CEDH, BOUKROUROU ET AUTRES c. FRANCE, 2 juin 2016, 30059/15

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Référence :
CEDH, 2 juin 2016, n° 30059/15
Numéro(s) : 30059/15
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-164417
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Sur les parties

Texte intégral

Communiquée le 2 juin 2016

CINQUIÈME SECTION

Requête no 30059/15
Abdelkader BOUKROUROU et autres
contre la France
introduite le 18 Mai 2015

EXPOSÉ DES FAITS

Les parties requérantes sont représentées par Me Yassine Bouzrou, avocat.

Le premier requérant est un ressortissant français né, en 1970 et résidant à Mouroux. Il est le frère de la victime, M. B. né en 1968.

Les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième requérant, nés respectivement en 1977, 1973, 1972, 1939 et 1951, sont les sœur, veuve, frère, père et mère de la victime. Ils sont de nationalité française et résident respectivement à Mouroux, Massy, Valentigney et Thulay.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 12 novembre 2009, vers 16 h 30, M. B., mesurant 1 m 76 et pesant environ 100 kilos, se rendit à la pharmacie à Valentigney. Il était connu du personnel de cette officine où il se procurait le traitement qui lui était prescrit pour ses troubles psychiatriques.

M. B. voulait procéder à l’échange de médicaments délivrés sans ordonnance dont il n’était pas satisfait. Une préparatrice en pharmacie, Mme R., et le propriétaire de la pharmacie, M. F., lui expliquèrent que l’effet de ces médicaments s’était estompé en raison d’un phénomène d’accoutumance.

Au cours de cette discussion, M. B. informa M. F. qu’il entendait porter plainte contre lui. Le pharmacien demanda à Mme R. de contacter les services de police. M. B. s’assit sur une des chaises mises à disposition de la clientèle de la pharmacie.

À 16 h 53, quatre fonctionnaires de police arrivèrent sur place, après avoir été informés que M. B. était sujet à des troubles psychiatriques par le centre d’information et de commandement (CIC).

Le sous-brigadier L. et le gardien de la paix M. demandèrent à M. B. de sortir de l’officine.

Le sous-brigadier L. et le gardien de la paix D. saisirent alors M. B. par le bras afin de le faire sortir de la pharmacie. Le gardien de la paix M. prit le mollet droit de l’intéressé. M. B. se débattit et appela au secours.

Arrivé sur le perron de la pharmacie, l’intéressé se retrouva au sol. Le gardien de la paix M. tenta de le menotter dans le dos alors que ce dernier continuait à se débattre et à appeler la police à l’aide. Le gardien de la paix M. asséna deux coups de poing sur le plexus de l’intéressé sans que cela permette de le menotter.

M. B. fut alors tourné sur le flanc droit et le gardien de la paix D. put le menotter.

Le sous-brigadier P. alla chercher le véhicule de police afin de le rapprocher. Deux policiers saisirent M. B. par le bras afin de le faire pénétrer dans le fourgon. Face à son opposition, le gardien de la paix D. le fit basculer à l’intérieur du fourgon de police.

Dans le fourgon de police, M. B, à plat ventre, continua de se débattre et de crier. Le sous-brigadier L. se plaça au-dessus de ses épaules afin de fixer une autre paire de menottes permettant de l’attacher à la partie fixe de la banquette du fourgon. Les gardiens de la paix D. et M. se placèrent sur lui, sur les mollets et les fesses.

À 16 h 58, les trois fonctionnaires de police présents dans le véhicule demandèrent à leur centrale l’assistance des sapeurs-pompiers et du service d’aide médicale urgente (SAMU).

Après leur arrivée, les sapeurs-pompiers demandèrent aux policiers de transférer M. B. dans leur véhicule. Le sous-brigadier L. s’y refusa en raison de l’état d’excitation de M. B.

Les pompiers établirent alors un bilan de l’état de M. B. Si ce dernier s’était calmé, son rythme cardiaque ne put être mesuré à l’aide du saturomètre dont les capteurs ne fonctionnaient pas. Un des sapeurs-pompiers contrôla constamment sa ventilation. À un moment, la respiration s’arrêta. Un pompier constata l’absence de circulation sanguine.

L’équipe de sapeurs-pompiers transporta M. B. à l’intérieur de la pharmacie. Un de ses membres prévint le SAMU par radio. Les pompiers posèrent un défibrillateur semi-automatique et procédèrent à un massage cardiaque.

Un médecin urgentiste, appelé par les pompiers, procéda à une réanimation cardio-pulmonaire spécialisée. Il constata le décès de M. B. à 18 h 02.

Une enquête sur les causes de la mort de M. B. fut immédiatement diligentée.

Sur les trois pharmaciens entendus le 12 novembre 2009, deux étaient présents lorsque les policiers demandèrent à M. B. de quitter les lieux. Ils confirmèrent que devant le refus de l’intéressé, les policiers s’approchèrent de ce dernier et le saisirent. Ils indiquèrent que M. B. avait commencé à crier et à se débattre à compter de ce moment, et qu’il était monté dans le fourgon, menotté, hurlant et se débattant. Aucun des trois témoins ne vit ce qui se passa dans le fourgon.

L’un d’eux insista sur le fait que M. B. fréquentait la pharmacie depuis un an et demi et qu’il s’était toujours montré très aimable à chacune de ses visites mensuelles pour retirer son traitement de neuroleptiques.

Le même jour, M. S., adjudant pompier volontaire, fut également interrogé. Il indiqua qu’à son arrivée à 17 h 02, M. B. était toujours très agité, ventre au sol dans le fourgon, et que des policiers le maîtrisaient : l’un était assis ou à genoux sur les fesses de la victime, l’autre maintenait les jambes ; ses mains étaient en croix et attachées par plusieurs menottes aux pieds de la banquette du fourgon ; la tête de la victime se trouvait côté conducteur, la joue droite posée à plat sur le sol. Il expliqua qu’il avait sollicité le renfort d’un médecin puisque, constatant l’arrêt cardiaque, les pompiers avaient décidé de le transporter dans la pharmacie pour continuer à faire des massages cardiaques.

Toujours le 13 novembre 2009, un des pharmaciens fut interrogé une seconde fois. Il déclara que M. B. était un client régulier de la pharmacie. Il indiqua que les policiers n’avaient pas porté de coup à M. B.

Le même jour, le gardien de la paix M. fut interrogé. Il déclara que le sous-brigadier L. s’était présenté à M. B. et lui avait demandé de sortir « pour expliquer le problème car dans ce genre d’intervention le but est de séparer les parties ». Il expliqua que l’intéressé avait refusé, à plusieurs reprises, de sortir malgré les demandes réitérées des fonctionnaires de police qui l’avaient finalement traîné vers la sortie. Il indiqua qu’il avait alors saisi la jambe droite de M. B. et que, juste devant l’entrée de l’officine, ce dernier, en déséquilibre, s’était laissé tomber. Il ajouta que les policiers avaient alors tenté de le menotter. Face à sa résistance à entrer dans le fourgon, il indiqua que le gardien de la paix D. avait alors tiré sur les jambes de l’intéressé, ce qui lui fit perdre son équilibre, et entraîna ainsi leur chute et celle du sous-brigadier L. dans le fourgon. Il indiqua que L. était parvenu, « je ne sais pas comment à le replaquer au sol ». Il précisa encore qu’afin d’achever le menottage, le sous-brigadier L. s’était accroupi sur les épaules de M. B. alors que le gardien de la paix D. était au niveau de ses jambes ; l’intéressé continuant de se débattre, lui-même s’était mis debout sur ses fesses. Il déclara qu’ils étaient restés « comme ceci un petit moment, mais je ne peux pas vous dire combien, cela m’a paru très long, moi sur ses fesses, le collègue sur ses épaules et la troisième fonctionnaire sur ses pieds, aidés par la collègue P. qui avait mis ses jambes en croix pour éviter qu’il bouge. À ce moment, les pompiers sont arrivés. »

Également le 13 novembre 2009, le sous-brigadier L. fut interrogé. Il déclara avoir été sollicité par sa centrale pour lui demander de se rendre dans une pharmacie et qu’il avait été informé que M. B. « était sujet à des troubles psychiatriques. » Il confirma que ce dernier s’était violemment débattu avant de se laisser glisser au sol devant l’entrée de l’officine. Il expliqua que le gardien de la paix M. lui avait porté deux coups de poing dans les abdominaux, faisant usage de la technique dite des « coups de diversion ». Pour le reste, il confirma les conditions précitées de menottage dans le fourgon.

Le 13 novembre 2009, une autopsie fut pratiquée. Le rapport du Dr H. établi le 16 novembre 2009 conclut comme suit :

« Le décès est vraisemblablement consécutif à la survenue d’une défaillance cardiaque.

L’atteinte athéromateuse observée sur une artère du cœur de l’intéressé l’a exposé à un risque accru de troubles du rythme et de mort subite.

D’autre part, cette défaillance du cœur a potentiellement été favorisée par l’état de stress et d’agitation présentée par l’intéressé lors de son interpellation.

Une éventuelle contrainte à l’ampliation du thorax lors de la contention de l’intéressé peut également être envisagée, mais l’on ne peut affirmer qu’une asphyxie mécanique est la cause du décès. (...)

Des lésions traumatiques récentes évoquant l’action de tiers ont été repérées. En tout état de cause, ces différentes lésions n’ont pas participé directement à la survenue du décès et il n’y a pas, en outre, de blessure caractéristique de coups de poing portés sur la face. »

Les 14 et 23 novembre 2009, Mme S., une commerçante, fut interrogée et déclara avoir entendu des cris depuis son magasin situé en face de la pharmacie. Elle indiqua avoir vu quatre policiers avec un homme couché sur le ventre avec les bras derrière le dos qui recevait des coups de poing et de pied. D’une fenêtre latérale du fourgon de police, elle affirma avoir vu une policière et un policier piétiner sur place en s’accrochant au plafond du fourgon, l’un portant trois coups de poing vers le sol et levant son genou très haut avant de l’abattre d’un coup sec.

Le 23 novembre 2009, le fils mineur de la commerçante interrogée déclara que deux policiers piétinaient M. B. sur la voie publique et qu’une policière lui asséna plusieurs coups de matraque dans le ventre, ainsi que des coups au dos et au visage.

Le 3 décembre 2009, une information judiciaire fut ouverte contre personne non dénommée du chef d’homicide involontaire.

Les requérants se portèrent parties civiles à une date inconnue.

Le 7 janvier 2010, Mme C., voisine de la pharmacie, déclara avoir vu M. B. se débattre ventre au sol à l’extérieur de l’officine. Elle expliqua que les policiers l’avaient « jeté dans le fourgon » et qu’elle était partie après que les portes de celui-ci furent fermées. Elle affirma que les policiers n’avaient pas frappé M. B.

Le 21 janvier 2010, M. D., brigadier-chef de police, formateur dans les domaines de techniques de défense et d’interpellation, fut entendu comme témoin. Il déclara qu’en cas de différend entre personnes, « il faut dans la mesure du possible séparer les antagonistes » : les policiers, en cherchant à faire sortir l’intéressé de l’officine, voulaient éviter une bagarre dans la pharmacie. Il fit valoir que les coups portés par le gardien de la paix M. et décrits comme « deux coups de poing au niveau de l’abdomen du mis en cause dans le but de détourner son attention et finir le menottage font partie des zones à privilégier pour rechercher l’amoindrissement de la résistance de l’individu. Ils [les policiers] n’ont pas versé dans l’acharnement et ont terminé le menottage par l’avant. Ces fonctionnaires ont agi aussi dans l’urgence. La technique employée par le gardien M. semble la plus adaptée dans le contexte de l’intervention. ». Il ajouta que toutes les techniques enseignées ont pour objet d’amoindrir une résistance en vue de l’interpellation. Il précisa que s’agissant de l’immobilisation de M. B. dans le fourgon, se placer debout sur les fesses d’un individu n’est pas une action enseignée et que, se positionner latéralement sur les épaules de M. B., comme l’avait fait le gardien de la paix L., fait partie des procédures enseignées. Cette technique permettrait de bloquer la mobilité de l’interpellé tout en évitant l’asphyxie posturale.

Plusieurs experts désignés par le juge d’instruction rendirent leurs rapports. Le 23 juin 2010, le Dr L., professeur de médecine légale et le Dr R., maître de conférences en médecine légale, rendirent un rapport d’autopsie médico-légale après avoir examiné le corps de M. B. le 18 décembre 2009. Ils indiquèrent que leurs examens avaient révélé « un ensemble de lésions cutanées ne pouvant avoir contribué au décès ». Ils ne mirent en évidence aucun « élément en faveur d’un décès par compression thoracique. Il n’a ainsi pas été mis en évidence de lésions sous-conjonctivales pétéchiales ni de lésions pétéchiales au niveau de la face ». Ils firent valoir que :

« l’exploitation des scellés ne permet pas de retrouver des éléments précisant les causes du décès de [M. B]. Ces scellés permettent de retenir un suivi psychiatrique pour une psychose avec plusieurs épisodes d’hallucinations nécessitant la prise de médicaments antipsychotiques de façon régulière. (...) Aux concentrations mesurées, cette imprégnation médicamenteuse psychoactive révélée par les investigations toxicologiques n’apparaît pas susceptible d’expliquer le décès de l’intéressé par un mécanisme de toxicité directe. (...) En conclusion, le décès de [M. B] (...) est selon toute vraisemblance la conséquence d’un infarctus du myocarde. Le décès est d’origine naturelle. »

Le 10 décembre 2010, les Drs T. et F. rendirent leur rapport après avoir examiné la copie du rapport d’autopsie du 16 novembre 2009, la copie des auditions des membres de l’équipage de la patrouille de police ayant interpellé M. B, la copie de l’audition de deux témoins, plusieurs scellés prélevés par le Dr H. d’une part et par le professeur L. et le Dr R. d’autre part :

« [M.B] est décédé subitement de troubles du rythme cardiaque par un spasme coronaire déclenché dans le contexte d’un stress émotionnel et physique intense et prolongé. (...) En conclusion, le stress aigu émotionnel prolongé et interne, ainsi que l’agitation prolongée et importante, qui ont débuté dans la pharmacie et qui se sont prolongés au cours de l’interpellation expliquent l’enchaînement des phénomènes physiopathologiques qui ont provoqué le décès : (1) stimulation intense du système nerveux sympathique (système neuro-hormonal adrénergique), (2) spasme coronaire-ischémie, (3) troubles du rythme cardiaque mortels. »

Les 14 et 16 décembre 2010 ainsi que le 19 janvier 2011, les quatre policiers comparurent pour la première fois sous le statut de témoin assisté.

Le 8 avril 2011, une reconstitution fut organisée en présence des avocats des parties civiles et des témoins assistés.

Le 5 juillet 2011, le Dr C., professeur des universités, neurologue et psychiatre, chef d’un service de médecine légale examina le dossier médical de M. B. chez son médecin psychiatre, le dossier médical auprès du service des urgences du centre hospitalier de Montbéliard ainsi que le dossier médical conservé par le médecin traitant de M. B. et rendit un rapport ainsi rédigé :

« [M. B] présentait une affection psychiatrique grave à savoir une psychose délirante, ce qui rend compte de l’altercation initiale avec le pharmacien puis du déclenchement d’un état d’agitation extrême lorsque les policiers ont tenté de le faire sortir de l’officine. Il est en outre possible que l’intervention de la police ait été interprétée de manière délirante.

Lors de l’intervention du SMUR, le critère de gravité était (...) le fait que [M. B] se trouvait en arrêt cardio-respiratoire depuis une vingtaine de minutes.

Les lésions superficielles observées à l’autopsie sur l’hémiface droite et à la face antérieure des genoux [lui paraissent] compatibles avec la contention sur le plancher du fourgon et les lésions pétéchiales de l’épigastre et de la région basithoracique sont compatibles avec les coups de poing portés comme indiqué dans le rapport d’autopsie. »

Le 25 novembre 2011, le Défenseur des droits, saisi par un parlementaire, rendit un rapport. Il indiqua que si les policiers avaient demandé très rapidement l’intervention des pompiers et du service d’aide médicale urgente, il était regrettable que le CIC ait décrit de manière erronée la situation aux pompiers préalablement à leur intervention (ces derniers ayant été informés de « l’état de manque » de M.B.). Il indiqua que les gestes de maintien et de compression pratiqués dans le fourgon étaient dangereux et disproportionnés. Il considéra comme « constitutifs d’une grave atteinte à la dignité humaine et d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 », les gestes par lesquels les gardiens de la paix D. et M. maintinrent M. B. sur le plancher du fourgon de police. Le Défenseur des droits nota également des contradictions entre les déclarations des policiers sur l’existence de violences physiques autres que les deux coups de poing de diversion et indiqua qu’aucun témoin n’avait assisté à l’intégralité de la scène. Le Défenseur des droits recommanda le renforcement de la formation initiale et continue des fonctionnaires de police quant à la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Il recommanda enfin que les quatre policiers ayant interpellé M. B. fassent l’objet d’une procédure disciplinaire pour « avoir fait un usage disproportionné de la force ou n’avoir pas tenté de mettre fin à cet usage. »

Le 18 janvier 2012, les Drs T. et F. complétèrent leur expertise du 10 décembre 2010. Ils confirmèrent la conclusion de leur précédent rapport et exclurent une asphyxie mécanique : « M. B. est décédé subitement de troubles du rythme cardiaque, sans contexte d’asphyxie mécanique. ». Ils rappelèrent le rôle du stress aigu dans la survenance du décès en affirmant que « cette stimulation adrénergique a été en rapport avec le stress aigu émotionnel et physique intense et prolongé. Le stress a duré environ une heure trente, ayant débuté dans la pharmacie et s’étant prolongé au cours de l’interpellation. »

Le 26 mars 2012, les quatre policiers ayant interpellé M. B. furent mis en examen du chef d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.

Le 5 novembre 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montbéliard rendit un réquisitoire de non-lieu.

Le 21 décembre 2012, les juges d’instruction rendirent une ordonnance de non-lieu à statuer. Ils considérèrent que s’il était vrai que M. B. était dans un état de relatif apaisement, il n’en demeurait pas moins que son comportement avait été jugé suffisamment inquiétant par le pharmacien pour qu’il signale à la police la présence dans son établissement d’une personne agitée et souffrant de troubles psychiatriques. Ils indiquèrent que les policiers n’avaient pas usé immédiatement de la force et, qu’informés de la pathologie psychiatrique dont souffrait M. B, ils avaient appelé le SAMU.


Les juges notèrent que :

« (...) le maintien au sol n’a pas été identifié par les experts médicaux comme étant la cause directe du décès ; si l’intervention des fonctionnaires de la police a nécessairement généré du stress, la victime l’était bien avant leur intervention ; les policiers n’ayant pas connaissance de la pathologie cardiaque de [M. B] qui l’ignorait lui‑même, ils ne pouvaient envisager que l’accumulation de ces deux facteurs [stress et problème cardiaque] pouvait présenter un risque pour la victime. »

Les juges considérèrent que la force utilisée par les policiers était nécessaire et proportionnée « même si le maintien au sol dans le fourgon, par L. et P. ainsi que le positionnement de M. – debout sur les mollets – peuvent apparaître critiquables dans l’absolu ».

Les requérants interjetèrent appel de cette ordonnance. Le 16 octobre 2013, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Besançon confirma l’ordonnance de non-lieu pour les motifs suivants :

« [Le décès de M. B. est dû] selon le médecin-légiste ayant pratiqué une première autopsie (...) à une défaillance survenue dans un contexte de stress et d’effort sur un terrain cardiaque prédisposant ; que la contre-expertise médico-légale a permis de conclure à l’existence de lésions cutanées ne pouvant avoir contribué au décès et d’exclure une mort par compression thoracique ; que les experts ont indiqué que le décès de [M. B.] était, selon toute vraisemblance, la conséquence d’un infarctus du myocarde et d’origine naturelle ; que l’expertise anatomo-pathologique (...) [a conduit] les experts à conclure que [M. B.] était décédé subitement des troubles du rythme cardiaque par un spasme coronaire déclenché dans le contexte d’un stress émotionnel et physique prolongé et a écarté formellement tout phénomène d’asphyxie mécanique ; qu’enfin, l’expert légiste et psychiatre (...) a conclu que [M. B.] présentait une affection psychiatrique grave (...) ce qui rendait compte de l’altercation initiale avec le pharmacien puis du déclenchement d’un état d’agitation extrême lorsque les policiers ont tenté de le faire sortir de l’officine, leur intervention pouvant être interprétée de manière délirante. ».

S’agissant des conditions d’interpellation, la chambre de l’instruction considéra que l’état d’excitation et l’attitude « récalcitrante, voire violente, de [M. B.] ont contraint les policiers à employer la force et les gestes techniques d’intervention qui leur ont été enseignés pour le maîtriser » dont les deux coups de poing portés par le gardien de la paix M. « qui a expliqué avoir exécuté un geste technique enseigné aux fonctionnaires de police dans le but de favoriser le menottage en créant un effet de surprise, explication confirmée par ses collègues et le formateur ». La chambre de l’instruction considéra que M. B. fut maintenu sur le plancher du fourgon dans des conditions « certes inhabituelles, voire critiquables », mais que celles-ci préservaient les capacités respiratoires et la ventilation d’une personne qui « opposait toujours une forte résistance aux policiers ». Elle conclut qu’« aucune maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ni aucun faute caractérisée ne peut leur être imputée [aux policiers] dans le décès de [M. B]. »

Les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Le 18 novembre 2014 la Cour de cassation rejeta ce pourvoi au motif que :

« les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits qui lui étaient déférés et répondu aux articulations essentielles des mémoires dont elle était saisie, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que l’information était complète et qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre les personnes mises en examen d’avoir commis le délit d’homicide involontaire qui leur était reproché, ni toute autre infraction. ».

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent de l’atteinte portée à la vie de leur proche lors de l’intervention des forces de police devant la pharmacie.

2.  Les requérants invoquent également l’article 3 de la Convention. Ils exposent notamment que les coups de poing portés par un des agents de police à l’abdomen de M. B, et qualifiés de « coups de diversion » n’étaient ni nécessaires ni proportionnés. Ils font valoir également que le fait, pour les policiers, de l’avoir maintenu plaqué au sol, menotté à un point fixe, et d’être resté assis sur lui fut constitutif d’un traitement inhumain et dégradant.


QUESTIONS AUX PARTIES

1.  Y-a-t-il eu une atteinte au droit à la vie de M. B. au sens de l’article 2 de la Convention ?

En particulier, comment les services de police ont-ils pris en compte, tant au niveau de la préparation de l’intervention que de son déroulement, la circonstance que M. B. était atteint de troubles psychiatriques ?

2.  M. B. a-t-il été victime de traitements contraires à l’article 3 de la Convention lors de son interpellation, notamment au regard des conditions dans lesquelles il a fait l’objet d’une contention sur le plancher du fourgon de police ?

De surcroît les techniques d’interpellation utilisées à son égard, consistant en des « coups de diversion » d’une part et un maintien au sol d’autre part, font elles l’objet de directives précises destinées aux policiers (voir Saoud c. France, no 9375/02, 9 octobre 2007), assorties le cas échéant de formation adaptées ?


ANNEXE

  1.     Abdelkader BOUKROUROU né le 16/02/1970 est un ressortissant français, résidant à Mouroux
  2.     Samira BOUKROUROU EP. MEHIGUENI née le 04/08/1977 est une ressortissante française, résidant à Massy
  3.     Fatiha BOUKROUROU née le 25/04/1973 est une ressortissante française, résidant à Valentigney
  4.     Karim BOUKROUROU né le 25/02/1972 est un ressortissant français, résidant à Thulay
  5.     Lahoucin BOUKROUROU né le 01/01/1939 est un ressortissant français, résidant à Valentigney
  6.     Yamina HASSIOUI EP. BOUKROUROU née le 01/01/1951 est une ressortissante française, résidant à Valentigney

Les parties sont représentées par Y. BOUZROU, avocat.

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