Cour de cassation, Chambre sociale, 25 octobre 2023, n° 21-24.756

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Sur la décision

Référence :
Cass. soc., 25 oct. 2023, n° 21-24.756
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 21-24.756
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Paris, 12 octobre 2021, N° 19/03163
Textes appliqués :
Articles L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 8223-1 du même code.

Article L. 8231-1 du code du travail.

Dispositif : Cassation
Date de dernière mise à jour : 3 novembre 2023
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:SO01077
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Texte intégral

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 25 octobre 2023

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 1077 F-D

Pourvoi n° T 21-24.756

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 OCTOBRE 2023

M. [C] [I], domicilié [Adresse 9], [Localité 8], a formé le pourvoi n° T 21-24.756 contre l’arrêt rendu le 13 octobre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Fides, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 5], prise en la personne de M. [M] [Y], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Cape et d’Epée Consulting Management Organisation,

2°/ à la société Cape et d’Epée Consulting Management Organisation, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 6],

3°/ à l’UNEDIC Délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est[Adresse 2]o, [Localité 10],

4°/ à M. [B] [Z], domicilié [Adresse 1], [Localité 7],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [I], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [Z], et l’avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 27 septembre 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 octobre 2021), M. [I] a été engagé en qualité de consultant le 28 mars 2013 par la société Cape d’épée Consulting Management (KPDP Consulting), spécialisée dans le conseil en organisation, innovation et management de stratégie. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (dite Syntec).

2. Le 7 octobre 2014, M. [I] a saisi la juridiction prud’homale d’une contestation de la rupture unilatérale par l’employeur de son contrat de travail et de diverses demandes au titre de l’exécution de ce contrat et de sa rupture.

3. La société KPDP Consulting a fait l’objet d’une décision de redressement judiciaire le 9 octobre 2018, puis d’une décision de liquidation judiciaire le 18 septembre 2018, avec désignation de la société Fides en qualité de liquidatrice.

4. Cette dernière et l’UNEDIC–délégation AGS CGEA d’Île-de-France Ouest ont régulièrement été appelées en la cause, de même que le dirigeant de la société KPDP Consulting, M. [Z].

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement déféré sur les demandes de dommages-intérêts au titre du marchandage et de rejeter ses demandes formées contre M. [Z], alors :

« 1°/ que le marchandage est une opération à but lucratif de fourniture de main-d'œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le salarié faisait valoir qu’il avait été privé de « l’application au sein de l’entreprise où il était en mission de la convention collective de la banque, qui est plus avantageuse que la convention dite Syntec à laquelle il était soumis » ; que pour écarter tout marchandage, la cour d’appel a affirmé que "Toutefois, il ne peut revendiquer des avantages qui ne lui sont pas contractuellement dus et liés à une mission irrégulière au regard du marchandage. Dès lors le préjudice que M. [C] [I] invoque n’existe pas et il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts de ce chef" ; qu’en refusant ainsi que le salarié puisse se prévaloir de l’inapplication des règles conventionnelles en vigueur au sein de l’entreprise d’accueil, la cour d’appel a violé l’article L. 8231-1 du code du travail ;

2°/ que le marchandage est une opération à but lucratif de fourniture de main-d'œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le salarié se prévalait « de l’existence, au sein de l’entreprise où il était en mission, d’un comité d’entreprise plus généreux que le sien » ; que pour écarter tout marchandage, la cour d’appel a affirmé que "Toutefois, il ne peut revendiquer des avantages qui ne lui sont pas contractuellement dus et liés à une mission irrégulière au regard du marchandage. Dès lors le préjudice que M. [C] [I] invoque n’existe pas et il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts de ce chef" ; qu’en refusant ainsi que le salarié puisse se prévaloir de la perte du bénéfice des œuvres sociales du comité d’entreprise de l’entreprise d’accueil, la cour d’appel a violé l’article L. 8231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 8231-1 du code du travail :

7. Aux termes de ce texte, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, est interdit.

8. Pour débouter le salarié de sa demande d’allocation de dommages-intérêts pour marchandage, l’arrêt retient qu’à supposer que le marchandage allégué soit caractérisé, il découle selon les explications du salarié que son prétendu préjudice doit être déduit de l’application au sein de l’entreprise où il était en mission de la convention collective de la banque, qui est plus avantageuse que la convention dite Syntec à laquelle il était soumis, ainsi que de l’existence, au sein de l’entreprise où il était en mission, d’un comité d’entreprise plus généreux que le sien.

9. Il ajoute que, toutefois, le salarié ne peut revendiquer les avantages qui ne lui sont pas contractuellement dus et liés à une mission irrégulière au regard du marchandage.

10. La cour d’appel en a déduit que le préjudice invoqué par le salarié n’existait pas.

11. En se déterminant ainsi, alors que, soutenant être victime d’un marchandage illicite, le salarié était en droit d’invoquer un préjudice né pour lui de la privation du bénéfice des dispositions plus favorables de la convention collective en vigueur dans les entreprises où il était en mission ou des avantages plus importants accordés aux salariés par les comités d’entreprise au sein de ces dernières, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement déféré sur les demandes de dommages-intérêts au titre du travail dissimulé et de rejeter ses demandes formées contre M. [Z], alors « que le travail dissimulé est caractérisé lorsque l’employeur a mentionné de manière intentionnelle sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; qu’en l’espèce, il était constant que le contrat de travail de M. [I] prévoyait que la rémunération convenue correspondait à 38,5 heures de travail ; qu’il était non moins constant que les fiches de paie du salarié mentionnaient au plus 157,67 heures de travail par mois, soit seulement 35 heures par semaine ; que le salarié faisait valoir de plus, preuves à l’appui, qu’il avait réalisé bien plus que 38,5 heures de travail par mois et qu’après les réclamations faites auprès de l’employeur, qui n’avait jamais mis en place de système de décompte du temps de travail, ce dernier avait purement et simplement supprimé toute mention de la durée du travail sur les fiches de paie à compter d’octobre 2014 en même temps qu’il licenciait M. [I] ; que pour écarter le travail dissimulé, la cour d’appel a seulement affirmé que "Dès lors que M. [C] [I] exerçait son activité hors de l’entreprise, l’employeur n’était pas nécessairement informé du dépassement des heures supplémentaires au-delà des 3,5 heures compris dans le forfait horaire" ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si le caractère intentionnel de la dissimulation ne résultait pas de la distorsion entre le temps de travail convenu dans le contrat de travail et celui mentionné sur les fiches de paie et plus encore, de la réaction de l’employeur qui, après la naissance d’un débat sur le temps de travail, avait supprimé toute mention horaire sur les fiches de paie en même temps qu’il licenciait brutalement M. [I], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 8221-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 8223-1 du même code :

13. Aux termes du premier de ces textes, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre 1er de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

14. Aux termes du second, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

15. Pour débouter le salarié de sa demande en fixation au passif de la société employeur d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que la dissimulation d’emploi salarié prévue par les textes susvisés n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle et que dès lors que le salarié exerçait son activité hors de l’entreprise, l’employeur n’était pas nécessairement informé du dépassement des heures supplémentaires au-delà des 3,5 heures comprises dans le forfait horaire.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le caractère intentionnel de la dissimulation ne résultait pas de la distorsion entre le temps de travail convenu dans le contrat de travail et celui mentionné sur les fiches de paie et de la réaction de l’employeur qui, après la naissance d’un débat sur le temps de travail, avait supprimé toute mention horaire sur les fiches de paie, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation prononcée sur les deuxième et troisième moyens n’entraîne pas la cassation du chef de dispositif rejetant la demande tendant à la condamnation in solidum du dirigeant de la société, justifiée par un motif non critiqué tiré de ce que le salarié affirmait la responsabilité personnelle de celui-ci sans mettre en mesure la cour d’appel d’apprécier s’il avait commis une faute détachable de l’exercice de ses fonctions.

18. Elle n’emporte pas davantage la cassation du chef de dispositif condamnant la liquidatrice judiciaire ès qualités aux dépens.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. [I] de ses demande en fixation au passif de la société Cape d’épée Consulting Management d’une créance à titre de dommages-intérêts pour marchandage et d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 13 octobre 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Fides, en sa qualité de liquidatrice judiciaire de la société Cape d’épée Consulting Management, aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille vingt-trois, et signé par Mme Cavrois, conseiller en ayant délibéré en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile.

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