Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 octobre 2020, 19-86.718, Inédit

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Me Mylène Bernardon · consultation.avocat.fr · 9 avril 2024

Quel texte fonde le monopole des médecins en matière épilation définitive ? L'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 prévoit que : “Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine [...] les actes médicaux suivants : [...] 5° Tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire.” Comment les juridictions apprécient ce monopole ? Ces dernières années, les juridictions civiles, disciplinaires, pénales et administratives se sont tour à tour prononcées sur la légalité des épilations définitives par des personnes non inscrites au tableau de l'Ordre des …

 

Me Mylène Bernardon · consultation.avocat.fr · 30 mars 2023

Plaidoyer pour un véritable "remodelage" des règles encadrant la médecine esthétique Le 24 mars 2023, le ministre de l'économie a publié un guide de bonne conduite à l'attention des influenceurs et créateurs de contenu[1]. Il rappelle notamment que la promotion d'actes médicaux et chirurgicaux est "très encadrée", qu'elle est désormais autorisée[2] mais que "le médecin ne peut pas s'appuyer le témoignage d'un tiers" et que "le message ne doit être qu'informatif". Il annonce également que la promotion de la chirurgie esthétique devrait être, à l'avenir, purement et simplement interdite …

 

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Le monopole des médecins en matière esthétique consacré par la jurisprudence ? Dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 10 mai 2022, il a été déclaré que seuls des médecins de profession peuvent pratiquer la cryothérapie, méthode de traitement par le froid. La question se pose de savoir si cette solution jurisprudentielle peut s'étendre à d'autres actes de médecine esthétique. Afin de restreindre la pratique de la cryothérapie aux seuls médecins, la motivation de la Cour de cassation repose sur deux éléments cumulatifs à savoir : seuls les docteurs en médecine peuvent …

 
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Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 20 oct. 2020, n° 19-86.718
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 19-86.718
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Rennes, 17 septembre 2019
Textes appliqués :
Articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Dispositif : Cassation sans renvoi
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000042486375
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2020:CR01827
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Texte intégral

N° B 19-86.718 F-D

N° 1827

EB2

20 OCTOBRE 2020

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 20 OCTOBRE 2020

M. Q… B…, Mme Y… O…, Mme V… U…, la société Aloa, la société Pil Poil II, la société Esthétitech ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, 11e chambre, en date du 18 septembre 2019, qui, pour exercice illégal de la médecine, les a condamnés le premier, la deuxième et la troisième à 2 000 euros d’amende avec sursis, la quatrième, cinquième et sixième à 4 000 euros d’amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Sur le pourvoi formé par Mme V… U…

La demanderesse n’a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son conseil, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l’article 590-1 du code de procédure pénale.

Sur les pourvois formés par M. Q… B…, Mme Y… O…, la société Aloa, la société Pil Poil II, la société Esthétitech

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de M. Bellenger, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme Y… O…, la société Esthetitech, la société Pil Poil II, M. Q… B…, la société Aloa et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. Q… B…, Mme Y… O…, Mme V… U…, la société Aloa, la société Pil Poil II, la société Esthétitech ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef d’exercice illégal de la médecine pour avoir pratiqué l’épilation à la lumière pulsée dans des instituts de beauté sans avoir le diplôme de médecin.

3. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables. Les prévenus et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la SARL Aloa, la SARL Esthetitech, M. Q… B…, Mme Y… O…, la SARL Pil Poil II coupables d’exercice illégal de la médecine en les condamnant chacun au paiement d’une amende délictuelle d’un montant variable, et a déclaré recevables les constitutions de partie civile du conseil de l’ordre des médecins de Loire-Atlantique et du syndicat national des médecins esthétiques en condamnant les personnes précitées à payer certaines sommes au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, alors :

« 1°/ que par arrêt du 8 novembre 2019 (n° 424954) , le Conseil d’Etat a retenu que les dispositions du 5° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant aux docteurs en médecine la pratique de l’épilation au laser ou à la lumière pulsée dès lors qu’il ne ressortait pas des éléments versés au dossier que seul un médecin puisse manipuler, sans risque pour la santé, des appareils à laser ou des appareils à lumière pulsée, constituaient une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services garanties par les stipulations des articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; que la cour d’appel pour déclarer les prévenus coupable d’exercice illégal de la médecine pour avoir utilisé la méthode dépilatoire par lumière pulsée, a relevé que « le risque auquel est exposé la personne ayant recours à l’épilation par la méthode de l’air pulsée justifie donc une réglementation sur la qualité et la compétence de l’exécutant sans qu’il y ait atteinte aux principes de libre concurrence et de libre prestation de service et sans que l’interdiction prévue par l’arrêté du 6 janvier 1962 puisse être considéré comme disproportionnée » (arrêt, p.12, in medio) ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne garantissant la liberté d’établissement et la libre prestation de services ;

2°/ que lorsqu’un texte justifiant la déclaration de culpabilité et la condamnation à une peine, comme les dispositions du 5° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant aux docteurs en médecine la pratique de l’épilation au laser ou à la lumière pulsée, est contraire aux articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne garantissant la liberté d’établissement et la libre prestation de services, la chambre criminelle de la Cour de cassation ne peut différer dans le temps les effets de cette contrariété et doit nécessairement casser l’arrêt en ayant décidé autrement, sauf à méconnaître les stipulations des articles 6, garantissant le droit au procès équitable, et 7, garantissant la légalité des crimes et des délits, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) :

6. Il résulte de ces textes, tels qu’interprétés par la Cour de Justice de l’Union

européenne (cf. notamment 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes

et autres, C-171/07 et C-172/07), que la liberté d’établissement et la libre prestation de services ne peuvent faire l’objet de restrictions justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général que si ces mesures s’appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir, de façon cohérente, la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne vont pas au delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

7. En application des principes de primauté et d’effet direct du droit communautaire, il incombe au juge national, chargé d’appliquer les dispositions du droit communautaire, d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale.

8. Pour déclarer les prévenus coupables d’exercice illégal de la médecine, l’arrêt énonce que l’épilation à la lumière pulsée n’est pas sans danger, que des restrictions à la libre prestation de services justifiées par des mesures visant à protéger la santé publique sont envisageables et que chaque État membre peut déterminer les actes ne pouvant être réalisés que par des médecins afin d’atteindre l’objectif de protection de la santé publique en l’absence de définition au niveau communautaire des actes réservés aux titulaires d’un diplôme de médecin.

9. Les juges ajoutent que le risque auquel est exposé la personne ayant recours à l’épilation par la méthode de la lumière pulsée justifie une réglementation sur la qualité et la compétence de l’exécutant de l’acte sans qu’il y ait atteinte aux principes de libre concurrence et de libre prestation de service et sans que l’interdiction prévue par l’arrêté du 6 janvier 1962 puisse être considérée comme disproportionnée.

10. Les juges en concluent qu’il n’apparaît pas nécessaire de soumettre à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle sur la conformité de l’article 2, 5°, de l’arrêté du 6 janvier 1962 par rapport aux principes communautaires de libre concurrence et de libre prestation de service.

11. Cependant, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 8 novembre 2019 (n°424954), a estimé que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par les esthéticiens méconnaît, en tant qu’elle réserve ces modes d’épilation aux seuls docteurs en médecine, la liberté d’établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du TFUE.

12. En effet, en premier lieu, ladite interdiction n’est pas justifiée dès lors que

les appareils en cause peuvent être acquis et utilisés par de simples particuliers et que leur usage est autorisé aux esthéticiens pour les soins de

photorajeunissement qui présentent des risques identiques à ceux concernant l’épilation.

13. En second lieu, si l’épilation à la lumière pulsée est susceptible d’avoir des effets indésirables légers, selon le rapport et l’avis de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSES) d’octobre et décembre 2016, et d’être soumise à des restrictions pour des motifs d’intérêt général, il n’en résulte pas que ces actes d’épilation ne puissent être effectués que par un médecin.

14. Au demeurant le gouvernement français a notifié à la Commission européenne un projet de décret ouvrant la pratique de l’épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens sous certaines conditions de formation.

15. Au vu de ces éléments, il y a lieu de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du TFUE.

16. Il s’ensuit que les prévenus ne peuvent être légalement condamnés pour exercice illégal de la médecine.

17. La cassation est encourue. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par Mme V… U… :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par M. Q… B…, Mme Y… O…, la société Aloa, la société Pil Poil II, la société Esthétitech :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Rennes, en date du 18 septembre 2019, en toutes ses dispositions ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, la jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne la déclaration de culpabilité prononcée contre M. Q… B…, Mme Y… O…, la société Aloa, la société Pil Poil II et la société Esthétitech ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt octobre deux mille vingt.

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