été embauchée ou ne serait pas restée dans cette entreprise.

Isabelle E…, représentante de la mairie de Nanterre au sein de la commission, expliquait que le dossier de Frédéric B… n’avait pas été considéré comme prioritaire par la commission car celui-ci ne travaillait pas dans le département dans lequel il sollicitait le logement, que son logement n’était pas insalubre et que le comportement de sa mère posait problème. Le témoin ne se souvenait pas du motif du rejet de la demande tout en affirmant qu’il n’avait pas été question durant la réunion de l’origine ethnique du candidat.

Marie-Noëlle F…, responsable du pôle social à Logirep, ne se souvenait pas du dossier de Frédéric B… précisant toutefois que le motif du rejet « 56 mixité sociale » lui semblait être utilisé pour la première fois.

Catherine G…, représentante des locataires au sein de la commission, expliquait que la demande de Frédéric B… n’avait pas été jugée prioritaire par la commission car son logement actuel s’avérait ne pas être insalubre et parce que le comportement de la mère du demandeur était considéré comme difficile. Retrouvant ses notes du 12 juillet 2005, elle s’étonnait du motif de rejet retenu, « 56 mixité sociale », alors que la « race » de cette personne n’avait pas été évoquée au cours des débats.

Les parties civiles étaient entendues par le magistrat instructeur le 27 avril 2006. Tant Frédéric B… que Samuel Y…, vice-président de SOS Racisme, faisaient valoir que l’enregistrement de la conversation du 19 juillet 2005 suffisait à démontrer la réalité du délit de discrimination aggravée.

Le représentant de SOS Racisme contestait les déclarations des membres de la commission d’attribution selon lesquelles ils ignoraient que Frédéric B… était Noir et Africain puisque le dossier contenait une photocopie de sa carte d’identité montrant ses origines, Safia Z… ayant d’ailleurs invoqué à une quinzaine de reprises cet élément dans la conversation enregistrée alors même qu’elle n’avait jamais rencontré le candidat.

Samuel Y… ajoutait que cet élément d’appréciation était visiblement au centre des préoccupations de l’organisme HLM dont les tableaux statistiques et synthétiques saisis mentionnaient l’origine géographique des locataires, en particulier leur origine étrangère ou des DOM-TOM, contrairement à la loi. Il relevait, en outre, les propos tenus par Danièle A… dans un entretien repris le 2 août 2005 par le quotidien « Le Parisien » au cours duquel la chef du service clientèle réagissait à la médiatisation de cette affaire en déclarant notamment : « Il faut dire les choses telles qu’elles sont : les personnes d’origine africaine y sont en surnombre. Il est inutile d’y faire rentrer une famille, sachant très bien qu’elle ne correspond pas aux gens que nous recherchons pour rééquilibrer le quartier ». Danièle A… ajoutait que, pour attribuer ses logements, le personnel de Logirep travaillait « par rapport tant aux revenus qu’à la composition familiale qu’aux origines ». À la question " Et la discrimination ? « , la responsable de Logirep répondait : » C’est un raccourci qu’il est facile de prendre. "

Par lettre du 2 juin 2006, le conseil de SOS Racisme portait à l’attention du magistrat instructeur les tableaux saisis au siège de Logirep dans le cadre de l’exécution de la commission rogatoire relatifs pour l’un, au profit des locataires de l’immeuble Chemin de l’Ile à Nanterre, quartier dans lequel se trouvait la tour Ouessant (scellé no4), pour l’autre, aux statistiques d’attribution de l’ensemble du parc de logements de Logirep (scellé no5) faisant apparaître une colonne « Nationalité » identifiant les locataires non seulement en fonction de leur nationalité mais également de leur lieu de naissance, ainsi « F (né en France) » ou bien « F (DOM-TOM) » ou encore « F (Orig. Alg.) ». Il relevait que ces tableaux et la conservation de ces données étaient susceptibles de constituer le délit prévu à l’article 226-19 du code pénal.

Par réquisitoire supplétif du 26 juin 2006, l’information était élargie aux faits de conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques, l’incrimination visant Logirep et toutes personnes que l’information ferait connaître.

Le 21 septembre 2006, la société Logirep, représentée par son directeur général Daniel H…, était interrogée préalablement à son éventuelle mise en examen. Daniel H… indiquait ne pas comprendre les propos tenus par Safia Z… qui ne correspondaient pas à la réalité et s’en rapportait au motif officiellement notifié à Frédéric B…, estimant toute mise en examen pour discrimination insultante pour la société qu’il représentait. S’agissant des fichiers tenus par Logirep, il soulignait que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait validé ces fichiers et notamment l’existence des rubriques nationalité et lieu de naissance, dans une décision du 20 décembre 2001. Il ajoutait que le tableau formant le scellé no5 avaient été établi après le déclenchement de l’affaire pour « savoir comment étaient composées les attributions de logement » et n’étaient par utilisé pour leur attribution. Au terme de cet interrogatoire, la société Logirep était mise en examen du seul chef de discrimination à raison de l’appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race déterminée, cette mise en examen étant complétée le 1er février 2008 par la circonstance aggravante que l’auteur était chargé d’une mission de service public.

Martine C…, directrice générale adjointe de Logirep, en charge de l’organisation et du fonctionnement des commissions d’attribution, était interrogée à son tour. Elle expliquait que les tableaux placés sous scellés no4 et 5 avaient été dressés dans l’optique d’une défense de Logirep à la suite de la polémique née du dossier B…. S’agissant de la mention « F. Orig. Alg. » figurant sur le scellé no4, elle expliquait qu’il fallait y voir une simple maladresse faite sur un tableau élaboré manuellement, le but étant, en réalité, d’indiquer le lieu de naissance de la personne concernée. Martine C… déclarait que, pour elle, il était impensable que les commissions d’attribution prennent en considération l’origine ethnique, culturelle ou confessionnelle. Elle ne s’estimait pas responsable des déclarations de Safia Z…. Martine C… était placée sous le régime du témoin assisté.

Le 3 octobre 2006, le conseil de Logirep faisait parvenir au juge d’instruction la délibération de la CNIL no01-061 du 20 décembre 2001portant recommandation relative aux fichiers de gestion du patrimoine immobilier à caractère social.

Safia Z…, témoin assistée, était entendue et confrontée aux parties civiles le 6 novembre 2006. Elle affirmait ne pas avoir évoqué devant la commission d’attribution l’origine de Frédéric B… mais seulement exprimé ses doutes sur l’opportunité de faire droit à la demande de logement, sans que soit prises en compte l’origine ethnique ou la couleur de peau du demandeur. Le motif de rejet « mixité sociale » avait été choisi par le président de la commission. Pour expliquer les propos tenus lors de sa conversation enregistrée, Safia Z… exposait que sa propre conception de la mixité sociale incluait les différences d’origine et de culture, précisant qu’elle-même était issue d’une famille mixte d’origine franco-algérienne. Elle ajoutait n’avoir reçu aucune instruction de Logirep sur cette question et déclarait ne jamais avoir vu auparavant les documents formant les scellés no 4 et 5 ou tout autre document interne faisant apparaître la nationalité et l’origine étrangère ou outre-mer des locataires.

Le 16 février 2007, le juge d’instruction était destinataire d’une lettre anonyme dans laquelle une personne se présentant comme salariée depuis quinze ans de Logirep indiquait avoir eu une conversation privée avec Danièle A…, chef du service clientèle de cette société, qui lui avait exprimé son inquiétude « non pas du fait des propos tenus par sa subordonnée ayant instruit le dossier de M. B… (car ils traduisent en réalité une pratique ancienne et habituelle, utilisée naturellement par Logirep, et également en usage, selon elle, dans la grande majorité des bailleurs sociaux…) mais parce que ces paroles avaient été enregistrées par SOS Racisme. Cette responsable craignait, par suite de l’enquête, la saisie du fichier des » demandeurs d’origine étrangère « établi depuis plusieurs années à partir des dossiers initiaux renseignés par les demandeurs de logement et ce, sur directives de messieurs J. P Comte et D. H… et supervisé par Mme C… en personne. Elle souhaitait des » initiatives rapides de la direction « pour ne plus conserver des documents compromettants. »

Daniel H… qualifiait, dans un courrier adressé au juge d’instruction, ce document de mensonger et calomnieux, Logirep n’ayant jamais, selon lui, toléré ou suscité des comportements discriminatoires.

Les investigations étaient poursuivies dans le cadre d’une nouvelle commission rogatoire.

Le parcours locatif de Frédéric B… montrait que celui-ci avait successivement occupé trois logements depuis 2001. S’agissant de son dernier logement, l’office d’HLM gestionnaire faisait état des relations difficiles de sa mère avec le voisinage et avec le gardien. Il apparaissait néanmoins que Frédéric B… et sa mère se plaignaient eux-mêmes de problèmes de voisinage et de l’état de leur logement ; celui-ci avait finalement fait l’objet d’une réfection.

L’enregistrement de la conversation du 19 juillet 2005 entre Frédéric B… et Safia Z… était saisi.

Le 18 mai 2009, le juge d’instruction se transportait au siège de Logirep et y effectuait une perquisition avec l’assistance d’Alexis Rimbaud, expert informatique désigné par le magistrat instructeur. Dans la salle informatique était notamment saisie une bande de type DAT portant sauvegarde de données à la date du 29 juillet 2005 et, dans le bureau de Danièle A…, chef de service, une copie du fichier intitulé « entrants mai juin juillet 2005 ».

Alexis Rimbaud déposait le 18 août 2010 son rapport relatif, selon la mission qui lui avait été confiée, d’une part, à l’extraction des données présentes sur la bande de type DAT saisie lors du transport du 18 mai 2009, d’autre part, à la recherche et la détermination des champs d’information susceptibles d’être renseignés sur la base de données des occupants, des clients ou des candidats à des logements gérés par Logirep.

L’expert notait que la consultation de cette bande lui avait permis « de reconstituer l’intégralité des structures et données à l’époque des faits ». Il insérait dans son rapport un fichier « notice-type » utilisé en juillet 2005 pour la création d’un dossier de candidature à un logement. L’expert constatait la présence sur ces notices de champs « nationalité » et « origine », liés à une table annexe permettant l’utilisation de codes et non de pays. Il illustrait ses constatations en joignant à son rapport une commande sur le fichier principal des candidats à partir de plusieurs mots clés, dont les mots « nationalité » et « origine » qui apparaissaient sous la forme de ces codes.

Logirep était mise en examen le 2 décembre 2010 du chef d’enregistrement de données personnelles en fonction de critères fondés sur l’origine, l’ethnie ou la race. Son représentant, Daniel H… affirmait que la société qu’il dirigeait avait agi dans le cadre de la circulaire de la CNIL du 20 décembre 2001.

Par ordonnance du 25 juin 2012, le juge d’instruction prononçait le renvoi de Logirep devant le tribunal correctionnel des chefs de discrimination à l’occasion de la fourniture d’un bien ou d’un service par personne chargée d’une mission de service public et d’enregistrement ou conservation sans le consentement de l’intéressé de données à caractère personnel faisant apparaître l’origine raciale ou ethnique des personnes.

Le 23 octobre 2012, les associations La Maison des Potes-Maison de l’Egalité (ci-après La Maison des Potes) et Fédération nationale des Maisons des Potes se constituaient parties civiles.

Suivant jugement contradictoire à l’égard de toutes les parties rendu le 2 mai 2014 le tribunal correctionnel de Nanterre a statué dans les termes rappelés en tête de la présente décision.

Appel du jugement a été interjeté par déclaration au greffe le 7 mai 2014 par les parties civiles Frédéric B… et la Fédération nationale des Maisons des Potes, le 9 mai 2014 par Logirep, le ministère public et la partie civile Maison des Potes-Maison de l’égalité, enfin, le 12 mai 2014 par la partie civile SOS Racisme.

À l’audience de la cour,

La Fédération nationale des Maisons des Potes s’est désistée de son appel.

Avant toute défense au fond, Logirep a demandé à la cour de constater la nullité de la citation qui lui a été délivrée le 19 décembre 2013 à comparaître devant le tribunal correctionnel de Nanterre en ce que cette citation vise la prévention prévue par l’article 225-2 du code pénal alors que le tribunal a été saisi par l’ordonnance de renvoi du délit prévu à l’article 432-7 du même code. La prévenue a demandé à la cour de constater que le tribunal n’avait donc pas été saisi du délit de l’article 225-2 du code pénal.

Sur l’exception de nullité, les parties civiles ont demandé la confirmation du jugement, estimant qu’il appartenait à la cour de donner aux faits leur exacte qualification dans le cadre du débat contradictoire.

Le ministère public a requis le rejet de cette exception, excipant que le tribunal correctionnel a été saisi par l’ordonnance de renvoi et non par la citation, qu’en outre, la nullité ne cause aucun grief à Logirep.

La défense ayant eu la parole en dernier, la cour a décidé, en application des articles 459 et 512 du code de procédure pénale, de joindre au fond cette exception.

Dans le cadre de l’instruction du dossier, la cour a procédé à l’écoute d’une partie de l’enregistrement de la conversation téléphonique du 19 juillet 2005 entre Frédéric B… et Safia Z….

Les parties civiles Frédéric B… et SOS Racisme ont fait plaider sur le délit de discrimination aggravée que la commission d’attribution ne pouvant ouvertement refuser d’attribuer un logement en raison de critères discriminants et illégaux, la « doctrine » de Logirep s’était exprimée dans les propos tenus par Safia Z… lors de l’entretien téléphonique du 19 juillet 2005.

Leur conseil a soutenu que la commission d’attribution est une émanation et un organe dépendant de Logirep, se fondant, en substance, sur les éléments suivants :

— l’article L 441-2 du code de la construction et de l’habitation énonce qu’il est créé « dans chaque organisme d’habitations à loyer modéré » une commission d’attribution chargée d’attribuer nominativement chaque logement locatif ;

— la majorité des membres des commissions d’attribution sont désignés par le conseil d’administration du bailleur social ; en l’occurrence, six des membres de la commission étaient salariés de Logirep ;

— la commission d’attribution de Logirep se réunit au siège de cette société et est présidée par un de ses salariés ;

— la notification du refus d’attribution du logement a été signée par le chef du service clientèle de Logirep.

Le défenseur des parties civiles a, en outre, souligné que :

— Martine C…, directrice générale adjointe de Logirep, s’est elle-même présentée comme responsable du fonctionnement matériel et juridique des commissions d’attribution ;

— Safia Z…, membre de la commission d’attribution, a expliqué et revendiqué à douze reprises dans la conversation du 19 juillet 2005 que la sélection pratiquée par la commission d’attribution était fonction de l’origine ethnique de Frédéric B…, évoquant l’existence d’un surplus d’africains dans la tour Ouessant ;

— les textes et la jurisprudence confirment la responsabilité du bailleur social au titre du bon fonctionnement des commissions d’attribution ;

— la faute pénale de l’organe ou du représentant suffit à engager la responsabilité pénale de la personne morale.

S’agissant du délit de mise ou conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques des locataires, les parties civiles se sont appuyées sur les documents formant les scellés no 4 et 5 pour considérer que ce délit est caractérisé, relevant à cet égard :

— que les tableaux figurant dans ces scellés avaient une colonne ‘ nationalité’mentionnant pour les français d’origine étrangère leur pays de naissance et pour les français nés en France mais originaires d’outre-mer la mention DOM-TOM, permettant au bailleur de présupposer que le locataire pourrait être Noir ;

— qu’aucun français né dans un pays d’Europe n’était, en revanche, stigmatisé par rapport à son origine ;

— l’expertise informatique a démontré l’existence en 2005 de deux champs informatiques distincts, portant sur la nationalité et l’origine.

Frédéric B… et SOS Racisme en ont conclu que les deux délits reprochés à Logirep étaient parfaitement constitués et demandé la condamnation de la société prévenue à leur payer en réparation de leur préjudice moral respectivement les sommes de 50. 000 € et 20. 000 € ainsi que la somme de 5. 000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

La Maison des Potes, partie civile, a fait plaider sur le délit de fichage ethnique que la preuve de la commission de cette infraction par Logirep résulte des éléments suivants :

— la découverte de rapports, communiqués durant l’instruction, montrant que depuis de nombreuses années Logirep menait une politique de stigmatisation à l’égard notamment des français d’outre-mer (rapport de Jean-Pierre I…, rapport Orgeco) ;

— les propos de Danièle A… parus dans Le Parisien du 2 août 2005 : « il faut dire les choses telles qu’elles sont : les personnes d’origine africaine y sont en surnombre » ;

— les déclarations de Daniel H…, de Martine C… et de Safia Z… ;

— la lettre anonyme adressée au juge d’instruction ;

— le fichier ethnique placé sous scellé no 4 dont il ressort que, parmi les français nés à l’étranger, seuls ceux nés en Afrique étaient stigmatisés par leur ethnie ou leur couleur de peau, mais non les européens et que, parmi les français nés en France, seuls ceux nés dans des départements d’outre-mer voyaient préciser leur département DOM-TOM au lieu de voir inscrit « France », le document révélant, en outre, qu’aucun des six nouveaux arrivants dans la tour Ouessant n’était d’origine africaine ou antillaise ;

— le fichier ethnique placé sous scellé no 5 faisant apparaître, pour les français, une colonne précisant le pays du lieu de naissance ;

— le rapport de l’expert du 7 juillet 2010 faisant ressortir que seuls les français nés en Afrique, au Maghreb ou aux Antilles françaises étaient distingués dans la colonne « origine » tandis que, parmi les français nés en France, seuls ceux nés dans les départements d’outre-mer et noirs de peau voyaient préciser leur département de naissance.

L’avocat de la partie civile a affirmé que les autres éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, à savoir, la conservation par Logirep de données nominatives, l’absence de consentement des intéressés et l’absence d’autorisation légale. S’agissant de l’élément intentionnel, il a souligné que celui-ci réside dans le choix des critères de la nomenclature.

Sur le délit de discrimination, La Maison des Potes a fait plaider que le critère discriminatoire auquel se trouvait subordonné la fourniture d’un logement au sein de Logirep ressort nécessairement du fichage en fonction de l’ethnie et, au-delà, de la couleur de la peau.

Son conseil a contesté que le refus d’attribuer un logement à Frédéric B… ait eu une autre cause que son origine ethnique et sa couleur de peau, se référant aux propos de Safia Z… lors de la conversation enregistrée du 19 juillet 2005.

Il a relevé que les autres raisons invoquées par Logirep étaient mensongères et n’avaient d’ailleurs pas été retenues dans la lettre de notification du refus.

Il a réfuté que cette pratique puisse trouver un support légal dans les dispositions de la loi du 29juillet 1998 de lutte contre l’exclusion ou dans celles de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale et de manière générale, être fondée sur un motif légitime.

La Maison des Potes a fait développer les arguments démontrant, selon elle, que la commission d’attribution est un organe de Logirep, notamment :

— l’article L441-2 du code de la construction et de l’habitation mentionnant qu'« il est créé, dans chaque organisme d’habitations à loyer modéré, une commission d’attribution… » ;

— l’article R 441-9 du même code dont il ressort que la commission d’attribution émane du conseil d’administration qui définit la politique que celle-ci doit suivre ;

— l’article L 441 du même code qui dispose que ce sont les bailleurs sociaux qui attribuent les logements locatifs sociaux ;

— l’article L 451-2-1 du même code qui dispose que l’organisme qui ne respecte pas les règles d’attribution et d’affectation des logements se voit infliger une sanction pécuniaire ;

— les déclarations de la directrice générale adjointe de Logirep sur le fonctionnement matériel et juridique des commissions.

Elle a conclu que Logirep est bien coupable du délit de discrimination à raison de l’origine, l’ethnie ou la nationalité.

S’agissant de ses demandes civiles, après avoir énoncé les éléments rendant sa constitution de partie civile recevable, la Maison des Potes a sollicité la condamnation de Logirep à lui payer la somme de 50. 000 € à titre de dommages-intérêts pour son préjudice moral ainsi que la somme de 5. 000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le représentant du ministère public a observé que les pièces saisies et les constatations de l’expert démontrent sans ambiguïté que Logirep disposait d’un fichier ethnique, c’est à dire faisant état de l’origine des locataires. Il a requis la confirmation du jugement qui a reconnu Logirep coupable du délit de mise en mémoire ou conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes concernées et, en répression, l’a condamnée à 20. 000 € d’amende.

En ce qui concerne le délit de discrimination aggravée, le représentant du ministère public a relevé que cette infraction présentait un certain nombre de difficultés juridiques. Il a tout d’abord fait valoir que l’article 432-7 du code pénal mentionné dans la citation n’est pas applicable et qu’il appartient à la cour de vérifier si les conditions d’application de l’article 225-2 du même code sont réunies. Prenant appui sur les dispositions de l’article L 441-2 du code de la construction et de l’habitation selon lequel il est créé « dans » chaque organisme d’habitations à loyer modéré une commission d’attribution, il a soutenu qu’en l’espèce la commission d’attribution de Logirep est bien un organe de Logirep.

En revanche, le représentant du ministère public a fait valoir que la preuve de la discrimination commise ne peut résulter de l’enregistrement d’une conversation intervenue postérieurement à la réunion durant laquelle a été prise la décision de rejet, qu’en outre, d’autres motifs peuvent expliquer cette décision, Frédéric B… ayant menti sur un certain nombre de points de son dossier ; qu’il existe donc un doute qui doit profiter à la société prévenue dont il a requis la relaxe pour ce chef de poursuite.

Logirep sollicite sa relaxe des deux délits qui lui sont reprochés.

Sur le délit de discrimination aggravée, la défense de Logirep a opposé, à titre principal, le défaut d’élément légal de l’infraction, la responsabilité pénale des personnes morales étant subordonnée jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi no2004-204 du 9 mars 2004, le 31 décembre 2005, à l’existence, pour chaque incrimination, d’un texte spécial prévoyant cette responsabilité. Elle a relevé qu’à la date de l’infraction, ni l’article 432-7 du code pénal, ni aucun texte ne prévoyait la responsabilité des personnes morales pour le délit de discrimination par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.

La défense de Logirep a ajouté que la responsabilité de la prévenue ne pouvait pas davantage être retenue sur le fondement de l’article 225-2 du code pénal du fait, d’une part, des termes retenus dans le renvoi, le « droit à un logement » ne figurant pas parmi les comportements prévus et réprimés par cette disposition légale, d’autre part, des intérêts différents poursuivis par les articles 432-7 et 225-2 du code pénal.

À titre subsidiaire, Logirep a fait plaider que, comme l’a jugé le tribunal, les délits prévus aux articles L 225-2 et L 432-7 du code pénal ne peuvent lui être imputés, la commission d’attribution ne pouvant engager la responsabilité pénale de Logirep, faute d’avoir la qualité d’organe ou de représentant de cette société, cette commission formant un collège indépendant et Logirep ne faisant que mettre à sa disposition ses locaux ainsi que porter à la connaissance des candidats la décision de la commission. Elle ajoute que la commission d’attribution ne peut par ailleurs, en tant qu’organe collégial, se voir imputer une infraction pénale.

Logirep a fait plaider, également à titre subsidiaire, que la décision de la commission d’attribution ne repose sur aucun motif discriminatoire, les différentes auditions et vérifications effectuées dans le cadre des commissions rogatoires du 8 novembre 2005 et du 16 juin 2008 ayant montré que le refus d’attribution du logement à Frédéric B… était fondé sur d’autres motifs, connus avant la décision de rejet : l’absence de travail dans les Hauts-de-Seine, les troubles de voisinage causés par la mère du candidat, la fausse déclaration sur l’insalubrité du logement alors occupé, l’instabilité du parcours locatif de Frédéric B…, le président de la commission d’attribution Bertrand D… ayant, par ailleurs, expliqué devant les enquêteurs le sens du motif mentionné de « mixité sociale ».

La défense a souligné que les propos tenus par Safia Z… lors de la conversation téléphonique du 19 juillet 2005 étaient mensongers et contraires à la réalité des motifs de la commission d’attribution ; qu’en outre, Safia Z… ne bénéficiant pas d’une délégation de pouvoir, elle ne pouvait engager la responsabilité pénale de Logirep.

Sur le délit de mise en mémoire ou conservation de données faisant apparaître les origines raciales ou ethniques, la défense a allégué que les données incriminées étaient autorisées par la loi, en l’occurrence, par la norme simplifiée no 20 édictée par la CNIL dans sa délibération no01-61 du 20 décembre 2001 qui autorise la mise en mémoire et la conservation en mémoire informatisées de la nationalité et du lieu de naissance des candidats à l’attribution d’un logement et des locataires.

Reprenant les données figurant sur les tableaux placés sous scellés no 4 et 5, la défense a fait valoir que celles-ci portaient exclusivement sur la nationalité et le lieu de naissance des locataires, données d’état civil autorisées.

Subsidiairement, Logirep a fait soutenir que le recueil des données incriminées, effectué manuellement pour le scellé no 4 et sur requête spéciale pour le scellé no 5, était nécessaire à sa défense, à la suite du dépôt de plainte de Frédéric B… et de SOS Racisme, invoquant l’article 8 de la loi no78-17 du 6 janvier 1978 qui autorise « les traitements nécessaires à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice ». S’agissant du champ informatif « origine » dont la présence a été notée par l’expertise, la défense a affirmé que sous cet intitulé ne figurent que des données portant sur le pays du lieu de naissance des locataires.

La défense a ajouté que la preuve n’est pas apportée :

— que les données collectées et traitées l’ont été sans le consentement exprès des intéressés alors qu’il s’agit d’un élément constitutif de l’infraction ;

— de l’élément intentionnel de l’infraction dès lors que les mentions litigieuses ne constituaient tout au plus que des maladresses sans que soit établi que Logirep a, en toute connaissance de cause, élaboré et mis en place un système de fichage ethnique, a été animée d’une volonté discriminatoire ou a seulement eu conscience de se livrer à des agissements discriminatoires tombant sous le coup de la loi.

MOTIFS DE LA DÉCISION

— sur la recevabilité des appels :

Les appels de la prévenue, du ministère public et des parties civiles, réguliers en la forme, ont été interjetés dans les délais légaux. Ils seront déclarés recevables.

— sur l’exception de nullité :

Il résulte de l’article 388 du code de procédure pénale qu’en cas d’information judiciciaire, le tribunal est saisi par le renvoi ordonné par la juridiction d’instruction et non par la citation délivrée au prévenu.

En l’espèce, c’est l’ordonnance rendue le 25 juin 2012 par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Nanterre renvoyant Logirep devant le tribunal correctionnel qui a saisi cette juridiction et informé Logirep, par la notification qui lui en a été faite, des chefs de prévention la concernant ainsi que des textes d’incrimination et de répression applicables.

La citation délivrée le 19 décembre 2013 à Logirep ayant essentiellement eu pour objet de l’informer de la date, de l’heure et du lieu où elle serait jugée sur les préventions dont le contenu lui a été rappelé, l’omission des articles 432-7 et 432-17 du code pénal dans les textes d’incrimination et de répression énoncés dans la citation n’a pu avoir pour effet de porter atteinte au intérêts de la prévenue.

En conséquence, en application de l’article 565 du code de procédure pénale, l’exception de nullité soulevée par Logirep sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

— sur le fond :

Sur l’action publique

. Sur le délit de mise ou conservation illicite de données en mémoire informatisée :

Au cours de la perquisition effectuée le 13 décembre 2005 au siège de Logirep sur commission rogatoire du juge d’instruction, il a été découvert et saisi dans un bureau de la direction au quatrième étage :

— un document placé sous scellé no4 comportant trois feuillets décrits par les officiers de police judiciaire comme étant un « profil des locataires entrés à Nanterre chemin de l’Ile de juillet 2004 à juillet 2005 », faisant notamment apparaître pour chacune des tours du quartier du Chemin de l’Ile le nom du locataire, la date de son entrée dans les lieux et sa nationalité avec une précision entre parenthèses, la nationalité et son complément étant ainsi libellés : « F (orig. Alg) », « F (nés en F) », « F (Dom Tom) », " F + marocaine « , » F (né en F) + Alg. « , » Maroc + F (née en F) ", etc. ;

— un document placé sous scellé no5 comportant sept feuillets format A3 intitulé « attribution mai juin juillet 2005 parc total Logirep » faisant apparaître, sur plusieurs colonnes, le mois d’entrée des locataires dans les lieux, leur nom, leur situation matrimoniale, le nombre d’enfants, la situation locative antérieure, la nationalité, le pays du lieu de naissance, la nature du contrat de travail, la profession et la rémunération perçue, le type de logement, le code de la résidence, la ville et l’organisme « désignataire » (réservataire du logement).

Dans ce dernier document, il était toutefois mentionné dans la colonne « pays du lieu de naissance » soit « France » ou « France métropol. », soit le nom du pays étranger (Maroc, Comores, Portugal…), soit encore le nom de collectivités d’outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Réunion.

L’article 226-19 du code pénal n’incrimine le fait de mettre ou de conserver en mémoire informatisée certaines données à caractère personnel que si la mise en mémoire ou la conservation en mémoire est effectuée « hors les cas prévus par la loi ».

À cet égard, l’article 8 de la loi no78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que ne sont pas soumis à l’interdiction de collecter ou traiter des données à caractère personnel faisant notamment apparaître les origines raciales ou ethniques « les traitements nécessaires à la constatation, à l’exercice ou la défense d’un droit en justice », ceci « dans la mesure où la finalité du traitement l’exige pour certaines catégories de données. »

Les déclarations de Martine C…, directrice générale adjointe de Logirep, au magistrat instructeur selon lesquelles ces documents ont été établis à sa demande après la médiatisation du dossier de Frédéric B…, afin de démontrer la « bonne foi » de Logirep et « la diversité des bénéficiaires d’attributions » sont corroborées par la date portée sur le document du scellé no4, le 15 août 2005, et par la période couverte par les tableaux constituant les deux scellés qui incluent le mois de juillet 2005.

En effet, les premiers articles de presse consacrés à cette affaire, versés au dossier d’instruction, sont datés du 2 août 2005 (journal « Hauts-de-Seine matin »). Dans l’un de ces articles, Samuel Y… déclare au nom de SOS Racisme qu’une plainte avec constitution de partie civile vient d’être déposée entre les mains du doyen des juges d’instruction de Nanterre.

Il existe donc des présomptions selon lesquelles ces documents ont bien été élaborés postérieurement au 2 août 2005 en vue de préparer la défense de Logirep visée par une plainte avec constitution de partie civile, cette défense pouvant légitimement consister à démontrer par des tableaux synthétiques la diversité d’origine des locataires dans les tours où se trouvait situé le logement refusé à Frédéric B…, notamment la présence de locataires ayant les origines qu’il était reproché ou pouvait être reproché à cette société gestionnaire d’H. L. M. de discriminer.

En conséquence, l’infraction de mise en mémoire ou de conservation en mémoire de données en mémoire informatisée ne peut être retenue au titre des documents placés sous scellés no4 et 5.

Si les constatations de l’expert en informatique Alexis Rimbaud effectuées le 19 juin 2009 au siège de Logirep à partir des données recueillies ce jour-là n’ont pas permis de trouver trace de tableaux similaires à celui placé sous scellé no4, ce qui confirme les déclarations de Martine C… selon lesquelles ce document avait été réalisé « manuellement », plus précisément sans matrice informatique, ces mêmes constatations ont permis de retrouver le tableau placé sous scellé no5 dans la mémoire de l’ordinateur « entrants mai juin juillet 2005 parc total Logirep ».

À propos de ce dernier tableau, Danièle A… a expliqué au magistrat instructeur lors de son transport sur les lieux qu’elle l’avait réalisé à partir du logiciel Woblec de Logirep « après avoir extrait les informations pour réaliser le tableau. »

Ce lien entre les tableaux élaborés par Danièle A… et les données déjà existantes conservées en mémoire informatisée par Logirep a été confirmé par l’expertise diligentée par Alexis Rimbaud, qui a constaté sur une bande informatique de sauvegarde de type DAT DDS3 L1000, archivée au siège de cette société et saisie par le juge d’instruction, l’existence de données mises ou conservées en mémoire informatique par Logirep en juillet 2005 faisant état dans la « liste des champs et types constituant la fiche du candidat » (au logement), un champ consacré à la nationalité et un autre champ consacré à l’origine du candidat, l’une et l’autre étant représentées par des codes, tel que FR ou 001 pour France, 000 pour France métropolitaine, AL pour Algérie, GP pour Guadeloupe, GY pour Guyane française, etc.

Un extrait du « fichier principal des candidats » montrait la présence et l’utilisation effective de ces champs. Ainsi, Jean David J… était enregistré comme étant de nationalité française et d’origine réunionnaise (RE), Nassim K… comme étant français et d’origine algérienne, Fabien L… comme étant de nationalité française et d’origine martiniquaise, Daniel M… comme étant de « nationalité » et d’origine réunionnaises, etc. Or, selon l’expert, cette base de données était utilisable dans le cadre d’une structure client/ serveur permettant à toute personne bénéficiant d’un code d’accès de l’interroger.

Contrairement à ce que Logirep soutient pour sa défense, une telle mention de l’origine des candidats ou des locataires en place n’était pas autorisée par la décision de la CNIL no01-061 du 20 décembre 2001 portant recommandation relative aux fichiers de gestion du patrimoine immobilier à caractère social puisque cette décision proscrit au contraire la collecte de toute « information relative aux » origines « du demandeur ou au pays de naissance de ses parents ».

La défense prétend que se trouverait enregistrée dans le champ « origine » le lieu de naissance des candidats ou des locataires. Mais cette affirmation est contredite par le fait que, pour une personne née en France, l’indication du lieu de naissance implique l’indication de sa commune de naissance, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La liste des champs établie par l’expert dans son rapport montre que le lieu de naissance des personnes concernées était déjà renseigné dans un champ spécifique « lieu de naissance » et qu’il n’existait donc aucune raison d’utiliser à cette même fin le champ « origine ». En outre, une telle explication quant à l’utilisation du champ « origine » ne permet pas d’expliquer pourquoi l’indication de la collectivité territoriale de naissance n’est pas indiquée pour les Français nés en France métropolitaine. L’indication du département de La Réunion dans le champ « nationalité » d’un locataire, ci-dessus évoquée, induit que la connaissance de l’origine d’un candidat ou d’un locataire pouvait primer sur l’exactitude de l’information relative à son état civil.

Par ailleurs, Logirep n’a jamais produit de document portant consentement des personnes concernées pour la mise en mémoire ou la conservation des données relatives à leur origine. Plus encore, tout au long de l’information et des débats, elle n’a jamais prétendu avoir obtenu ou recherché l’obtention d’un tel consentement. Par ailleurs, les investigations menées au siège de Logirep, qu’elles concernent la recherche de documents papiers ou informatisés, n’a pas permis de trouver trace de documents de cette nature. Il est ainsi suffisamment établi que ce consentement n’était pas recueilli avant l’enregistrement de ces données.

Enfin, sur l’existence de l’élément intentionnel de l’infraction, il doit être relevé que le champ informatif relatif à l’origine des candidats et locataires était inscrit dans la structure informatique mise en place au sein de Logirep et renseigné pour chaque dossier ouvert à l’époque des faits ; que son existence était connue aussi bien du personnel chargé d’entrer les données dans la mémoire informatisée que du personnel de direction de Logirep puisque, comme il a été dit, Danièle A…, chef du service clientèle de Logirep, a reconnu avoir elle-même extrait les données nécessaires pour réaliser le tableau figurant dans le scellé no5.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré Logirep coupable de ce délit sauf à préciser que l’infraction, dont l’existence repose sur une sauvegarde informatique effectuée en juillet 2005, doit être datée de courant juillet 2005.

. Sur le délit de discrimination aggravée :

Selon l’article 121-2 alinéa premier du code pénal dans sa rédaction applicable à la date des faits, le 12 juillet 2005, « Les personnes morales sont responsables pénalement selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi et le règlement, des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Or, jusqu’à l’abrogation par l’article 54 de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, applicable à compter du 31 décembre 2005, du principe de spécialité en matière de responsabilité des personnes morales, aucune disposition légale spéciale ne prévoyait la responsabilité des personnes morales pour le délit de discrimination raciale commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, délit prévu par l’article 432-7 du code pénal.

Il s’en suit que les poursuites exercées de ce chef contre la société Logirep ne reposent pas sur un élément légal.

Au cours des débats devant le tribunal correctionnel puis devant la cour, a été évoquée la requalification des faits poursuivis en discrimination commise à l’égard d’une personne physique ou morale par refus de fourniture d’un bien ou d’un service, délit prévu et réprimé par les articles 225- 1et 225-2 du code pénal dont les personnes morales pouvaient être déclarées coupables à la date des faits en application de l’article 225-4 du même code dans sa rédaction alors en vigueur.

Il sera constaté, comme l’a fait le tribunal, que les éléments constitutifs du délit de discrimination prévu à l’article 225-2 du code pénal sont inclus dans la prévention énoncée dans l’ordonnance de renvoi, soit :

— une discrimination telle que définie à l’article 225-1 du même code ;

— le refus de fournir un logement à Frédéric B…, soit un bien au sens de l’article 225-2 sus-visé.

Les poursuites reposant sur un élément légal, il y a lieu de vérifier si les éléments constitutifs du délit de discrimination prévu à l’article 225-2 susvisé sont, en l’espèce, effectivement caractérisés.

Il a été relevé ci-dessus que Logirep disposait, en violation de la loi, de données informatisées faisant état de l’origine des candidats locataires (« fichier principal des candidats » décrit par l’expert N…).

L’existence de ces données doit être mise en relation avec les déclarations de Danièle A… rapportées dans la presse mais versées au dossier d’instruction selon lesquelles le personnel de Logirep, dans un but de « rééquilibrage » du quartier, travaillait non seulement en fonction des revenus des locataires et de la composition familiale mais aussi par rapport « aux origines » des candidats locataires, ce qui suppose la disposition, au sein de Logirep, d’outils spécifiques, notamment informatiques, pour vérifier cette origine et mettre en oeuvre une telle politique.

Logirep n’a, à aucun moment de l’information et des débats, démenti que la personne en charge en son sein de la clientèle avait effectivement tenu de tels propos.

Or, les explications données à Frédéric B… par Safia Z… dans la conversation enregistrée du 19 juillet 2005 s’inscrivent précisément dans les orientations ainsi énoncées par Danièle A…, puisque celle-ci, pour expliquer les pratiques des commissions d’attribution, a fait part du souhait de mixer « toutes les origines et tous les revenus » et confié à Frédéric B…, en relation plus directe avec son dossier, que dans la tour Ouessant dans laquelle se trouvait le logement sollicité il y avait « beaucoup de personnes d’origine africaine et antillaise », étant précisé que le dossier de Frédéric B… contenait une copie de pièce d’identité montrant que ce candidat était Noir.

Il doit être noté que dans cette conversation, Safia Z… n’a jamais prétendu exprimer un point de vue personnel mais bien celui de la commission d’attribution dont elle transmettait la décision, déclarant notamment à Frédéric B… : « C’est pas moi qui ai décidé, c’est la commission, moi je vous donne simplement le résultat de la commission ». Le compte-rendu donné par Safia Z… des travaux de la commission est d’autant plus crédible que celle-ci, en qualité de conseillère clientèle en charge du dossier, a préparé celui-ci, l’a présenté à la commission et a mis en forme la lettre de notification en écrivant le motif du rejet transmis à la signature de Danièle A….

De plus, le président de la commission, Bertrand D… a reconnu que la décision relative à Frédéric B…, conformément à l’usage, avait été pris « par consensus », ce qui signifie que le point de vue exprimé par la conseillère clientèle Safia Z… en sa qualité de rapporteur du dossier a nécessairement été partagé par les autres membres de la commission.

L’argument de la défense selon lequel la décision de la commission d’attribution repose sur d’autres motifs que celui indiqué par Safia Z… dans cette conversation se heurte à un élément matériel, à savoir le motif mentionné sur le procès-verbal de la commission puis notifié à Frédéric B….

En effet, les motifs invoqués par la défense, tenant à l’absence de travail de Frédéric B… dans le département où se situait le logement, aux troubles de voisinage prétendument causés par sa mère, à une fausse déclaration de Frédéric B… sur l’insalubrité de son logement ou à son parcours locatif antérieur sont sans rapport, d ‘ une part, avec le motif « mixité sociale » écrit par le président de la commission sur le procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2005, d’autre part, avec la notification de rejet reçue par Frédéric B… laquelle cite l'« article 56 de la loi sur l’exclusion », par référence à l’article 56 de la loi no98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions dont le principe de mixité sociale a été repris à l’article L 441 alinéa 2 du code de la construction et de l’habitat.

S’agissant de la mise en oeuvre du principe de mixité sociale, aucun des représentants de Logirep ni aucun des membres de la commission d’attribution n’a justifié l’utilisation de ce motif de rejet par le niveau social, l’emploi, les revenus du candidat locataire ou tout élément de son dossier susceptible de se rattacher à la notion communément admise de mixité sociale, ce qui aurait supposé de mettre en relation ces données avec la situation existant dans la tour ou le quartier dans lequel se situait le logement. En conséquence, seule la mixité sociale conçue comme la mixité des origines raciales ou ethniques, conformément aux explications données spontanément par Safia Z…, présentant cette orientation comme destinée à « éviter de créer des ghettos » et induisant le droit de refuser l’attribution d’un logement en raison de l’origine d’un candidat, est susceptible d’expliquer le rejet de la demande de logement de Frédéric B… au titre de la mixité sociale.

La cour a pu, par ailleurs, s’assurer par l’écoute de l’enregistrement de la conversation téléphonique du 19 juillet 2005 que Safia Z… s’était alors exprimée clairement, posément, sans qu’à aucun moment sa volonté de rapporter fidèlement la décision de la commission d’attribution puisse être mise en doute.

Entendues en qualité de témoins, les personnes composant cette commission, y compris Safia Z…, ont certes toutes contesté que l’origine raciale ou ethnique de Frédéric B… avait été à l’origine de la décision de refuser le logement qu’il sollicitait. Mais ces déclarations ont été recueillies alors que, d’une part, une polémique médiatisée était survenue sur d’éventuels comportements discriminatoires au sein de Logirep et que, d’autre part, des poursuites judiciaires étaient engagées contre cette société, de telle sorte que la reconnaissance par ces témoins que le refus d’attribuer un logement à Frédéric B… s’était fondé sur son origine raciale ou ethnique les aurait conduit à s’auto-incriminer ou, pour le moins, à mettre directement en cause une société dont la majorité étaient des salariés. Au demeurant, comme l’a souligné le tribunal, les déclarations faites par les membres de la commission d’attribution n’ont pas permis d’expliquer de manière convaincante pourquoi le motif de rejet retenu avait été la « mixité sociale ». Les témoignages des membres de la commission d’attribution ne peuvent donc aucunement emporter la conviction.

Il est ainsi suffisamment démontré que, dans sa séance du 12 juillet 2005, la commission d’attribution de Logirep, après examen du dossier déposé par Frédéric B…, a rejeté sa demande après avoir estimé que, compte tenu du nombre de locataires d’origine africaine ou antillaise installés dans la tour Ouessant, elle devait, au titre de la mixité sociale, refuser à ce candidat Noir le logement qu’il sollicitait ; qu’ainsi le refus d’attribution d’un bien ou d’un service, en l’espèce, la fourniture d’un logement, s’est fondé sur l’origine raciale ou ethnique du candidat.

Propriétaire-bailleur et gestionnaire de son propre parc immobilier, Logirep est, de principe, responsable des conditions dans lesquelles ses logements sont attribués en location.

L’article L 441-1 du code de la construction et de l’habitation ne remet pas en cause cette compétence et cette responsabilité puisqu’il renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer les conditions dans lesquelles sont attribués « par les organismes d’habitations à loyer modéré », et non par un tiers ou par toute instance extérieure, les logements dont ils sont propriétaires ou dont ils assurent la gestion.

En énonçant qu'« Il est créé, dans chaque organisme d’habitations à loyer modéré, une commission d’attribution chargée d’attribuer nominativement chaque logement locatif… », l’article L 441-2 du code de la construction et de l’habitation confirme que les commissions d’attribution, même si des personnalités extérieures siègent en leur sein, sont un organe des sociétés d’habitations à loyer modéré.

En conséquence, le refus de logement opposé à Frédéric B… le 12 juillet 2005 par la commission d’attribution de Logirep, en raison de son origine raciale ou ethnique, est constitutif pour Logirep du délit de discrimination prévu et réprimé par les articles 225-1, 225-2 et 225-4 du code pénal.

La sanction prononcée doit tenir compte des moyens financiers dont dispose Logirep, des responsabilités particulières qui pèsent sur cette société en raison de sa mission d’intérêt général et des valeurs qu’elle est censée porter, mais aussi du fait que l’infraction se fonde essentiellement sur une analyse erronée de la notion de mixité sociale. L’insuffisante définition par la loi des termes de mixité sociale ne pouvait toutefois autoriser Logirep à transgresser la loi pénale.

Logirep sera, pour ces motifs, condamnée à une amende de 25. 000 euros.

Sur l’action civile :

Le refus illicite d’attribuer un logement à Frédéric B… a causé à celui-ci un dommage moral qui doit être réparé.

La cour évalue à 5. 000 euros le montant des dommages-intérêts que Logirep devra lui payer en réparation de ce préjudice.

L’infraction a également causé un préjudice aux associations parties civiles dont la mission est précisément de défendre les valeurs enfreintes par l’infraction et de combattre les discriminations.

La cour fixera le montant des dommages-intérêts que Logirep devra payer pour la réparation du dommage de ces parties civiles à 5. 000 euros pour SOS Racisme et 2. 000 euros en ce qui concerne la Maison des Potes.

Logirep sera, en outre, condamnée à payer aux parties civiles sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale :

— à Frédéric B… et à-à SOS Racisme, la somme globale de 5. 000 euros ;

— à la Maison des Potes, la somme de 2. 500 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l’encontre de LOGIREP, prévenue, et à l’égard des parties civiles, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Constate le désistement d’appel de l’association Fédération nationale des Maisons des Potes,

Dit qu’à son égard, le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Nanterre le 2 mai 2014 prend son plein et entier effet,

Reçoit les autres appels,

Sur l’action publique :

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité invoquée par Logirep et en ce qu’il a déclaré la société anonyme d’habitation à loyer modéré Logirep coupable du délit d’enregistrement ou conservation de données à caractère personnel sensibles sans l’accord de l’intéressé, sauf à préciser que le délit a été commis courant juillet 2005,

L’infirme pour le surplus, et statuant à nouveau,

Requalifie le délit poursuivi sous la qualification de discrimination raciale commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions en discrimination par refus de fourniture d’un bien ou d’un service,

Déclare la société anonyme d’habitation à loyer modéré Logirep coupable de ce délit,

La condamne à une amende de 25. 000 euros,

Sur l’action civile :

Déclare la société anonyme d’habitation à loyer modéré Logirep entièrement responsable du préjudice subi par Frédéric B…, par l’association SOS Racisme-Touche pas à mon Pote et par l’association La Maison des Potes-Maison de l’Egalité,

Condamne la société anonyme d’habitation à loyer modéré Logirep à payer :

. à Frédéric B… : 5 000 euros de dommages-intérêts,

. à l’association SOS Racisme-Touche pas à mon Pote : 5 000 euros de dommages-intérêts,

. à l’association La Maison des Potes-Maison de l’Egalité : 2 000 euros de dommages-intérêts,

Condamne, en outre, la société anonyme d’habitation à loyer modéré Logirep à payer sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale :

. à Frédéric B… et à l’association SOS Racisme-Touche pas à mon Pote la somme globale de 5. 000 euros ;

. à l’association La Maison des Potes-Maison de l’Egalité la somme de 2. 500 euros.

Et ont signé le présent arrêt, le président et le greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

Décision soumise à un droit fixe de procédure

(article 1018A du code des impôts) : 169, 00 €

Si le condamné s’acquitte du montant des droits fixes de procédure et, s’il y a lieu, de l’amende dans un délai d’un mois à compter de ce jour, ce montant est diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1. 500 €, le paiement de l’amende ne faisant pas obstacle à l’exercice des voies de recours et ce, en application de l’article 707-3 du code de procédure pénale. Dans le cas d’une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l’intéressé de demander la restitution des sommes versées.

Les parties civiles s’étant vues allouer des dommages-intérêts mis à la charge du ou des condamnés ont la possibilité de saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), dans le délai d’une année à compter du présent avis, lorsque sont réunies les conditions édictées par les articles 706-3 et 706-14 du nouveau code de procédure pénale.

Les parties civiles, non éligibles à la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, ont la possibilité de saisir le service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (SARVI) si la ou les personnes condamnées ne procèdent pas au paiement des dommages-intérêts dans le délai de 2 mois courant à compter du jour oü la décision est devenue définitive.

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Cour d'appel de Versailles, 18 mars 2016, 14/04196