CAA de NANTES, 1ère chambre, 15 février 2022, 20NT01589, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nantes, 1re ch., 15 févr. 2022, n° 20NT01589
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro : 20NT01589
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif d'Orléans, 16 mars 2020, N° 1802786
Identifiant Légifrance : CETATEXT000045180044

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le centre hospitalier de l’agglomération montargoise (CHAM) a demandé au tribunal administratif d’Orléans de prononcer la restitution partielle de la cotisation de taxe sur les salaires à laquelle il a été assujetti au titre de l’année 2015, à hauteur de la somme de 491 357 euros.

Par un jugement n° 1802786 du 17 mars 2020, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2020 le centre hospitalier de l’agglomération montargoise, représenté par Me Goldstein, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la restitution sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – le jugement attaqué est entaché d’une insuffisance de motivation ;

 – le tribunal administratif d’Orléans a omis de répondre à un des moyens soulevés devant lui ;

 – les prestations d’hébergement et de dépendance des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ne sont pas rendues en tant qu’autorité publique ; une telle activité doit être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; le non-assujettissement de cette activité créerait des distorsions de concurrence d’une certaine importance ;

 – la sectorisation prévue au I de l’article 209 du code général des impôts n’est pas possible dès lors que les services du centre hospitalier ne comportent pas la mise en œuvre de techniques et de moyens de production séparés ; les différentes prestations réalisées par le centre hospitalier sont exercées au sein de locaux pour la plupart communs, au moyen de personnels et de matériels également mis en commun.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2020 le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le centre hospitalier de l’agglomération montargoise ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

 – le code de l’action sociale et des familles ;

 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Brasnu,

 – et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier de l’agglomération montargoise (CHAM) est un établissement public de santé qui gère un établissement hospitalier, des unités de soins de longue durée, des établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ainsi qu’un institut de formation en soins infirmiers (IFSI). Le CHAM a estimé à compter de l’année 2013 que l’activité des EHPAD devait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et a demandé en conséquence, par une réclamation du 22 décembre 2017, la modification du calcul de la taxe sur les salaires de l’année 2015 en tenant compte d’un rapport d’assujettissement de 87 % au lieu de 97 %. Après le rejet de sa réclamation, le CHAM a demandé au tribunal administratif d’Orléans de prononcer cette restitution. Il relève appel du jugement du 17 mars 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort du jugement attaqué que le tribunal a exposé tous les motifs pour lesquels il a estimé que le CHAM était tenu de procéder à une sectorisation de ses activités sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 209 de l’annexe II au code général des impôts. Le tribunal, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a ainsi suffisamment motivé son jugement.

3. En second lieu, il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif d’Orléans, dans son point 6, a répondu au moyen tiré de ce que l’existence d’une activité hors champ était sans incidence sur l’obligation de procéder à une sectorisation en application de l’article 209 de l’annexe II au code général des impôts. Par suite, le moyen tiré du défaut de réponse à un moyen doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Le I de l’article 209 de l’annexe II au code général des impôts dispose que : « Les opérations situées hors du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée et les opérations imposables doivent être comptabilisées dans des comptes distincts pour l’application du droit à déduction. Il en va de même pour les secteurs d’activité qui ne sont pas soumis à des dispositions identiques au regard de la taxe sur la valeur ajoutée. ».

5. L’article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions du paragraphe 5 de l’article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 prévoit que : « 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance. (…) / 2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l’autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu’elles sont exonérées en vertu des articles 132 (…) ». Aux termes du g du 1 de l’article 132 de cette directive, les États membres exonèrent " les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l’aide et à la sécurité sociales, y compris

celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d’autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l’État

membre concerné ; ".

6. Aux termes de l’article 256 du code général des impôts : « I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (…) ». Aux termes de l’article 256 A du même code : « Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (…) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (…) ». Aux termes de l’article 256 B du même code : « Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (…) ».

7. Il résulte des dispositions citées au point 6, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor – Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du Conseil du

28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l’assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d’une part, à ce que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique et, d’autre part,

à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

8. D’une part, la condition selon laquelle l’activité économique est réalisée par l’organisme public en tant qu’autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l’activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l’Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l’activité exercée est exonérée en application, notamment, de l’article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n’est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.

9. Il résulte des dispositions de l’article 256 B du code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l’article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu’autorité publique les services à caractère sociaux rendus par les personnes morales de droit public. A cet égard, le 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles prévoit que sont des établissements et services sociaux et médicaux sociaux les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale. Les EHPAD gérés par le CHAM doivent ainsi être qualifiés d’établissements à caractère social. Par conséquent, ces établissements offrent un service à caractère social au sens de l’article 256 B du code général des impôts. Dès lors, l’activité d’hébergement de ces établissements doit être regardée comme exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.

10. D’autre part, par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty’s Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (C-344/15) National Roads Authority, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d’une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d’opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l’analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l’existence d’une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d’une distorsion de concurrence d’une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s’apprécient à la fois au regard de l’activité en cause et des conditions d’exploitation de cette activité. L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.

11. En l’espèce, il ne résulte pas de l’instruction que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations rendues par les EHPAD gérés par le centre hospitalier requérant créerait une distorsion de concurrence d’une certaine importance.

12. Il résulte de ce qui précède que les deux conditions cumulatives tenant, d’une part, à ce que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique et, d’autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance sont remplies en l’espèce. Par suite, le CHAM n’est fondé à demander ni l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de son activité d’hébergement pour personnes âgées, ni la baisse du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires qui en découle. Par voie de conséquence, la question de la possibilité ou non de procéder à une sectorisation sur le fondement du deuxième alinéa du I de l’article 209 de l’annexe II au code général des impôts ne se pose plus dès lors que l’activité d’Ehpad n’est pas soumise à des dispositions différentes, au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, de celles applicables aux autres activités exercées par l’établissement hospitalier.

13. Il résulte de ce qui précède que le CHAM n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande. Par conséquent, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.

DECIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de l’agglomération montargoise est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de l’agglomération montargoise et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l’audience du 27 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

— Mme Perrot, présidente de chambre,

 – M. Geffray, président-assesseur,

 – M. Brasnu, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2022.


Le rapporteur

H. BrasnuLa présidente

I. PerrotLa greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

No 20NT015892

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