Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 28 mai 2020, n° 18/07288

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 12e ch., 28 mai 2020, n° 18/07288
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/07288
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Versailles, 26 septembre 2018, N° 16/04943
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 15 octobre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39A

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 MAI 2020

N° RG 18/07288 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SXLO

AFFAIRE :

SARL [Y]

C/

[D] [B]

SELAFA MJA prise en la personne de Maitre [V] [L] [U], Mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur de la SARL [Y].

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 27 Septembre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 16/04943

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Jean GRESY

Me Armelle ARDES-NIAVET

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SARL [Y] N° SIRET : 523 56 2 3 45 – [Adresse 3]

Représentant : Me Jean GRESY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 93

APPELANTE

****************

Monsieur [D] [B] né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8] de nationalité Française [Adresse 4]

Représentant : Me Armelle ARDES-NIAVET, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 247

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2018/017097 du 25/04/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)

SCP P.B. ASSOCIES [I] [E] ET OLIVIER BEDICAM ASSOCIES N° SIRET : 494 13 6 7 08 – [Adresse 5]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 019000

INTIMES

****************

SELAFA MJA prise en la personne de Maitre [V] [L] [U], Mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur de la SARL [Y]. [Adresse 2]

Représentant : Me Jean GRESY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 93

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Mars 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Thérèse ANDRIEU, Président,

Madame Florence SOULMAGNON, Conseiller,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSE DU LITIGE

M.[D] [B] est propriétaire de locaux situés à [Adresse 7] – dans lesquels il a exploité, d’abord à titre individuel, puis par le biais d’une société dénommée 'Mécanique Service’ un fonds de commerce de mécanique et carrosserie automobile.

Par acte notarié du 22 avril 2005, M. [B] a donné en location à la société Mécanique Service les locaux dans lesquels il exerce son activité. Ce bail comportait une clause interdisant au bailleur d’exploiter un 'commerce semblable à celui du preneur'.

Par acte du 20 mai 2011, faisant suite à la restitution d’une partie des locaux par la société Mécanique Service (surface de 220 m2), M. [B] a consenti un bail commercial portant sur cette surface à la société [Y], pour neuf ans, moyennant un loyer mensuel de 1.500 euros en principal. Ce bail comportait une clause interdisant au bailleur d’exploiter un 'commerce semblable à celui du preneur'.

Par acte notarié du 7 novembre 2011, rédigé par Maître [E], la société Mécanique Service a partiellement cédé son fonds de commerce (essentiellement une activité de mécanique concernant certaines marques de véhicule) à la société [Y], conservant le surplus de son activité (essentiellement une activité de carrosserie) exploitée à la même adresse.

Reprochant à la société Mécanique Service de ne pas avoir respecté les clauses de non concurrence stipulées dans l’acte de cession de fonds de commerce, la société [Y] a diligenté une procédure d’arbitrage à leur encontre.

Par sentence du 14 avril 2016, le tribunal arbitral a :

— condamné la société Mécanique Service à verser 5.400 euros à la société [Y] pour avoir manqué à son obligation de non-concurrence résultant de l’acte de cession partielle de fonds de commerce, et s’est déclaré incompétent pour les demandes liées au non-respect des stipulations du bail.

— condamné la société [Y] à payer 600 euros à la société Mécanique Service pour avoir manqué à son obligation de non-concurrence.

Par acte du 7 juin 2016, la société [Y] a assigné M.[B] devant le tribunal de grande instance de Versailles, en réparation des préjudices résultant du manquement du bailleur à la clause de non-concurrence stipulée au bail.

Par acte du 7 février 2017, M. [B] a assigné en intervention forcée la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam, en sa qualité de rédacteur de l’acte de cession du fonds.

Par jugement du 27 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Versailles a :

— Dit irrecevable l’exception de nullité de l’assignation,

— Déclaré l’action de la société [Y] recevable,

— Débouté la société la société [Y] de l’ensemble de ses demandes,

— Dit que l’appel en garantie formé par M. [B] contre la société [I] [E] et Olivier Bedicam est sans objet,

— Condamné la société [Y] à payer à M. [D] [B] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamné la société [Y] à payer à la société [I] [E] et Olivier Bedicam, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

— Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

— Condamné la société [Y] aux dépens de l’instance qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 23 octobre 2018, la société [Y] a interjeté appel du jugement, à l’exception des dispositions du jugement relatives à l’exception de nullité de l’assignation et à la recevabilité de son action.

Par jugement du 6 décembre 2018, le tribunal de commerce de Versailles a placé la société [Y] en liquidation judiciaire et nommé la société MJA, prise en la personne de Maître [L] [U], en qualité de liquidateur judiciaire.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2019, la société [Y] et son liquidateur demandent à la cour de :

— Débouter M.[B] de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la société [Y] ;

— Débouter la société notariale PB Associes de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la société [Y] ;

En conséquence,

— Constater que d’autres entreprises exerçant la même activité que la société [Y] sont installées dans l’immeuble donné à bail ;

— Constater que M.[B], propriétaire des lieux, a enfreint la clause de non-concurrence insérée dans le bail commercial et manqué avec mauvaise foi à ses obligations contractuelles ;

— Constater que la société notariale PB Associés a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité professionnelle ;

— Dire que M.[B], en sa qualité de bailleur, devra indemniser la société [Y]. entre les mains de Maître [V] [L] [U], ès qualité de liquidateur, pour les préjudices qu’elle a subis ; à défaut, pour la perte de chance subie ;

— Dire que la société Notariale PB Associés, compte tenu des fautes qu’elle a commises, devra indemniser intégralement la société [Y], entre les mains de Maître [V] [L] [U], ès qualité de liquidateur, pour les préjudices qu’elle a subis ; à défaut, pour la perte de chance subie ;

— Dire que la perte de chiffre d’affaires de la société [Y] du fait de la violation de la clause de non-concurrence s’élève à la somme de :

83.421,5 euros pour l’année 2012 ;

71.465,5 euros pour l’année 2013 ;

59.121,5 euros pour l’année 2014 ;

69.012,5 euros pour l’année 2015 ;

81.926,5 euros pour l’année 2016 ;

Soit un montant total de 364.968 euros sauf mémoire.

— Condamner in solidum M. [B] et la société PB Associés à indemniser intégralement la société [Y], entre les mains de son liquidateur, pour :

— la perte conséquente de chiffre d’affaires subie, soit un montant total de 364.968 euros sauf mémoire ; ou à défaut seulement pour la perte de chance soit la somme totale de 250.000 euros, (selon les calculs ci-dessus indiqués) ;

— la perte de valeur du fonds de commerce de la société [Y], soit un montant total de 90.000 euros ;

— pour la somme de 18.000 euros au titre des frais d’arbitrage exposés par cette dernière pour faire valoir ses droits ;

— pour la somme de 6.500 euros au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jean Gresy, avocat aux offres de droit;

Subsidiairement, si par extraordinaire la cour écartait la responsabilité de M. [B],

— Condamner la société notariale PB Associés à indemniser intégralement la société [Y], entre les mains de son liquidateur à hauteur des mêmes sommes.

Par dernières conclusions notifiées le 15 avril 2019, M. [D] [B] demande à la cour de :

— Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Versailles,

En conséquence,

— Débouter la société [Y] de l’intégralité de ses demandes,

— Juger M. [D] [B] recevable et bien fondée en sa demande,

— Déclarer commun à M. [D] [B] (sic) la décision à intervenir dans le litige l’opposant à la société [Y],

— Et condamner l’office notarial Pb Associés à relever M. [D] [B] et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre lui à la demande de la société [Y],

— Et condamner l’office notarial Pb Associés à payer la somme de 6.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— Condamner la société [Y] au paiement de la somme de 6.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Par dernières conclusions notifiées le 5 juillet 2019, la société [I] [E] et Olivier Bedicam Associés demande à la cour de :

— Confirmer le jugement rendu le 27 septembre 2018, sauf en ce qu’il a retenu que les actions de M. [B] et de la société [Y] à l’encontre du notaire n’étaient pas prescrites,

À titre principal,

— Déclarer irrecevables comme étant prescrites les actions de M.[B] et de la société [Y], prise en la personne de son liquidateur, à l’encontre de la société [I] [E] et Olivier Bédicam (PB, notaires associés) ;

À titre subsidiaire,

— Débouter M. [B] et la société [Y], prise en la personne de son liquidateur, de l’ensemble de leurs prétentions formées à l’encontre de la société [I] [E] et Olivier Bédicam (PB, notaires associés) comme étant mal fondées ;

— Mettre hors de cause la société [I] [E] et Olivier Bédicam (PB, notaires associés),

— Condamner M. [B] à régler à la société [I] [E] et Olivier Bédicam (PB, notaires associés), la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamner la société [Y], prise en la personne de son liquidateur, à régler à la société [I] [E] et Olivier Bédicam (PB, notaires associés), la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au besoin fixer cette créance au passif de la société [Y] ;

— Condamner M.[B] et la société [Y], prise en la personne de son liquidateur, solidairement aux entiers dépens dont le montant sera recouvré conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 30 janvier 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la responsabilité contractuelle du bailleur pour non-respect de la clause de non-concurrence prévue au bail commercial

* le bail commercial régissant les relations entre les parties

S’agissant de la situation locative, trois actes ont successivement été conclus:

—  22 avril 2005 : bail commercial consenti par M. [B] à la société Mécanique Service, dont il est le gérant, portant sur la totalité des locaux (350 m2) situés à [Adresse 6], avec la destination suivante : réparation de véhicules automobiles, mécanique, achat et vente de véhicules automobiles, carrosserie,

—  20 mai 2011 : bail commercial consenti par M. [B] à la société [Y] en cours d’immatriculation, portant sur une partie des mêmes locaux (220 m2), avec la destination suivante : réparation de véhicules automobiles, mécanique, achat et vente de véhicules automobiles, (à l’exclusion de l’activité de carrosserie, dont il n’est pas contesté qu’elle a été conservée par la société Mécanique Service dans les 130 m2 restant),

—  7 novembre 2011 : cession partielle de fonds de commerce de la société Mécanique Service à la société [Y], incluant cession partielle (220 m2) du droit au bail consenti le 22 avril 2005 par M. [B] à la société Mécanique Service.

Les parties s’interrogent elles-mêmes pour savoir quel est le contrat de bail qui régit leurs relations contractuelles, M. [B] soutenant que le 'bail de mai 2011 est dépourvu d’effet', en ce qu’il n’aurait jamais été mis en oeuvre (la société Pajot n’ayant jamais payé de loyers entre les mois de mai et novembre 2011, la signature du bail ayant juste pour objet de permettre à la société Pajot d’obtenir son immatriculation au registre du commerce), tandis que la société Pajot affirme que 'le tribunal de grande instance a justement considéré que le bail du 22 avril 2005 constitue la loi des parties (…)', ajoutant toutefois que le second bail de mai 2011 viendrait proroger celui de 2005 en ce que le second se termine en mai 2020.

Au regard de la position des parties, la cour considérera que c’est le bail d’avril 2005 qui constitue la loi des parties, ce qui implique que le bail de mai 2011 ne puisse avoir aucun effet.

En effet, si l’on devait considérer que le bail de mai 2011, conclu entre M. [B] et la société [Y] sur la surface de 220 m2, a produit ses effets, cela impliquerait la suppression corrélative des droits de la société Mécanique Service (en qualité de locataire) sur cette même surface, de sorte qu’elle se serait trouvée dans l’impossibilité de céder un droit au bail inexistant lors de la cession du 7 novembre 2011. Force est donc de constater que si les parties admettent la validité de la cession du 7 novembre 2011, comme c’est le cas, cela suppose que la société Mécanique Service disposait encore de ses droits de locataire sur les 220 m2, ce qui lui a permis de les céder, impliquant dès lors que le bail de mai 2011 ne puisse avoir aucun effet.

* sur le respect de la clause de non concurrence prévue au bail

Le bail du 22 avril 2005 contient une clause 'interdiction au bailleur’ ainsi rédigée : 'le bailleur se défend catégoriquement d’exploiter ou de faire exploiter directement ou indirectement, dans le reste de l’immeuble, un commerce semblable à celui du preneur ou susceptible de le concurrencer, à peine de tous dommages et intérêts sans préjudice du droit qu’aurait ce dernier de faire procéder à la fermeture de l’entreprise concurrente.'

La société [Y] fait valoir que M. [B], en sa qualité de gérant de la société Mécanique Service, a violé cette interdiction de non-concurrence, dès lors qu’il a continué d’exploiter (indirectement par le biais de sa société) – outre une activité de carrosserie qui n’est pas discutée – une activité de mécanicien dans la partie de l’immeuble qu’il a conservée, ajoutant qu’il a même laissé s’installer une autre société concurrente au même endroit à compter de janvier 2015 (société Vintage Spirit Cars). Elle soutient en outre que M. [B] ne peut, en sa qualité de bailleur, se prévaloir de la clause de non-concurrence plus large figurant dans l’acte de cession du fonds de commerce, dès lors que cet acte n’est pas conclu entre les mêmes personnes (société Mécanique Service au lieu de M. [B]). Elle ajoute que le premier juge a commis une erreur en interprétant la clause du bail à la lumière de la clause de l’acte de cession alors qu’il s’agit d’actes distincts, conclus par des parties distinctes.

M. [B] soutient pour sa part qu’il n’a commis aucune violation de la clause de non-concurrence incluse dans le bail, dès lors que cette clause doit être examinée à la lumière de la clause prévue à l’acte de cession du fonds de commerce. Il ajoute que la société [Y] savait pertinemment qu’il continuerait son activité de mécanique, hors les marques réservées à la société [Y] (Fiat, Alfa Roméo et Lancia). Il ajoute que les actes, bien que distincts, sont juridiquement liés.

*****

Il convient de rappeler que l’acte de cession du fonds de commerce signé le 7 novembre 2011 comporte cession partielle du droit au bail (220 m2) consenti en avril 2005 à la société Mécanique Service, le bailleur en la personne de M. [B] étant représenté à l’acte de cession de fonds par un clerc de notaire. Le bail du 22 avril 2005 est en outre annexé à l’acte de cession du fonds.

S’il est ainsi exact que les deux actes (bail et cession de fonds) sont distincts, il n’en reste pas moins qu’ils sont directement liés entre eux dès lors que la cession du droit au bail n’est qu’un élément de la cession du fonds de commerce, et que le bailleur, en la personne de M. [B] est intervenu à l’acte de cession de bail auquel il a consenti, par l’intermédiaire d’un clerc de notaire. Il est en outre constant que M. [Y], bénéficiaire des deux actes, agit à l’encontre de M. [B], certes sur le fondement du bail commercial, mais en ce que ce dernier fait exploiter, par le biais de la société Mécanique Service qu’il gère, un commerce semblable à celui de la société [Y], de sorte que l’action n’est exercée à l’encontre de M. [B], bailleur, qu’en ce qu’il exploite directement la société Mécanique Service, seule suspectée d’exercer des actes de concurrence déloyale. Il apparaît ainsi que l’action exercée par M. [Y], même si elle vise M. [B] en sa qualité de bailleur, n’est possible qu’en ce qu’il a également la qualité de gérant de la société Mécanique Service, les deux actes étant ainsi directement liés entre eux.

L’acte de cession de fonds comprend une clause d’interdiction de rétablissement ainsi rédigée : 'le cédant s’interdit expressément la faculté (…) De s’intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée (…), fût-ce à titre accessoire, à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds présentement cédé. Il est expressément convenu entre les parties que le cessionnaire (société [Y]) aura l’exclusivité de la mécanique concernant la marque Fiat, Alfa Roméo et Lancia et la possibilité de développer l’entretien de toutes marques. La société que constituera M. [B] et qui sera toujours Mécanique Service 'modifiée’ conservera l’exclusivité de la carrosserie et peinture et à cet effet exploitera dans une partie des locaux sus-désignés. La société que constituera M. [B] et qui sera toujours Mécanique Service 'modifiée’ aura l’autorisation de développer également la réparation d’autres marques de véhicules. Les ventes de véhicules neuf et d’occasion peuvent être réalisées par les deux parties sans considération de marques. Les parties pourront toujours déroger d’un commun accord à cette entente. Cette interdiction s’exerce à compter du jour de l’entrée en jouissance dans un rayon de 15 km du lieu d’exploitation du fonds cédé et ce pendant 5 ans. En cas d’infraction, le cédant sera de plein droit redevable d’une indemnité forfaitaire de 150 euros par jour de contravention, le cessionnaire se réservant en outre le droit de demander à la juridiction compétente d’ordonner la cessation immédiate de ladite infraction.'

Il existe ainsi une contradiction flagrante entre les deux clauses de non-concurrence contenues, pour l’une dans le bail cédé, pour l’autre dans l’acte de cession du fonds de commerce.

Il est ainsi établi que, alors même que l’exploitation de 'toute activité semblable à celle du preneur ou susceptible de le concurrencer’ (à savoir l’activité de réparation automobile) est interdite à la société Mécanique Service au terme du bail, cette même société conserve, au terme de l’acte de cession de fonds de commerce, 'l’autorisation de développer également la réparation d’autres marques de véhicules (marques autres que Fiat, Alfa Roméo et Lancia)'.

Les deux actes étant indiscutablement liés entre eux – dès lors que la cession du droit au bail est incluse dans la cession du fonds, que les deux actes prennent effet le même jour (7 novembre 2011), que toutes les parties (y compris le bailleur) étaient présentes à l’acte de cession et enfin que le bail cédé est annexé à la cession du fonds – il est impossible de faire application de la clause du bail, sans tenir compte de celle comprise à l’acte de cession du fonds, ce qui aboutirait à nier la commune intention des parties exprimée dans les deux actes.

Il résulte en effet de l’article 1156 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, que l’on doit, dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes.

Force est ici de constater que le bail conclu en 2005 est antérieur de 6 années à la création de la société [Y], de sorte que les clauses y figurant, à la différence des clauses de l’acte de cession, n’ont pas été rédigées en tenant compte de la situation particulière de celle-ci.

Dès lors, la commune intention des parties ne s’est exprimée que dans l’acte de cession du fonds de commerce, les parties ayant clairement indiqué que M. [B], en sa qualité de gérant de la société Mécanique Service, avait 'l’autorisation de développer également la réparation d’autres marques de véhicules'.

C’est ainsi à bon droit que le premier juge a interprété la clause de non-concurrence visée au bail à la lumière de l’acte de cession du fonds de commerce, de sorte qu’en continuant à pratiquer la mécanique sur des marques autres que celles précédemment citées, M. [B] n’a commis aucune violation de la clause de non-concurrence. Il est ici observé que, s’agissant de l’arrivée dans les lieux de la société Vintage Spirit Cars, ces faits ont déjà été sanctionnés par le tribunal arbitral.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que M. [B] n’avait commis aucune faute.

C’est également à bon droit que le premier juge a dit que l’appel en garantie formé par M. [B] à l’encontre du notaire était sans objet, le jugement étant également confirmé de ce chef.

2 – Sur la responsabilité contractuelle du notaire

La société [Y] recherche également la responsabilité du notaire, en sa qualité de rédacteur de l’acte de cession de fonds de commerce du 7 novembre 2011.

* sur la recevabilité de l’action exercée à l’encontre du notaire

Il résulte de l’article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La SCP [E] Bedicam soulève la prescription de l’action exercée par la société Pajot à son encontre, en ce que ses premières demandes ont été régularisées par des conclusions du 25 octobre 2017, alors même que l’acte prétendument incohérent a été signé en novembre 2011, soit près de 6 années avant que l’action soit exercée, de sorte que celle-ci serait prescrite.

Ainsi que le fait observer la société [Y], le point de départ de la prescription ne se situe pas à la date de l’acte litigieux, mais à la date où elle a connu les faits lui permettant d’exercer son action, à savoir la date de la manifestation du dommage.

La société [Y] soutient à ce titre que le dommage ne s’est manifesté au plus tôt qu’au 31 décembre 2012, date de son premier bilan qui a fait apparaître un chiffre d’affaires réduit du fait de la concurrence exercée par la société Mécanique Service gérée par M. [B], résultant de l’incohérence des clauses de non-concurrence.

La société notariale ne discute pas ce point de départ de la prescription que la cour retiendra en ce qu’il correspond à l’apparition d’une perte de chiffre d’affaires pouvant résulter de la concurrence exercée par la société Mécanique Service, même s’il a été démontré que cette concurrence n’était pas illicite.

Moins de 5 années s’étant écoulées entre le 31 décembre 2012 et le 25 octobre 2017, l’action exercée par la société [Y] sera déclarée recevable, le jugement étant confirmé de ce chef.

* sur la faute imputée au notaire

Il résulte de l’article 1147 du code civil que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, à raison de l’inexécution de l’obligation, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Le rédacteur d’un acte juridique est tenu d’une obligation de conseil à l’égard des parties signataires. Il doit en outre veiller à ce que toutes les conditions soient réunies pour l’efficacité juridique de l’acte, ce qui implique une rédaction dénuée d’ambiguïté et une cohérence entre les différentes clauses de l’acte, y compris avec les éventuelles annexes.

En l’espèce, la société [Y] reproche au notaire d’avoir rédigé des actes qui ne sont pas cohérents entre eux, et de ne pas avoir attiré l’attention des parties sur ces incohérences et donc sur l’insécurité juridique pouvant en découler. Elle reproche au notaire de ne pas avoir relevé la contradiction entre les deux clauses de non-concurrence, l’une figurant au bail cédé, l’autre figurant à la cession du fonds de commerce, ce qui était source d’un potentiel conflit qui a effectivement vu le jour.

Le notaire, sans contester l’existence d’une contradiction entre les deux clauses de non-concurrence, soutient que les circonstances d’établissement des actes ne laissent aucun doute sur le fait que : 'l’acte de cession étant postérieur au bail, les clauses d’interdiction prévues dans l’acte de cession priment sur la clause de non-concurrence figurant au bail commercial.'Il estime dès lors n’avoir commis aucun manquement à ses obligations de rédacteur : 'à son obligation d’information, son devoir de loyauté, de prudence et de diligence et d’efficacité dans la rédaction de l’acte litigieux'. Il ajoute que les actes contestés ne sont que le reflet des négociations et des objectifs des parties.

Tant le bail du 22 avril 2005 que l’acte de cession de fonds de commerce du 7 novembre 2011 ont été rédigés par Maître [I] [E] qui avait ainsi une parfaite connaissance des deux actes contenant les clauses de non-concurrence litigieuses.

Le fait que l’acte de cession soit postérieur au bail n’est pas suffisant pour que les termes du premier priment sur le second, étant observé qu’il s’agit d’actes de nature différente qui coexistent, le second (cession de fonds) n’ayant en aucune manière vocation à supplanter le premier (bail).

Le seul fait de proposer à la signature de ses clients deux actes (l’un étant annexé à l’autre) contenant des clauses manifestement contraires entre elles, ainsi qu’il a déjà été démontré, constitue un manquement du notaire à son obligation de rédaction d’un acte clair permettant d’assurer sa sécurité juridique. Il importe peu en outre que les négociations des parties aient éventuellement été imprécises, le rôle du notaire étant précisément d’apporter son conseil pour éviter toute incohérence ou contradiction dans les actes qu’il rédige.

La cour retiendra dès lors un manquement du notaire à son obligation de rédaction d’un acte clair permettant d’assurer sa sécurité juridique, le jugement étant infirmé de ce chef.

* sur le préjudice subi par la société [Y] et le lien de causalité avec la faute du notaire

La société [Y] soutient que son préjudice est constitué d’une importante perte de chiffre d’affaires (364.968 euros), outre la perte de valeur de son fonds de commerce (90.000 euros), qui sont en lien direct avec la faute du notaire qui est à l’origine du conflit l’ayant opposé à M. [B], et de la concurrence nuisible et dommageable pratiquée par ce dernier.

Il a été démontré que la concurrence exercée par M. [B] n’avait aucun caractère illicite, de sorte que le préjudice financier allégué par la société [Y], en lien avec la concurrence exercée, n’est pas indemnisable.

La société [Y] fait également valoir qu’en raison de l’incohérence des clauses de non-concurrence, elle a été contrainte de recourir à la procédure d’arbitrage édictée à l’acte de cession du fonds de commerce, sollicitant à ce titre paiement de la somme de 18.000 euros correspondant aux frais de procédure engagés à ce titre.

Le notaire s’oppose à cette demande au motif qu’il n’est pas responsable des faits postérieurs aux actes rédigés, qu’il n’était pas partie à l’instance arbitrale et qu’il n’a pas pu faire valoir ses droits à ce titre.

L’objet du recours exercé par la société [Y] devant le tribunal arbitral était de faire reconnaître les actes de concurrence illicites commis par M. [B] à son encontre, sur le fondement de la clause de non-concurrence inscrite dans le bail commercial qui s’est avérée contraire à celle mentionnée à l’acte de cession du fonds de commerce.

Il est certain que cette procédure n’aurait pas eu d’utilité si les deux clauses de non-concurrence litigieuses avaient fait l’objet d’une harmonisation par le notaire au moment de la rédaction des actes, seule l’incohérence de ces clauses ayant conduit au litige et à l’introduction de la procédure arbitrale.

Les frais résultant de cette procédure sont donc en lien de causalité directe avec le manquement du notaire à ses obligations contractuelles.

La société [Y] justifie avoir été contrainte d’exposer à ce titre des frais d’arbitrage à hauteur de 18.000 euros qu’elle n’aurait pas déboursés si les clauses de non-concurrence avaient été rédigées de manière cohérente entre elles.

Il convient dès lors de fixer le préjudice subi par la société Pajot à la somme de 18.000 euros, et de condamner la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Pajot. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La SCP [I] [E] et Olivier Bédicam, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Il sera alloué à la société [Y], représentée par son liquidateur, la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [B].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Versailles en ce qu’il a débouté la société [Y] de ses demandes à l’encontre de M. [B], et en ce qu’il a dit que l’appel en garantie formé par M. [B] à l’encontre de la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam était sans objet,

L’infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Dit que, lors de la rédaction de l’acte de cession de fonds du 7 novembre 2011, la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam a manqué à son obligation de rédaction d’un acte clair permettant d’assurer sa sécurité juridique,

Condamne en conséquence la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam à payer à la société [Y], représentée par son liquidateur la société MJA, la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam à payer à la société [Y], représentée par son liquidateur la société MJA, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCP [I] [E] et Olivier Bédicam aux dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Madame Thérèse ANDRIEU, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 28 mai 2020, n° 18/07288