Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 7ème chambre, 30 janvier 2024, n° 2216119

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Sur la décision

Référence :
TA Cergy-Pontoise, 7e ch., 30 janv. 2024, n° 2216119
Juridiction : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise
Numéro : 2216119
Importance : Intérêt jurisprudentiel signalé
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 2 février 2024

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 novembre 2022 et le 27 octobre 2023, Mme D C, représentée par Me Bacha, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision du maire de la commune d’Argenteuil en date du 12 octobre 2022 portant refus de reconnaissance de l’imputabilité de sa maladie au service et l’arrêté du 25 octobre 2022 du même maire la plaçant en congé de malade ordinaire à partir du 21 novembre 2021, ainsi que la décision de rejet née du silence gardé par lui sur son recours gracieux ;

2°) d’enjoindre à la commune d’Argenteuil, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de reconnaître l’imputabilité au service de sa pathologie à partir du 24 mars 2021, de la placer en congé pour invalidité temporaire imputable au service à partir de cette date, de reconstituer l’ensemble de ses droits et notamment de lui rembourser les montants qu’elle a engagés au titre des honoraires et frais médicaux en lien avec cette pathologie ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la décision du 12 octobre 2022 n’est pas suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration ;

— cette décision est entachée d’une erreur d’appréciation du lien entre sa pathologie et le service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2023, la commune d’Argenteuil, représentée par Me Beguin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme C de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Par ordonnance du 29 septembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée au 30 octobre 2023.

Un mémoire présenté pour la commune d’Argenteuil a été enregistré le 8 novembre 2023.

Vu :

— l’ordonnance n°2216100 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 22 décembre 2022 ;

— les autres pièces du dossier ;

Vu :

— le code général de la fonction publique ;

— le code de la sécurité sociale ;

— le décret n°87-602 du 30 juillet 1987 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Moinecourt, rapporteure

— les conclusions de Mme David-Brochen, rapporteure publique ;

— et les observations de Me Cado, substituant Me Beguin, représentant la commune d’Argenteuil.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C est adjointe administrative au sein de la commune d’Argenteuil depuis 1987. Depuis 2014, elle exerce les fonctions d’agent d’accueil et de secrétariat au sein du service de l’environnement et de la qualité de vie au travail, en support de la personne gestionnaire des dossiers d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP) des agents. En arrêt de travail depuis le 24 mars 2021 pour des troubles dépressifs, elle a demandé, le 17 septembre 2021, la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa maladie. Par un arrêté du 18 mai 2022, elle a été placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) provisoire à partir du 21 novembre 2021 et le conseil médical réuni le 15 septembre 2022 a rendu un avis favorable à la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa pathologie. Toutefois, par un arrêté du 10 octobre 2022, la commune d’Argenteuil a refusé de reconnaitre l’imputabilité au service de sa maladie et a, par un arrêté du 25 octobre 2022, procédé à sa réintégration et à son placement en congé de maladie ordinaire à compter du 21 novembre 2021. Par un recours gracieux formé le 8 novembre 2022, Mme C a demandé l’annulation de ces décisions. Par la présente requête, elle demande l’annulation des arrêtés de la commune d’Argenteuil des 10 octobre et 25 octobre 2022 ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 822-20 du code général de la fonction publique : « Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. / Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu’elle est directement causée par l’exercice des fonctions. / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu’elle est essentiellement et directement causée par l’exercice des fonctions et qu’elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État ». Selon l’article L. 822-21 du même code : « Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à : () 3° Une maladie contractée en service telle qu’elle est définie à l’article L. 822-20 ». Aux termes de l’article L. 822-22 de ce code : « Le fonctionnaire bénéficiaire d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite ». Selon l’article 37-8 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987 modifié, relatif au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux : « Le taux d’incapacité permanente servant de seuil pour l’application du troisième alinéa du même IV est celui prévu à l’article R. 461-8 du code de la sécurité sociale. / Ce taux correspond à l’incapacité que la maladie est susceptible d’entraîner. Il est déterminé par le conseil médical compte tenu du barème indicatif d’invalidité annexé au décret pris en application du quatrième alinéa de l’article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite ». Enfin, en vertu de l’article R. 461-8 du code de la sécurité sociale, ce taux d’incapacité est fixé à 25 % s’agissant, ainsi que mentionné à l’article L. 461-1 de ce code, des pathologies ne relevant pas d’une présomption d’imputabilité au service, telles que les pathologies psychiques.

3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, et essentiel, avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service.

4. Mme C soutient que, dans le cadre de ses fonctions, elle était amenée, depuis avril 2020 et l’arrivée sur le poste de gestionnaire AT/MP de Mme D. dont elle partageait le bureau, à suppléer les carences de cette agente sur divers aspects de la gestion des dossiers en prenant à sa charge de nouvelles tâches d’un niveau excédant celui pouvant être exigé d’un agent de catégorie C et que cette situation a engendré pour elle une surcharge de travail la conduisant à un « burn out » professionnel et à un état dépressif. Si la commune peut être regardée comme établissant, par la production de témoignages concordants de la supérieure hiérarchique de Mme C occupant ce poste depuis 2019, de la collègue de bureau Mme D. et d’un agent de restauration, que Mme C a souffert par le passé de troubles dépressifs et pouvait présenter une attitude extrêmement réservée, parfois mutique, il ressort toutefois des pièces du dossier que l’intéressée ne nécessitait pas de traitement ni de suivi à raison de ces troubles et n’avait plus fait l’objet d’aucun arrêt de travail pour de tels troubles dépressifs depuis le 21 décembre 2014. Il ressort également de ces pièces que ses troubles dépressifs sont apparus sous une forme sévère postérieurement au mois d’avril 2020, le rapport d’expertise en date du 8 avril 2022 du Dr B, médecin psychiatre agréé auprès du conseil médical, ainsi que le rapport d’expertise du 22 octobre 2021 du Dr A, médecin expert agréée, concluant que l’état de l’intéressée n’est pas un état pathologique indépendant évoluant pour son propre compte et que les troubles décrits par le certificat médical initial sont directement causés par l’exercice des fonctions de l’intéressée. Mme C présente à cet égard, selon ces deux experts, un syndrome dépressif caractérisé et sévère dans le cadre d’un épuisement au travail et « les lésions décrites sur le certificat médical initial sont strictement imputables » à sa maladie professionnelle. Il ressort également de l’attestation datée du 12 décembre 2022 d’un représentant syndical que celui-ci a sollicité la tenue d’une réunion auprès de la cheffe de service de Mme C après que cette dernière lui eût fait part de sa souffrance au travail et de « mésententes sur la méthodologie de fonctionnement » avec la nouvelle gestionnaire AT/MP, qui a eu lieu en mai ou juin 2021, en présence de l’intéressée, et qu’au cours de cette rencontre, les doléances de la requérante n’ont pas été écoutées.

5. La commune d’Argenteuil fait pour sa part valoir que la qualité du travail de la nouvelle gestionnaire AT/MP est avérée et que l’absence de Mme C ne l’a pas nullement empêchée de suivre efficacement les dossiers. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à établir que les modalités de collaboration entre ces deux agentes n’auraient pas eu pour incidence une évolution défavorable de la charge de travail de l’intéressée, laquelle est décrite dans son évaluation professionnelle de 2020 comme une agente qui « connaît son activité et s’investit fortement » et une « collaboratrice de qualité ». Si la collègue de bureau de Mme C soutient que celle-ci n’assumait pas, comme elle l’allègue, une partie de son poste et n’était pas en mesure de la suppléer en raison de sa connaissance insuffisante des procédures, il ressort pourtant de l’évaluation précitée de Mme C que cette dernière « maitrise les rouages des procédures » et « sait accompagner les agents et les directions lors de leur déclaration ». Il ressort en outre de ce compte-rendu d’entretien professionnel que les objectifs de Mme C pour 2021 consistant en la « mise en œuvre des lignes directrices de gestion de la politique RH », à « participer à la veille sur les accidents et au groupe de travail », et à « prendre en charge les expertises dans le cadre des accidents et suivi des dossiers en lien avec la médecine de prévention », sont des objectifs particulièrement ambitieux dont la poursuite relève principalement des fonctions d’un agent de catégorie B. L’ensemble de ces constatations permet d’établir que les attentes à l’égard de la requérante et les tâches qui lui étaient confiées excédaient sa fiche de poste d’adjointe administrative de catégorie C. Dans ces conditions, Mme C est fondée à soutenir que le syndrome dépressif qu’elle a contracté présente un lien direct et essentiel avec l’exercice de ses fonctions, sans qu’aucun fait personnel de sa part ou aucune circonstance particulière ne conduise à l’en détacher.

6. D’autre part, il ressort du rapport du Dr B en date du 2 mai 2022 que l’état de Mme C était alors consolidé et que le taux d’incapacité permanente partielle imputable à sa pathologie devait être fixé à 30 %. Un tel taux excède le taux minimum d’incapacité de 25 % fixé par l’article R. 461-8 du code de la sécurité sociale mentionné au point 2. Dans ces conditions, Mme C est fondée à soutenir que la décision du 12 octobre 2022 refusant de reconnaître l’imputabilité au service de son état dépressif est entachée d’une erreur d’appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la décision de la commune d’Argenteuil en date du 12 octobre 2022 refusant de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie de Mme C doit être annulée. Par voie de conséquence, la décision subséquente du 25 octobre 2022 par laquelle la commune d’Argenteuil a prononcé la réintégration de l’intéressée et l’a placée en congé de maladie ordinaire à partir du 21 novembre 2021 doit également être annulée.

Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :

8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. ».

9. Selon l’article 37-3 du décret n°87-602 du 30 juillet 1987 modifié précité : « () II.La déclaration de maladie professionnelle prévue à l’article 37-2 est adressée à l’autorité territoriale dans le délai de deux ans suivant la date de la première constatation médicale de la maladie ou, le cas échéant, de la date à laquelle le fonctionnaire est informé par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle. () ». Selon l’article 37-9 de ce même décret : « () Au terme de l’instruction, l’autorité territoriale se prononce sur l’imputabilité au service et, le cas échéant, place le fonctionnaire en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour la durée de l’arrêt de travail () ».

10. Eu égard au motif d’annulation retenu, l’exécution du présent jugement implique nécessairement que la commune d’Argenteuil reconnaisse l’imputabilité au service de la pathologie de Mme C et la place à ce titre en CITIS pour la durée de son arrêt de travail, à compter du 24 mars 2021, avec toutes les conséquences de droit s’agissant notamment de ses frais médicaux, de son traitement, de ses cotisations retraites et de ses congés. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre à la commune d’Argenteuil d’y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la commune d’Argenteuil au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d’Argenteuil, le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1 : Les décisions du maire de la commune d’Argenteuil en date du 12 octobre 2022 et du 25 octobre 2022 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à la commune d’Argenteuil de placer Mme C en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 24 mars 2021, avec toutes les conséquences de droit, s’agissant notamment de ses frais médicaux, de son traitement, de ses cotisations retraites et de ses congés, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.

Article 3 : La commune d’Argenteuil versera à Mme C la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme D C et à la commune d’Argenteuil.

Délibéré après l’audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Coblence, présidente,

Mme Fléjou, première conseillère, et Mme Moinecourt, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.

La rapporteure,

signé

L. Moinecourt

La présidente,

signé

E. CoblenceLa greffière,

signé

D. Charleston

La République mande et ordonne au préfet du Val-d’Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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