CJCE, n° C-438/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Maria Luisa Jiménez Melgar contre Ayuntamiento de Los Barrios, 7 juin 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 7 juin 2001, Jiménez Melgar, C-438/99
Numéro(s) : C-438/99
Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 7 juin 2001. # Maria Luisa Jiménez Melgar contre Ayuntamiento de Los Barrios. # Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Social Único de Algeciras - Espagne. # Protection des femmes enceintes - Directive 92/85/CEE - Article 10 - Effet direct et portée - Licenciement - Contrat de travail à durée déterminée. # Affaire C-438/99.
Date de dépôt : 17 novembre 1999
Précédents jurisprudentiels : 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93
15 juin 1999, Tarantik, C-421/97
27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61999CC0438
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:316
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61999C0438

Conclusions de l’avocat général Tizzano présentées le 7 juin 2001. – Maria Luisa Jiménez Melgar contre Ayuntamiento de Los Barrios. – Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Social Único de Algeciras – Espagne. – Protection des femmes enceintes – Directive 92/85/CEE – Article 10 – Effet direct et portée – Licenciement – Contrat de travail à durée déterminée. – Affaire C-438/99.


Recueil de jurisprudence 2001 page I-06915


Conclusions de l’avocat général


Préambule

1 Par une ordonnance du 10 novembre 1999, le Juzgado de lo Social de Algeciras (Espagne) a soumis à la Cour, en application de l’article 234 CE, une série de questions préjudicielles sur l’interprétation de l’article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (ci-après: la «directive 92/85») (1).

Ces questions sont soumises dans le cadre d’une procédure introduite par une travailleuse à la suite du non-renouvellement du précédent contrat de travail à durée déterminée décidé par l’employeur pour des motifs qui selon l’intéressée constitue une discrimination fondée sur le sexe, dans la mesure où ils sont liés à son état de grossesse.

Cadre juridique

La réglementation communautaire

2 Adoptée en application de l’article 118 A (les articles 117-120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE-143 CE), la directive 92/85 constitue une des «directives particulières» de mise en oeuvre de la directive 89/391/CEE du Conseil (ci-après: la «directive 89/391») (2), qui a édicté «des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l’élimination des facteurs de risque et d’accident, l’information, la consultation, la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales, la formation des travailleurs et de leurs représentants, ainsi que des lignes générales pour la mise en oeuvre desdits principes» (article 1, paragraphe 2).

3 Selon l’article 15 de cette dernière directive, «les groupes à risques particulièrement sensibles doivent être protégés contre les dangers les affectant spécifiquement». Et c’est précisément en considération du fait que «les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes doivent être considérées à maints égards comme un groupe à risques spécifiques (…)» (huitième considérant) que le Conseil a adopté la directive 92/85, destinée justement à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses avant et après l’accouchement.

4 C’est notamment l’article 10 qui nous intéresse ici parce que c’est à ce propos que portent les questions de la juridiction nationale. La disposition prévoit que: «En vue de garantir aux travailleuses, au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que:

1) Les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visée à l’article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord;

2) Lorsqu’une travailleuse, au sens de l’article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit;

3) Les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l’article 2, contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1».

5 Aux fins de la directive (article 2), on entend par:

«a) `travailleuse enceinte': toute travailleuse enceinte qui informe l’employeur de son état, conformément aux législations et/ou pratiques nationales;

b) `travailleuse accouchée': toute travailleuse accouchée au sens des législations et/ou pratiques nationales, qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques;

c) `travailleuse allaitante': toute travailleuse allaitante au sens des législations et/ou pratiques nationales qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques».

6 En vertu de l’article 14, paragraphe 1, la date de transposition de la directive dans l’ordre juridique des États membres a été fixée au 19 octobre 1994.

7 Nous rappelons par ailleurs que s’applique en la matière également la directive du Conseil 76/207/CEE (ci-après: «la directive 76/207») (3), relative entre autres à des règles en matière de licenciement. Selon l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, «le principe de l’égalité de traitement (…) implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial».

8 En outre, en ce qui concerne en particulier l’incidence du principe en question sur les conditions de licenciement, l’article 3, paragraphe 1, de la même directive précise que «l’application du principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d’accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail, quel qu’en soit le secteur ou la branche d’activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle». À son tour, l’article 5, paragraphe 1, de la directive précise que «l’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe».

Le droit national

9 Quant à la réglementation nationale pertinente, il faut rappeler en premier lieu que le principe de non-discrimination en raison du sexe est solennellement consacré dans la constitution espagnole du 27 décembre 1978 elle-même dont l’article 14 dispose: «les Espagnols sont égaux devant la loi et ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale».

10 Plus spécifiquement, ensuite, l’article 55, paragraphe 5, de l’Estatuto de los Trabajadores (statut des travailleurs) (4) établit que: «Tout licenciement ayant pour motif une des causes de discrimination prohibées par la Constitution ou par la loi, ou résultant d’une violation des droits fondamentaux et des libertés publiques reconnus aux travailleurs, est nul».

Dans ce cas, d’après ce qui est prévu par le paragraphe 6 du même article, doit avoir lieu la réintégration immédiate du travailleur avec le versement des salaires non perçus.

11 La Ley de Procedimiento Laboral (loi de procédure en matière de droit du travail) (5) reprend, respectivement à l’article 108, paragraphe 2, sous d), et à l’article 113, paragraphe 1, les dispositions des paragraphes 5 et 6 de l’article 55 de l’Estatuto de los Trabajadores.

12 Il convient par ailleurs de préciser que, à l’époque des faits litigieux, la directive 92/85 n’avait pas encore été transposée dans l’ordre juridique espagnol. En effet ce n’est qu’avec «la Ley 39/1999 para Promover la Conciliación de la Vida Familiar y Laboral de las Personas Trabajadoras» (loi destinée à promouvoir la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle des travailleurs) (6) qu’ont été apportées, justement dans le but de mettre en oeuvre la directive, quelques modifications à l’Estatuto de los Trabajadores. En particulier, à l’article 55, paragraphe 5, précité, ont été ajoutés les alinéas suivants:

«Le licenciement est également nul dans les cas suivants:

Lorsqu’il intervient au cours d’une période de suspension du contrat de travail liée à la maternité, à un risque pendant la grossesse, à l’adoption ou à l’accueil visés à l’article 45, paragraphe 1er, sous d), de la présente loi, ou lorsqu’il est notifié à une date telle que le délai de préavis expire au cours de cette période de suspension.

Lorsqu’il vise une travailleuse enceinte, à partir du début de l’état de grossesse jusqu’au début de la période de suspension mentionnée à l’alinéa précédent, ou un travailleur ayant sollicité un des congés prévus à l’article 37, paragraphes 4 et 5, de la présente loi, bénéficiant de ce congé ou ayant sollicité une mise en disponibilité conformément à l’article 46, paragraphe 3, de cette loi.

Les dispositions des deux alinéas précédents s’appliquent sauf si, dans les deux cas, le bien-fondé de la décision de licenciement est déclaré reposer sur des motifs non liés à la grossesse ou à l’exercice du droit aux congés et à la mise en disponibilité ci-dessus mentionnés».

Faits et procédure

13 La requérante, Mme M. L. Jiménez Melgar, est entrée au service de la défenderesse, la Commune de Los Barrios (ci-après également «la Commune»), le 3 juin 1998 en tant que salariée pour s’acquitter de tâches d’aide à domicile à des retraités sans famille, avec un horaire de travail de 20 heures par semaine. Le contrat, stipulé à temps partiel et pour la durée de trois mois, à été prorogé à deux reprises jusqu’au 2 décembre 1998. La relation de travail et la rémunération étaient régies par la Convention collective des employés publics municipaux.

14 Le 3 décembre 1998, donc sans interruption de travail, a été conclu avec la Commune un nouveau contrat de travail à durée déterminée à temps partiel pour l’aide au ménage et la garde d’enfants en âge scolaire pendant les vacances scolaires de décembre/janvier 1998-1999 en faveur de familles éprouvant des difficultés économiques. Dans ce contrat, qui prenait effet justement le jour même de sa conclusion, la date d’expiration était laissée en blanc, même si le 14 janvier 1999 la Commune a informé la requérante qu'«en application des termes de [son] contrat, celui-ci prendra[it] fin le 2 février prochain».

15 Une nouvelle fois sans interruption de travail, le 3 février 1999, la requérante a signé un nouveau contrat de travail à durée déterminée à temps partiel pour la réalisation de tâches d’aide, de garde à domicile d’enfants ayant des difficultés de déplacement pour se rendre à l’école, au cours de l’année scolaire 1998-1999. Comme dans le précédent contrat, la date d’expiration n’était pas indiquée, mais le 14 avril 1999 la Commune a annoncé à la requérante que, «en application des termes de [son] contrat, celui-ci prendra[it] fin le 2 mai prochain».

16 Le 3 mai 1999, pour la quatrième fois, et toujours sans interruption de travail, Mme Jiménez Melgar a conclu un contrat à durée déterminée à temps partiel pour la prestation du service d’aide à domicile à des familles nombreuses rencontrant des difficultés pour assurer le suivi scolaire de leurs enfants en âge préscolaire et pour les accompagner aux écoles publiques de leur localité, au cours de l’année scolaire 1998-1999, contrat dont la durée effective a été convenue pour la période allant du 3 mai 1999 au «…». Le 12 mai 1999, la Commune, comme elle l’avait fait à l’échéance des trois contrats précédents, a adressé la lettre suivante à la requérante:

«Par la présente lettre, nous vous informons qu’en application des termes de votre contrat, celui-ci prendra fin le 2 juin prochain. Toutefois, au cours du délai légal de préavis de fin de votre contrat, vous serez informée des possibilités, si elles existent, de prolongation ou de renouvellement de celui-ci. Vous devrez vous rendre au service du personnel avant le 2 juin prochain, pour y signer, le cas échéant, cette prolongation ou ce renouvellement, ou pour y percevoir les sommes vous revenant au titre de l’expiration de votre contrat de travail (…)».

17 Il faut noter qu’à la date de la cessation de ce dernier contrat, Mme Jiménez Melgar avait déjà informé la Commune de son état de grossesse bien que ni la date exacte de cette communication ni le début de la grossesse ne ressortent du dossier (toutefois, l’enfant étant né le 16 septembre 1999, la grossesse est présumée avoir débuté en janvier de la même année).

18 Le 7 juin 1999, d’après ce qui ressort d’un procès verbal dressé par le conseiller municipal délégué aux affaires sociales, Mme Jiménez Melgar a été convoquée à la mairie pour procéder à la signature d’un cinquième contrat de travail à temps partiel pour le remplacement pendant les vacances d’été des salariés de sa catégorie d’assistante à domicile. La requérante a cependant refusé de souscrire le contrat et le jour suivant elle a écrit à la Commune pour faire valoir que son précédent contrat avec l’Administration n’avait pas expiré dans la mesure où elle avait été licenciée illégalement, de façon discriminatoire et en violation de ses droits fondamentaux. Ce n’est donc pas à la signature d’un nouveau contrat qu’il fallait procéder mais à la simple réintégration de l’intéressée dans son emploi.

19 Le 7 juillet suivant, Mme Jiménez Melgar a donc formé un recours devant le Juzgado de lo Social contre la Commune de Los Barrios par laquelle elle demandait l’annulation du licenciement, la condamnation de la défenderesse à cesser immédiatement son attitude discriminatoire en réintégrant la requérante dans son emploi, à lui verser les salaires dus jusqu’à la date de notification du jugement (salarios de tramitación) et à s’acquitter d’une amende d’un montant de 100.000 ESP. C’est justement dans le cadre de cette procédure que le juge saisi a rendu une ordonnance de renvoi préjudiciel soulevant les questions d’interprétation que nous examinons aujourd’hui.

Les questions préjudicielles

20 Dans l’ordonnance, le Juzgado de lo Social a tout d’abord examiné les circonstances dans lesquelles s’inscrivait le rapport de travail de Mme Jiménez Melgar dans le but d’établir si le contrat y afférent n’avait pas été conclu illégalement. En effet, les caractéristiques de continuité dans le temps et d’homogénéité de l’activité professionnelle exercée permettaient de douter de l’existence de la part de la Commune d’un détournement de la réglementation relative au contrat de travail, destiné a dissimuler derrière une série de contrats à durée déterminée un rapport qui en réalité présente les caractéristiques d’un contrat unique à durée indéterminée. Le juge espagnol a toutefois préféré laisser provisoirement ce doute de côté, en se réservant la faculté d’y revenir une fois que la Cour se sera prononcée sur les questions préjudicielles. Il s’est donc concentré sur l’aspect de la discrimination fondée sur le sexe, en observant que, s’il s’avérait à partir des preuves pertinentes que l’état de grossesse de la travailleuse avait été la véritable cause du licenciement, celui-ci pourrait être déclaré nul déjà en fonction des règles nationales tant constitutionnelles que législatives. Puisque toutefois il existait des doutes sur le sens et la portée de l’article 10 de la directive 92/85, le Juzgado de lo Social a estimé préférable de s’adresser à la Cour de justice pour lui soumettre les questions préjudicielles suivantes:

«1. L’article 10 de la directive 92/85/CEE est-il suffisamment clair, précis et inconditionnel pour être susceptible de produire un effet direct?

2. En prévoyant que `les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses (…) (enceintes, accouchées ou allaitantes) pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité (…), sauf dans les cas d’exception non liés à leur état', l’article 10 de la directive oblige-t-il les États membres à préciser de manière spéciale et exceptionnelle quelles peuvent être les causes de licenciement d’une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante et à introduire à cet effet dans la législation nationale, parallèlement au régime général de résiliation des contrats de travail, un autre régime, spécial, exceptionnel, plus limité et exprès pour les cas dans lesquels la travailleuse est enceinte, accouchée ou allaitante?

3. Quel effet l’article 10 de la directive produit-il sur le non-renouvellement par un employeur du contrat de travail à durée déterminée d’une femme enceinte, intervenant dans un contexte identique à celui des contrats précédents? L’article 10 de la directive s’applique-t-il à la protection de la travailleuse qui se trouve en état de grossesse, dans le cadre de contrats de travail temporaires? Dans l’affirmative, de quelle manière, selon quels critères et dans quelle mesure?

4. Lorsque la directive prévoit, dans son article 10, que le licenciement de la travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante pourra avoir lieu `le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord', exige-t-elle que le licenciement d’une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante ne puisse avoir lieu qu’au moyen d’une procédure spéciale au cours de laquelle l’autorité compétente en question donne son accord préalable au licenciement demandé par l’employeur?»

Argumentation juridique

Sur la recevabilité

21 À titre préliminaire, il convient d’apprécier la recevabilité des questions soumises par la juridiction de renvoi, étant donné qu’elle a été contestée par plusieurs parties au cours de la procédure.

22 D’après le gouvernement espagnol (soutenu en cela à l’audience également par le gouvernement irlandais), compte tenu des éléments de fait et de droit, les conditions pour déclarer recevables les questions précitées ne seraient pas réunies en l’espèce. En effet, la juridiction de renvoi pourrait constater, en application des seules dispositions du droit interne évoquées ci-dessus, que la relation de travail entre Mme Jiménez Melgar et la Commune de Los Barrios était en réalité de la nature d’un contrat à durée indéterminée, vu que la requérante avait été employée sans interruption en vertu d’une succession de contrats temporaires en s’acquittant des mêmes tâches. D’autre part, tout en contestant qu’en l’espèce elle ait été licenciée au motif qu’elle était enceinte, le gouvernement espagnol fait observer qu’en tout état de cause, si le contraire était établi dans le litige au principal, l’intéressée pourrait obtenir également au niveau de ce litige, et toujours en application du seul droit national, la réintégration dans son emploi et la condamnation de l’employeur à payer les salaires non perçus. En conclusion, si on invoque le fait que le contrat était en réalité à durée indéterminée et/ou que le licenciement était motivé par l’état de grossesse de l’intéressée, d’après le gouvernement espagnol, le litige pendant devant la juridiction de renvoi pourrait être tranché sur la base de la seule législation nationale, supposée, en outre, conforme à la directive 92/85. Le renvoi préjudiciel à la Cour devrait donc être considéré comme inopportun, dépourvu de pertinence, en tout état de cause prématuré à ce stade et non nécessaire à la solution du litige au principal.

23 Des considérations similaires ont également été exposées par la Commission, laquelle a également avancé des doutes sur l’utilité du renvoi, en relevant notamment que le juge espagnol lui-même reconnaît que le litige pourrait être tranché sans difficulté particulière sur la base du seul droit national. Pareillement, même la Commission estime que les questions soumises par le Juzgado de lo Social auraient été soulevées à un stade prématuré de la procédure judiciaire nationale, c’est-à-dire à une phase au cours de laquelle le juge n’avait pas encore établi si la discussion porte sur la légalité du contrat ou sur la cause du licenciement (l’état de grossesse de la salariée).

24 Bien qu’elles ne soient pas totalement dépourvues de fondement, nous n’estimons pas que les objections auxquelles il vient d’être fait allusion soient suffisantes pour justifier une déclaration d’irrecevabilité du renvoi en question. Il nous semble en particulier qu’elles ne tiennent pas compte du fait que le juge espagnol lui-même s’est préoccupé de les prévenir en expliquant avec une argumentation assez détaillée les raisons pour lesquelles il estimait néanmoins nécessaire de demander la coopération de la Cour pour l’interprétation de l’article 10 de la directive, et de la demander justement à ce stade de la procédure. On peut discuter du point de savoir si ces argumentations sont parfaitement convaincantes et si la voie procédurale choisie par le Juzgado de lo Social était la plus appropriée, ou tout au moins la plus simple et la plus rapide. Mais cela signifierait, à notre avis, contrôler le raisonnement qui sous-tend les choix opérés, nous le répétons, de façon explicite et argumentée par le juge de renvoi, c’est-à-dire que cela signifierait étendre l’appréciation sur les évaluations de ce juge au-delà des limites que la Cour elle-même a fixées à cet égard.

25 Comme on le sait en effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, «il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour»; et c’est toujours au juge national qu’il appartient d’apprécier la phase de la procédure au cours de laquelle une question préjudicielle doit être soumise à la Cour. Ce n’est qu’exceptionnellement que la Cour peut décliner sa compétence, au niveau de l’appréciation des évaluations opérées par les juges nationaux, en excluant le cas échéant la recevabilité du renvoi: en particulier, pour ce qui nous intéresse ici, «lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle communautaire, demandée par la juridiction nationale, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées» (7).

26 En l’espèce, toutefois, malgré les doutes rappelés ci-dessus, il serait difficile d’aller jusqu’à affirmer que les questions préjudicielles soumises par le Juzgado de lo Social sont manifestement dépourvues de lien avec la réalité ou avec l’objet de l’instance principale, ou qu’elles sont de nature purement hypothétiques ou, encore que la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre utilement aux questions qui lui sont soumises.

27 Nous estimons donc que les questions formulées par le Juzgado de lo Social peuvent être considérées comme recevables et nous abordons en conséquence leur examen analytique.

Sur la première question

28 Le juge national se demande en premier lieu si l’article 10 de la directive 92/85 produit ou non un effet direct.

29 Il est à peine nécessaire de rappeler, à ce propos, que d’après une jurisprudence désormais ancienne de la Cour de justice, si elles apparaissent suffisamment claires, précises, et inconditionnées, les dispositions d’une directive sont aptes à produire un effet direct, ce qui implique que les particuliers peuvent les invoquer devant les juridictions d’un État membre au cas où ce dernier n’aurait pas adapté son propre droit national à la directive dans le délai imparti, ou dans le cas où il aurait procédé à une adaptation incorrecte; et cela peut se produire tant lorsque l’État agit en tant qu’employeur qu’en tant qu’autorité publique (8). Le défaut de transposition ou la transposition incorrecte constitue donc un des présupposés de la théorie de l’effet direct.

30 Selon l’ordonnance de renvoi, la question de l’effet direct de l’article 10 dans le cas d’espèce peut revêtir de l’importance justement en raison de la transposition tardive et incomplète de la directive, étant donné que, comme on l’a vu, la législation en vigueur en Espagne à la date des faits, bien que conforme en ligne générale à l’objectif poursuivi de la directive 92/85, a été formulée en des termes plus généraux que les dispositions de cette dernière. C’est seulement avec la Ley 39/1999 para Promover la Conciliación de la Vida Familiar y Laboral de las Personas Trabajadoras que le législateur espagnol a adopté les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la directive, qui plus est de telle sorte que le juge national n’estime pas qu’elle puisse être considérée avec certitude comme parfaitement conforme à ce qui est édicté par celle-ci.

31 De leur côté, tant le gouvernement espagnol que la Commission estiment, en reprenant les objections rappelées précédemment, que la réponse à la question examinée ne serait pas nécessaire en vue de la solution dans l’instance au principal, comme il est au contraire requis par l’article 234 CE. En faisant spécifiquement allusion aux motifs précités de cette question, ils objectent ensuite que la législation nationale en vigueur à l’époque des faits – donc avant même l’adoption de la loi 39/1999 destinée à mettre en oeuvre la directive – aurait été en substance conforme à l’objectif de protection des travailleuses mères, parce qu’elle prévoyait en toute hypothèse la nullité du licenciement discriminatoire, l’obligation de réintégrer la salariée licenciée dans son emploi et la condamnation au paiement des salaires non versés.

32 Nous avons déjà exprimé notre opinion sur la recevabilité des questions formulées dans la présente instance et nous ne pouvons que la rappeler également à propos de celle discutée ici. Tout en reconnaissant en effet que son utilité peut soulever quelques hésitations, nous ne croyons pas que l’on puisse refuser une réponse au juge de renvoi une fois qu’il a indiqué les raisons de la question et qu’il a fait part de doutes sérieux (à ce sujet, voir ci-dessous le point 36) quant à la conformité au droit communautaire de la législation espagnole en vigueur à l’époque des faits. De toute façon, il ne nous paraît même pas utile d’insister trop sur ce point, vu que quant à l’intérêt de la réponse, il y a en toute hypothèse une unanimité de vues au fond sur le fait que l’article 10 de la directive a un effet direct.

33 Comme nous l’avons rappelé en effet, la disposition en question impose aux États membres l’obligation d’adopter «les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8 paragraphe 1…». L’obligation mise à la charge des États membres (ainsi que le droit corrélatif des intéressées) est donc posée de façon inconditionnelle et elle est définie avec clarté et précision: aussi bien quant à l’objet (interdiction de licenciement), que quant aux personnes protégées (les travailleuses, qui, au sens de l’article 2 de la directive et conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ont informé l’employeur de leur état), que quant à la période à prendre en considération (l’interdiction de licenciement couvre un laps de temps déterminable avec précision, en partant de la date de début de la grossesse jusqu’à la fin du congé de maternité visé à l’article 8, paragraphe 1 (9)). On est donc bien fondé à conclure que l’article 10 de la directive 92/85 produit un effet direct.

34 Pour confirmer l’exactitude de cette conclusion, d’autre part, on peut s’appuyer dans une certaine mesure sur la jurisprudence de la Cour, en particulier sur les arrêts dans les affaires Webb et Brown. Dans ces décisions, d’un côté, on a fait ressortir que la directive a «prévu… une protection particulière pour la femme en édictant l’interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité», et de l’autre, on souligne le caractère inconditionnel de l’article 10, lequel «n’a prévu aucune exception ou dérogation à l’interdiction de licenciement de la femme enceinte pendant cette période, sauf dans les cas d’exception non liés à l’état de l’intéressée» (10).

35 Nous proposons en conséquence de répondre à la première question dans le sens que l’article 10 de la directive 92/85, en prévoyant que les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, impose une obligation claire, précise et inconditionnelle, apte à conférer des droits que les particuliers peuvent faire valoir devant la juridiction nationale.

Sur la seconde question

36 En rappelant justement l’arrêt Mary Brown précité dans lequel la Cour a mis en relief la nature spécifique de la protection pour la femme prévue dans la directive (11), la juridiction de renvoi relève que la législation en vigueur à l’époque des faits ne prévoyait pas un régime particulier des causes de licenciement parce que ce n’est qu’avec la loi 39/1999 précitée que le législateur espagnol a effectué la transposition de la directive 92/85. Avec la seconde question, le Juzgado de lo Social nous interroge donc précisément sur la conformité à la directive de ce cadre législatif. Il veut en effet savoir si, en autorisant des dérogations à la règle de l’interdiction de licenciement des travailleuses protégées dans les «cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou [les] pratiques nationales», l’article 10, paragraphe 1, de la directive oblige en outre les États membres à préciser de manière spéciale quelles peuvent être les causes de licenciement d’une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante. Il souhaite donc savoir si la directive impose l’obligation d’introduire dans la législation nationale, parallèlement au régime général de résiliation des contrats de travail, un régime spécial, exceptionnel et plus limité, pour les cas dans lesquels la travailleuse est enceinte, accouchée ou allaitante. S’il en était ainsi, en effet, la transposition de la directive dans l’ordre juridique espagnol n’aurait pas été effectuée correctement et complètement.

37 Comme pour la question précédente, on peut constater aussi à propos de celle-ci un accord commun entre les parties qui ont présenté des observations dans la présente affaire sur le fait que tant l’interprétation textuelle que celle systématique amènent à exclure qu’une telle obligation résulte de la directive. La requérante elle-même, qui avait pourtant soutenu dans ses observations écrites que l’article 10 de la directive imposait l’obligation de préciser de manière spéciale, exceptionnelle et limitée les causes pouvant justifier le licenciement des travailleuses protégées, a modifié sa position à l’audience, en n’estimant plus nécessaire une énumération autonome de ces causes.

38 Il nous semble évident en effet que l’article 10, paragraphe 1, veut insister surtout sur le caractère exceptionnel du licenciement et en particulier sur l’interdiction de le lier, le cas échéant, à l’état de grossesse, ou à la maternité ou à l’allaitement de la travailleuse. C’est également pour cette raison que le paragraphe 2 de cette disposition exige expressément que, lorsqu’une travailleuse protégée est licenciée pendant la période visée au point 1 de la même disposition, «l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit». En dehors du champ d’application de l’interdiction indiquée, le licenciement sera au contraire possible, toujours à titre exceptionnel, pour d’autres causes admises par la législation et/ou des pratiques nationales: des causes de licenciement invocables donc à titre général à l’encontre de tout travailleur, comme par exemple le licenciement pour des motifs disciplinaires. Mais pour garantir le résultat voulu par le biais de la disposition, en particulier, pour assurer le parfait respect des interdictions et des limitations prescrites par celle-ci, il n y a aucune raison d’imposer une obligation aux États membres de prévoir une énumération expresse et distincte des causes du licenciement invocables à l’encontre des travailleuses protégées; en tout cas, il ne semble nullement que cela ait été l’objectif visé avec cette disposition. Bien entendu, vu que la directive n’édicte que des prescriptions minimales, cela n’exclut pas la faculté des États membres d’adopter des mesures offrant une protection plus élevée et, de ce fait, même d’établir un régime particulier et détaillé des causes de licenciement des travailleuses protégées.

39 Sur ce point, nous proposons donc de répondre à la juridiction espagnole dans le sens que l’article 10, paragraphe 1, de la directive 92/85 n’oblige pas les États membres à introduire dans la législation nationale, parallèlement au régime général de résiliation des contrats de travail, un autre régime, spécial, exceptionnel, plus limité et exprès pour les cas dans lesquels la travailleuse est enceinte, accouchée ou allaitante.

Sur la troisième question

40 Avec la troisième question, la juridiction nationale demande si l’article 10 de la directive 92/85 s’applique à la protection de la travailleuse enceinte en cas de non-renouvellement par l’employeur d’un contrat de travail à durée déterminée dans les mêmes conditions que les contrats précédents; d’une façon plus générale, il demande si, et dans l’affirmative de quelle manière, cette disposition s’applique également aux contrats de travail temporaires.

41 Cette question a également suscité des doutes dans les observations écrites et à l’audience quant à l’utilité d’une réponse en vue de la solution de l’instance au principal. En particulier, le gouvernement espagnol et la requérante estiment qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question, dans la mesure où Mme Jimenéz Melgar, en raison des caractéristique mentionnées à plusieurs reprises de sa relation d’emploi, ne devrait pas être considérée comme une travailleuse temporaire ou occasionnelle, mais comme titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée. Le juge espagnol pourrait de ce fait constater, déjà sur la base de son propre droit national (12), qu’il y a eu à cet égard une violation de la loi par l’employeur et déclarer que le contrat de travail concerné a une durée indéterminée. S’interroger alors sur les possibilités et sur les limites du non-renouvellement d’un contrat de travail d’une travailleuse protégée par la directive serait, dans ces conditions, totalement superflu.

42 Il nous semble cependant que ces objections ne touchent pas vraiment juste parce qu’elles laissent de côté le fait que non seulement le juge de renvoi n’a pas encore tranché quant à la nature, temporaire ou non, de la relation de travail en question, mais que, à tort ou à raison, il semble vouloir conditionner cette décision justement aux réponses que la Cour donnera à ses questions. En d’autres termes, il nous semble qu’il ressort d’une lecture attentive de l’ordonnance que, placé face aux options possibles qui se présentent à lui, ledit juge souhaite disposer de tous les éléments utiles pour apprécier toute implication possible de ses choix et que, pour cette raison, il a décidé de s’adresser à la Cour à une phase qui autrement pourrait apparaître vraiment prématurée. Si cette supposition est exacte, il en résulte que les doutes formulés à propos de l’utilité de la question examinée ne se justifient pas et qu’il faut donc fournir à la juridiction de renvoi, dans la mesure du possible, les éléments d’appréciation qu’elle demande.

43 Cela étant, nous devons cependant observer que la question dont il s’agit n’apparaît nullement claire. Si on tient compte de sa teneur littérale, en tout cas, elle semble renfermer deux questions distinctes: l’une, que l’on peut déduire de la seconde partie de la question, qui concerne l’applicabilité de l’article 10 de la directive 92/85 au cours d’un contrat de travail à durée déterminée, l’autre, formulée plus clairement dans la première partie de la question, qui a trait en revanche à l’applicabilité de la disposition même dans les hypothèses de défaut de renouvellement d’un contrat de ce type.

44 Pour ce qui concerne la première question, il nous semble que le juge espagnol souhaite s’assurer que la protection garantie par l’article 10 précité aux travailleuses vise également les contrats de travail temporaires. Sur ce point, toutefois, il ne nous semble pas qu’il puisse exister de doutes: ni la teneur littérale ni la finalité claire de la disposition ne permettent de déceler une exclusion de ces contrats de son champ d’application. De ce fait, toute travailleuse mère – que son contrat soit à durée déterminée ou à durée indéterminée – jouit de la protection prévue par la directive; il nous semble qu’à ce sujet un accord en substance se vérifie entre les parties intervenues dans la présente procédure.

45 Nous devons ajouter du reste que l’interdiction du licenciement des salariées mères est assurée également par la directive 76/207 précitée qui, comme nous l’avons annoncé ci-dessus, interdit toute discrimination fondée sur le sexe, également pour ce qui concerne les conditions inhérentes au licenciement.

46 Une confirmation de ce qui précède vient également de la jurisprudence communautaire. La Cour de justice a en effet précisé que, dans la mesure où il ne peut concerner que les femmes, le licenciement motivé par l’état de grossesse ou pour une raison fondée uniquement sur cet état constitue une discrimination directe fondée sur le sexe et il est contraire aux articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207. En se référant spécifiquement à la disposition dont l’interprétation est à présent demandée, la Cour a affirmé que: «c’est précisément en considération du risque qu’un éventuel licenciement fait peser sur la situation physique et psychique des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, y compris du risque particulièrement grave d’inciter la travailleuse enceinte à interrompre volontairement sa grossesse, que le législateur communautaire a, en vertu de l’article 10 de la directive 92/85 du Conseil, du 19 octobre 1992, (…) prévu ultérieurement une protection particulière pour la femme en édictant l’interdiction de licenciement pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité. En effet, l’article 10 de la directive 92/85 n’a prévu aucune exception ou dérogation à l’interdiction de licenciement de la femme enceinte (…)» (13).

47 En conclusion, les salariées mères jouissent d’une double protection des droits liés aux contrats de travail: une protection de portée plus générale découlant de l’interdiction de discrimination fondée sur le sexe, énoncée par la directive 76/207, et une protection plus spécifique offerte par la directive 92/85 dont l’article 10 prévoit l’interdiction de licenciement.

48 Donc après avoir précisé que l’interdiction de licenciement des travailleuses mères s’applique tant aux contrats de travail à durée déterminée qu’à ceux à durée indéterminée, nous abordons à présent l’examen de l’autre partie de la troisième question. Il s’agit ici, en substance, d’établir si la protection offerte par l’article 10 de la directive 92/85 implique également l’interdiction de refuser à une travailleuse enceinte le renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée dans les mêmes conditions que les contrats précédents.

49 Étant donné que cette disposition limite très clairement la protection des salariées mères aux cas de licenciement, une réponse affirmative à la question posée ne serait possible que si on pouvait assimiler le non-renouvellement du contrat de travail temporaire à un licenciement. Mais une telle assimilation nous semblerait vraiment hasardeuse parce que l’expiration normale du contrat à son terme, si elle est conforme à la législation nationale de l’État membre, ne saurait être assimilée en soi à la rupture du contrat de travail provoquée par le licenciement. La protection offerte par la directive 92/85 tend à garantir le «maintien des droits liés au contrat de travail» et, partant, présuppose manifestement que le contrat existe, ce qui n’est évidemment pas le cas s’il est venu à échéance. Donc s’il est vrai qu’un contrat de travail ne saurait être interrompu en raison de la maternité de la salariée, il n’en va pas de même dans le cas où le contrat aurait cessé à la suite de l’arrivée normale du terme. Dans ce cas, l’article 10 de la directive ne peut avoir aucune incidence.

50 Cela dit toutefois le sujet ne peut être considéré comme clos parce que la question posée doit être appréciée aussi selon la directive 76/207. Comme l’a en effet observé la Commission tant dans ses observations écrites qu’à l’audience, le défaut de renouvellement d’un contrat temporaire pour des motifs liés à l’état de grossesse de la travailleuse, dans la mesure où il équivaut au refus d’embauche, pourrait constituer une discrimination fondée sur le sexe, interdite par les articles 2 et 3 de la directive 76/207. En d’autres termes, et si on la comprend bien, la Commission reconnaît que l’article 10 de la directive 92/85 n’est pas applicable au cas du non-renouvellement d’un contrat temporaire, mais elle estime en tout état de cause qu’il peut être fait référence à cet égard aux dispositions de la directive 76/207.

51 La Commission a évoqué au soutien de sa thèse les arrêts Dekker et Silke-Karin Mahlburg. Dans le premier, la Cour a affirmé, à propos d’un contrat de travail à durée indéterminée, qu’un refus d’engagement en raison de la grossesse d’une travailleuse jugée apte à exercer l’activité concernée constitue une discrimination directe fondée sur le sexe et interdite par les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 76/207 (14). Dans l’arrêt Silke-Karin Mahlburg plus récent, concernant le cas d’une salariée à durée déterminée auprès d’un hôpital qui avait demandé à être engagée selon un contrat à durée indéterminée pour un poste qui s’était rendu entre-temps vacant, la Cour a ensuite précisé que ces dispositions s’opposent «au refus d’engager une femme enceinte pour un emploi à durée indéterminée au motif qu’une interdiction légale de travail attachée à cet état fait obstacle, pour la durée de sa grossesse, à ce qu’elle occupe dès le départ ledit emploi» (15).

52 Bien que la jurisprudence évoquée concerne des cas de refus d’engagement à des emplois à durée indéterminée, il nous semble qu’effectivement elle offre des éléments utiles aussi dans le cas d’un contrat de travail à durée déterminée. S’il est vrai en effet que le défaut de renouvellement d’un contrat de travail qui a pris fin en raison de la survenance du terme ne saurait être considéré comme un licenciement et qu’il ne saurait non plus être assimilé automatiquement à un refus d’engagement d’une candidate en raison de son état de grossesse, il ne peut néanmoins pas être exclu que de fait cela puisse être la véritable cause du refus. En particulier, le défaut de renouvellement d’un contrat qui s’insère dans une série de contrats temporaires successifs peut laisser supposer à plus forte raison l’existence d’une motivation de ce genre.

53 S’il devait donc s’avérer que le non-renouvellement a été déterminé uniquement par l’état de grossesse de la travailleuse, on pourra alors supposer qu’il s’agit d’une discrimination directe fondée sur le sexe, interdite par la directive 76/207. Naturellement, la vérification de cette discrimination ne pourra être opérée que par la juridiction nationale à la lumière des éléments de fait et de droit dont elle dispose.

54 D’après ces considérations, nous proposons donc de répondre à la troisième question posée par le Juzgado de lo Social dans le sens que l’interdiction de licenciement prévue par l’article 10 de la directive 92/85 en faveur des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes s’applique aussi bien aux contrats de travail à durée indéterminée qu’a ceux à durée déterminée. Même s’il s’insère dans une série de contrats successifs, le défaut de renouvellement d’un contrat de travail temporaire en raison de la survenance du terme prévu ne saurait en revanche être assimilé en soi à un licenciement interdit par l’article 10 précité à moins qu’il n’ait été motivé justement par l’état de grossesse de la travailleuse; dans ce cas, en effet, il s’agirait d’une discrimination directe fondée sur le sexe, interdite par les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 76/207. Il incombe à la juridiction nationale d’établir, à la lumière des éléments de fait et de droit dont elle dispose, l’éventuelle existence de cette discrimination.

Sur la quatrième question

55 Avec la quatrième question, enfin, le Juzgado de lo Social veut savoir si le fait que l’article 10, paragraphe 1, de la directive 92/85/CEE prévoit que le licenciement dans des cas exceptionnels d’une travailleuse protégée doit avoir lieu «pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord» signifie que les États membres sont obligés de prévoir une procédure spéciale qui permette à l’autorité compétente publique de donner son accord au licenciement. Le juge national est en effet d’avis que s’il en était ainsi, la requérante dans l’instance principale aurait été privée de cette garantie, avec la conséquence que le licenciement devrait être considéré comme nul, même indépendamment du fait que l’employeur puisse prouver ne pas l’avoir décidé en raison de l’état de grossesse de la travailleuse.

56 La requérante a attribué une importance particulière à ce point dans ses observations écrites et à l’audience, en soutenant que la directive impose l’obligation précitée dans le but évident d’instaurer un contrôle préalable de l’existence d’une cause de licenciement admise par l’article 10 de la directive. Une telle constatation ne devrait pas être confiée à l’employeur, partie au litige, mais à une autorité étrangère à l’affaire et impartiale qui pourrait être définie comme l’autorité judiciaire compétente pour les litiges en matière de droit du travail.

57 Cette position est cependant restée isolée; tant la Commission que les États qui ont déposé leurs observations estiment en effet qu’il faut répondre négativement à la question, parce que la directive n’imposerait nullement l’obligation d’obtenir une autorisation préalable de la part d’une autorité nationale expressément compétente. En particulier, le gouvernement irlandais souligne qu’une obligation de ce type, en entraînant des changements importants dans l’ordre juridique de chaque État membre et en affectant le principe de l’autonomie de ceux-ci pour organiser leurs systèmes procéduraux, aurait requis une disposition claire et explicite qui est au contraire totalement absente dans la directive.

58 En effet, rien dans la directive ne conforte la thèse de la requérante, à commencer par le texte lui-même de la disposition, vu que la phrase «pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord» est précédée par l’expression «et, le cas échéant» qui confirme bien la simple éventualité de la condition. En réalité, comme l’a rappelé la Commission, la référence à l’accord de l’autorité compétente trouve son origine dans le fait que dans certaines législations nationales des procédures de ce genre sont effectivement prévues (16), de sorte que, justement pour tenir compte de cette donnée, l’article 10 de la directive prescrit, (seulement) dans le cas où il existe au niveau national une procédure spécifique qui exige pour le licenciement l’accord préalable de l’autorité compétente, que celui-ci soit effectivement intervenu.

59 A la lumière de ces considérations, nous proposons de répondre à la quatrième question dans le sens que l’article 10, paragraphe 1, de la directive 92/85 n’impose pas aux États membres d’instaurer une procédure spéciale par laquelle l’autorité nationale compétente manifesterait, dans les cas exceptionnels autorisés, son accord préalable au licenciement d’une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante demandé par l’employeur.

Conclusions

60 Sur la base des conclusions qui précèdent, nous proposons de répondre comme suit aux questions soulevées par le Juzgado de lo Social:

«1. L’article 10 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE, en prévoyant que les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, impose une obligation claire, précise et inconditionnelle, apte à conférer des droits que les particuliers peuvent faire valoir devant la juridiction nationale.

2. L’article 10, paragraphe 1, de la directive 92/85 n’oblige pas les États membres à introduire dans la législation nationale, parallèlement au régime général de résiliation des contrats de travail, un autre régime spécial, exceptionnel, plus limité et exprès pour les cas dans lesquels la travailleuse est enceinte, accouchée ou allaitante.

3. L’interdiction de licenciement prévue dans l’article 10 de la directive 92/85 en faveur des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes s’applique tant aux contrats de travail à durée indéterminée qu’à ceux à durée déterminée. Même s’il s’insère dans une série de contrats successifs, le non-renouvellement d’un contrat de travail temporaire en raison de la survenance du terme prévu, ne peut en revanche être assimilé en soi à un licenciement interdit par l’article 10 précité, à moins que celui-ci ne soit motivé précisément par l’état de grossesse de la travailleuse; dans ce cas, en effet, il s’agirait d’une discrimination directe fondée sur le sexe, interdite par les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 76/207. Il incombe à la juridiction nationale d’établir, à la lumière des éléments de fait et de droit dont elle dispose, l’éventuelle existence de cette discrimination.

4. L’article 10, paragraphe 1, de la directive 92/85 n’impose pas aux États membres d’instituer une procédure spéciale par laquelle l’autorité nationale compétente donnerait, dans les cas exceptionnels autorisés, son accord préalable au licenciement d’une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante demandé par l’employeur».

(1) – JO L 348, p. 1.

(2) – Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO L 183, p. 1).

(3) – Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

(4) – Approuvé par la loi n_ 8/80, du 10 mars 1980 (BOE du 14 mars 1980) et modifié par le décret royal législatif 1/1995 du 24 mars 1995 (BOE du 29 mars 1995).

(5) – Approuvée par décret royal législatif n_ 521/1990 du 27 avril 1990 (BOE du 2 mai 1990).

(6) – Loi n_ 39 du 28 octobre 1999 (BOE du 6 novembre 1999).

(7) – Arrêt du 13 juillet 2000, Idéal Tourisme, C-36/99 (Rec. p. I-6049, point 20). Dans le même sens, voir parmi de nombreux autres, les arrêts du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co, C-437/97 (Rec. p. I-1157, point 52); 15 juin 1999, Tarantik, C-421/97 (Rec. p. I-3633, point 33); 15 décembre 1995, Bosman, C-415/93 (Rec. p. I-4921, point 59); 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89 (Rec. p. I-3277, point 49).

(8) – Voir parmi de nombreux autres, l’arrêt du 26 février 1986, Marshall, C-152/84 (Rec. p. 723).

(9) – En application de cette disposition, les travailleuses doivent pouvoir bénéficier d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

(10) – Arrêts du 14 juillet 1994, C-32/93 (Rec. p. I-3567, points 21 et 22) et du 30 juin 1998, C-394/96 (Rec. p. I-4185, point 18).

(11) – Arrêt Brown précité, point 18.

(12) – L’article 15 de l’Estatuto de los Trabajadores prévoit que les contrats temporaires conclus illégalement sont considérés comme étant conclus pour une durée indéterminée.

(13) – Arrêt Brown, précité, point 18.

(14) – Arrêt du 8 novembre 1990, C-177/88 (Rec. p. I-3941).

(15) – Arrêt du 3 février 2000, C-207/98 (Rec. p. I-549, point 30).

(16) – Cela se produit en particulier, comme il ressort du rapport de la Commission sur la transposition de la directive 92/85/CEE [(COM 1999) 100 fin. du 15 mars 1999] au Portugal, en Grèce et en République fédérale d’Allemagne.

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CJCE, n° C-438/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Maria Luisa Jiménez Melgar contre Ayuntamiento de Los Barrios, 7 juin 2001