Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 3 mars 2022, n° 20/02509

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 11e ch., 3 mars 2022, n° 20/02509
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/02509
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, 20 septembre 2020, N° F19/01518
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

11e chambre

ARRET N°


CONTRADICTOIRE


DU 03 MARS 2022


N° RG 20/02509 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UERQ


AFFAIRE :

D X


C/

S.A.S. […]


Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT


N° Section : I


N° RG : F19/01518


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Audrey LEGUAY

Me Christophe DEBRAY

Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE TROIS MARS DEUX MILLE VINGT DEUX,


La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame D X

née le […] à […] […]

[…]


Représentant : Me Audrey LEGUAY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : 218

APPELANTE

****************

S.A.S. […]


N° SIRET : 452 791 262

[…]

[…]


Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – Représentant : Me Agnès VIOTTOLO de la SELARL Teitgen & Viottolo, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R011, susbtituée par Me Sandra PRIEGO, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :


En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 Janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,


Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,


Le 1er février 2014, Mme X débutait sa collaboration avec la société Mondadori Magazines


France, aux droits de laquelle vient la SAS Reworld Media Magazines en qualité de pigiste.


Par courrier du 7 mai 2019, le conseil de Mme X dénonçait auprès de l’employeur la rupture brutale de la collaboration le 4 avril 2019.


Le 1er juillet 2019, Mme X saisissait le conseil des prud’hommes de Boulogne Billancourt statuant en référé afin d’obtenir l’indemnisation du trouble manifestement illicite résultant du comportement fautif de l’employeur. Par ordonnance du 20 septembre 2019, le conseil des prud’hommes disait n’y avoir lieu à référé en raison de l’existence d’une contestation sérieuse.


Le 3 décembre 2019, Mme X saisissait le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt statuant au fond afin de voir reconnaître l’existence d’un contrat à durée indéterminée et obtenir

l’indemnisation de la rupture de la relation de travail.

Vu le jugement du 21 septembre 2020 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui a':


- Débouté Mme X de toutes ses demandes,


- Déboute la société Reworld Media Magazines de ses demandes.


Vu l’appel régulièrement interjeté par Mme X le 10 novembre 2020.

Vu les conclusions de l’appelant, Mme X, notifiées le 28 octobre 2021 et soutenues à

l’audience par son avocat Me Audrey Legay auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :


- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de


Boulogne-Billancourt en date du 21 septembre 2020 en ce qu’il a débouté Mme X de ses demandes tendant à :


- la reconnaissance de l’existence d’un CDI en qualité de journaliste professionnelle ; – la fixation de sa rémunération moyenne mensuelle brute à 6.496,25 euros ;


- la cessation de toute fourniture de travail après le 4 avril 2019 s’analyse en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;


- la condamnation de l’employeur à lui verser ses indemnités de fin de contrat de travail et des dommages-intérêt, et à lui remettre des documents de fin de contrat ;


En conséquence, statuant à nouveau :


- Juger Mme X recevable et bien fondée en ses demandes ;


- Juger que la demande en reconnaissance de l’existence d’un CDI n’est pas prescrite ; – Juger que

Mme X bénéficie d’un CDI depuis le 1er février 2014 en qualité de journaliste professionnelle au sein de la société Reworld Media Magazines ;


- Fixer la rémunération moyenne mensuelle brute de Mme X à la somme de 6.496,25 euros bruts ;
- Juger que l’arrêt par l’employeur de fourniture de travail à Mme X à compter du 4 avril 2019

s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;


En conséquence,


- Condamner la société Reworld Media Magazines à verser à Mme X les sommes suivantes :


- 12 992,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;


- 1 299,25 euros de congés payés afférents au préavis ;


- 38 977,50 euros à titre d’indemnité de licenciement conformément à l’article 44 de la convention collective nationale de travail des journalistes et à l’article L 7112-3 du code du travail ;


- 35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;


- 45 000 euros à titre de dommages-intérêts pour privation du bénéfice de l’allocation chômage ;


- 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;


- Intérêts légaux sur toutes les demandes de paiement de sommes d’argent ;


- Entiers dépens.


- Ordonner à la société Reworld Media Magazines la remise à Mme X des bulletins de paie, du certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir ;


- Débouter la société Reworld Media Magazines de sa demande de condamnation de Mme X à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les écritures de l’intimée, la SAS Reworld Media Magazines, notifiées le 26 juillet 2021 et développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de':


A titre principal,


- Statuer sur l’absence de contrat de travail,


En conséquence,


- Confirmer la décision rendue par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 21 septembre 2020,
A titre subsidiaire,


- Juger que les demandes de Mme X sont prescrites,


En conséquence,


- Débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes,


A titre infiniment subsidiaire,


- Juger que la collaboration n’a jamais été rompue à l’initiative de la société Reworld Media


Magazines,


- Juger que Mme X refuse de poursuivre toute collaboration,


En conséquence,


- Débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes,


En tout état de cause


- Fixer le salaire moyen de référence à 0 euro,


- Débouter Mme X du surplus de ses demandes,


- Condamner Mme X au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article

700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.


Vu l’ordonnance de clôture du 13 décembre 2021.

SUR CE,

Sur l’existence d’un contrat de travail


- Sur la prescription de l’action


Au visa de l’article L.1471-1 du code du travail, la société Reworld Media Magazines soulève la prescription de l’action de Mme X tendant à voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail, en soulignant que la relation de travail a débuté en février 2014, alors qu’elle n’a saisi le conseil de prud’hommes que le 3 décembre 2019.

Mme X répond que le point de départ de la prescription biennale doit être fixé à la date de la dernière pige, soit en mai 2019, de sorte que son action n’est pas prescrite. Elle ajoute que le journaliste pigiste régulier, à qui l’employeur n’a pas remis un contrat de travail écrit, est nécessairement lié à l’entreprise de presse par un contrat à durée indéterminée, et ce dès l’origine,

c’est-à-dire avec une reprise intégrale de l’ancienneté du journaliste.


L’article L.1471-1 alinéa 1er du code du travail dispose que : « Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».


Dans le cadre d’une action tendant à voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail au terme d’une relation de travail issue de contrats de piges réguliers, le point de départ de la prescription se situe à la date du dernier contrat de pige.


Alors qu’en l’espèce, le dernier bulletin de pige date du mois de mai 2019, l’action de Mme X engagée le 3 décembre 2019 doit être déclarée recevable.


- Sur le fond

Mme X se prévaut de la qualité de journaliste professionnel et de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée la liant à la société Reworld Media Magazines. Elle explique que les fonctions qu’elle a occupées établissent qu’elle a apporté une collaboration intellectuelle et permanente à deux publications périodiques en vue de l’information des lecteurs, de façon ininterrompue depuis le 1er février 2014. Elle soutient qu’elle a tiré l’essentiel de ses ressources de son activité de journaliste et que l’intimée était son principal, voire son unique employeur et souligne que la détention de la carte de presse n’est ni nécessaire, ni même suffisante pour prétendre au statut de journaliste professionnel. Elle invoque en conséquence la présomption légale de contrat de travail de l’article L.7112-1 du code du travail. Elle rappelle que la pige n’est qu’un mode de rémunération sans influence sur la qualification du contrat. Elle considère que la société Reworld Media


Magazines échoue à renverser la présomption de contrat de travail.


L’article L 7111-3 du code du travail dispose : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».


Par ailleurs, l’article L.7112-1 du code du travail, dispose que : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée par la convention par les parties ».


En l’espèce, il ressort des pièces produites (n°16-1 à 16-6, 18-10 à 18-12 et 19) que de 2014 à 2019,

Mme X a travaillé pour le magazine Grazia en qualité de’journaliste rédactrice spécialisée de 2014 à 2017, journaliste chroniqueuse de 2015 à 2017, journaliste reporter, puis journaliste grand reporter de 2018 à 2019. Elle a également assuré les fonctions de journaliste rédactrice en chef pour le magazine Grazia Hommes, complément biannuel, à compter du mois de septembre 2015 (pièces

n°17-1 à 17-5). Il est donc établi que l’appelante apportait une collaboration intellectuelle et permanente à deux publications périodiques en vue de l’information des lecteurs


Elle communique en pièces 3-1 à 8-5 les bulletins de pige démontrant la régularité de la collaboration avec la société Mondadori Magazines France, aux droits de laquelle vient la SAS


Reworld Media Magazines, dès lors que durant cinq ans, elle justifie de 10 à 12 bulletins de pige par an.


Elle produit par ailleurs l’attestation de M. H A, directeur de la rédaction du magazine


Grazia qui, le 3 mai 2018, atteste que «'D X est une collaboratrice permanente du magazine et assure la rédaction en chef de la déclinaison Spécial hommes de Grazia ».


Les avis d’imposition de Mme X pour les années 2014 à 2018 démontrent que les revenus tirés de son activité journalistique ont constitué l’essentiel de ses revenus et que la rémunération versée par l’intimée a représenté la quasi-totalité de ses revenus au cours de la période considérée (68% en

2014, 97 % en 2015, puis 100 % de 2016 à 2018).


Il résulte de ces éléments que Mme X est bien fondée à revendiquer le statut de journaliste professionnelle au sens de l’article L.7111-3 précité et par voie de conséquence de la présomption légale de contrat de travail de l’article L.7112-1 susvisé.


Pour combattre cette présomption simple, la SAS Reworld Media Magazines soutient que Mme


X travaillait en totale autonomie, qu’elle ne s’est vue imposer ni lieu de travail, ni horaires, ni ordres, ni directives et qu’elle ne disposait pas d’une carte de presse. L’intimée relève que Mme


X se présente comme écrivain, reporter et réalisatrice freelance. Elle souligne que les bulletins de pige versés aux débats par la requérante et le bénéfice des activités sociales et culturelles proposées par le comité social et économique ne sauraient constituer un élément probant en faveur

d’un statut de pigiste salarié.


Cependant, la détention de la carte de presse n’est pas une condition de la reconnaissance du statut de journaliste professionnel'; elle n’a donc aucune incidence sur la présomption de salariat'; les articles


L.7111-3 et L.7112-1 précités n’y font nulle référence. Au surplus, il ressort de la pièce n°24 bis que le 5 mars 2019, Mme Y de Z, directrice des ressources humaines de la société Mondadori


Magazines France, aux droits de laquelle vient la SAS Reworld Media Magazines, avait rempli le

«'certificat d’employeur'» destiné à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels au bénéfice de Mme X.


Par ailleurs, concernant l’autonomie dont aurait bénéficié l’appelante, il ressort des courriels invoqués par la SAS Reworld Media Magazines, qui pour l’essentiel sont ceux produits par Mme X, qu’elle était soumise à des plannings de bouclage et de fabrication des magazines qui lui étaient régulièrement rappelés, comme le démontrent les courriels communiqués en pièces n°29-1 à 29-15 par l’appelante.


Elle justifie également de sa convocation à la conférence de rédaction (pièces n°30-1 et 30-3) et de sa participation à un groupe de travail décidé par M. A. Par courriel du 9 juin 2016, le directeur de la rédaction du magazine Grazia transmet explicitement des directives à ses collaborateurs, parmi lesquels Mme X': « Nous avons organisé plusieurs groupes de travail, par grande rubrique ou chantier, (') des groupes qui doivent réfléchir et rendre des pistes de travail, à la fois concrètes et théoriques. Je souhaite que tous les membres de la rédaction, de la production, de la maquette et du secrétariat de rédaction participent à ces groupes ('). Je vous demande de me rendre d’ici 15 jours

(mercredi 22) un document, plutôt court, avec vos pistes et idées – plus de précision dans le document en pj, qui contient aussi les groupes'».


Les courriels produits par l’appelante en pièces n°31-1 à 31-10 démontrent qu’elle recevait des directives quant au choix et au traitement des sujets de ses articles. Ainsi, M. A lui écrit le 11 novembre 2015': « J’aimerais que l’on fasse une story / portfolio de Patti Smith pour le dernier numéro de l’année. Je verrai bien un sujet assez important avec beaucoup d’images (Zohra ') un papier (D ') éventuellement une interview. Et prendre pour appui à la fois le livre qui vient de sortir en anglais, le statut d’icône qu’elle est en train d’acquérir encore plus qu’avant et

l’anniversaire de Horses ».


Le 25 avril 2017, il indique encore': « L’idée c’est de faire un compte-rendu festival / avec deux encadrés : un gros Chanel et un American vintage. Si tu peux avoir dans le papier des propos de JP

Blanc ce serait cool mais aussi de qqun de Chanel et d’American vintage si possible ».


Le 24 avril 2017, Mme B lui adresse ce message': « I D, Tu as bien compris la news sur l’homme Dior, c’est exactement de ça dont il est question. Il s’agit d’un format à «

l’italienne », une silhouette Dior homme couchée sur une double ».

Mme C lui écrit le 17 mars 2017': « I D, Ça me semble pas mal ('). Il faut juste faire attention, comme elles sont toutes assez topées, que ça ne soit pas trop obscur pour les lectrices, presque trop « discussions de pros », tu vois ' Il faut que les filles en lisant se sentent aussi concernées par ce qui se dit. On fait un point lundi » et encore le 16 mars 2017': « J’aimerais en savoir un peu plus sur le parcours de la fille, façon mini bio de quelques mots dans le chapô. Et sinon, s’il faut couper, je me dis que la question plus générale sur l’éveil de sa génération au féminisme est sans doute celle dont on peut se passer, sa réponse est un peu convenue et ça risque de se répéter chaque semaine si tu reposes la question ' ».


Le courriel de Mme X du 16 mai 2019 (pièce n°5 de l’intimée) contredit également

l’autonomie invoquée par la SAS Reworld Media Magazines': « Est-ce que tu avais une préférence concernant l’angle ' Je n’ai pas encore eu les éléments mais je verrai comment l’orienter en fonction, si ça te convient. As-tu une idée du calibrage exact ' ».
Compte tenu de ces éléments, le fait que Mme X suggère des sujets à la rédaction ou qu’il lui soit demandé de formuler des propositions ne suffit pas à établir qu’elle travaillait en toute autonomie, étant observé que ses fonctions de journaliste rédactrice, chroniqueuse et rédactrice en chef impliquaient qu’elle émette des idées de sujets.


Les courriels communiqués par l’appelante en pièces n°33-1 à 33-13 établissent que de 2015 à qu’elle

a été amenée à représenter les magazines Grazia et Grazia Hommes lors de rendez-vous extérieurs avec des annonceurs ou lors d’événements culturels majeurs, à l’initiative de l’employeur (cf pièce

n°33-3': «'Je pense que D est la bonne personne chez moi pour réaliser ce sujet'» ou encore

n°33-10': «'ce serait cool d’envoyer D à Londres voir le show et qu’elle raconte tour ça en intro du papier'»). Par courriel du 18 décembre 2015 adressé notamment à Mme X, M. A précisait la consigne suivante à propos des accréditations pour les défilés': «'' cela étant, je veux que les défilés soient désormais couverts différemment et que chaque défilé où se rend l’une d’entre vous soit couvert dans la foulée sur Instagram et le site. En clair': si vous allez à un show, je veux lire ce que vous en avez pensé sur Insta et Grazia.fr ''».


Enfin, le courriel de Mme X du 9 mai 2019 par lequel elle indique qu’elle ne viendra pas au bureau pour contrôler une maquette est insuffisant à démontrer qu’elle travaillait en toute autonomie comme le soutient l’intimée.

Mme X justifie également qu’elle était totalement intégrée à l’équipe des collaborateurs, dès lors qu’elle disposait, contrairement à ce que prétend l’intimée, d’un bureau au sein de la rédaction

(pièces n°25-1 à 25-3), d’un badge d’accès au bâtiment abritant la société (pièce n°26), qu’elle était équipée d’un ordinateur attribué par la société intimée, d’une adresse mail professionnelle propre à

l’entreprise : D.X@mondadori.fr (pièce n°27), d’une ligne téléphonique directe (pièce

n°16-2 à 16-4), qu’elle bénéficiait des activités sociales et culturelles du comité social et économique

(CSE) de l’entreprise, notamment des chèques vacances ou des chèques cadeaux. Sur ce dernier point, si l’employeur soutient que l’appelante pouvait en profiter par des tiers, il ne précise pas quel membre de sa famille ou quel ancien salarié aurait pu permettre à Mme X d’accéder aux avantages proposés par le CSE.


L’appelante établit encore qu’elle bénéficiait d’un compte épargne temps (pièce n°28-2).


Enfin, il ressort de ses bulletins de pige qu’elle se voyait attribuer une rémunération fixe forfaitaire

(3'400 euros par mois au titre de ses fonctions de rédactrice spécialisée, puis de journaliste reporter et grand reporter et 11'000 euros par numéro en sa qualité de rédactrice en chef du titre biannuel Grazia


Hommes) et que la société Mondadori Magazines France, aux droits de laquelle vient la SAS


Reworld Media Magazines l’a affiliée à l’assurance chômage alors que l’article L.5422-13 du code du travail impose à l’employeur d’assurer «'tout salarié'» contre le risque de privation d’emploi.


Si Mme X indique sur son profil LinkedIn travailler en freelance et être écrivain, ces informations sont postérieures à rupture de la relation de travail.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la SAS Reworld Media Magazines ne rapporte pas la preuve que Mme X exercerait son activité en toute indépendance, échouant ainsi à renverser la présomption de salariat posée par l’article L.7112-1 du code du travail. Il doit donc être considéré que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février

2014.

Sur la convention collective applicable


L’intimée soutient que n’ayant jamais justifié être titulaire de la carte de presse, Mme X doit se voir appliquer les dispositions de la convention collective des éditeurs de la presse magazines, qui est mentionnée sur ses bulletins de salaire.


Cependant, alors que l’article L.7111-3 du code du travail, qui définit le journaliste professionnel, ne fait aucune référence à la carte de presse, il doit être relevé que l’article 1.1 de la convention collective des éditeurs de la presse magazines exclut de son champ d’application les journalistes qui exercent leur profession, au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, dans les entreprises de presse magazine pour les soumettre à la convention collective nationale des journalistes': « Les journalistes qui exercent leur profession, au sens des articles L. 7111-3 et suivants du code du travail, dans les entreprises de presse magazine relèvent de la convention collective nationale des journalistes (IDCC 1480) et n’entrent pas dans le champ d’application de la présente convention ».


Dans ces conditions, la convention collective nationale des journalistes doit être appliquée aux relations entre les parties.

Sur la rupture du contrat de travail':

Mme X soutient que l’employeur a cessé de lui fournir du travail à compter du mois d’avril

2019, cette rupture de la relation de travail devant s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


L’employeur répond que la collaboration avec Mme X n’a pas cessé et rappelle que s’il a

l’obligation de fournir du travail à un pigiste avec lequel il collabore régulièrement, il n’est pas tenu de lui fournir un volume de travail constant.


S’il ressort d’échanges de courriels entre Mme X, Mme E, directrice de rédaction et M.


F, directeur des ressources humaines, des 22 juillet et 9 octobre 2019 que ces derniers ont indiqué ne pas souhaiter la rupture de la relation de travail et que Mme E a demandé à la salariée de lui communiquer des idées de sujets, il n’en demeure pas moins qu’à compter du mois de mai

2019, la SAS Reworld Media Magazines ne justifie pas de la moindre commande passée auprès de

Mme X ou refusée par cette dernière. Il apparaît également qu’à partir du mois d’avril 2019,

l’employeur a cessé de payer le salaire forfaitaire de 3'400 euros qui était réglé tous les mois depuis

2016. Le fait de solliciter la collaboration de la salariée par deux seuls courriels des 22 juillet 5 décembre 2019, soit postérieurement aux actions en référé, puis au fond engagées par Mme X pour voir reconnaître l’existence d’un contrat de travail est totalement insuffisant à démontrer la poursuite de la relation de travail.


Si l’employeur n’est effectivement pas tenu de fournir au pigiste un volume de travail constant, il ressort clairement des pièces produites que la SAS Reworld Media Magazines a cessé toute fourniture de travail à compter du mois de mai 2019. Cette rupture est donc à son initiative et

s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de l’appelante au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.


Pour fixer le montant du salaire de référence, il convient de prendre en compte les salaires versés à

Mme X avant la rupture de la relation de travail au mois de mai 2019.


En application de l’article 44 dernier alinéa, de la convention collective nationale de travail des journaliste et au regard des bulletins de pige produits le salaire de référence doit être fixé à la somme de 6'496,25 euros.


Compte tenu de l’ancienneté de la salariée, il convient de lui allouer les indemnités de rupture suivantes':


- 12'992,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (article 46 de la convention collective),


- 1'299,25 euros au titre des congés payés afférents,


- 33'563,96 euros à titre d’indemnité de licenciement, en application de l’article L.7112-3 du code du travail.


À la date de la rupture de la relation de travail, il n’est pas démontré que la SAS Reworld Media


Magazines employait moins de 11 salariés. Comme indiqué supra, Mme X percevait un salaire mensuel moyen de 6'496,25 euros. Elle était âgée de 37 ans et bénéficiait d’une ancienneté de

5 ans et 2 mois. Elle établit avoir été confrontée à des difficultés financières ayant nécessité le recours à un prêt. Elle indique travailler désormais en freelance et avoir écrit un roman publié en

2020.


En conséquence, il convient de lui allouer une somme de 30'000 euros de dommages et intérêts en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.


Elle démontre également avoir sollicité, en vain, une attestation Pôle emploi de l’employeur, de sorte qu’elle n’a pu bénéficier de l’assurance chômage.


Si l’employeur répond avoir proposé à Mme X de lui remettre une attestation de fin de piges, il ressort du courrier de M. F, directeur des ressources humaines, du 9 octobre 2019, que cette remise était conditionnée par la confirmation par la salariée de sa renonciation à poursuivre toute collaboration, alors qu’il s’agissait précisément de l’objet de la contestation de Mme X.


Ce refus de l’employeur de remettre à la salariée une attestation destinée à Pôle emploi a causé à cette dernière un préjudice distinct, dès lors qu’elle s’est brutalement retrouvée sans ressource du fait de l’impossibilité d’être indemnisée par Pôle emploi, alors même que l’employeur avait cotisé à

l’assurance chômage. Ces éléments justifient la condamnation de l’employeur au paiement d’une somme de'8 000 euros de dommages et intérêts.

Sur le remboursement par l’employeur à l’organisme des indemnités de chômage


En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage qui seront éventuellement servies à la salariée dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur la remise des bulletins de paie, d’une attestation Pôle emploi et d’un certificat de travail


Il sera enjoint à l’employeur de remettre à la salariée, dans le mois de la signification de l’arrêt une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes à la décision, ainsi qu’un bulletin de paie récapitulatif des sommes allouées.

Sur les intérêts


Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation. S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens


Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la SAS Reworld Media Magazines.


L’équité commande que la SAS Reworld Media Magazines soit condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par Mme X.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions';


Statuant à nouveau';


Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de Mme D X';


Dit que Mme D X et la SAS Reworld Media Magazines ont été liés par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2014';


Dit que la rupture du contrat de travail au mois de mai 2019 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse';


Condamne la SAS Reworld Media Magazines à payer à Mme D X les sommes suivantes':


- 12'992,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,


- 1'299,25 euros au titre des congés payés afférents,


- 33'563,96 euros à titre d’indemnité de licenciement


- 30 000 euros de dommages et intérêts au titre de l’article L.1235-3 du code du travail,


- 8 000 euros de dommages et intérêts en raison du refus de délivrance d’une attestation Pôle emploi,


Ordonne à la SAS Reworld Media Magazines de remettre à Mme D X dans le mois de la signification de l’arrêt une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes à la décision, ainsi qu’ un bulletin de paie récapitulatif des sommes allouées';


Ordonne le remboursement par la SAS Reworld Media Magazines, aux organismes concernés, des indemnités de chômage qui seront éventuellement versées à Mme D X dans la limite de 6 mois d’indemnités en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail';


Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt';


Condamne la SAS Reworld Media Magazines aux dépens de première instance et d’appel';


Condamne la SAS Reworld Media Magazines à payer à Mme D X la somme de 3'000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.


Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme’Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
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Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 3 mars 2022, n° 20/02509