CAA de BORDEAUX, 4ème chambre, 7 novembre 2023, 23BX00340, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 4e ch. (formation à 3), 7 nov. 2023, n° 23BX00340
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 23BX00340
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Bordeaux, 7 décembre 2022, N° 2003566-2101274
Dispositif : Renvoi
Date de dernière mise à jour : 10 novembre 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000048380942

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’association « Défense des milieux aquatiques », a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler les arrêtés n° 189-2020 et n° 22-2021 du préfet de la Dordogne des 16 juin 2020 et 2 mars 2021 autorisant l’établissement public territorial du bassin de la Dordogne (EPIDOR) à réaliser des pêches expérimentales sur l’espèce silure au droit des trois barrages de Bergerac, Tuillières et Mauzac, sur la rivière Dordogne, dans le cadre d’une étude visant à évaluer la sélectivité des engins de pêche et l’impact de l’espèce silure sur la migration des espèces alose, lamproie et saumon.

Par un jugement n° 2003566-2101274 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 février 2023, et un mémoire complémentaire enregistré le 11 juillet 2023, l’association « Défense des milieux aquatiques », représentée par Me Crecent, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler le jugement n° 2003566-2101274 du 8 décembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d’annuler les arrêtés du préfet de la Dordogne des 16 juin 2020 et 2 mars 2021 autorisant l’établissement public territorial du bassin de la Dordogne (EPIDOR) à réaliser des pêches expérimentales sur l’espèce silure au droit des trois barrages de Bergerac, Tuillières et Mauzac, sur la rivière Dordogne ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

— la circonstance qu’elle a présenté un mémoire, enregistré le 1er novembre 2022, afin de présenter ses observations sur un moyen relevé d’office, et transmis l’arrêté préfectoral du 26 septembre 2022 l’agréant au titre de la protection de l’environnement faisait obstacle à ce que le juge rejette sa requête comme irrecevable pour défaut d’intérêt pour agir, sans rouvrir l’instruction ;

— une note en délibéré, transmise le 25 novembre n’a pas été communiquée ;

— le tribunal administratif a retenu à tort l’irrecevabilité de la demande, en considérant qu’elle devait être regardée comme ayant un ressort national, en contradiction avec les circonstances de fait et de droit qui ont amené la préfète à accorder un agrément régional ; elle a une activité effective au niveau local et en particulier concernant la mise en œuvre de la pêche expérimentale au silure et plus largement concernant la protection des poissons migrateurs ; elle justifie d’un intérêt à agir compte tenu de son objet social pour contester des arrêtés préfectoraux, alors même qu’ils n’auraient pas d’effets notables sur l’environnement ;

— le jugement attaqué ne s’est pas prononcé sur le moyen tiré d’un manquement au principe de précaution garanti par l’article 5 de la charte de l’environnement ;

— si le jugement affirme que les arrêtés attaqués « ne sont pas de nature à avoir des effets notables sur l’environnement, en particulier sur les espèces protégées () », il ne mentionne pas les textes sur lesquels il s’est fondé pour procéder à l’examen de la légalité des arrêtés préfectoraux ;

— la circonstance que la commercialisation des silures a été autorisée par arrêté inter-préfectoral du 21 juin 2016 ne permet pas de démontrer que les arrêtés attaqués n’auraient pas d’effets notables sur l’environnement ;

— l’arrêté est susceptible d’avoir un impact sur le développement des pêches expérimentales de silure et de ses effets excédant les circonstances locales ; les arrêtés litigieux autorisent l’étude locale d’une problématique nationale dont les résultats sont exploités, valorisés et appliqués aux autres territoires ;

— l’arrêté en cause a une incidence sur des poissons migrateurs ; le dispositif mis en œuvre pour la capture des silures porte atteinte à l’état de conservation des migrateurs, au sein d’une zone Natura 2000 ;

— dès lors qu’elle a produit les statuts, définissant son objet social, le tribunal n’avait pas à l’inviter à justifier plus avant son intérêt à agir ; le juge ne procède pas à un acte d’instruction pour soulever d’office une irrecevabilité qui ne ressort pas du dossier ; son droit à un recours effectif devant un tribunal a été méconnu ;

Au fond :

— elle maintient l’ensemble des moyens soulevés en première instance à l’encontre des décisions attaquées ;

— les arrêtés en litige ont méconnu l’article 1er du règlement CE n°1881/2006, de la commission du 19 décembre 2006 portant fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées ; ils prévoient une valorisation, et une commercialisation du silure, sans aucune précaution sanitaire ; aucune disposition de ces arrêtés ne permet d’identifier ce qui dans les pêches dites expérimentales procéderait d’un but sanitaire, scientifique ou écologique ;

— elle soulève le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’arrêté du 21 juin 2016 ; cet arrêté autorisant la commercialisation du silure, dont se prévaut l’autorité administrative, est dépourvu d’existence légale ; il méconnaît les dispositions de l’article 1er du règlement CE n°1881/2006 ; le taux réglementaire de PCB NDL autorisé est largement dépassé dans les bassins de la Dordogne et de la Garonne ;

— les arrêtés en litige ont méconnu le principe de précaution garanti par le droit de l’Union européenne, l’article 5 de la charte de l’environnement et l’article L. 110-1 du code de l’environnement ; les silures de la Dordogne contiennent des PCB ou polychlorobiphényles qui présentent un danger pour l’homme et pour l’environnement ; les taux de PCB présents dans la chair des silures de la Dordogne dépassent largement le taux réglementaire de PCB NDL de 125 ng/g ;

— les arrêtés en litige ont méconnu l’article 6.3 de la directive habitat, et l’article L. 414-4 du code de l’environnement ; les incidences Natura 2000 n’ont pas été évaluées avant l’édiction des deux arrêtés en litige; ce projet pourrait affecter l’objectif de conservation relatif à la préservation des espèces d’intérêt communautaire du site Natura 2000, d’une manière significative ; le mode de pêche professionnelle aux engins et filets ne constitue pas un mode sélectif de pêche, permettant de sélectionner les espèces de poissons susceptibles d’être capturés, et elle génère des mortalités intentionnelles ou " dites accidentelles ;

— à titre subsidiaire, une question préjudicielle s’imposerait sur la façon d’interpréter les dispositions de la directive ;

— les arrêtés en litige ont méconnu l’article L. 411-2 du code de l’environnement et l’article 12.4 de la directive « Habitats » ; l’esturgeon est une espèce de l’annexe IV de la directive Habitats (espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte) ; aucune mesure d’évitement de capture « dites accidentelles » n’est envisagée ;

— les arrêtés en litige ont méconnu l’article L. 411-1 du code de l’environnement et les dispositions des articles 2 et 5 de l’arrêté du 23 avril 2007 ; le pétitionnaire ne bénéficie d’aucune dérogation « espèces protégées » ;

— les arrêtés en litige ont méconnu le principe de participation du public défini à l’article 7 de la charte de l’environnement ;

— l’arrêté du 16 juin 2020 a méconnu l’article L. 112-11 du code des relations entre le public et l’administration ; la consultation publique sur la pêche expérimentale des silures souffre d’une absence d’accusé de réception ou d’enregistrement électronique, au moins 6 jours sur 7 ;

— l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement a été méconnu ;

Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 juillet 2023, la clôture d’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 août 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’environnement ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Bénédicte Martin,

— et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteur publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux arrêtés des 16 juin 2020 et 2 mars 2021, le préfet de la Dordogne a autorisé l’établissement public territorial du bassin de la Dordogne (EPIDOR) à réaliser des pêches de poissons de l’espèce silure (silurus glanis) à l’aide de différents filets et engins dans le cadre d’une étude visant à évaluer la sélectivité de ces engins et l’impact de cette espèce sur la migration des espèces alose, lamproie et saumon, au droit des trois barrages de Bergerac, Tuillières et Mauzac, sur la rivière Dordogne. L’association « Défense des milieux aquatiques » (DMA) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l’annulation de ces deux arrêtés. Elle relève appel du jugement du 8 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande pour défaut d’intérêt lui donnant qualité à agir.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ».

3. Il résulte de l’article 2 des statuts de l’association « Défense des milieux aquatiques » qu’elle a pour objet « d’agir pour la défense, la protection et la conservation de l’intégralité du milieu aquatique naturel en général, plus particulièrement marin et de toutes les espèces dépendantes de ce milieu tels que par exemple les poissons, et tous les organismes connus ou à découvrir sans exception, y compris les mammifères marins, les reptiles, les oiseaux, mais aussi les habitats concernés » et que, dans ce but, elle peut « défendre toutes les espèces et les écosystèmes dépendants du milieu aquatique et leurs habitats respectifs, sans discrimination concernant leur état de conservation ou leur statut juridique. ». Ces dispositions donnent pour objet à l’association « Défense des milieux aquatiques » de défendre la protection et la conservation de l’intégralité du milieu aquatique naturel sur l’ensemble du territoire national.

4. Pour apprécier si une association justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre un acte, il appartient au juge, en l’absence de précisions sur le champ d’intervention de l’association dans les stipulations de ses statuts définissant son objet, d’apprécier son intérêt à agir contre cet acte au regard de son champ d’intervention en prenant en compte les indications fournies sur ce point par les autres stipulations des statuts, notamment par le titre de l’association et les conditions d’adhésion, éclairées, le cas échéant, par d’autres pièces du dossier. Le juge ne saurait ainsi se fonder sur la seule circonstance que l’objet d’une association, tel que défini par ses statuts, ne précise pas de ressort géographique, pour en déduire que l’association a un champ d’action « national » et qu’elle n’est donc pas recevable à demander l’annulation d’actes administratifs ayant des effets « exclusivement locaux ».

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des statuts de l’association, que le ressort géographique de son champ d’action n’est pas déterminé. Si son siège social se situe dans le département de la Gironde, les conditions d’adhésion ne sont pas limitées à une résidence sur un territoire déterminé et les modalités de participation à l’assemblée générale prévoient le vote à distance, compte tenu de « l’éloignement des membres ». Ainsi, au regard de ces éléments, l’association « Défense des milieux aquatiques » doit être regardée comme ayant un ressort géographique national. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les arrêtés contestés, s’ils autorisent l’expérimentation de la pêche du silure dans une zone géographique déterminée de la rivière Dordogne, s’inscrivent dans un protocole-cadre Garonne-Dordogne adopté le 20 mars 2019, associant notamment l’office français de la biodiversité, la DREAL Nouvelle-Aquitaine, EDF, l’association agréée inter-départementale des pêcheurs professionnels du bassin de la Garonne, pour expérimenter les techniques et méthodes de pêche destinées à capturer les silures sur des secteurs stratégiques pour les poissons migrateurs et leur frai, tout en garantissant à ces derniers l’innocuité, et tester les indicateurs pour évaluer l’efficacité des actions mises en œuvre. Il ressort des pièces du dossier que la prédation du silure sur les poissons migrateurs et notamment la lamproie marine constitue une problématique identifiée non seulement sur la Dordogne mais aussi la Garonne, la Loire ou le Rhône, qui fait d’ailleurs l’objet d’échanges et d’analyses au sein d’un groupe de travail national. Les arrêtés en litige, alors même qu’ils ont un champ d’application territorial limité, doivent par suite être regardés comme présentant des questions qui par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales. Dans ces conditions, l’association appelante, qui, depuis lors, a d’ailleurs été agréée « pour la protection de l’environnement dans le cadre régional », par arrêté du 26 septembre 2022 de la préfète de la Gironde, justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour introduire en son nom les demandes présentées devant le tribunal administratif de Bordeaux. C’est donc à tort que celui-ci a rejeté comme irrecevable les demandes de l’association dont il était saisi. Le jugement du 8 décembre 2022 est donc irrégulier et doit être annulé.

6. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif de Bordeaux pour qu’il y soit à nouveau statué.

Sur les frais liés à l’instance :

7. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme que demande l’association Défense des milieux aquatiques sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2003566-2101274 du 8 décembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Bordeaux.

Article 3 : Les conclusions présentées par l’association « Défense des milieux aquatiques » au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l’association « Défense des milieux aquatiques » et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera communiquée au préfet de la Dordogne.

Délibéré après l’audience du 17 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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