CJCE, n° C-13/05, Arrêt de la Cour, Sonia Chacón Navas contre Eurest Colectividades SA, 11 juillet 2006

  • Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail·
  • Cee/ce - politique sociale * politique sociale·
  • Principes, objectifs et missions des traités·
  • Principe d'égalité et de non-discrimination·
  • Directive 2000/78 ) 4. politique sociale·
  • Directive 2000/78 3. politique sociale·
  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Sources du droit communautaire·
  • Ordre juridique communautaire·
  • Limites 2. politique sociale

Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Affaire C-13/05

Sonia Chacón Navas

contre

Eurest Colectividades SA

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Juzgado de lo Social nº 33 de Madrid)

«Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Notion de handicap»

Conclusions de l’avocat général M. L. A. Geelhoed, présentées le 16 mars 2006

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 11 juillet 2006

Sommaire de l’arrêt

1. Questions préjudicielles — Compétence de la Cour — Limites

(Art. 234 CE)

2. Politique sociale — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 1er)

3. Politique sociale — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 2, § 1, et 3, § 1, c))

4. Politique sociale — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 1er)

1. Dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer.

Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles, il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

(cf. points 32-33)

2. Une personne qui a été licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

En effet, bien que la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 doive être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle, une assimilation pure et simple des notions de «handicap» et de «maladie» est exclue. En utilisant la notion de «handicap» à l’article 1er de ladite directive, le législateur a délibérément choisi un terme qui diffère de celui de «maladie». En outre, l’importance accordée par le législateur communautaire aux mesures destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap démontre qu’il a envisagé des hypothèses dans lesquelles la participation à la vie professionnelle est entravée pendant une longue période. Pour que la limitation relève de la notion de «handicap», il doit donc être probable qu’elle soit de longue durée.

En tout état de cause, la directive 2000/78 ne comporte aucune indication laissant entendre que les travailleurs sont protégés au titre de l’interdiction de discrimination fondée sur le handicap dès qu’une maladie quelconque se manifeste.

(cf. points 43-47, disp. 1)

3. L’interdiction, en matière de licenciement, de la discrimination fondée sur le handicap, inscrite aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, s’oppose à un licenciement fondé sur un handicap qui, compte tenu de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, n’est pas justifié par le fait que la personne concernée n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles de son poste.

(cf. point 51, disp. 2)

4. La maladie en tant que telle ne peut être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, interdit toute discrimination.

Aucune disposition du traité ne contient une interdiction de la discrimination fondée sur une maladie en tant que telle. En ce qui concerne le principe général de non-discrimination, celui-ci lie les États membres lorsque la situation nationale en cause dans l’affaire au principal relève du champ d’application du droit communautaire. Toutefois, il n’en résulte pas que le champ d’application de la directive 2000/78 doive être étendu par analogie au-delà des discriminations fondées sur les motifs énumérés de manière exhaustive à l’article 1er de celle-ci.

(cf. points 54, 56-57, disp. 3)

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

11 juillet 2006 (*)

«Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Notion de handicap»

Dans l’affaire C-13/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de lo Social n° 33 de Madrid (Espagne), par décision du 7 janvier 2005, parvenue à la Cour le 19 janvier 2005, dans la procédure

Sonia Chacón Navas

contre

Eurest Colectividades SA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Schiemann et J. Makarczyk, présidents de chambre, M. J.-P. Puissochet, Mme N. Colneric (rapporteur), MM. K. Lenaerts, P. Kūris, E. Juhász, E. Levits et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

– pour Eurest Colectividades SA, par Me M. R. Sanz García-Muro, abogada,

– pour le gouvernement espagnol, par M. E. Braquehais Conesa, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme C. White, en qualité d’agent, assistée de M. T. Ward, barrister,

– pour la Commission des Communautés européennes, par Mme I. Martinez del Peral Cagigal et M. D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mars 2006,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, en ce qui concerne la discrimination fondée sur un handicap, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16), et, subsidiairement, sur une interdiction éventuelle d’une discrimination fondée sur la maladie.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Chacón Navas à la société Eurest Colectividades SA (ci-après «Eurest») au sujet d’un licenciement intervenu lors d’un arrêt de travail pour cause de maladie.

Le cadre juridique et réglementaire

La réglementation communautaire

3 L’article 136, premier alinéa, CE dispose:

«La Communauté et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.»

4 L’article 137, paragraphes 1 et 2, CE confère à la Communauté des compétences pour soutenir et compléter l’action des États membres en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 136 CE, notamment dans les domaines de l’intégration des personnes exclues du marché du travail et de la lutte contre l’exclusion sociale.

5 La directive 2000/78 a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE dans sa version antérieure au traité de Nice qui prévoit:

«Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.»

6 L’article 1er de la directive 2000/78 dispose:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

7 Cette directive énonce dans ses considérants:

«(11) La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

(12) À cet effet, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines régis par la présente directive doit être interdite dans la Communauté. […]

[…]

(16) La mise en place de mesures destinées à tenir compte des besoins des personnes handicapées au travail remplit un rôle majeur dans la lutte contre la discrimination fondée sur un handicap.

(17) La présente directive n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée soit recrutée, promue ou reste employée ou qu’une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées.

[…]

(27) Le Conseil, dans sa recommandation 86/379/CEE du 24 juillet 1986 sur l’emploi des handicapés dans la Communauté [JO L 225, p. 43], a établi un cadre d’orientation qui énumère des exemples d’actions positives visant à promouvoir l’emploi et la formation des personnes handicapées et, dans sa résolution du 17 juin 1999 sur l’égalité des chances en matière d’emploi pour les personnes handicapées, a affirmé l’importance d’accorder une attention particulière notamment au recrutement, au maintien dans l’emploi et à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie des personnes handicapées.»

8 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78 prévoit:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1:

a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que:

i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que

ii) dans le cas des personnes d’un handicap donné, l’employeur ou toute personne ou organisation auquel s’applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l’article 5 afin d’éliminer les désavantages qu’entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique.»

9 Aux termes de l’article 3 de cette directive:

«1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

[…]»

10 L’article 5 de ladite directive dispose:

«Afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée dans l’État membre concerné en faveur des personnes handicapées.»

11 La charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée lors de la réunion du Conseil européen tenue à Strasbourg le 9 décembre 1989, à laquelle l’article 136, paragraphe 1, CE fait référence, énonce à son point 26:

«Toute personne handicapée, quelles que soient l’origine et la nature de son handicap, doit pouvoir bénéficier de mesures additionnelles concrètes visant à favoriser son intégration professionnelle et sociale.

Ces mesures d’amélioration doivent notamment concerner, en fonction des capacités des intéressés, la formation professionnelle, l’ergonomie, l’accessibilité, la mobilité, les moyens de transport et le logement.»

La réglementation nationale

12 Aux termes de l’article 14 de la Constitution espagnole:

«Les Espagnols sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion, ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.»

13 Le décret royal législatif n° 1/1995, du 24 mars 1995, portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores, BOE n° 75, du 29 mars 1995, p. 9654, ci-après le «statut des travailleurs»), opère une distinction entre le licenciement irrégulier et le licenciement nul.

14 L’article 55, paragraphes 5 et 6, du statut des travailleurs dispose:

«5. Est réputé nul tout licenciement ayant pour motif l’une des causes de discrimination prohibées par la Constitution ou par la loi, ou entraînant une violation des droits fondamentaux et des libertés publiques reconnus aux travailleurs.

[…]

6. Un licenciement nul a pour effet la réintégration immédiate du travailleur, avec versement des salaires non perçus.»

15 Il découle de l’article 56, paragraphes 1 et 2, du statut des travailleurs que, en cas de licenciement irrégulier, à moins que l’employeur ne décide de le réintégrer, le travailleur perd son travail et une indemnité lui est versée.

16 En ce qui concerne l’interdiction de discrimination dans les relations de travail, l’article 17 du statut des travailleurs, dans sa version modifiée par la loi 62/2003, du 30 décembre 2003, établissant des mesures fiscales, administratives et d’ordre social (BOE n° 313, du 31 décembre 2003, p. 46874), qui vise à transposer la directive 2000/78 en droit espagnol, dispose:

«1. Sont réputés nuls et de nul effet les dispositions réglementaires, les clauses des conventions collectives, les contrats individuels et les décisions unilatérales de l’employeur qui créent directement ou indirectement des discriminations négatives fondées sur l’âge ou un handicap ou bien positives ou négatives en matière d’emploi, de rémunération, de temps de travail et autres conditions de travail fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, l’état civil, la situation sociale, la religion ou les convictions, les opinions politiques, l’orientation sexuelle, l’adhésion ou la non-adhésion à des syndicats et à leurs accords, les liens de parenté avec d’autres travailleurs de l’entreprise et la langue dans l’État espagnol.

[…]».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17 Mme Chacón Navas travaillait pour Eurest, société spécialisée dans la restauration collective. Elle a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie le 14 octobre 2003 et, selon les services publics de santé qui la suivaient, elle n’était pas en mesure de reprendre son activité professionnelle à court terme. Aucune indication sur la maladie dont souffre Mme Chacón Navas n’est donnée par la juridiction de renvoi.

18 Le 28 mai 2004, Eurest a notifié à Mme Chacón Navas son licenciement, sans avancer de cause, tout en reconnaissant le caractère irrégulier de celui-ci et en lui offrant une indemnisation.

19 Le 29 juin 2004, Mme Chacón Navas a introduit un recours contre Eurest, soutenant que son licenciement était nul en raison de l’inégalité de traitement et de la discrimination dont elle avait fait l’objet, lesquelles résultaient de la situation d’arrêt de travail dans laquelle elle se trouvait depuis huit mois. Elle a demandé la condamnation d’Eurest à la réintégrer dans son poste.

20 La juridiction de renvoi relève que, faute d’autre allégation ou preuve dans le dossier, il résulte du renversement de la charge de preuve que Mme Chacón Navas doit être considérée comme ayant été licenciée au seul motif qu’elle était en arrêt de travail pour cause de maladie.

21 La juridiction de renvoi fait observer que, dans la jurisprudence espagnole, il existe des précédents selon lesquels ce type de licenciement est qualifié d’irrégulier et non pas de nul, dès lors que la maladie ne figure pas, en droit espagnol, expressément parmi les motifs de discrimination prohibés dans les relations entre personnes privées.

22 Toutefois, la juridiction de renvoi relève qu’il existe un lien de causalité entre la maladie et le handicap. Pour définir le terme «handicap», il conviendrait de s’en remettre à la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), établie par l’Organisation mondiale de la santé. Il en ressortirait que le terme «handicap» est un terme générique qui comprend les déficiences et les facteurs limitant l’activité et la participation à la vie sociale. La maladie pourrait entraîner des déficiences qui handicaperont l’individu.

23 Étant donné que la maladie est souvent susceptible d’entraîner un handicap irréversible, la juridiction de renvoi estime que les travailleurs doivent être protégés en temps utile au titre de l’interdiction de la discrimination fondée sur le handicap.
Une solution inverse viderait de sa substance la protection voulue par le législateur puisqu’il serait ainsi possible de mettre en œuvre des pratiques discriminatoires incontrôlées.

24 Au cas où l’on considérerait que le handicap et la maladie sont deux concepts différents et que la réglementation communautaire n’est pas d’application directe au dernier de ceux-ci, la juridiction de renvoi suggère de constater que la maladie constitue un signe identitaire non spécifiquement cité qui doit s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination. Cette constatation découlerait d’une lecture conjointe des articles 13 CE, 136 CE et 137 CE ainsi que des dispositions de l’article II-21 du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe.

25 C’est dans ces circonstances que le Juzgado de lo Social n° 33 de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) En tant que son article [1er] établit un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur le handicap, la directive 2000/78 protège-t-elle une travailleuse qui a été licenciée de son entreprise uniquement parce qu’elle était malade?

2) Subsidiairement, en cas de réponse négative à la première question, s’il était considéré que la maladie n’entre pas dans le cadre protecteur que la directive 2000/78 offre contre les discriminations fondées sur le handicap:

La maladie peut-elle être considérée comme un signe identitaire supplémentaire venant s’ajouter à ceux pour lesquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination?»

Sur la recevabilité du renvoi préjudiciel

26 La Commission met en doute la recevabilité des questions posées au motif que les faits décrits dans la décision de renvoi manquent de précision.

27 À cet égard, il y a lieu de relever que, malgré l’absence de toute indication sur la nature et l’évolution éventuelle de la maladie de Mme Chacón Navas, la Cour dispose des éléments suffisants pour lui permettre de répondre utilement aux questions posées.

28 En effet, il ressort de la décision de renvoi que Mme Chacón Navas, qui a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie et qui n’était pas en mesure de reprendre son activité professionnelle à court terme, a, selon la juridiction de renvoi, été licenciée au seul motif qu’elle était en arrêt de travail pour cause de maladie. Il ressort également de cette décision que la juridiction de renvoi estime qu’il existe un lien de causalité entre la maladie et le handicap et qu’un travailleur dans la situation de Mme Chacón Navas doit être protégé au titre de l’interdiction des discriminations fondées sur le handicap.

29 La question posée à titre principal porte notamment sur l’interprétation de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78. L’interprétation que donnera la Cour de cette notion vise à permettre à la juridiction de renvoi d’examiner si Mme Chacón Navas était, au moment du licenciement, du fait de sa maladie, une personne handicapée au sens de cette directive, bénéficiant de la protection prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous c), de celle-ci.

30 En ce qui concerne la question posée à titre subsidiaire, celle-ci se réfère à la maladie en tant que «signe identitaire» et porte donc sur tout type de maladie.

31 Eurest estime que le renvoi préjudiciel n’est pas recevable dès lors que les juridictions espagnoles, notamment le Tribunal Supremo, auraient déjà décidé dans le passé, en tenant compte de la réglementation communautaire, que le licenciement d’un travailleur en arrêt de travail pour cause de maladie ne constitue pas en tant que tel une discrimination. Toutefois, le fait qu’une juridiction nationale a déjà interprété une réglementation communautaire ne saurait rendre irrecevable un renvoi préjudiciel.

32 En ce qui concerne l’argument d’Eurest selon lequel il y a lieu de considérer que cette entreprise a licencié Mme Chacón Navas, indépendamment du fait que cette dernière était en arrêt de travail pour cause de maladie, parce que, à ce moment-là, ses services n’étaient plus indispensables, il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 25 février 2003, IKA, C-326/00, Rec.
p. I-1703, point 27, et du 12 avril 2005, Keller, C-145/03, Rec. p. I-2529, point 33).

33 Toutefois, la Cour a également indiqué que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, Rec. p. 3045, point 21). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 39, et du 19 février 2002, Arduino, C-35/99, Rec. p. I-1529, point 25).

34 En l’occurrence, aucune de ces conditions n’étant réunie, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

35 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le cadre général établi par la directive 2000/78 pour lutter contre la discrimination fondée sur le handicap assure une protection à une personne qui a été licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie.

36 Ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, celle-ci s’applique, dans les limites des compétences conférées à la Communauté, à toutes les personnes, en ce qui concerne notamment les conditions de licenciement.

37 Dans ces limites, le cadre général établi par la directive 2000/78 pour lutter contre la discrimination fondée sur le handicap s’applique donc en matière de licenciement.

38 En vue de répondre à la question posée, il convient, premièrement, d’interpréter la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 et, deuxièmement, d’examiner dans quelle mesure les personnes handicapées sont protégées par celle-ci, en ce qui concerne le licenciement.

Sur la notion de «handicap»

39 La notion de «handicap» n’est pas définie par la directive 2000/78 elle-même. Cette directive ne renvoie pas non plus au droit des États membres pour la définition de cette notion.

40 Or, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 11, et du 9 mars 2006, Commission/Espagne, C-323/03, non encore publié au Recueil, point 32).

41 Ainsi qu’il ressort de son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet d’établir un cadre général pour lutter, en ce qui concerne l’emploi et le travail, contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à cet article, au nombre desquels figure le handicap.

42 Compte tenu de cet objectif, la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 doit, conformément à la règle rappelée au point 40 du présent arrêt, faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme.

43 La directive 2000/78 vise à combattre certains types de discriminations en ce qui concerne l’emploi et le travail. Dans ce contexte, la notion de «handicap» doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle.

44 Toutefois, en utilisant la notion de «handicap» à l’article 1er de ladite directive, le législateur a délibérément choisi un terme qui diffère de celui de «maladie». Une assimilation pure et simple des deux notions est donc exclue.

45 Le seizième considérant de la directive 2000/78 énonce que la «mise en place de mesures destinées à tenir compte des besoins des personnes handicapées au travail remplit un rôle majeur dans la lutte contre la discrimination fondée sur le handicap».
L’importance accordée par le législateur communautaire aux mesures destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap démontre qu’il a envisagé des hypothèses dans lesquelles la participation à la vie professionnelle est entravée pendant une longue période. Pour que la limitation relève de la notion de «handicap», il doit donc être probable qu’elle soit de longue durée.

46 La directive 2000/78 ne comporte aucune indication laissant entendre que les travailleurs sont protégés au titre de l’interdiction de discrimination fondée sur le handicap dès qu’une maladie quelconque se manifeste.

47 Il résulte des considérations qui précèdent qu’une personne qui a été licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la directive 2000/78.

Sur la protection des personnes handicapées en matière de licenciement

48 Un traitement désavantageux fondé sur le handicap ne va à l’encontre de la protection visée par la directive 2000/78 que pour autant qu’il constitue une discrimination au sens de l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci.

49 Selon son dix-septième considérant, la directive 2000/78 n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné soit recrutée, promue ou reste employée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées.

50 Conformément à l’article 5 de la directive 2000/78, des aménagements raisonnables sont prévus afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées. Cette disposition précise que cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée.

51 L’interdiction, en matière de licenciement, de la discrimination fondée sur le handicap, inscrite aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, s’oppose à un licenciement fondé sur un handicap qui, compte tenu de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, n’est pas justifié par le fait que la personne concernée n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles de son poste.

52 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question posée que:

– une personne qui a été licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la directive 2000/78;

– l’interdiction, en matière de licenciement, de la discrimination fondée sur le handicap, inscrite aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, s’oppose à un licenciement fondé sur le handicap qui, compte tenu de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, n’est pas justifié par le fait que la personne concernée n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles de son poste.

Sur la seconde question

53 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si la maladie peut être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination.

54 À cet égard, il convient de constater qu’aucune disposition du traité CE ne contient une interdiction de la discrimination fondée sur une maladie en tant que telle.

55 En ce qui concerne l’article 13 CE ainsi que l’article 137 CE, lu en combinaison avec l’article 136 CE, ils ne comportent qu’une réglementation des compétences de la Communauté. Par ailleurs, au-delà de la discrimination fondée sur un handicap, l’article 13 CE ne vise pas celle fondée sur une maladie en tant que telle et ne saurait donc même constituer un fondement juridique de mesures du Conseil visant à combattre une telle discrimination.

56 Certes, au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire figure notamment le principe général de non-discrimination. Celui-ci lie donc les États membres lorsque la situation nationale en cause dans l’affaire au principal relève du champ d’application du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2002, Rodríguez Caballero, C-442/00, Rec. p. I-11915, points 30 et 32, ainsi que du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p.
I-5659, point 75 et jurisprudence citée). Toutefois, il n’en résulte pas que le champ d’application de la directive 2000/78 doive être étendu par analogie au-delà des discriminations fondées sur les motifs énumérés de manière exhaustive à l’article 1er de celle-ci.

57 Il convient, par conséquent, de répondre à la seconde question que la maladie en tant que telle ne peut être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) Une personne qui a été licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

2) L’interdiction, en matière de licenciement, de la discrimination fondée sur le handicap, inscrite aux articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78, s’oppose à un licenciement fondé sur le handicap qui, compte tenu de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées, n’est pas justifié par le fait que la personne concernée n’est pas compétente, ni capable, ni disponible pour remplir les fonctions essentielles de son poste.

3) La maladie en tant que telle ne peut être considérée comme un motif venant s’ajouter à ceux au titre desquels la directive 2000/78 interdit toute discrimination.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CJCE, n° C-13/05, Arrêt de la Cour, Sonia Chacón Navas contre Eurest Colectividades SA, 11 juillet 2006