Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 septembre 2020, 18-22.724, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. com., 30 sept. 2020, n° 18-22.724
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 18-22.724
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 22 mai 2018, N° 16/06103
Textes appliqués :
Article 4 du code de procédure civile.
Dispositif : Cassation partielle sans renvoi
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000043105369
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2020:CO00475
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Sur les parties

Texte intégral

COMM.

MF

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 30 septembre 2020

Cassation partielle sans renvoi

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 475 F-D

Pourvoi n° X 18-22.724

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 SEPTEMBRE 2020

1°/ la société Alteo Gardanne, dont le siège est […] ,

2°/ M. E… V…, domicilié […] , agissant en qualité d’administrateur judiciaire de la société Alteo Gardanne,

3°/ M. Q… F…, domicilié […] , agissant en qualité d’administrateur judiciaire de la société Alteo Gardanne,

ont formé le pourvoi n° X 18-22.724 contre l’arrêt rendu le 23 mai 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :

1°/ à la société […] , dont le siège est […] ,

2°/ à la société P… et Z…, dont le siège est […] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société […] ,

défenderesses à la cassation.

La société P… et Z…, ès qualités, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de la société Alteo gardanne et MM. V… et F…, ès qualités, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société P… et Z…, ès qualités, et l’avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l’audience publique du 23 juin 2020 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d’instance et intervention

1. Il est donné acte à MM. V… et F…, de leur intervention volontaire, en qualité d’administrateurs au redressement judiciaire de la société Alteo Gardanne, au soutien du pourvoi formé par cette société.

2. Il est donné acte à la SCP P… et Z… de ce qu’elle reprend l’instance en qualité de liquidateur judiciaire de la société […] .

Faits et procédure

3. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2018), la société Aluminium R… a conclu, à partir du 1er juin 1998, plusieurs contrats successifs avec la société […] (la société […]), qui exerce l’activité de nettoyage industriel, pour le nettoyage de son usine de Gardanne, spécialisée dans la production d’alumine. Ces sociétés ont conclu, le 2 septembre 2008, une convention complémentaire, dite « contrat filtre presse », ayant pour objet les prestations de transport et stockage inhérentes au traitement et à l’exploitation des déchets inertes, notamment la bauxaline, de la même usine. Ayant repris cette activité de la société Aluminium R…, la société Alteo Gardanne (la société Alteo) a poursuivi cette relation jusqu’au 2 septembre 2013, date à laquelle elle a informé la société […] du lancement d’une procédure d’appel d’offres pour une entrée en fonction en janvier 2014.

4. Reprochant à la société Alteo la rupture brutale des relations commerciales établies, la société […] l’a assignée en réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident

5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Alteo fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société […] la somme de 414 140 euros hors taxe à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel alors « que la société Alteo Gardanne demandait qu’en cas de condamnation pour rupture brutale des relations commerciales, la plus-value réalisée par la société […] lors de la vente de ses matériels soit prise en compte ; que la société […] , dans le calcul de son dommage, déduisait explicitement cette plus-value ; qu’en s’abstenant d’en tenir compte dans le calcul du préjudice, la cour d’appel a méconnu l’accord des parties sur ce point, violant ainsi l’article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 4 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

8. Pour condamner la société Alteo à payer à la société […] la somme de 414 140 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel, l’arrêt justifie ce montant par la seule application du taux de marge sur coûts variables au chiffre d’affaires mensuel moyen, multiplié par le nombre de mois de préavis.

9. En statuant ainsi, sans tenir compte de la plus-value réalisée par la société […] lors de la vente de ses matériels, que les parties étaient convenues, comme elles en avaient la possibilité, de déduire du montant du préjudice causé par la brutalité de la rupture de leur relation, la cour d’appel, qui a méconnu l’objet du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation, qui porte sur la condamnation au paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel, ainsi que sur les chefs de dispositif relatifs aux dépens d’appel et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile, ne remet pas en cause l’arrêt attaqué en ce qu’il confirme le jugement sur les autres points, notamment sur le rejet des demandes formées par la société […] au titre du contrat « filtre presse » et sur les condamnations prononcées en application de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de première instance.

11. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second grief du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 414 140 euros HT à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel, et en ce qu’il statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 23 mai 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Fixe à la somme de 139 745 euros HT, à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel, la créance de la société […] au passif de la société Alteo Gardanne, en redressement judiciaire ;

Condamne la SCP P… Z…, en qualité de liquidateur judiciaire de la société […] , aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d’appel de Paris ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour la société Alteo gardanne et MM. V… et F…, ès qualités, (demandeurs au pourvoi principal).

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 414.140 € HT à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale du contrat de prestation de nettoyage industriel ;

AUX MOTIFS QUE les relations commerciales établies entre les parties ont débuté au 1er juin 1998, la société Alteo Gardanne reconnaissant venir aux droits et obligations de la société Aluminium R… qui a signé avec la société […] les deux contrats successifs les liant (

) La date de la rupture des relations commerciales établies par la société Alteo Gardanne avec la société […] est donc le 2 septembre 2013 (

) la société Alteo Gardanne est l’auteur de la rupture des relations commerciales établies concernant le contrat de prestations de nettoyage industriel avec la société […] , pour avoir organisé un appel d’offres relatif à l’activité de nettoyage industriel de son site de Gardanne (

) les relations commerciales établies entre les parties ont débuté le 1er juin 1998 pour cesser le 2 septembre 2013. Elles ont donc duré 15 ans et 3 mois. Il ressort des éléments du dossier que la société […] mettait à disposition de la société Alteo Gardanne, au titre du contrat de prestations de nettoyage industriel, un effectif variant entre 23 et 26 personnes, suivant l’évolution des différents avenants depuis 2008, dédiées exclusivement au site de Gardanne pour réaliser les prestations à sa charge dans le cadre du forfait. Par ailleurs, le secteur d’activité concerné est très spécifique s’agissant de prestations de nettoyage d’un site industriel et notamment des filtres utilisés dans une usine produisant de l’alumine. En outre, il n’est pas contesté que le flux d’affaires entre les parties en vertu du contrat de prestations de nettoyage industriel sur le site de Gardanne est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013. En revanche, la société […] soutient que les contrats la liant à la société Alteo Gardanne représentaient 85 % de son chiffre d’affaires et près de 60 % du chiffre d’affaires du groupe, sans pour autant étayer ces chiffres. Il n’en sera donc pas tenu compte, ceux-ci n’étant pas prouvés. Les circonstances de sa reconversion, l’évolution de l’activité de la société […] ultérieurement à la rupture et la poursuite du contrat entre les parties à l’issue du terme du préavis jusqu’au 31 mars 2014, dans le cadre de relations précaires, sont sans incidence sur l’appréciation de la brutalité de la rupture, la durée nécessaire de préavis devant être déterminée uniquement au regard du contexte au jour de la rupture, à savoir en l’espèce le 2 septembre 2013 et de la date de commencement du nouveau contrat, annoncée dans le courrier de rupture, soit au mois de janvier 2014. Ainsi, eu égard à l’ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société […] réorganise son activité, elle aurait dû bénéficier d’un préavis de 18 mois. L’issue annoncée du contrat étant la fin de l’année 2013, le délai de préavis octroyé à la société […] au moment de la rupture était de 4 mois. Dès lors, la rupture des relations commerciales établies par à la société Alteo Gardanne avec la société […] a été brutale, cette dernière n’ayant pas bénéficié d’un préavis suffisant, nécessaire à l’organisation de son activité.

Sur le préjudice subi par la société […]

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture. De même, les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit. La société […] a finalement bénéficié d’un préavis effectif de 7 mois, pour avoir exécuté en réalité le contrat jusqu’au 31 mars 2014. Ainsi, elle n’a pas subi de préjudice au titre de la perte de marge s’agissant des mois de janvier à mars 2014. Dès lors, alors que le préavis aurait dû être de 18 mois, son préjudice correspond donc à 11 mois de préavis non effectué et à la marge sur coût variable perdue pendant ces 11 mois de préavis dont elle a été privée pour réorganiser son activité. Le chiffre d’affaires réalisé par la société […] et la société Alteo Gardanne est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013, soit un chiffre d’affaires annuel moyen de 2.485.100 euros et un chiffre d’affaires moyen mensuel de 207.091 euros. Le taux de marge de 18,18% de la société […] est contesté par la société Alteo Gardanne. L’expert-comptable de la société […] a réalisé une étude comptable sur les exercices 2011 à 2013 relative à la marge de la société […] dégagée dans ses activités avec la société Alteo Gardanne (pièce […] 64). Il tient compte des charges de sous-traitance, des charges de location interne, des charges d’interim, des charges de personnel, des dotations aux amortissements, des coûts immobiliers, des prestations d’assistance Elitha, pour conclure que le taux de marge moyen sur EBE est de 18,18% au titre du contrat de nettoyage. Cette attestation est contestée par la société Alteo Gardanne, au motif qu’elle ne présente pas un degré de fiabilité suffisant, au regard de l’insuffisance des documents comptables communiqués notamment liée aux charges externes, à l’utilisation du matériel de transport ou aux modalités de facturation des prestations. Toutefois, les calculs ainsi que les éléments comptables utilisés par l’expert-comptable pour déterminer la marge à prendre en compte pour évaluer le préjudice subi par la société […] sont cohérents et apparaissent suffisants pour établir le préjudice subi, étant corroborés par des documents comptables qui ont été communiqués à la société Alteo Gardanne pour vérifier la plupart des chiffres avancés. Le taux de marge sur coût variable moyen de la société […] dans son activité de nettoyage industriel avec la société Alteo Gardanne doit donc être fixé à 18,18%. Ainsi, la marge perdue par la société […] du fait de la brutalité de la rupture est de 414.140 euros ([207.091x18,18%]x11). Il y a donc lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 102.097 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires, et, statuant à nouveau, de condamner la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 414.140 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel

1°) – ALORS QUE la société Alteo Gardanne demandait qu’en cas de condamnation pour rupture brutale des relations commerciales, la plus-value réalisée par la société […] lors de la vente de ses matériels soit prise en compte ; que la société […] , dans le calcul de son dommage, déduisait explicitement cette plus-value ; qu’en s’abstenant d’en tenir compte dans le calcul du préjudice, la cour d’appel a méconnu l’accord des parties sur ce point, violant ainsi l’article 4 du code de procédure civile ;

2°) – ALORS QUE la société Alteo Gardanne demandait qu’en cas de condamnation pour rupture brutale des relations commerciales, la plus-value réalisée par la société […] lors de la vente de ces matériels soit prise en compte ; qu’en ne recherchant pas si cette plus-value avait été réalisée et devait se déduire du préjudice subi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 442-6 du code de commerce. Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société P… et Z…, ès qualités, (demanderesse au pourvoi incident).

Il est reproché à l’arrêt attaqué d’avoir condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 414.140 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel ;

Aux motifs que « Le contrat de nettoyage industriel sur le site de Gardanne

Sur la durée des relations commerciales établies

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d’anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu’elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Pour justifier de l’ancienneté des relations commerciales établies entre les parties, la société […] communique une attestation de son commissaire aux comptes datée du 11 juillet 2014 (pièce n°37), dont le contenu est contesté dans son intégralité par la société Altéo Gardanne.

Il est indiqué dans cette attestation du commissaire aux comptes que « pour les exercices 1978 à 1991, il lui est demandé de se prononcer sur la concordance des chiffres indiqués dans un registre manuscrit dans lequel était consignées les factures de vente HT ventilées mensuellement par clients, avec la reconstitution du chiffre d’affaires estimé sur cette période récapitulée dans le document joint en annexe 1. Nous n’avons cependant pas pu rapprocher ces informations des comptes annuels et de la comptabilité de la société […] dans la mesure où ces documents n’étaient plus disponibles sur cette période » et que les diligences réalisées ont consisté à « vérifier les calculs permettant de reconstituer le chiffres d’affaires à partir du registre manuscrit dans lequel étaient consignées les factures de vente HT ventilées mensuellement par client, vérifier la concordance entre les montants de chiffres d’affaires récapitulés dans le document joint (annexe 1) et le registre manuscrit communiqué ». Or, les chiffres communiqués sont les soldes annuels tels qu’il en ressortirait de la comptabilité manuscrite de la société. Ces seuls éléments ne peuvent établir la réalité des relations commerciales établies entre les parties pour les exercices 1978 à 1991, en ce que les vérifications réalisées par le commissaire aux comptes sont limitées à un registre manuscrit, dont l’origine n’est pas démontrée, tout comme les chiffres qu’il mentionne étant d’ailleurs relevé que la société Altéo Gardanne n’a pas en sa possession ces chiffres pour exploiter le site dont il question après avoir racheté l’activité d’auprès d’autres sociétés.

S’agissant des exercices 1992 à 2013, le commissaire aux comptes explique qu’il a vérifié la concordance des chiffres d’affaires réalisés sur cette période récapitulée dans le document joint en annexe 1 et les comptes annuels de la société […] en effectuant ses travaux « selon la norme d’exercice professionnel relative aux attestations particulières entrant dans le cadre de diligences directement liées à la mission de commissaire aux comptes » et en rapprochant « les montants de chiffres d’affaires récapitulé dans le document joint (annexe 1) avec la comptabilité dont ils sont issus, et vérifier qu’ils concordent avec les éléments ayant servi de base à l’établissement des comptes annuels ». Il conclut qu’il n’a pas « d’observations à formuler sur la concordance des informations figurant dans le document joint (annexe 1) avec les chiffres indiqués dans la comptabilité et les comptes annuels de la société […] ». La société […] communique un contrat signé le 1er juin 1998 entre la société Aluminium R…, aux droits de laquelle vient la société Altéo Gardanne, et elle-même pour l’activité de nettoyage industriel sur le site de Gardanne.

Ainsi, il convient d’abord de relever que la société Altéo Gardanne n’était pas en relation commerciale avec la société […] , n’ayant repris l’activité de la société Aluminium R… que le 31 juillet 2012. La société Altéo Gardanne ne dispose pas des éléments comptables pour vérifier les chiffres avancés par la société […] . Dès lors, la seule attestation du commissaire aux comptes ne peut suffire à démontrer une relation commerciale établie entre les parties avant le 1er juin 1998, aucune facture n’étant produite, ce qui ne permet pas de vérifier la nature des relations dont il est question ni l’objet des prestations ni de corroborer cette attestation. De même, il n’est pas fait état que d’un chiffre d’affaire annuel, insuffisant pour établir l’ancienneté d’une relation commerciale établie.

[

]

En conséquence, les relations commerciales établies entre les parties ont débuté au 1er juin 1998, la société Alteo Gardanne reconnaissant venir aux droits et obligations de la société Aluminium R… qui a signé avec la société […] les deux contrats successifs les liant.

Sur la date de rupture

Il est de principe que le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d’un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

Dès lors, l’annonce du recours à un appel d’offres caractérise la date de la rupture des relations commerciales établie, dans la mesure où le partenaire commercial est informé de la date à laquelle prendra fin le contrat en cours et où les résultats d’un appel d’offres sont nécessaires incertains.

En l’espèce, il est établi par les différents échanges entre les parties que la société […] n’a été avertie que par courriel du 2 septembre 2013 par la société Altéo Gardanne de sa décision de recourir à un appel d’offres, du calendrier de celui-ci et donc de la date de la fin de son contrat de prestations de nettoyage industriel sur le site de Gardanne, en raison d’un démarrage du contrat au mois de janvier 2014. En effet, les précédents échanges de courriels entre les parties au cours du printemps 2013 ne font qu’une vague référence à la mise en place d’appels d’offres par la société Altéo Gardanne sans ne jamais mentionner de calendriers précis. Dès lors, ces courriels ne peuvent être considérés comme constituant la rupture des relations entre les parties, la société […] n’étant pas avisée de la date de la fin de son contrat et ne pouvant dans ces conditions envisager sérieusement sa réorganisation.

Ainsi, le courriel du 2 septembre 2013 doit être considéré comme le courrier de rupture, contrairement aux affirmations de la société […] , la société Altéo Gardanne signifiant clairement et sans ambiguïté à son prestataire la fin de leurs relations commerciales, à tout le moins dans les conditions en cours. Ainsi, si le calendrier de l’appel d’offres et la date d’entrée en vigueur du nouveau contrat ont ensuite été décalés par la société Altéo Gardanne, cette circonstance est sans incidence sur la date de rupture à prendre en compte dans le cadre d’une action fondée sur l’article précité.

Enfin, si la société […] connaissait la date du terme du contrat au 31 décembre 2013, il ne peut être toutefois soutenu que la rupture était pour ce motif prévisible, en ce que la pratique entre les parties démontre que ces termes sont depuis l’année 1998 très régulièrement repoussés d’année en année, par la signature d’avenants entre elles. CE seul élément ne peut donc démontrer que la date de la fin définitive des relations commerciales établies entre les parties était pour la société […] nécessairement le 31 décembre 2013, à la signature du dernier avenant. Ainsi, au regard de la nature des relations entre les parties, la société […] ne pouvait considérer que cette date correspondait, en signant ledit avenant, à la fin de leur relations commerciales.

Il s’agit donc de l’envoi du courrier relatif à l’organisation effective de l’appel d’offres qui constitue la lettre de rupture et non pas, comme le soutient la société […] , le courrier du 28 février 2014 de la société Altéo Gardanne, lui signifiant qu’elle n’a pas été retenue dans le cadre de cet appel d’offres.

La date de la rupture des relations commerciales établies par la société Alteo Gardanne avec la société […] est donc le 2 septembre 2013.

[

]

Sur la brutalité de la rupture et la durée du préavis nécessaire

Il ressort de l’article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l’absence de préavis écrit ou de l’insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L’évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l’ancienneté des relations, du volume d’affaire réalisé avec l’auteur de la rupture, du secteur concerné, de l’état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

En l’espèce, les relations commerciales établies entre les parties ont débuté le 1er juin 1998 pour cesser le 2 septembre 2013. Elles ont donc duré 15 ans et 3 mois.

Il ressort des éléments du dossier que la société […] mettait à disposition de la société Alteo Gardanne, au titre du contrat de prestations de nettoyage industriel, un effectif variant entre 23 et 26 personnes, suivant l’évolution des différents avenants depuis 2008, dédiées exclusivement au site de Gardanne pour réaliser les prestations à sa charge dans le cadre du forfait.

Par ailleurs, le secteur d’activité concerné est très spécifique s’agissant de prestations de nettoyage d’un site industriel et notamment des filtres utilisés dans une usine produisant de l’alumine.

En outre, il n’est pas contesté que le flux d’affaires entre les parties en vertu du contrat de prestations de nettoyage industriel sur le site de Gardanne est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013.

En revanche, la société […] soutient que les contrats la liant à la société Alteo Gardanne représentaient 85 % de son chiffre d’affaires et près de 60 % du chiffre d’affaires du groupe, sans pour autant étayer ces chiffres. Il n’en sera donc pas tenu compte, ceux-ci n’étant pas prouvés.

Les circonstances de sa reconversion, l’évolution de l’activité de la société […] ultérieurement à la rupture et la poursuite du contrat entre les parties à l’issue du terme du préavis jusqu’au 31 mars 2014, dans le cadre de relations précaires, sont sans incidence sur l’appréciation de la brutalité de la rupture, la durée nécessaire de préavis devant être déterminée uniquement au regard du contexte au jour de la rupture, à savoir en l’espèce le 2 septembre 2013 et de la date de commencement du nouveau contrat, annoncée dans le courrier de rupture, soit au mois de janvier 2014.

Ainsi, eu égard à l’ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société […] réorganise son activité, elle aurait dû bénéficier d’un préavis de 18 mois.

L’issue annoncée du contrat étant la fin de l’année 2013, le délai de préavis octroyé à la société […] au moment de la rupture était de 4 mois.

Dès lors, la rupture des relations commerciales établies par à la société Alteo Gardanne avec la société […] a été brutale, cette dernière n’ayant pas bénéficié d’un préavis suffisant, nécessaire à l’organisation de son activité.

Sur le préjudice subi par la société […]

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.

De même, les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit.

La société […] a finalement bénéficié d’un préavis effectif de 7 mois, pour avoir exécuté en réalité le contrat jusqu’au 31 mars 2014. Ainsi, elle n’a pas subi de préjudice au titre de la perte de marge s’agissant des mois de janvier à mars 2014.

Dès lors, alors que le préavis aurait dû être de 18 mois, son préjudice correspond donc à 11 mois de préavis non effectué et à la marge sur coût variable perdue pendant ces 11 mois de préavis dont elle a été privée pour réorganiser son activité.

Le chiffre d’affaires réalisé par la société […] et la société Alteo Gardanne est de 2.562.406 euros en 2011, 2.563.410 euros en 2012 et de 2.329.484 euros en 2013, soit un chiffre d’affaires annuel moyen de 2.485.100 euros et un chiffre d’affaires moyen mensuel de 207.091 euros.

Le taux de marge de 18,18% de la société […] est contesté par la société Alteo Gardanne.

L’expert-comptable de la société […] a réalisé une étude comptable sur les exercices 2011 à 2013 relative à la marge de la société […] dégagée dans ses activités avec la société Alteo Gardanne (pièce […] 64). Il tient compte des charges de soustraitance, des charges de location interne, des charges d’interim, des charges de personnel, des dotations aux amortissements, des coûts immobiliers, des prestations d’assistance Elitha, pour conclure que le taux de marge moyen sur EBE est de 18,18% au titre du contrat de nettoyage. Cette attestation est contestée par la société Alteo Gardanne, au motif qu’elle ne présente pas un degré de fiabilité suffisant, au regard de l’insuffisance des documents comptables communiqués notamment liée aux charges externes, à l’utilisation du matériel de transport ou aux modalités de facturation des prestations.

Toutefois, les calculs ainsi que les éléments comptables utilisés par l’expert-comptable pour déterminer la marge à prendre en compte pour évaluer le préjudice subi par la société […] sont cohérents et apparaissent suffisants pour établir le préjudice subi, étant corroborés par des documents comptables qui ont été communiqués à la société Alteo Gardanne pour vérifier la plupart des chiffres avancés.

Le taux de marge sur coût variable moyen de la société […] dans son activité de nettoyage industriel avec la société Alteo Gardanne doit donc être fixé à 18,18%. Ainsi, la marge perdue par la société […] du fait de la brutalité de la rupture est de 414.140 euros ([207.091x18,18%]x11).

Il y a donc lieu de confirmer le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 102.097 euros HT à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge sur un préavis de 10 mois supplémentaires, et, statuant à nouveau, de condamner la société Alteo Gardanne à payer à la société […] la somme de 414.140 euros HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies au titre du contrat de prestation de nettoyage industriel. »

Le contrat Filtre Presse

Les parties s’accordent sur la durée des relations commerciales établies s’agissant de ce contrat, celles-ci ayant débuté le 2 septembre 2008. Elles s’opposent en revanche sur la date de la rupture, la durée du préavis et le préjudice subi.

Sur la date de la rupture

Il ressort des termes du procès-verbal de la réunion qui s’est tenue entre les parties le 17 octobre 2012 que la société Altéo Gardanne indiquait à la société […] que pour le contrat Filtre Presse un avenant serait signé pour qu’il prenne fin au 30 septembre 2013, al société Altéo Gardanne prévoyant d’organiser un appel d’offres pour démarrer le contrat au dernier trimestre 2013 (pièce Altéo n°14). Cet avenant a été signé le 19 mars 2013 par les parties, étant relevé qu’il était prévu que la durée du contrat pouvait être prolongée par période d’un mois jusqu’au 31 décembre 2013, si la mise en fonction du filtre presse 2 n’était pas effective (pièce Altéo n° 15) Cet appel d’offres n’était pas présenté par la société Altéo Gardanne comme étant certain, le paragraphe étant intitulé « proposition Altéo ». IL ne peut donc être considéré comme la date de la rupture entre les parties.

En revanche, la société Alteo Gardanne a transmis le 14 juin 2013à la société […] l’ensemble des éléments nécessaires pour répondre à l’appel d’offres pour l’exploitation des résidus de Bauxite avec un début des prestations annoncé par « une mobilisation du personnel pour le démarrage FP2 » au mois de décembre 2013 (pièces Altéo n°16).

Il y a lieu de considérer ce courrier de la société Alteo Gardanne comme une lettre de rupture de son contrat Filtre Presse avec la société […] , les résultats d’un appel d’offres étant nécessairement incertains.

Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, la date du 14 juin 2013est retenue comme étant la date de la rupture et donc du point de départ du préavis.

Sur la brutalité de la rupture

La société […] a bénéficié au jour de la rupture annoncée dans le cadre des opérations d’appel d’offres d’un préavis de 5 mois et demi. La relation commerciale établie entre les parties durait à cette date depuis 4 ans et 8 mois.

Le chiffre d’affaires réalisé entre les parties sur les exercices 2011 à 2013 est de 1.44.115 euros, 1.079.655 euros et 1.005.975 euros.

Il y a par ailleurs lieu de se référer aux éléments déjà évoqués supra concernant les éléments non spécifiques au contrat de nettoyage industriel pour apprécier la brutalité de la rupture.

Dès lors, il y a lieu de considérer qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, à savoir la durée de la relation commerciale établie, le flux d’affaires et au secteur d’activité du transport de déchet, que le prévis dont a bénéficié la société […] au titre du contrat Filtre Presse était suffisant pour lui permettre de réorganiser son activité. »

1°) Alors que la preuve d’un fait juridique peut être rapportée par tout moyen et notamment par témoignage ; qu’un tel témoignage ne peut être écarté au seul motif que celui contre qui il est opposé ne possède pas d’élément permettant de l’étayer ; qu’en jugeant que l’attestation de son commissaire aux comptes versée aux débats par la société […] ne pouvait suffire à démontrer l’existence d’une relation commerciale établie entre les parties avant le 1er juin 1998 dès lors que la société Altéo Gardanne ne disposait pas des éléments comptables pour vérifier les chiffres avancés dans cette attestation (arrêt, p. 9), la cour d’appel a violé l’article 1348 ancien du code civil, applicable au litige ;

2°) Alors que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour soutenir que les contrats la liant à la société Altéo Gardanne représentaient 85% de son chiffre d’affaire, la société […] versait aux débats un rapport d’expertise comptable confirmant ces chiffres (conclusions d’appel […], p. 12 ; pièce d’appel […] n° 64 ; production adverse n° 4) ; qu’en décidant de ne pas tenir compte de cette circonstance pour fixer le délai de préavis qui aurait dû être respecté par la société Altéo Gardanne, au motif que ces chiffre n’étaient pas étayés, sans examiner ni viser, même sommairement, le rapport d’expertise comptable versé aux débats par la société […] , la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

3°) Alors que le préavis de rupture ne court pas lorsque, postérieurement à la notification de la rupture, son auteur entretient l’incertitude sur son intention de rompre et met son partenaire dans l’impossibilité de mettre à profit le préavis finalement exécuté ; qu’en jugeant que les préavis de rupture avaient commencé à courir le 14 juin 2013 pour le contrat « Filtre Presse » et le 2 septembre 2013 pour le contrat « Nettoyage industriel », dates auxquelles auraient été communiqués à la société […] les éléments nécessaires pour répondre aux appels d’offre mis en place par la société Altéo, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions […], p. 25), si l’attitude postérieure de la société Altéo n’avait pas maintenu la société […] dans l’incertitude concernant son intention de rompre les contrats, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6-I du code de commerce.

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Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 septembre 2020, 18-22.724, Inédit