CEDH, Arrêt de chambre Berktay c. Turquie 01.03.01, 1er mars 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 1er mars 2001
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-68703-69171
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Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

141

1.3.2001

Communiqué du Greffier

ARRÊT DANS L’AFFAIRE BERKTAY c. TURQUIE

Par un arrêt communiqué aujourd’hui[1] par écrit dans l’affaire Berktay c. Turquie, la Cour européenne des Droits de l’Homme :

-rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;

-dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;

-dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 (interdiction de traitements inhumains ou dégradants) de la Convention concernant le second requérant ;

-dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention concernant le premier requérant ;

-dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention concernant le second requérant ;

-dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention ;

-dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’ancien article 25 (droit de recours individuel) de la Convention.

En application de l’article 41 (satisfaction équitable), la Cour alloue : pour dommage corporel et moral, 55 000 livres sterling (GBP) à Devrim Berktay, pour dommage moral, GBP 2 500 à Hüseyin Berktay ; pour frais et dépens, GBP 12 000 pour les deux requérants, moins 26 636 francs français versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.

1.  Principaux faits

Les requérants, Hüseyin et Devrim Berktay (père et fils), ressortissants turcs, sont nés en 1949 et 1976 et résident à Diyarbakır.

Le second requérant alléguait qu’il avait été poussé du balcon de son domicile par des policiers qui l’avaient arbitrairement privé de sa liberté et que ceux-ci avaient mis sa vie en péril en retardant délibérément son père qui devait le conduire au centre sanitaire pour une tomographie. Le premier requérant se plaignait d’avoir été contraint par la police de signer un procès-verbal incriminant son fils pour pouvoir l’emmener recevoir des soins médicaux d’urgence ainsi que de la perquisition effectuée à son domicile.

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 30 juillet 1993 et déclarée recevable le 11 octobre 1994. Elle a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998.

L’arrêt a ainsi été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir :

Antonio Pastor Ridruejo (Espagnol), président,
Jerzy Makarczyk (Polonais),

Volodymyr Butkevych (Ukrainien),
Nina Vajić (Croate),
John Hedigan (Irlandais),
Snejana Botoucharova (Bulgare), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,

ainsi que Vincent Berger, greffier de section.

3.  Résumé de l’arrêt[2]

Griefs

Les requérants allèguent la violation des articles 2, 3, 5 et 13 ainsi que de l’ancien article 25 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Décision de la Cour

Appréciation des faits par la Cour

Il y a controverse entre les parties sur les faits de la présente espèce, particulièrement en ce qui concerne les événements du 3 février 1993, lorsque le second requérant, Devrim Berktay, fut appréhendé par la police puis emmené à son domicile pour une perquisition et lors de laquelle il fut grièvement blessé suite à une chute du balcon. Conformément à l’ancien article 28 § 1 a) de la Convention, la Commission a mené une enquête avec l’assistance des parties et a recueilli des documents écrits ainsi que des dépositions orales.

L’arrestation et la détention du second requérant :

La Cour est d’avis que les éléments de preuve dont elle dispose permettent de conclure que le second requérant était sous le contrôle de cinq policiers et privé de sa liberté pendant la perquisition à son domicile.

La prétendue agression sur la personne du second requérant :

La Cour constate que le second requérant a été emmené sur le balcon par les policiers pour y chercher un document et qu’il se trouvait sous leur contrôle au moment de l’incident qui lui a causé de graves blessures.

Article 2 de la Convention

Quant à la chute du balcon du second requérant et au transport au centre sanitaire pour une tomographie :

Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour n’est pas persuadée que les agissements des policiers, lors de la perquisition effectuée au domicile des requérants à une période où le second requérant était sous leur contrôle, était d’une nature ou d’un degré propres à emporter la violation de l’article 2 de la Convention. Par ailleurs, aucune question distincte ne se pose dans ce contexte en ce qui concerne le manque de promptitude allégué dans l’administration à l’intéressé des soins médicaux nécessaires. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention quant à la force utilisée à l’encontre du second requérant lors de la perquisition à son domicile.

Quant aux obligations positives et procédurales découlant de l’article 2 de la Convention :

A la lumière de sa conclusion ci-dessus et eu égard aux faits de la présente espèce, la Cour estime ne pas avoir à se pencher sur les allégations formulées sous l’angle de l’article 2 de la Convention et aux termes desquelles les autorités ont manqué à leur obligation de protéger le droit à la vie du second requérant ou de mener une enquête effective au sujet de l’usage de la force.

Article 3 de la Convention concernant le second requérant

Le second requérant, âgé de dix-sept ans à l’époque des faits, a été arrêté le 3 février 1993 vers 15 h 30 et placé en garde à vue dans les locaux de la police. Il ressort des éléments du dossier qu’une équipe de quatre policiers s’était rendue à son domicile vers 17 h 30 pour y effectuer une perquisition et qu’une autre équipe de quatre policiers avait emmené l’intéressé sur les lieux vers 19 heures pour qu’il leur montrât un document à infraction. Le procès-verbal de perquisition et d’incident établi par les huit policiers a fait état de ce qu’ayant voulu chercher ledit document parmi les journaux entassés dans un coin du balcon, Devrim Berktay avait ouvert la porte du balcon et s’était jeté par-dessus la balustrade.

La Cour tient à souligner que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger. Un Etat est moralement responsable de toute personne en détention, car cette dernière est entièrement aux mains des fonctionnaires de police. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il incombe au Gouvernement de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime. La Cour souligne que l’acquittement des policiers au pénal ne dégage pas l’Etat défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention. Il appartenait donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur l’origine des blessures du second requérant. Or le Gouvernement ne fait que renvoyer à l’issue de la procédure pénale interne, où un poids décisif a été attaché aux explications des policiers selon lesquelles le second requérant se serait jeté du balcon.

Rappelant l’obligation pour les autorités de rendre compte des individus placés sous leur contrôle, et de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation, la Cour estime donc que dans les circonstances de la cause l’Etat défendeur porte la responsabilité des blessures causées par la chute du second requérant alors qu’il se trouvait sous le contrôle de six policiers. Elle rappelle que les nécessités de l’enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité, notamment en matière de terrorisme, ne sauraient conduire à limiter la protection due à l’intégrité physique de la personne.

La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Article 3 de la Convention concernant le premier requérant

La Cour relève que le premier requérant se prétend lui-même victime d’un traitement inhumain et dégradant en raison de la détresse et l’angoisse qu’il a ressenties suite aux agissements des policiers qui l’ont forcé à se rendre au commissariat de police de Yenişehir pour signer une déposition qu’ils avaient préparée bien qu’il ait insisté sur la nécessité de conduire son fils, grièvement blessé, au centre sanitaire pour une tomographie. Examinant les circonstances de la cause dans leur ensemble, la Cour n’estime pas établi que le traitement en cause ait atteint le degré minimum de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition en ce qui concerne le premier requérant.

En ce qui concerne l’absence alléguée d’une enquête effective

La Cour estime qu’il convient d’examiner le grief en question sous l’angle de l’article 13 de la Convention. Elle souligne à cet égard que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les comparants.

Article 5 de la Convention concernant le second requérant

Se référant à ses considérations sur l’appréciation des preuves relatives à l’arrestation et la détention du second requérant, la Cour relève que les éléments du dossier n’autorisent pas à conclure à l’existence de soupçons plausibles. Par ailleurs, n’ayant pas fourni, hormis le procès-verbal d’arrestation, d’autres indices sur lesquels reposaient les soupçons dirigés contre l’intéressé, les explications du Gouvernement ne remplissent pas les conditions minimales de l’article 5 § 1 c). Dans ces conditions, la Cour n’estime pas que la privation de liberté infligée à Devrim Berktay lors de la perquisition à son domicile ait été « une détention régulière » mise en œuvre parce qu’il y avait « des raisons plausibles de soupçonner que [l’intéressé avait] commis une infraction ». Partant, il y eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

Article 13 de la Convention

La Cour a constaté que toutes les versions de l’incident produites par les policiers divergeaient sur des détails importants. Nonobstant ces éléments troublants, le tribunal n’entreprit aucune investigation de son côté. Il ne s’évertua pas davantage à entendre tous les policiers ainsi que la version de l’incident des plaignants mais s’appuya entièrement sur les explications verbales de trois policiers et, tout en relevant que le deuxième requérant était dans les mains des prévenus juste avant sa chute, sans donner d’autres précisions, acquitta ces derniers au motif du manque de lien de causalité entre leur comportement et les blessures du deuxième requérant. Ainsi, indépendamment du fait qu’ils auraient ou non réussi à convaincre le tribunal que la police avait commis une faute en l’occurrence, les requérants avaient droit à ce que la police expliquât ses actions et ses omissions au cours d’une procédure contradictoire.

En conséquence, la Cour estime que les requérants ont été privés d’un recours effectif quant à leurs allégations à l’encontre des policiers, de façon à répondre aux exigences de l’article 13. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

Ancien article 25 de la Convention

A la lumière des éléments dont elle dispose, la Cour estime que les faits ne sont pas suffisamment établis pour lui permettre de conclure que les autorités de l’Etat défendeur ont intimidé ou harcelé les requérants dans des circonstances destinées à les pousser à retirer ou modifier leur requête ou à les entraver de toute autre manière dans l’exercice du droit de recours individuel. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’ancien article 25 de la Convention.

Article 41 de la Convention

La Cour dit que l’Etat défendeur doit verser aux requérants les sommes suivantes :

- pour dommage corporel et moral, GBP 55 000 à Devrim Berktay, pour dommage moral,

GBP 2 500 à Hüseyin Berktay ;

-pour frais et dépens, GBP 12 000 pour les deux requérants, moins 26 636 francs français versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.

Le juge Gölcüklü a exprimé une opinion partiellement dissidente dont le texte se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts :Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : (0)3 90 21 42 15)
Télécopieur : (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.


[1] L'article 43 de la Convention européenne des Droits de l'Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu'elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre

[2] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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