Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 20 février 2020, n° 18/00610

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 6e ch., 20 févr. 2020, n° 18/00610
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/00610
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nanterre, 18 décembre 2017, N° 17/03852
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 82E

6e chambre

ARRÊT N° 090

CONTRADICTOIRE

DU 20 FÉVRIER 2020

N° RG 18/00610

N° Portalis : DBV3-V-B7C-SDYH

AFFAIRE :

SAS ESSO RAFFINAGE

SARL EXXONMOBIL CHEMICAL FRANCE

C/

[…]

[…]

Syndicat C.G.T. DE LA RAFFINERIE ESSO DE FOS SUR MER

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Décembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre

Pôle : Civil – Social

N° RG : 17/03852

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 21 Février 2020 à :

- Me Isabelle DELORME- MUNIGLIA

- Me Béatrice VOSS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT FÉVRIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

La SAS ESSO RAFFINAGE

N° SIRET : 379 914 237

5/6 place de l’Iris

[…]

La SARL EXXONMOBIL CHEMICAL FRANCE

N° SIRET : 352 170 013

5/6 place de l’Iris

[…]

[…]

Représentées par Me Arnaud TEISSIER de la SELARL CAPSTAN LMS, plaidant, avocat au barreau de PARIS ; et par Me Isabelle DELORME- MUNIGLIA de la SCP Courtaigne Avocats, constituée, avocate au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52

APPELANTES

****************

Le Syndicat C.G.T. ESSO-MOBIL PJG

BP1 Raffinerie ESSO-MOBIL de Port Jérôme avenue Kennedy

[…]

[…]

[…]

[…]

Le Syndicat C.G.T. DE LA RAFFINERIE ESSO DE FOS SUR MER

[…]

[…]

Représentés par Me Aurélia DOUTEAUX, avocate au barreau de ROUEN, substituant Me Eric BAUDEU, plaidant, avocat au barreau de ROUEN ; et par Me Béatrice VOSS, constituée, avocate au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 93

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Janvier 2020, Madame, Valérie DE LARMINAT, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Rappel des faits constants

Le groupe Exxon déploie ses activités sur les sociétés Exxon et Esso.

Les deux établissements, Notre-Dame-de-Gravenchon et Fos-sur-Mer de la SAS Esso Raffinage et l’établissement de Notre-Dame-de-Gravenchon de la SARL Exxon Mobil Chemical France sont des centres pétro-chimiques.

Les personnels attachés à ces raffineries relèvent de la convention collective nationale de l’Industrie du pétrole.

Trois syndicats CGT des deux sociétés ont entamé des négociations avec la direction de l’entreprise sur la question de la contrepartie des temps d’habillage et de déshabillage des salariés assujettis à cette obligation.

Ces démarches n’ayant pas abouti, les syndicats ont décidé d’agir en justice.

Par acte du 6 décembre 2013, les syndicats CGT Esso Mobil PJG, CGT Exxon Mobil Chimie France, CGT de la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer, ont fait assigner les deux sociétés devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Les demandes portaient initialement sur la réglementation applicable aux temps d’habillage et de déshabillage mais également sur les règles applicables à la déduction des heures de grève sur le salaire ou les accessoires du salaire, cette dernière demande soutenue en première instance n’ayant pas été maintenue en appel.

Une ordonnance de radiation a été rendue le 20 janvier 2017. L’affaire a été ré-enrôlée le 27 février 2017.

La décision contestée

Par jugement contradictoire du 19 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

— condamné les sociétés à verser une contrepartie financière aux temps d’habillage et de déshabillage aux salariés tenus quotidiennement de porter une tenue de travail et de la revêtir et de l’enlever sur le lieu de travail,

— fixé à 50 euros par mois et par salarié, cette contrepartie financière,

— condamné in solidum les sociétés à payer aux trois syndicats, les sommes de :

' 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

' 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté les autres demandes,

— ordonné l’exécution provisoire,

— condamné les deux sociétés aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile au profit de ceux des mandataires qui en auront fait la demande.

La procédure d’appel

La SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France ont interjeté appel du jugement par déclaration n° 18/00610 du 12 janvier 2018.

Par conclusions signifiées le 9 juillet 2018, les syndicats ont formé un incident. Ils ont soutenu que l’exécution provisoire n’avait pas été respectée, les sociétés ayant exécuté le jugement selon des modalités différentes de celles visées au dispositif, en n’attribuant pas une indemnité forfaitaire de 50 euros aux salariés concernés mais une somme de 2,78 euros brute par quart travaillé.

Le 24 juin 2019, la cour d’appel de Versailles a rejeté l’incident des intimés.

Prétentions de la SAS Esso Raffinage et de la SARL Exxomobil Chemical France, appelantes

Par conclusions adressées par voie électronique le 3 décembre 2019, la SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France demandent à la cour d’appel de :

À titre principal,

— infirmer le jugement entrepris en ce :

— qu’il les a condamnées à verser pour l’avenir une contrepartie financière aux temps d’habillage et déshabillage aux salariés tenus quotidiennement de porter une tenue de travail et de la revêtir et de l’enlever sur le lieu de travail,

— qu’il a fixé cette contrepartie à la somme de 50 euros par mois de travail et par salarié,

— qu’il les a condamnées in solidum à payer aux trois syndicats les sommes de :

' 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

' 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— qu’il les a condamnées aux dépens de l’instance,

— dire et juger que les sociétés respectent la législation applicable au temps d’habillage et déshabillage,

— ordonner le remboursement des sommes perçues avec intérêts au taux légal,

à titre subsidiaire,

— infirmer le jugement entrepris quant au quantum des condamnations en limitant au minimum, soit 13 euros bruts, le montant de la contrepartie par mois travaillé par salarié au temps d’habillage et déshabillage, et en limitant à 1 euro les éventuels dommages-intérêts octroyés aux syndicats,

en tout état de cause,

— confirmer que la contrepartie s’entend par mois travaillé et non un montant mensuel forfaitaire,

— ordonner le remboursement des sommes perçues avec intérêts au taux légal,

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il déboute les syndicats des demandes suivantes :

— enjoindre aux sociétés à leurs frais exclusifs, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, de mettre tout en 'uvre dans le mois de la signification du jugement, pour verser aux salariés contraints de porter une tenue de travail, la somme de 50 euros par mois de travail et par salarié,

— enjoindre aux sociétés de mettre tout en 'uvre dans le mois de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par salarié, afin de restituer aux salariés qui avaient exercé leur droit de grève, les sommes déduites pour heures de grève, sur les primes et accessoires de salaire,

— dire et juger que la cour se réservera le droit de liquider l’astreinte si besoin,

— prendre acte de l’abandon de ces dernières demandes par les syndicats.

Les appelantes sollicitent en outre la condamnation solidaire des trois syndicats à verser à chacune la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Prétentions du syndicat CGT Esso-Mobil PJG, du syndicat CGT Exxon Mobil Chimie France et du syndicat CGT de la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer, intimés

Par conclusions adressées par voie électronique le 28 novembre 2018, le syndicat CGT Esso-Mobil PJG, le syndicat CGT Exxon Mobil Chimie France et le syndicat CGT de la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer demandent à la cour d’appel de :

— déclarer les sociétés recevables mais mal fondées en leur appel,

— débouter les sociétés de leurs demandes, fins et conclusions,

— déclarer les trois syndicats recevables et bien fondés en leur appel incident,

à titre principal,

— infirmer le jugement dont appel, en ce qu’il a limité, sur le principe, la condamnation des sociétés à verser une contrepartie financière aux temps d’habillage et de déshabillage aux salariés tenus quotidiennement de porter une tenue de travail et de la revêtir et de l’enlever sur le lieu du travail,

— confirmer le jugement dont appel sur le montant, en ce qu’il a fixé à 50 euros par mois et par salarié la contrepartie financière,

— fixer à 50 euros par mois et par salarié, la contrepartie aux temps d’habillage et de déshabillage,

à titre subsidiaire,

— rejeter toutes demandes formulées par les sociétés tendant à voir confirmer l’application qu’elles ont unilatéralement faite du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre dans le cadre de l’exécution provisoire, formulée dans le corps de leurs conclusions,

— enjoindre les sociétés à régulariser l’exécution du jugement, et ce sous astreinte de 50 euros par infraction constatée, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte si besoin est,

en tout état de cause,

— confirmer le jugement dont appel, en ce qu’il a :

— condamné in solidum les sociétés à payer aux trois syndicats, les sommes de :

' 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

' 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire,

— condamné les sociétés aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile au profit de ceux des mandataires qui en auront fait la demande.

Les trois syndicats sollicitent en outre chacun la somme de 3 000 euros à l’encontre de chacune des sociétés en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation des appelantes aux entiers dépens qui comprendront les frais et honoraires d’exécution de l’arrêt à intervenir et les timbres fiscaux de 225 euros.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions respectives, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 21 novembre 2019, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 janvier 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les règles applicables aux temps d’habillage et de déshabillage

L’article L. 3121-3 du code du travail, dont les dispositions sont d’ordre public, dispose : « Le temps nécessaire aux opérations d’habillage et de déshabillage, lorsque le port d’une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail et que l’habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail, fait l’objet de contreparties. Ces contreparties sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière. »

Pour statuer sur la demande des syndicats, il convient, dans un premier temps, de déterminer les salariés concernés, de vérifier, dans un deuxième temps, si les temps d’habillage et de déshabillage ne sont pas rémunérés comme du temps de travail effectif et le cas échéant, dans un troisième temps, d’arbitrer le montant de la contrepartie.

Il convient de rappeler qu’il est constant qu’en l’espèce, ni un accord collectif ni une clause du contrat de travail ne prévoit d’accorder une contrepartie aux temps d’habillage et de déshabillage mentionnés à l’article L. 3121-3 du code du travail, ou d’assimiler ces temps à du temps de travail effectif.

Sur les salariés concernés

Deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’une compensation soit octroyée aux salariés, l’obligation de porter une tenue de travail spécifique et l’obligation de la revêtir sur le lieu de travail.

— Sur l’obligation de porter une tenue de travail spécifique

Le port par les salariés d’une tenue de travail peut être rendu obligatoire par l’employeur tenu à une obligation de sécurité, pour des raisons de salubrité, d’hygiène et de sécurité. Lorsque les salariés sont amenés à être en contact de produits issus de l’industrie chimique ou de l’industrie pétrolière, ils doivent porter des équipements de protection individuelle.

Cette obligation peut être inscrite dans le règlement intérieur, dans le contrat de travail ou dans des dispositions conventionnelles mais elle peut aussi résulter de la situation de fait, notamment de la nature des activités pratiquées sur un site.

Les éléments composant la tenue concernée par la présente affaire, décrits par les deux parties de façon similaire, sont : « un bleu retard feu, des chaussures de sécurité ou rangers de pompier, des gants de cuir, un détecteur de gaz, une radio, des lunettes étanches, un casque visière, des bouchons d’oreilles » mais également, selon les syndicats « un masque de fuites, un ceinturon porte-outils et un gilet jaune selon les secteurs ».

L’obligation de porter cette tenue résulte des règlements intérieurs applicables sur les différents sites et s’impose quoi qu’il en soit aux salariés exposés du fait des activités pratiquées sur ces sites classés Seveso 2 s’agissant d’usines pétrochimiques et de raffineries de pétrole.

— Sur l’obligation de revêtir la tenue sur le lieu de travail

Compte tenu de ses caractéristiques rappelées précédemment, la tenue ne peut être revêtue que sur le lieu de travail. Des vestiaires sont d’ailleurs mis à la disposition des salariés concernés sur les sites.

Au regard de ces éléments, les salariés concernés sont ceux qui travaillent sur l’un des deux établissements, Notre-Dame-de-Gravenchon et Fos-sur-Mer de la SAS Esso Raffinage ou sur l’établissement de Notre-Dame-de-Gravenchon de la SARL Exxon Mobil Chemical France, tenus par le règlement intérieur ou par les mesures de sécurité applicables sur le site, de revêtir la tenue décrite.

L’action des syndicats étant collective, il ne peut être dressé de liste exhaustive des postes concernés, ni même visé des catégories de poste, la catégorie des opérateurs extérieurs travaillant par quart retenue par les sociétés apparaissant non-exhaustive. Il n’y a par ailleurs pas lieu de limiter le litige aux seuls salariés tenus quotidiennement de revêtir la tenue, la demande des syndicats étant plus large et les explications données par les parties laissant penser que l’entreprise compte des salariés tenus de revêtir cette tenue occasionnellement.

Sur le temps de travail effectif

La SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France soutiennent que les temps d’habillage et de déshabillage sont rémunérés comme du temps de travail effectif.

En l’absence d’acte juridique permettant d’assimiler les temps d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif, il appartient à l’employeur d’en rapporter la preuve.

L’article L. 3121-1 du code du travail dispose : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

A l’appui de leur allégation, les sociétés appelantes font état de la situation d’un opérateur extérieur travaillant en quart. Elles présentent son activité et le principe de la relève de l’équipe descendante par l’équipe montante.

Elles produisent des estimations du temps de présence d’un opérateur – 8 heures 10 – et décomposent le déroulement d’un quart de la manière suivante :

5 minutes pour le changement de tenue,

7 heures 50 minutes de temps de travail effectif,

5 minutes de passage des consignes avec l’équipe montante,

5 minutes pour le changement de tenue.

Elles produisent un constat d’huissier du 23 février 2016 duquel il résulte que les temps d’habillage et de déshabillage sont au maximum de 5 minutes et 12 secondes par jour, soit 2 minutes et 36 secondes pour chaque changement. Elles soutiennent que les 10 minutes accordées dans le planning moyen sont plus favorables.

Ces éléments présentés par les sociétés appelantes à l’appui de leur argumentation doivent être confrontés aux éléments de fait et de droit opposés par les syndicats.

Il résulte de plusieurs documents produits par les syndicats intimés que les opérateurs de l’équipe montante et ceux de l’équipe descendante doivent être en tenue de travail lors de la passation des consignes. Ainsi, l’OIMS ou, traduit en français, le système de gestion de l’intégrité de nos opérations (pièce 19 des syndicats) complété par les pratiques recommandées V&M (pièce 20 des syndicats) stipulent : « Les participants à la relève sont à un poste dédié, prêts à travailler avec les EPIs (tenues) adéquats, en contact radio permanent ».

Par ailleurs, l’évaluation des temps d’habillage et de déshabillage proposée par les sociétés, 2 minutes 36 par changement n’apparaît pas réaliste, s’agissant de l’obligation de se changer totalement, chaussures et casques compris, sans compter la gestion du vestiaire et le temps de déplacement.

De façon générale, le raisonnement des sociétés SAS Esso Raffinage et Exxomobil Chemical France est fondé sur des moyennes, des calculs approximatifs et ne concernent, de surcroît, que les opérateurs de quart d’un seul site. Les pièces produites par les appelantes, contredites par les pièces produites par les syndicats, apparaissent insuffisantes à rapporter la preuve que les temps d’habillage et de déshabillage des opérateurs extérieurs seraient comptabilisés comme du temps de travail effectif.

La SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France seront, dès lors, déboutées de leur demande tendant à voir dire qu’elles respectent la législation applicable aux temps d’habillage et déshabillage.

Sur la fixation de la contrepartie

En l’absence d’accord collectif ou de clauses dans le contrat de travail, dès lors que les temps d’habillage et de déshabillage ne sont pas inclus dans le temps de travail effectif, il appartient au juge de fixer la contrepartie financière en fonction des spécificités des équipements de protection et des spécificités de l’activité de l’entreprise.

S’agissant de compenser la sujétion en temps, que représente l’obligation pour le salarié de revêtir et d’enlever sa tenue de travail sur son lieu de travail, la contrepartie n’est due que pour les périodes

travaillées et n’est donc pas due pour les périodes non travaillées.

Même si elle peut être fixée de façon forfaitaire, il y a lieu de retenir une contrepartie par jour travaillé, qui permettra de tenir compte du critère d’effectivité et qui permettra d’indemniser les salariés soumis à cette contrainte de façon ponctuelle (puisque les syndicats ne limitent pas leur demande aux seuls salariés soumis quotidiennement à cette contrainte).

Au regard des différents éléments précédemment décrits, notamment la tenue en cause et l’activité des sites, il convient d’arbitrer à la somme de 2,80 euros la contrepartie financière des temps d’habillage et de déshabillage fixée par jour travaillé.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la nécessité de fixer une contrepartie financière aux temps d’habillage et de déshabillage. Il sera infirmé sur les modalités de cette contrepartie et sur les salariés concernés.

Sur les dommages-intérêts sollicités par les trois syndicats

Les syndicats peuvent exercer une action purement collective, dès lors qu’il est porté atteinte à l’intérêt collectif qu’ils représentent. L’article L. 2132-3 du code du travail prévoit en effet que « les syndicats peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ».

Le présent litige soulève une question de principe dont la solution, de nature à avoir des conséquences pour un grand nombre de salariés, peut porter un préjudice même indirect ou d’ordre moral, à l’intérêt collectif de la profession.

Il est démontré que la SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France ont refusé d’entrer en négociations sur les temps d’habillage et de déshabillage qui relèvent pourtant de règles d’ordre public, malgré les multiples demandes des syndicats.

Il convient de confirmer la condamnation prononcée en première instance des sociétés à payer, à chaque syndicat, une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts sur ce fondement.

Sur l’exécution du jugement

La demande de remboursement des sommes versées par l’employeur au titre de l’exécution provisoire du jugement est sans objet, compte tenu de la teneur de la décision rendue mais l’aurait été quoi qu’il en soit en cas d’infirmation dès lors que l’infirmation d’une décision vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées.

Il n’y a pas non plus lieu d’enjoindre aux sociétés de régulariser l’exécution du jugement, ni a fortiori de prononcer une astreinte à ce titre, comme cela est demandé par les syndicats, les sociétés étant tenues d’exécuter les termes de l’arrêt dans les conditions fixées par le code de procédure civile et le code des procédures civiles d’exécution.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France, tenues à paiement, supporteront in solidum les dépens de l’instance en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Ceux-ci comprendront le coût des timbres fiscaux nécessaires à l’introduction de la demande.

Elles seront en outre condamnées in solidum à payer au syndicat CGT Esso-Mobil PJG, au syndicat CGT Exxon Mobil Chimie France et au syndicat CGT de la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer une

indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à fixer à la somme de 1 000 euros chacun.

Les appelantes seront déboutées de leur demande présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 19 décembre 2017, excepté en ce qui concerne les salariés concernés et la fixation de la contrepartie financière ;

Statuant à nouveau,

DIT que les salariés concernés sont ceux qui travaillent sur l’un des deux établissements, Notre-Dame- de-Gravenchon et Fos-sur-Mer de la SAS Esso Raffinage ou sur l’établissement de Notre-Dame-de- Gravenchon de la SARL Exxon Mobil Chemical France, tenus de revêtir la tenue décrite sur leur lieu de travail ;

FIXE à la somme de 2,80 euros la contrepartie financière des temps d’habillage et de déshabillage fixée par jour travaillé ;

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France à payer au syndicat CGT Esso-Mobil PJG, au syndicat CGT Exxon Mobil Chimie France et au syndicat CGT de la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer une somme de 1 000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les sociétés appelantes de leur demande présentée sur le même fondement ;

CONDAMNE in solidum la SAS Esso Raffinage et la SARL Exxomobil Chemical France au paiement des entiers dépens y compris le coût des timbres fiscaux ;

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,

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