CJUE, n° C-718/21, Arrêt de la Cour, L.G. contre Krajowa Rada Sądownictwa, 21 décembre 2023

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 21 déc. 2023, C-718/21
Numéro(s) : C-718/21
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2023.#L.G. contre Krajowa Rada Sądownictwa.#Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Critères – Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Renvoi préjudiciel émanant d’une formation de jugement n’ayant pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Irrecevabilité.#Affaire C-718/21.
Précédents jurisprudentiels : 15 juillet 2021, Commission/Pologne ( Régime disciplinaire des juges ), C-791/19, EU:C:2021:596
22 novembre 2018 dans l' affaire C-824/18, A. B. e.a.
29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235
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Cour du 19 novembre 2019, A. K. e.a. ( Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême ) ( C-585/18, C-624/18 et C-625/18, EU:C:2019:982
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l' arrêt du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( CE:ECHR:2021:1108JUD004986819
Identifiant CELEX : 62021CJ0718
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2023:1015
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Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 décembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Critères – Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Renvoi préjudiciel émanant d’une formation de jugement n’ayant pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Irrecevabilité »

Dans l’affaire C-718/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques), Pologne], par décision du 20 octobre 2021, parvenue à la Cour le 26 novembre 2021, dans la procédure

L. G.

contre

Krajowa Rada Sądownictwa,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, Mmes A. Prechal (rapporteure), K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, S. Rodin, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 novembre 2022,

considérant les observations présentées :

pour L. G., par lui-même,

pour la Krajowa Rada Sądownictwa, par Mmes A. Dalkowska, J. Kołodziej-Michałowicz, D. Pawełczyk-Woicka et M. P. Styrna,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet, M. Jacobs, L. van den Broeck et M. van Regemorter, en qualité d’agents,

pour le gouvernement danois, par Mmes V. Pasternak Jørgensen et M. Søndahl Wolff, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et P. P. Huurnink, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant L. G. à la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la « KRS ») au sujet d’une décision de non-lieu à statuer sur la demande de L. G. d’être autorisé à continuer d’exercer ses fonctions de juge au-delà de l’âge normal du départ à la retraite.

Le cadre juridique

La Constitution

3

L’article 10 de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne, ci-après la « Constitution ») énonce :

« 1. Le régime politique de la République de Pologne a pour fondement la séparation et l’équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

2. Le Sejm [(Diète, Pologne)] et le Senat [(Sénat, Pologne)] exercent le pouvoir législatif. Le président de la République et le Conseil des ministres exercent le pouvoir exécutif. Les cours et les tribunaux exercent le pouvoir judiciaire. »

4

L’article 45, paragraphe 1, de la Constitution prévoit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sans retard excessif, par un tribunal compétent, indépendant et impartial. »

5

L’article 60 de la Constitution dispose :

« Les citoyens polonais jouissant de la plénitude de leurs droits civiques ont le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques. »

6

Aux termes de l’article 77, paragraphe 2, de la Constitution :

« La loi ne peut fermer à personne la voie judiciaire pour faire valoir ses libertés et ses droits violés. »

7

L’article 179 de la Constitution dispose :

« Les juges sont nommés par le président de la République, sur proposition [de la KRS], pour une durée indéterminée. »

8

L’article 186, paragraphe 1, de la Constitution prévoit :

« La [KRS] est la gardienne de l’indépendance des juridictions et des juges. »

9

L’article 187 de la Constitution énonce :

« 1. La [KRS] est composée :

1)

du Premier président du Sąd Najwyższy [(Cour suprême, Pologne)], du ministre de la Justice, du président du Naczelny Sąd Administracyjny [(Cour suprême administrative, Pologne)] et d’une personne désignée par le président de la République,

2)

de quinze membres élus parmi les juges du Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,

3)

de quatre membres élus par le Sejm [(Diète)] parmi les députés et de deux membres élus par le Senat [(Sénat)] parmi les sénateurs.

[…]

3. Le mandat des membres élus [de la KRS] est de quatre ans.

4. Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail [de la KRS] ainsi que le mode d’élection de ses membres sont définis par la loi. »

La loi sur la Cour suprême

10

L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), est entrée en vigueur le 3 avril 2018. Cette loi a été modifiée à diverses reprises par la suite.

11

La loi sur la Cour suprême a notamment institué, au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), deux nouvelles chambres respectivement dénommées Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) et Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire).

12

Aux termes de l’article 26, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême :

« Relèvent de la compétence de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques les recours extraordinaires, les litiges en matière électorale et les contestations de la validité d’un référendum national ou d’un référendum constitutionnel, la constatation de la validité des élections et des référendums, les autres affaires de droit public, y compris le contentieux de la protection de la concurrence, de la régulation de l’énergie, des télécommunications et du transport ferroviaire, ainsi que les recours dirigés contre les décisions du Przewodniczący Krajowej Rady Radiofonii i Telewizji [(président du Conseil national de la radiotélévision, Pologne)] ou mettant en cause la durée excessive des procédures devant les juridictions ordinaires et militaires de même que devant le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)]. »

La loi sur la KRS

13

Aux termes de l’article 9 bis de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, position 714), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), entrée en vigueur le 17 janvier 2018, et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443), entrée en vigueur le 27 juillet 2018 (ci-après la « loi sur la KRS ») :

« 1. Le Sejm [(Diète)] élit, parmi les juges du Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, 15 membres [de la KRS] pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

[…]

3. Le mandat commun des nouveaux membres [de la KRS], élus parmi les juges, débute dès le lendemain de leur élection. Les membres sortants [de la KRS] exercent leurs fonctions jusqu’au jour où débute le mandat commun des nouveaux membres [de la KRS]. »

14

L’article 37, paragraphe 1, de la loi sur la KRS dispose :

« Si plusieurs candidats ont postulé pour un poste de juge, [la KRS] examine et évalue conjointement toutes les candidatures déposées. Dans cette situation, [la KRS] adopte une résolution comprenant ses décisions quant à la présentation d’une proposition de nomination au poste de juge, à l’égard de tous les candidats. »

15

L’article 43, paragraphe 2, de la loi sur la KRS prévoit :

« Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, celle-ci devient définitive pour la partie comprenant la décision de non-présentation de la proposition de nomination aux fonctions de juge des participants qui n’ont pas introduit de recours, sous réserve des dispositions de l’article 44, paragraphe 1 ter. »

16

La disposition transitoire contenue à l’article 6 de la loi du 8 décembre 2017 portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois est ainsi libellée :

« Le mandat des membres [de la KRS] visés à l’article 187, paragraphe 1, point 2, de la [Constitution], élus sur la base des dispositions actuelles, dure jusqu’au jour précédant le début du mandat des nouveaux membres [de la KRS], sans aller cependant au-delà de 90 jours à compter de la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu’il n’ait antérieurement pris fin en raison de son expiration. »

17

L’article 44 de la loi sur la KRS énonçait :

« 1. Un participant à la procédure peut former un recours devant le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] en raison de l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des dispositions distinctes n’en disposent autrement. […]

1 bis. Dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], il est possible de former un recours devant le Naczelny Sąd Administracyjny [(Cour suprême administrative)]. Dans ces affaires, il n’est pas possible de former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. Le recours devant le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)].

1 ter. Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] et pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une proposition de nomination au poste de juge à cette même Cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.

[…]

4. Dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], l’annulation, par le Naczelny Sąd Administracyjny [(Cour suprême administrative)], de la résolution [de la KRS] portant non-présentation de la proposition de nomination au poste de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] équivaut à l’admission de la candidature du participant à la procédure qui a introduit le recours, pour un poste vacant de juge au sein du Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], poste pour lequel, à la date du prononcé de la décision du Naczelny Sąd Administracyjny [(Cour suprême administrative)], la procédure devant [la KRS] n’a pas pris fin ou, en cas de défaut d’une telle procédure, pour le prochain poste vacant de juge au sein du Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] faisant l’objet d’une publication. »

18

Le paragraphe 1 bis de l’article 44 de la loi sur la KRS a été introduit dans cet article par la loi du 8 décembre 2017 portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois et les paragraphes 1 ter et 4 y ont été introduits par la loi du 20 juillet 2018 portant modifications de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois. Avant l’introduction de ces modifications, les recours visés à ce paragraphe 1 bis étaient formés devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême) conformément au paragraphe 1 de cet article 44.

19

Par un arrêt du 25 mars 2019, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) a déclaré l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS incompatible avec la Constitution, aux motifs, en substance, que la compétence conférée au Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) par ce paragraphe 1 bis n’était justifiée au regard ni de la nature des affaires concernées, ni des caractéristiques organisationnelles de cette juridiction, ni de la procédure appliquée par celle-ci. Dans cet arrêt, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a également indiqué que cette déclaration d’inconstitutionnalité « entraîn[ait] nécessairement la clôture de toutes les procédures juridictionnelles pendantes fondées sur la disposition abrogée ».

20

Par la suite, l’article 44 de la loi sur la KRS a été modifié par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi relative à l’organisation du contentieux administratif), du 26 avril 2019 (Dz. U. de 2019, position 914), entrée en vigueur le 23 mai 2019. Le paragraphe 1 de cet article 44 est désormais libellé comme suit :

« Un participant à la procédure peut former un recours devant le Sąd Najwyższy [(Cour suprême)] en invoquant l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des prescriptions distinctes n’en disposent autrement. Il n’est pas possible de former un recours dans les affaires individuelles se rapportant à la nomination aux fonctions de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)]. »

21

Par ailleurs, l’article 3 de cette loi du 26 avril 2019 a prévu que « [l]es recours contestant les résolutions [de la KRS] dans des affaires individuelles relatives à la nomination aux fonctions de juge au Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], introduits et non jugés avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, font l’objet de plein droit d’un non-lieu à statuer ».

La loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun

22

L’article 69 de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. no 98, position 1070), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :

« 1. Les juges partent à la retraite le jour de leur 65e anniversaire, sauf s’ils adressent [à la KRS], douze mois au plus tôt et six mois au plus tard avant d’atteindre cet âge, une déclaration indiquant leur volonté de continuer à exercer leur fonction et présentent un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que leur état de santé leur permet de siéger.

[…]

1b. La [KRS] peut autoriser un juge à continuer d’exercer ses fonctions, si le maintien dans ses fonctions répond à un intérêt légitime de l’administration de la justice ou à un intérêt social important, compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions. […]

[…] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

23

Par courrier du 30 décembre 2020, L. G., juge au sein du Sąd Okręgowy w K. (tribunal régional de K., Pologne), a informé la KRS de sa volonté de continuer à exercer ses fonctions au-delà du 12 juin 2021, date de son 65e anniversaire.

24

Par une résolution du 18 février 2021, la KRS a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de L. G. après avoir constaté que celle-ci avait été introduite après l’expiration du délai de forclusion visé à l’article 69, paragraphe 1, de la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun.

25

L. G. a formé un recours contre cette résolution devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême).

26

C’est dans ces conditions que le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques)] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose-t-il à une disposition de droit national, telle que celle prévue par l’article 69, paragraphe 1b, première phrase, de [la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun] qui subordonne à l’autorisation d’une autre autorité l’efficacité de la déclaration de volonté d’un juge de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge de la retraite ?

2)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose-t-il à ce qu’une disposition nationale soit interprétée en ce sens que la déclaration tardive par un juge de sa volonté de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge de la retraite ne produit aucun effet, indépendamment des circonstances de l’inobservation du délai et de l’importance que revêt cette inobservation pour la procédure relative à la délivrance d’une autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge ? »

La procédure devant la Cour

27

La Commission ayant, dans ses observations écrites, soulevé des doutes quant à la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ayant introduit la présente demande de décision préjudicielle, la Cour a invité l’ensemble des parties intéressées à débattre de cet aspect à l’occasion de l’audience.

28

Par ordonnance du 3 novembre 2022, parvenue à la Cour le 4 novembre 2022, l’instance de renvoi a fait état de divers éléments qui, selon elle, sont de nature à confirmer qu’elle possède cette qualité. Des éléments analogues à ceux mis en avant par cette instance ont, par ailleurs, également été présentés par la KRS et le gouvernement polonais et débattus durant l’audience devant la Cour.

29

Enfin, les parties intéressées se sont vu offrir, postérieurement à l’audience, la possibilité de formuler par écrit des observations complémentaires quant aux éléments contenus dans l’ordonnance de l’instance de renvoi du 3 novembre 2022. L. G., la KRS, les gouvernements belge et néerlandais ainsi que la Commission ont fait usage de cette faculté.

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

30

La Commission a émis des doutes quant au point de savoir si l’instance de renvoi, en l’occurrence une formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques du Sąd Najwyższy (Cour suprême) (ci-après la « chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ») constituée de trois juges de cette chambre, satisfait aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, en particulier à celle tenant à l’existence d’un tribunal établi préalablement par la loi, qui sont requises d’une instance de renvoi pour que celle-ci puisse revêtir la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.

31

Il ressort des observations écrites de la Commission que les hésitations que nourrit cette institution à cet égard ont, plus précisément, trait, d’une part, à la circonstance que la nomination, le 10 octobre 2018, par le président de la République de Pologne, des trois membres concernés de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques est intervenue sur la base de propositions figurant dans la résolution no 331/2018 adoptée le 28 août 2018 par la KRS (ci-après la « résolution no 331/2018 »), à savoir un organe dont l’indépendance aurait été mise en cause à de nombreuses reprises, y compris dans plusieurs arrêts récents de la Cour. D’autre part, il serait constant, ainsi qu’il ressort notamment de l’arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C-487/19, ci-après l’« arrêt W.Ż. », EU:C:2021:798), que, lorsque sont intervenues ces nominations, cette résolution faisait l’objet d’un recours devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), lequel avait, par ordonnance du 27 septembre 2018, suspendu la force exécutoire de ladite résolution.

32

À cet égard, la Commission relève que, dans l’arrêt du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819) (ci-après l’« arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne »), la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à l’existence d’une violation de l’exigence relative à un « tribunal établi par la loi » énoncée à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), en raison du processus ayant, sur la base de la résolution no 331/2018, conduit à la nomination des membres de deux formations de jugement à trois juges de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques. Elle ajoute que l’une de ces formations comprenait l’un des juges siégeant dans l’instance de renvoi ayant introduit la présente demande de décision préjudicielle.

33

Par ailleurs, la Commission fait valoir que, à la suite de l’arrêt de la Cour du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C-824/18, ci-après l’« arrêt A. B. e.a. », EU:C:2021:153), la résolution no 331/2018 a été annulée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) par un arrêt du 21 septembre 2021.

34

L. G. ainsi que les gouvernements belge et néerlandais partagent, en substance, les doutes exprimés par la Commission.

35

Pour sa part, dans son ordonnance du 3 novembre 2022 mentionnée au point 28 du présent arrêt, l’instance de renvoi a fait état de ce que l’ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 27 septembre 2018 ayant suspendu la force exécutoire de la résolution no 331/2018 n’avait été signifiée ni au président de la République de Pologne, ni aux personnes dont la nomination à un poste de juge à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques était proposée dans cette résolution, les intéressés n’étant, en effet, pas parties au litige pendant devant cette juridiction. Par ailleurs, seul le dispositif de cette ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), indiquant que la force exécutoire de la résolution no 331/2018 était suspendue « dans sa partie contestée », aurait été publié le 28 septembre 2018, les motifs de ladite ordonnance n’ayant été rendus publics que le 19 octobre 2018, soit neuf jours après la nomination des intéressés.

36

Or, selon l’instance de renvoi, au vu des dispositions nationales en vigueur lors de l’introduction du recours contre la résolution no 331/2018 devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), rien n’aurait permis de supposer qu’un tel recours pût conduire à une remise en cause des propositions de nomination des candidats retenus par la KRS dans cette résolution ni, partant, faire obstacle à la nomination de ceux-ci par le président de la République de Pologne. En effet, aux termes de l’article 44, paragraphe 1 ter, de la loi sur la KRS, dans sa version alors en vigueur, si une telle résolution n’était pas contestée par l’ensemble des participants à la procédure, elle devenait définitive et, partant, exécutoire quant à sa partie comprenant les propositions de nomination aux fonctions de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême). De plus, au moment où est intervenue la nomination des juges composant l’instance de renvoi, aucune procédure n’aurait encore été initiée aux fins de faire constater une éventuelle incompatibilité de cette disposition nationale avec le droit de l’Union, des questions préjudicielles n’ayant été adressées à la Cour à ce propos que le 22 novembre 2018 dans l’affaire C-824/18, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours).

37

Quant à l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 21 septembre 2021, il y serait expressément précisé que ses effets ne portent pas sur la validité et l’efficacité des actes présidentiels de nomination aux postes de juge concernés, de tels actes n’étant pas soumis à un contrôle juridictionnel.

38

Enfin, s’agissant de la circonstance que les juges concernés ont été nommés à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques sur la base d’une résolution de la KRS dans sa nouvelle composition résultant de la mise en œuvre de l’article 9 bis de la loi sur la KRS, l’instance de renvoi est d’avis que cette circonstance n’est pas suffisante pour reprocher à ces juges ou à la formation de jugement dans laquelle ils siègent un défaut d’indépendance, ainsi qu’il ressortirait tant de la jurisprudence de la Cour que de celle du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

39

Le gouvernement polonais et la KRS partagent, en substance, les positions ainsi exposées par l’instance de renvoi.

40

Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, et donc pour apprécier si la demande de décision préjudicielle est recevable, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que, entre autres, l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235, point 66 et jurisprudence citée).

41

La Cour a déjà relevé que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) en tant que tel répond aux exigences ainsi rappelées et a précisé, à cet égard, que, pour autant qu’une demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction nationale, il doit être présumé que celle-ci remplit ces exigences indépendamment de sa composition concrète (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235, points 68 et 69).

42

En effet, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre d’une procédure préjudicielle visée à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour, au vu de la répartition des fonctions entre elle et la juridiction nationale, de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires. La Cour doit donc s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant qu’elle n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235, point 70 et jurisprudence citée).

43

La Cour tient également compte, dans ce contexte, de ce que la clef de voûte du système juridictionnel institué par les traités est constituée par la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE qui, en instaurant un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions des États membres, a pour but d’assurer l’unité d’interprétation du droit de l’Union, permettant ainsi d’assurer sa cohérence, son plein effet et son autonomie ainsi que, en dernière instance, le caractère propre du droit institué par les traités (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235, point 71 et jurisprudence citée).

44

Toutefois, la Cour a également précisé, s’agissant d’une formation de jugement à juge unique, que la présomption rappelée au point 41 du présent arrêt peut être renversée lorsqu’une décision judiciaire définitive rendue par une juridiction d’un État membre ou une juridiction internationale conduirait à considérer que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C-132/20, EU:C:2022:235, point 72).

45

À cet égard, il y a lieu de relever, d’emblée, que l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne de la Cour européenne des droits de l’homme et l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 21 septembre 2021, invoqués par la Commission, émanent respectivement d’une juridiction internationale et d’une juridiction d’un État membre et qu’ils revêtent tous deux un caractère définitif. En outre, ces arrêts ont spécifiquement trait aux circonstances dans lesquelles des juges de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ont été nommés sur la base de la résolution no 331/2018.

46

Dans ces conditions, il convient, en l’occurrence, d’examiner si les constats et les appréciations effectués par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, en combinaison avec ceux effectués par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, sont de nature à conduire la Cour, à laquelle il appartient, seule, d’interpréter le droit de l’Union, à considérer, à la lumière de sa propre jurisprudence, que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques l’ayant saisie à titre préjudiciel dans la présente affaire n’a pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, et, en conséquence, que cette formation ne satisfait pas aux exigences rappelées au point 40 du présent arrêt pour pouvoir être qualifiée de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

47

S’agissant, en premier lieu, de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, la Cour européenne des droits de l’homme a commencé par rappeler, aux paragraphes 272 à 280 de cet arrêt, sa jurisprudence selon laquelle la notion de tribunal « établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, dont l’objectif est notamment de préserver le pouvoir judiciaire de toute influence extérieure irrégulière émanant en particulier du pouvoir exécutif, mais également du pouvoir législatif, voire du pouvoir judiciaire lui-même, englobe le respect des règles nationales gouvernant la nomination des juges, lesquelles doivent être rédigées en des termes non équivoques. Elle a, de même, rappelé qu’il résultait de cette jurisprudence que cette notion entretient des liens très étroits avec les garanties d’« indépendance » et d’« impartialité », au sens de cet article 6, paragraphe 1, de la CEDH. En effet, de telles exigences ont, en commun, de tendre au respect des principes fondamentaux de la prééminence du droit et de la séparation des pouvoirs, de sorte que l’examen sous l’angle de l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » doit systématiquement rechercher si l’irrégularité alléguée dans une affaire donnée est d’une gravité telle qu’elle a porté atteinte à ces principes et compromis l’indépendance de la juridiction en question.

48

Au soutien de son constat d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en l’occurrence, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé, en substance, aux paragraphes 281 à 338 de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, que les nominations des membres composant les formations de jugement en cause de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques étaient intervenues en violation manifeste de règles nationales fondamentales gouvernant la procédure de nomination des juges. Elle a fondé ce constat, notamment, sur diverses décisions adoptées par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), à savoir un arrêt du 5 décembre 2019 rendu par la chambre du travail et des assurances sociales de cette juridiction et une résolution du 23 janvier 2020 adoptée conjointement par la chambre civile, la chambre criminelle et la chambre du travail et des assurances sociales de ladite juridiction, tous deux adoptés à la suite de l’arrêt de la Cour du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C-585/18, C-624/18 et C-625/18, EU:C:2019:982), ainsi que l’ordonnance du 21 mai 2019 par lequel cette même juridiction nationale avait saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt W.Ż.

49

À cet égard, d’une part, ainsi qu’il ressort des paragraphes 309 à 312 et 320 de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé l’absence de garanties suffisantes d’indépendance, à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif, de la KRS dans sa nouvelle composition issue de la mise en œuvre de l’article 9 bis de la loi sur la KRS. Elle en a déduit que la nomination des juges concernés à la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, sur la base de la résolution no 331/2018, était intervenue en violation de principes constitutionnels gouvernant le fonctionnement de la KRS, tels les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance du pouvoir judiciaire, de sorte que ces juges ne pouvaient être tenus pour indépendants et impartiaux.

50

D’autre part, la Cour européenne des droits de l’homme s’est référée, aux paragraphes 321 à 338 de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, à la circonstance que la nomination de ces mêmes juges par le président de la République de Pologne était intervenue alors même que la force exécutoire de la résolution no 331/2018 comportant les propositions de nomination des intéressés aux postes à pourvoir au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques avait été suspendue par l’ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 27 septembre 2018.

51

À ce dernier égard, il ressort de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, en particulier de ses paragraphes 330 et 338, que la Cour européenne des droits de l’homme a notamment considéré que des nominations intervenues dans de telles circonstances traduisaient, de la part du pouvoir exécutif, un profond déni de l’autorité, de l’indépendance et du rôle du pouvoir judiciaire et visaient délibérément à empêcher le cours effectif de la justice, de sorte qu’elles devaient être considérées comme étant constitutives d’une violation flagrante de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et étaient manifestement incompatibles avec le principe de l’État de droit.

52

Aux paragraphes 331 à 333 du même arrêt, cette juridiction a, en outre, souligné que la gravité de cette violation était, en l’occurrence, d’autant plus avérée au vu de l’importance fondamentale et du caractère sensible des compétences dont est investie la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques.

53

S’il est vrai que, parmi les six juges composant les formations de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques en cause dans les affaires ayant conduit à l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, un seul d’entre eux siège au sein de la formation de jugement de cette chambre qui a introduit la présente demande de décision préjudicielle, il ressort, toutefois, clairement des motifs de cet arrêt que les appréciations portées par la Cour européenne des droits de l’homme valent indifféremment pour l’ensemble des juges de ladite chambre ayant été nommés au sein de celle-ci dans des circonstances analogues et, en particulier, sur la base de la résolution no 331/2018.

54

S’agissant, en second lieu, de l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 21 septembre 2021, il convient de constater que, par cet arrêt, rendu à la suite de l’arrêt A. B. e.a., cette juridiction nationale a annulé la résolution no 331/2018, y compris dans sa partie ayant proposé à la nomination les juges visés au point précédent, en se fondant notamment sur des constats et des appréciations recoupant largement ceux figurant dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ainsi que dans les décisions du Sąd Najwyższy (Cour suprême) mentionnées au point 48 du présent arrêt.

55

Aux sections 7.1 à 7.6 de son arrêt du 21 septembre 2021, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a, par ailleurs, constaté, d’une part, que les modifications apportées à l’article 44 de la loi sur la KRS par les lois du 8 décembre 2017 et du 20 juillet 2018 mentionnées au point 18 du présent arrêt avaient, dans un premier temps, privé de toute effectivité les recours jusqu’alors ouverts contre les résolutions de la KRS proposant des candidats à la nomination aux postes de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême). D’autre part, il a relevé que, alors qu’il se trouvait saisi d’une série de recours de cette nature, cet article 44 avait, dans un second temps, été modifié de nouveau par la loi du 26 avril 2019 mentionnée aux points 20 et 21 du présent arrêt, ce qui avait eu pour effet d’exclure que de tels recours puissent encore être formés à l’avenir, et que cette dernière loi avait prévu que les recours ainsi pendants devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) feraient l’objet de plein droit d’un non-lieu à statuer.

56

S’agissant de ces modifications législatives, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a considéré que, appréciées dans leur contexte factuel et juridique, celles-ci avaient manifestement eu pour objet d’empêcher qu’une juridiction puisse examiner dans quelle mesure la combinaison de différents facteurs avait pu avoir pour conséquence que les juges récemment nommés au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême) sur proposition de la KRS dans sa nouvelle composition ne satisfaisaient pas aux exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, et, pour celles introduites par la loi du 26 avril 2019, d’empêcher que la Cour puisse se prononcer à cet égard. Le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a également considéré que de telles circonstances étaient de nature à contribuer à générer des doutes systémiques dans le chef des justiciables quant au point de savoir si des juges ainsi nommés satisfaisaient à ces exigences.

57

Quant aux éléments constitutifs du contexte juridique et factuel évoqué au point précédent et dans le cadre duquel sont intervenues lesdites modifications législatives, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) s’est, ainsi qu’il ressort des sections 7.5 et 7.6 de son arrêt du 21 septembre 2021, référé à un ensemble de facteurs. À cet égard, cette juridiction a, premièrement, souligné que, par l’effet de la loi du 8 décembre 2017, le mandat des membres de la KRS alors en poste avait été écourté et que la composition de cet organe avait été remaniée, avec pour conséquence un accroissement considérable de l’influence des pouvoirs législatif et exécutif au sein de celui-ci. Deuxièmement, elle a relevé que ce remaniement de la composition de la KRS était intervenu à un moment où il était prévu à court terme de pourvoir un nombre très important de postes au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Troisièmement, elle a fait état de l’existence de doutes et d’un défaut de transparence en ce qui concerne les conditions dans lesquelles s’était déroulé le processus de nomination des membres de la nouvelle KRS et a constaté que, au vu, à la fois, de la composition concrète de cet organe et de l’activité effectivement déployée par ledit organe, ce dernier avait cessé d’être indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Quatrièmement, elle a souligné que les modifications législatives mentionnées au point 55 du présent arrêt avaient concerné les seules résolutions de la KRS proposant des candidats à la nomination à des postes de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et non celles proposant des candidats à la nomination à des postes de juge dans d’autres juridictions nationales.

58

À la lumière de la propre jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, les constats et appréciations effectués par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ainsi que par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, tels que décrits aux points 47 à 57 du présent arrêt, conduisent à considérer que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques qui a introduit la présente demande de décision préjudicielle n’a pas, en raison des modalités ayant présidé à la nomination des juges qui la composent, la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens desdites dispositions du droit de l’Union, de sorte que cette formation ne constitue pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

59

À cet égard, il convient de rappeler les liens indissociables qui, aux termes mêmes de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, existent, aux fins du droit fondamental à un procès équitable, au sens de cette disposition, entre les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges ainsi que d’accès à un tribunal établi préalablement par la loi [arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C-562/21 PPU et C-563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 55].

60

S’agissant, en particulier, du processus de nomination des juges, la Cour a jugé que, eu égard aux conséquences fondamentales que ce processus emporte pour le bon fonctionnement et la légitimité du pouvoir judiciaire dans un État démocratique régi par la prééminence du droit, un tel processus constitue nécessairement un élément inhérent à la notion de « tribunal établi préalablement par la loi », au sens de l’article 47 de la Charte, étant précisé que l’indépendance d’un tribunal, au sens de cette disposition, se mesure, notamment, à la manière dont ses membres ont été nommés [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C-562/21 PPU et C-563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 57 et jurisprudence citée].

61

En effet, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union en ce qui concerne les juridictions appelées à interpréter ou à appliquer le droit de l’Union postulent l’existence de règles, notamment celles qui concernent la composition de l’instance et la nomination de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (arrêt W.Ż., points 109 et 128 ainsi que jurisprudence citée). Cette exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C-791/19, EU:C:2021:596, point 58 et jurisprudence citée].

62

À cet égard, il convient, d’emblée, de rappeler que, dans l’arrêt W.Ż., la Cour a jugé, dans le contexte d’une affaire dans laquelle était en cause une décision adoptée par la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques statuant en formation à juge unique, que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’une telle formation ne peut être considérée comme un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de cette disposition, s’il ressort de l’ensemble des conditions et des circonstances dans lesquelles s’est déroulé le processus de nomination de ce juge unique que cette nomination est intervenue en violation manifeste de règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement du système judiciaire concerné et que l’intégrité du résultat auquel a conduit ledit processus est mise en péril en semant des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du juge concerné.

63

Or, en l’occurrence, il y a lieu de relever, en premier lieu, que, ainsi qu’il ressort du point 146 de l’arrêt W.Ż., et à l’instar des appréciations de la Cour européenne des droits de l’homme et du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) mentionnées, respectivement, aux points 49 et 57 du présent arrêt, figure parmi de telles conditions et circonstances le fait que les juges composant la formation de renvoi de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ayant interrogé la Cour dans la présente affaire ont été nommés au sein de cette chambre sur proposition de la KRS dans sa nouvelle composition résultant de la mise en œuvre de l’article 9 bis de la loi sur la KRS. À ce point 146, la Cour s’est, comme ces deux autres juridictions, plus précisément référée, à cet égard, au fait que le mandat en cours de certains des membres composant jusqu’alors la KRS, dont la durée devait être de quatre ans conformément à l’article 187, paragraphe 3, de la Constitution, avait été écourté, ainsi qu’à la circonstance que, en vertu de cet article 9 bis, les quinze membres de la KRS ayant la qualité de juges, qui étaient auparavant élus par leurs pairs, ont, s’agissant de la nouvelle KRS, été élus par le Sejm (Diète), avec pour conséquence que 23 des 25 membres composant cet organe ont été désignés par les pouvoirs exécutif et législatif polonais ou sont membres desdits pouvoirs.

64

Certes, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la circonstance qu’un organe, tel qu’un conseil national de la magistrature, impliqué dans le processus de désignation des juges est, de manière prépondérante, composé de membres choisis par le pouvoir législatif ne saurait, à elle seule, conduire à faire douter de la qualité de tribunal établi préalablement par la loi et de l’indépendance des juges nommés au terme de ce processus. Toutefois, selon cette jurisprudence, il en va différemment lorsque cette circonstance combinée à d’autres éléments pertinents et aux conditions dans lesquelles ces choix ont été opérés conduisent à générer de tels doutes [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C-562/21 PPU et C-563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 74 et 75 ainsi que jurisprudence citée].

65

Or, à cet égard, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que les modifications législatives mentionnées au point 63 du présent arrêt étaient intervenues concomitamment à l’adoption, par la loi du 8 décembre 2017, d’une réforme substantielle du Sąd Najwyższy (Cour suprême), incluant, notamment, la création, au sein de cette juridiction, de deux nouvelles chambres, à savoir la chambre disciplinaire et la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, ainsi que l’abaissement de l’âge du départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Ainsi que l’a également relevé le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, ces modifications sont donc survenues à un moment où de nombreux postes de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême) déclarés vacants ou nouvellement créés seraient prochainement à pourvoir [voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C-791/19, EU:C:2021:596, points 106 et 107 ainsi que jurisprudence citée, et W.Ż., point 150].

66

En deuxième lieu, il convient également de tenir compte de ce que la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ainsi créée ex nihilo au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et dont tous les juges ont été nommés sur proposition de la KRS dans sa nouvelle composition s’est vu attribuer, ainsi qu’il ressort de l’article 26, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, et comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a également relevé dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, des compétences dans des matières particulièrement sensibles, telles que le contentieux électoral et celui lié à la tenue de référendums, les autres affaires de droit public, notamment celles énumérées à cette disposition, ou encore les recours extraordinaires permettant d’obtenir l’annulation de décisions définitives émanant des juridictions de droit commun ou d’autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

67

En troisième lieu, il importe de souligner que, parallèlement aux modifications législatives mentionnées au point 63 du présent arrêt, les règles contenues à l’article 44 de la loi sur la KRS en matière de recours juridictionnels ouverts contre les résolutions de la KRS proposant des candidats à la nomination à des postes de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ont, dans un premier temps, été substantiellement modifiées, ainsi qu’il ressort des points 17 et 18 de cet arrêt.

68

Appelée à se prononcer au regard de modifications de cette nature, la Cour a souligné le caractère problématique de dispositions procédant à un anéantissement de l’effectivité des recours juridictionnels de ce type qui existaient jusqu’alors, singulièrement lorsque l’adoption de celles-ci, considérée conjointement avec d’autres éléments pertinents caractérisant le processus de nomination à des postes d’une juridiction suprême nationale dans un contexte juridico-factuel national donné, apparaît de nature à pouvoir engendrer, dans l’esprit des justiciables, des doutes de nature systémique en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juges nommés au terme de ce processus (voir, en ce sens, arrêt A. B. e.a., point 156).

69

Or, tout d’abord, la Cour a, à l’instar du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, relevé, à cet égard, qu’un recours tel que celui prévu à l’article 44, paragraphes 1 bis à 4, de la loi sur la KRS, dans sa rédaction issue des lois du 8 décembre 2017 et du 20 juillet 2018, était dépourvu de toute effectivité réelle et n’offrait, ainsi, qu’une apparence de recours juridictionnel. Ensuite, elle a souligné que les restrictions ainsi introduites par ces dernières lois concernaient les seuls recours formés contre des résolutions de la KRS relatives à des présentations de candidatures à des postes de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême), tandis que les résolutions de la KRS relatives à des présentations de candidatures à des postes de juge dans les autres juridictions nationales demeuraient, pour leur part, soumises au régime de contrôle juridictionnel général auparavant en vigueur. Enfin, elle a constaté que lesdites modifications législatives étaient intervenues, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 65 du présent arrêt, peu de temps avant que la KRS dans sa nouvelle composition soit appelée à se prononcer sur les candidatures déposées aux fins de pourvoir de nombreux postes de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême) déclarés vacants ou nouvellement créés (voir, en ce sens, arrêt A. B. e.a., points 157, 162 et 164).

70

En quatrième lieu, aux points 138 et 139 de l’arrêt W.Ż., la Cour a également relevé que, lorsqu’est intervenue la nomination, sur la base de la résolution no 331/2018, du membre de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques concerné par l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), qui se trouvait saisi d’un recours visant à l’annulation de cette résolution, avait ordonné, le 27 septembre 2018, qu’il soit sursis à l’exécution de celle-ci. Or, cette même circonstance, également mise en exergue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, se vérifie en ce qui concerne la nomination des trois membres siégeant dans la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ayant introduit la présente demande de décision préjudicielle.

71

À cet égard, l’instance de renvoi a, certes, fait valoir, dans son ordonnance du 3 novembre 2022, que l’ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 27 septembre 2018 n’avait été signifiée ni aux candidats à un poste de juge au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques retenus par la KRS dans sa résolution no 331/2018, ni au président de la République de Pologne, du fait que ceux-ci n’avaient pas la qualité de parties au litige alors pendant devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative). Elle a également affirmé que les motifs de cette dernière ordonnance n’avaient pas été immédiatement rendus publics.

72

Toutefois, ainsi que le confirment, en l’occurrence, les indications fournies à la Cour par L. G. et par la Commission et qu’il ressort également des appréciations de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, il ne pouvait, au moment où sont intervenues les nominations des trois juges de renvoi au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, être ignoré, notamment par le président de la République de Pologne, que les effets de cette résolution avaient été suspendus par une décision juridictionnelle définitive du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative).

73

Ainsi, le fait de procéder, dans l’urgence et sans attendre de prendre connaissance des motifs de l’ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) du 27 septembre 2018, aux nominations en cause sur la base de la résolution no 331/2018 pourtant suspendue par cette ordonnance a gravement porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit (voir, en ce sens, arrêt W.Ż., point 127), ainsi que l’a également jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne.

74

En cinquième lieu, alors que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) se trouvait saisi du recours en annulation contre la résolution no 331/2018 et avait sursis à statuer sur ce litige dans l’attente de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-824/18, A. B. e.a., le législateur polonais a adopté la loi du 26 avril 2019 mentionnée aux points 20 et 21 du présent arrêt.

75

Or, s’agissant des modifications introduites par cette loi, la Cour a déjà jugé, aux points 137 et 138 de l’arrêt A. B. e.a., que, singulièrement lorsqu’elles sont appréhendées conjointement avec un ensemble d’autres éléments contextuels mentionnés aux points 99 à 105 et 130 à 135 de cet arrêt, de telles modifications sont de nature à suggérer que le pouvoir législatif polonais a, en l’occurrence, agi dans le dessein spécifique d’empêcher toute possibilité d’exercer un contrôle juridictionnel à l’égard des résolutions de la KRS ayant proposé la nomination de juges au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), ce qu’a entre-temps confirmé le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021, ainsi qu’il ressort du point 56 du présent arrêt.

76

En sixième et dernier lieu, il doit être tenu compte de ce que la résolution no 331/2018 a été annulée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) dans son arrêt du 21 septembre 2021 et ce, notamment, ainsi qu’il ressort de la section 10 de cet arrêt, en considération des constats et des appréciations évoqués aux points 55 à 57 du présent arrêt. Or, s’il est vrai, ainsi que l’a souligné l’instance de renvoi dans son ordonnance du 3 novembre 2022, que les effets de cet arrêt du 21 septembre 2021 ne portent pas sur la validité et l’efficacité des actes présidentiels de nomination aux postes de juge concernés, il y a néanmoins lieu de rappeler, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme au paragraphe 288 de l’arrêt Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne, que, en vertu de l’article 179 de la Constitution, l’acte par lequel la KRS propose un candidat à la nomination à un poste de juge au Sąd Najwyższy (Cour suprême) constitue une condition sine qua non pour que ce candidat puisse être nommé à un tel poste par le président de la République de Pologne [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C-791/19, EU:C:2021:596, point 101 et jurisprudence citée].

77

Il découle de tout ce qui précède que, appréhendés conjointement, l’ensemble des éléments tant systémiques que circonstanciels, mentionnés aux points 47 à 57 du présent arrêt, d’une part, et aux points 62 à 76 de cet arrêt, d’autre part, qui ont caractérisé la nomination, au sein de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, des trois juges constituant l’instance de renvoi dans la présente affaire ont pour conséquence que celle-ci n’a pas la qualité de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. En effet, la conjonction de l’ensemble de ces éléments est de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des intéressés et de la formation de jugement dans laquelle ils siègent à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif nationaux, et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent. Lesdits éléments sont ainsi susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges et de cette instance, propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer à ces justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

78

Dans ces conditions, la présomption rappelée au point 41 du présent arrêt doit être tenue pour renversée et il y a lieu, en conséquence, de constater que la formation de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques ayant saisi la Cour de la présente demande de décision préjudicielle ne constitue pas une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de sorte que cette demande doit être déclarée irrecevable.

Sur les dépens

79

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Najwyższy (Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych) [Cour suprême (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques), Pologne], par décision du 20 octobre 2021, est irrecevable.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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CJUE, n° C-718/21, Arrêt de la Cour, L.G. contre Krajowa Rada Sądownictwa, 21 décembre 2023