CAA de PARIS, 7ème chambre, 11 octobre 2023, 23PA00008, Inédit au recueil Lebon

  • Tribunaux administratifs·
  • Territoire français·
  • Départ volontaire·
  • Police·
  • Droit d'asile·
  • Séjour des étrangers·
  • Vie privée·
  • Justice administrative·
  • Éloignement·
  • Pays

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 7e ch., 11 oct. 2023, n° 23PA00008
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 23PA00008
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Melun, 28 novembre 2022, N° 2110838
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 14 octobre 2023
Identifiant Légifrance : CETATEXT000048204781

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête transmise par ordonnance du 24 novembre 2021 du président du Tribunal administratif de Paris, M. A B a demandé au Tribunal administratif de Melun d’annuler l’arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet de police l’a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l’octroi d’un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d’office.

Par un jugement n° 2110838 du 29 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 2110838 du 29 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A B devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

— c’est à tort que le premier juge a estimé que la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors notamment que l’intéressé ne justifie ni de la régularité de son entrée sur le territoire français, ni de sa présence continue en France, ni même de la réalité et de l’ancienneté de la communauté de vie avec son épouse ;

— les autres moyens présentés en première instance par M. B ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 13 et 14 avril 2023, M. A B, représenté par Me Azougach, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de police ;

2°) et, par la voie de l’appel incident :

— à l’annulation du jugement du 29 novembre 2022 en ce qu’il a rejeté ses conclusions à fin d’injonction ;

— à ce qu’il soit enjoint au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » sous astreinte de 150 euros par jour de retard, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’arrêt à venir et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours et de lui délivrer dans l’attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler ;

— à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— ainsi que l’a relevé le premier juge, l’arrêté litigieux a été pris en méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— les décisions l’obligeant à quitter le territoire français et lui refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire sont insuffisamment motivées ;

— le préfet n’a pas procédé à un examen individuel de sa situation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de Mme D a été entendu au cours de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, ressortissant égyptien, né le 30 septembre 1978, est entré en France le 27 mai 2002, selon ses déclarations. A la suite de son interpellation par les services de police, le préfet de police a, par un arrêté du 19 octobre 2021, obligé M. B à quitter le territoire français, lui a refusé l’octroi d’un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d’être éloigné d’office. Le préfet de police relève appel du jugement du 29 novembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.

Sur le motif d’annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun :

2. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Aux termes de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. / L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ».

3. M. B soutient qu’il est entré en France le 27 mai 2002 et y réside depuis cette date, qu’il entretient une relation avec une ressortissante française qu’il a épousée le 9 octobre 2021 et prend en charge les enfants de celle-ci et qu’il justifie d’une insertion professionnelle en France. Toutefois, les pièces versées au dossier, constituées du contrat de travail à durée indéterminée de M. B, prenant effet au 17 mars 2020, de quelques fiches de paie établies en 2021 et en 2022, d’attestations établies par son épouse et les enfants de celle-ci, d’une attestation établie par EDF le 20 octobre 2021 indiquant que M. B et son épouse sont co-titulaires du contrat de fourniture d’électricité, et de quelques photographies, ne sont pas suffisantes pour établir, d’une part, la réalité et la continuité du séjour en France de M. B avant l’année 2021 et, d’autre part, la réalité et l’ancienneté de sa relation avec Mme C alors que leur mariage présentait un caractère très récent à la date de la décision attaquée. La présence en France de frères et sœurs de l’intéressé, dont certains sont de nationalité française, alors que le requérant n’établit ni même n’allègue entretenir des relations intenses avec eux, n’est pas suffisante pour établir que le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouverait désormais en France, alors que, par ailleurs, il n’établit ni même n’allègue être isolé en Egypte, pays dans lequel il a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans et où résident certains autres de ses frères, selon les déclarations qu’il a présentées, le 17 juin 2021, au cours de son audition dans le cadre d’une vérification du droit de circulation ou de séjour. Ainsi, en prononçant à l’encontre de M. B une décision l’obligeant à quitter le territoire français, le préfet de police n’a pas, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge, porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, c’est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé la mesure d’éloignement du 19 octobre 2021 au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et, par voie de conséquence, a annulé les décisions refusant à l’intéressé l’octroi d’un délai de départ volontaire et fixant le pays de destination.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. B devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. B :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, la décision attaquée, qui vise le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment l’article L. 611-1 (1°) et l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mentionne également l’ensemble des considérations de fait sur lesquelles elle est fondée, notamment la circonstance que M. B est entré en France sous couvert d’un document de voyage non revêtu d’un visa, qu’il est marié et père de trois enfants à charge mais qu’il n’est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Si M. B soutient que la décision litigieuse ne mentionne pas d’élément relatif à sa situation professionnelle, qu’il est conjoint de Français et qu’il est sur le point d’être père, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait porté de telles informations à la connaissance de l’administration, notamment dans le cadre de son audition à la suite de son interpellation le 18 octobre 2021. Dès lors, la décision obligeant M. B à quitter le territoire français, qui n’avait pas à rappeler les circonstances ayant conduit à son interpellation, est suffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet de police a procédé à un examen individuel de la situation de M. B.

7. Enfin, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3 du présent arrêt.

En ce qui concerne la décision refusant à M. B un délai de départ volontaire :

8. En premier lieu, cette décision, qui vise les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, refuse à M. B un délai de départ volontaire aux motifs que son comportement constitue une menace pour l’ordre public, compte tenu de son interpellation pour conduite sans permis de conduire et sous couvert d’un faux document, qu’il existe également un risque que l’intéressé se soustrait à la mesure d’éloignement du fait qu’il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour, qu’il s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement en date du 20 avril 2008 et qu’il ne justifie pas de garanties de représentation suffisantes. Dès lors, la décision litigieuse, qui mentionne l’ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée, est suffisamment motivée.

9. En deuxième lieu, le préfet a procédé, contrairement à ce que soutient le requérant, à un examen individuel de sa situation avant de prendre la décision litigieuse.

10. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’exception d’illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

11. Enfin, aux termes de l’article L. 612-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Par dérogation à l’article L. 612-1, l’autorité administrative peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ; / () / 3° Il existe un risque que l’étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l’objet. « . Aux termes de l’article L. 612-3 du même code : » Le risque mentionné au 3° de l’article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L’étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour ; / () / 5° L’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; / () / 8° L’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu’il () ne justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale () ".

12. M. B soutient que la décision lui refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire est entachée d’une erreur de fait et d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que, contrairement à ce qu’elle mentionne, il dispose d’un domicile fixe en France où il demeure de façon stable et effective et justifie ainsi de garanties de représentation suffisantes au sens du 8° de l’article L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Toutefois, à supposer même que l’intéressé puisse être regardé comme justifiant de telles garanties, le préfet de police pouvait considérer que le risque que M. B ne se soustraie à la mesure d’éloignement est avéré dès lors qu’il s’est déjà soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement en date du 20 avril 2008. Dès lors, les moyens tirés de ce que l’un des motifs de la décision attaquée serait entachée d’une erreur de fait et d’une erreur manifeste d’appréciation ne peuvent qu’être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé l’arrêté du 19 octobre 2021, à demander l’annulation de ce jugement ainsi que le rejet de la demande de première instance présentée par M. B.

Sur les conclusions d’appel incident présentées par M. B :

14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par M. B, n’appelle, par lui-même, aucune mesure d’exécution. Les conclusions présentées par M. B tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de police, sous astreinte, de lui délivrer un titre de séjour ou de procéder au réexamen de sa situation doivent, dès lors, être rejetées.

Sur les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement à M. B de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2110838 du 29 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d’appel de M. B sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’intérieur et des outre-mer et à M. A B.

Copie en sera transmise au préfet de police.

Délibéré après l’audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

— M. Auvray, président de chambre,

— Mme Hamon, présidente-assesseure,

— Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2023.

La rapporteure,

N. ZEUDMI SAHRAOUI

Le président,

B. AUVRAY

La greffière

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CAA de PARIS, 7ème chambre, 11 octobre 2023, 23PA00008, Inédit au recueil Lebon