CAA de NANCY, 2ème chambre, 31 décembre 2021, 21NC02188, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 2e ch., 31 déc. 2021, n° 21NC02188
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 21NC02188
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Besançon, 7 juillet 2021, N° 2100625
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044861281

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C… A… a demandé au tribunal administratif de Besançon d’annuler l’arrêté du 1er avril 2021 par lequel la préfète de la Haute-Saône a rejeté sa demande de titre de séjour, l’a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d’un an.

Par un jugement n° 2100625 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces, enregistrées le 30 juillet et le 3 septembre 2021, M. C… A…, représenté par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 8 juillet 2021 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 1er avril 2021 ;

3°) d’enjoindre à la préfète de la Haute-Saône de procéder sans délai à l’effacement du signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen ;

4°) d’enjoindre à la préfète de la Haute-Saône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention « salarié » dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir et durant ce délai, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler ; à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le même délai et dans les mêmes conditions ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

 – les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation en retenant le caractère frauduleux des documents d’état civil qu’il a produits ; les rapports de la direction centrale de la police aux frontières des 22 mai 2019 et 26 janvier 2021 ne sont pas de nature à renverser la présomption de validité de ces documents d’état civil, posée à l’article 47 du code civil ; le premier jugement supplétif qu’il a produit, dont l’authenticité avait été remise en cause par l’analyste en fraude documentaire, a été annulé et il s’est vu délivrer un nouveau jugement supplétif ainsi que l’extrait de la transcription de ce jugement ; c’est à tort que le rapport de la police aux frontières remet en cause l’authenticité de ce deuxième jugement supplétif en retenant le mode d’impression utilisé, des anomalies concernant les cachets secs ; en tout état de cause, les irrégularités retenues par la police aux frontières concernent le pavé de légalisation du ministère des affaires étrangères en Guinée sont sans incidence dès lors qu’il a pu faire légaliser ses documents d’état civil par l’ambassade de la République de Guinée à Paris comme l’attestent les pièces qu’il produit ; il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir fait légaliser ses documents d’état civil par l’ambassade ou un chef de poste consulaire en Guinée dès lors qu’une telle légalisation en Guinée n’est pas possible et que le décret du 10 novembre 2020 prévoit une exception pour la Guinée ;

 – l’arrêté contesté est entaché d’une erreur de fait ;

 – les premiers juges et la préfète de la Haute-Saône ont méconnu les dispositions de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors que le caractère réel et sérieux de sa formation ne fait pas de doute et qu’il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de cet article ;

 – la préfète a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle ;

 – la préfète a commis une erreur d’appréciation en prenant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2021, la préfète de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu’aucun moyen n’est fondé.

M. A… a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par décision du bureau d’aide juridictionnelle du 23 août 2021.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

 – la convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers ;

 – le code civil ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

 – loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice ;

 – le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

 – le décret n°2020-1370 du 10 novembre 2020 ;

 – le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de Mme Stenger a été entendu au cours de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. A…, ressortissant guinéen, qui déclare être né le 12 octobre 2002, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 17 mars 2019. Il a été pris en charge, compte tenu de sa minorité, par les services de l’aide sociale à l’enfance du département de la Haute-Saône le 20 mars 2019. Le 5 septembre 2019, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 1er avril 2021, la préfète de la Haute-Saône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l’a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an. M. A… relève appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d’annulation  :

2. Aux termes de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l’article L. 313-10 portant la mention » salarié « ou la mention » travailleur temporaire « peut être délivrée, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigé ». Pour refuser à M. A… la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la préfète de la Haute-Saône s’est fondée sur le caractère frauduleux des actes d’état civil qu’il a produits, considérés comme des faux en écriture publique, ce qui constitue un trouble à l’ordre public et sur le fait qu’il ne démontre pas ne plus avoir de lien avec sa famille restée en Guinée, notamment sa mère avec laquelle il a gardé des liens par le biais d’échanges téléphoniques réguliers.

3. D’une part, aux termes de l’article R. 311-2-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (…) ».

4. D’autre part, l’article L. 111-6 du même code dispose que : « La vérification de tout acte d’état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil ». L’article 47 du code civil précise que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

5. Enfin, le II de l’article 16 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice dispose que : « II. – Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Un décret en Conseil d’Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation ». Aux termes de l’article 3 du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère : " I. – L’ambassadeur ou le chef de poste consulaire français peut légaliser : 1° Les actes publics émis par les autorités de son Etat de résidence, légalisés le cas échéant par l’autorité compétente de cet Etat ;(…) « . Aux termes de l’article 4 du même décret : » Par dérogation au 1° du I de l’article 3, peuvent être produits en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français :1° Les actes publics émis par les autorités de l’Etat de résidence dans des conditions qui ne permettent manifestement pas à l’ambassadeur ou au chef de poste consulaire français d’en assurer la légalisation, sous réserve que ces actes aient été légalisés par l’ambassadeur ou le chef de poste consulaire de cet Etat en résidence en France. Le ministre des affaires étrangères rend publique la liste des Etats concernés ;(…).

6. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d’établir que l’acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu’un acte d’état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu’il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis.

7. Pour demander le bénéfice d’un titre de séjour, M. A… a fourni un premier jugement supplétif, tenant lieu d’acte de naissance, en date du 29 novembre 2018 et une transcription de jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance du 14 décembre 2018 dont l’authenticité a été remise en cause par l’analyste en fraude documentaire dans un rapport du 22 mai 2019. Sur requête du requérant, ce jugement supplétif a été annulé par le tribunal de paix de Fria en Guinée et M. A… s’est vu délivrer un nouveau jugement supplétif n°175 du 9 avril 2020 ainsi qu’un extrait n° 103 du 23 avril 2020 relatif à la transcription de ce jugement. Pour écarter ces documents au motif de leur caractère non authentique, le préfet s’est fondé sur un rapport d’examen technique documentaire de la police des frontières du 26 janvier 2021 qui met en cause le mode d’impression utilisé, les anomalies des cachets secs, l’absence de valeur du jugement supplétif présenté sans l’acte de naissance, et la méconnaissance de l’article 196 du code civil guinéen. Outre que l’article 196 du code civil guinéen ne s’applique pas aux jugements supplétifs, la méconnaissance des autres articles n’est pas précisée, notamment s’agissant de l’absence de production de l’acte de naissance et du mode d’impression utilisé pour l’édition du jugement ne permet d’établir la fraude. S’agissant de la qualité des cachets secs apposés sur jugement supplétif en litige, il ressort des pièces du dossier que par une attestation d’authenticité du 25 mai 2021, signée par Mme B…, chargée d’affaires financières et consulaires auprès de l’ambassade de Guinée en France, les autorités consulaires guinéennes en France ont reconnu l’authenticité « de la carte consulaire N°KWRIOG00, le jugement supplétif n°175 et sa transcription n°103 » appartenant au requérant et « que les cachets sont apposés par les personnes habilitées à la date du traitement des différents dossiers ». Il est en outre produit dans le cadre de la présente instance une attestation de l’ambassadeur de Guinée en France du 9 juin 2020 aux termes de laquelle il est précisé que la signataire précitée a bien qualité pour légaliser les documents d’état civil. Cette légalisation, même postérieure à la date de la décision contestée, tend, en l’état de l’instruction, à redonner force probante aux documents d’état civil dont le requérant se prévaut, étant précisé qu’il résulte de l’instruction et, est au demeurant admis en défense, que toute légalisation en Guinée est à ce jour impossible.

8. Il résulte de ce qui est dit aux points précédents qu’il est suffisamment établi que M. A…, né le 12 octobre 2002, a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance entre seize ans et dix-huit ans et satisfait ainsi à la condition d’âge prévue par l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile cité au point 7. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier et n’est pas contesté que M. A… était inscrit en CAP « Constructeur de canalisation des travaux publics » au titre de l’année scolaire 2019-2020. Il justifie ainsi suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. En outre, il résulte de ce qui est dit ci-dessus que les actes d’état civil produits par M. A… ne peuvent être regardés comme frauduleux. Par suite, le motif tiré de ce que M. A…, en ayant présenté de faux actes d’état civil, a eu un comportement constitutif d’un trouble à l’ordre public, retenu par la préfète de la Haute-Saône, n’est pas de nature à justifier la décision portant refus de titre de séjour litigieuse.

9. Enfin, la préfète de la Haute-Saône, après avoir relevé le caractère réel et sérieux du suivi d’une formation et l’avis favorable de la structure d’accueil selon lequel M. A… bénéficie d’une bonne insertion dans la société française, a cependant indiqué qu’il ne démontrait pas ne plus avoir de liens avec sa famille restée dans son pays d’origine dès lors qu’il avait des échanges téléphoniques réguliers avec sa mère. Toutefois les dispositions de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’exigent pas que le demandeur soit isolé dans son pays d’origine.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. A… est fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision portant refus de séjour et, par suite, de l’ensemble de l’arrêté du 1er avril 2021.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

11. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. ».

12. L’annulation ci-dessus prononcée implique nécessairement que la préfète de la Haute-Saône délivre à M. A… une carte de séjour portant la mention « salarié » en application de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il y a lieu, par suite, de l’enjoindre d’y procéder selon les modalités figurant au dispositif du présent arrêt.

Sur les frais liés à l’instance :

13. M. A… a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Dravigny, avocate de M. A…, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat le versement à Me Dravigny de la somme de 1 500 euros.


D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100625 du 8 juillet 2021 du tribunal administratif de Besançon et l’arrêté du 1er avril 2021 de la préfète de la Haute-Saône sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Haute-Saône de délivrer à M. A… une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L’Etat versera à Me Dravigny une somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C… A… et au ministre de l’intérieur.

Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de la Haute-Saône.


N° 21NC02188 2

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