Tribunal administratif de Lille, 8ème chambre, 30 décembre 2022, n° 2008477

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Sur la décision

Référence :
TA Lille, 8e ch., 30 déc. 2022, n° 2008477
Juridiction : Tribunal administratif de Lille
Numéro : 2008477
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 novembre 2021, 3 juin 2021, 7 février 2022 et 29 avril 2022, Mme A C, représentée par Me Salquain, demande au tribunal :

1°) de poser à Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) les questions suivantes :

— les dispositions du décret n°90-680 du 1er aout 1990 créant le corps de professeurs des écoles et les circulaires annuelles fixant les critères d’avancement et de rémunération des

professeurs des écoles, en ce qu’elles permettent depuis 1990 à des commissions départementales paritaires d’arrêter les listes limitatives ouvrant droit à des évolutions de carrière sans chercher à définir pour un même poste une même rémunération sur des critères objectifs, portent-elles atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » '

— les dispositions de l’article 119 du traité de Rome et de la directive 75/117 font-elles obligation à l’administration de reconstituer les carrières et de procéder à l’indemnisation des agents qui ont pu être affectés dans leur carrière professionnelle par un mode d’avancement contraire au principe d’égalité salariale '

2°) à défaut, d’annuler la décision implicite de rejet du 18 septembre 2020, née du silence gardé par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur son recours indemnitaire en date du 9 juillet 2020, notifié le 17 juillet 2020 ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse de rétablir l’égalité salariale sur des critères objectifs entre les fonctionnaires recrutés avant et après 1990, exerçant le même travail, en appliquant les critères les plus favorables à la partie requérante de sorte qu’elle puisse disposer d’une rémunération au moins égale ou supérieure à la rémunération des fonctionnaires entrés au service de l’éducation nationale après 1990 ;

4°) de condamner l’Etat à lui verser la somme totale de 467 000 euros en réparation des préjudices subis ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la décision implicite de rejet de son recours indemnitaire préalable est illégale pour absence de motivation ;

— le ministre de l’éducation nationale a commis une faute en appliquant des dispositions illégales du décret du 1er août 1990 ; ce décret intervient dans le domaine de la loi ; il méconnaît le principe de l’égalité salariale en plaçant les promotions sous le contrôle des syndicats, ce qui autorise des manœuvres avantageant les personnels syndiqués et en créant des quotas départementaux permettant de façon discrétionnaire et différente d’un département à un autre de promouvoir les instituteurs comme PE hors classe en passant par le filtre des CAPL qui établissent les listes de « choix », « grand choix » et « classe exceptionnelle » ; il organise une discrimination salariale entre quatre catégories d’instituteurs qui font un travail identique ; il avantage les personnels exerçant des fonctions syndicales au détriment de ceux exerçant leurs fonctions éducatives ; en créant une dispense de diplôme d’accès au CRPE pour les mères de trois enfants, certains fonctionnaires ou les sportifs de haut niveau, il avantage également ces catégories sans critère objectif au détriment des instituteurs ; « la circulaire » en ce qu’elle prévoit de promouvoir prioritairement par la liste d’aptitude les enseignants des « REP », les directeurs d’école, les référents handicap, les enseignants ayant accepté différentes missions extérieures à leur fonction d’instituteur, est également discriminatoire en ce qu’elle limite la promotion des anciens instituteurs sur un nombre limité de promotions ; les anciens instituteurs intégrant le corps des professeurs des écoles sont pénalisés par une reprise d’ancienneté incomplète ; le décret susmentionné méconnaît l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique du 17 décembre 2013 et la circulaire du 3 avril 2017 ; il méconnaît la constitution en ce qu’il dépossède le ministre de son pouvoir de nomination au profit des CAPL ; il méconnaît l’article 119 du traité de Rome, la directive européenne 75/117/CEE, le principe d’égalité garanti par la Déclaration des droits de l’homme ainsi que le principe « à travail égal, salaire égal » consacré par la décision de la CJUE du 15 avril 2021 n°C-511/19, AB contre Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis ;

— ses préjudices sont composés d’une perte de revenus pour la somme de 247 000 euros, d’un préjudice d’établissement pour la somme de 50 000 euros, d’un préjudice moral pour la somme de 20 000 euros et d’une perte de droits à la retraite pour la somme de 150 000 euros à parfaire selon la date de son départ effectif en retraite.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 avril 2021 et 2 mai 2022, le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est irrecevable, en ce que le recours indemnitaire préalable a été introduit par le « Collectif des oubliés », qui ne peut justifier légalement d’un mandat lui donnant qualité pour présenter une demande pour le compte de la requérante et que les moyens soulevés ne sont, en tout état de cause, pas fondés.

Par ordonnance du 8 avril 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 9 mai 2022.

Un mémoire, enregistré le 30 novembre 2022, a été présenté pour Mme C, postérieurement à la clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

— la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État ;

— le décret n° 90-680 du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. B,

— et les conclusions de M. Christian, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C, alors institutrice, a été intégrée après 1990 dans le corps des professeurs des écoles. Le 9 juillet 2020, elle a demandé au ministre de l’éducation nationale de l’indemniser à hauteur de 467 000 euros des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait, selon elle, de l’inégalité salariale existant entre les professeurs des écoles issus du corps des instituteurs et les professeurs des écoles nommés à partir de l’année 1990. L’administration ayant opposé une fin de non-recevoir à l’intéressée, celle-ci a demandé le 24 septembre 2020 au ministre de l’éducation nationale les motifs de la décision implicite en date du 18 septembre 2020 de rejet à sa demande du 9 juillet 2020. Faute de réponse, Mme C demande l’annulation de la décision du 18 septembre 2020 ainsi que la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 467 000 euros en réparation des différents chefs de préjudice qu’elle prétend avoir subis.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision du 18 septembre 2020 :

2. La décision du 18 septembre 2020 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a implicitement rejeté la réclamation préalable indemnitaire a eu pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de l’objet de la demande indemnitaire de la requérante qui, en formulant les conclusions analysées ci-dessus tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 467 000 euros leur a donné le caractère d’un recours de plein contentieux. Au regard de l’objet d’une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l’intéressée à percevoir la somme qu’elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Il en résulte que les conclusions à fin d’annulation de la décision du 18 septembre 2020 présentées par Mme C ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. En premier lieu, aux termes des dispositions de l’article 30 de la loi du 11 janvier 1984 relative aux fonctionnaires de l’Etat devenu l’article L.411-6 du code de la fonction publique : « La hiérarchie des grades dans chaque corps, le nombre d’échelons dans chaque grade, les règles d’avancement d’échelon et de promotion au grade supérieur sont fixées par les statuts particuliers ». L’article 8 de la même loi alors applicable disposait que « des décrets en Conseil d’Etat portant statuts particuliers précisent pour les corps de fonctionnaires les modalités d’application de la présente loi ». Le décret n° 90-680 du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles est au nombre des décrets en Conseil d’Etat prévus par la loi du 11 janvier 1984. En l’absence de disposition qui toucherait aux garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l’Etat, ce décret relevait de la compétence du pouvoir réglementaire et non du domaine de la loi.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa version alors en vigueur : « L 'avancement de grade a lieu de façon continue d’un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle dans les cas où l’avancement est subordonné à une sélection professionnelle. () l’avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l’une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° () au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle des agents et des acquis de l’expérience professionnelle des agents () ». Aux termes de l’article 24 du décret n° 90-680 du 1er août 1990 dans sa rédaction antérieure à la publication du décret n°2017-786 du 5 mai 2017 : « L’avancement d’échelon des professeurs des écoles de classe normale a lieu partie au grand choix, partie au choix, partie à l’ancienneté. () Les intéressés sont promus au grand choix ou au choix après inscription sur une liste établie dans chaque département pour chaque année scolaire. ». Aux termes de l’article 24 du décret n° 90-680 du 1er août 1990 dans sa rédaction issue de l’article 134 du décret n°2017-786 du 5 mai 2017 : « () III. – Peuvent accéder au choix à l’échelon spécial du grade de professeur des écoles de classe exceptionnelle, dans la limite d’un pourcentage des effectifs de ce grade fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de l’éducation nationale, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, les professeurs des écoles inscrits sur un tableau d’avancement ayant au moins 3 ans d’ancienneté au 4e échelon de ce grade. / Le tableau d’avancement est arrêté chaque année, dans chaque département, par le recteur d’académie, après avis de la commission administrative paritaire compétente, selon des orientations définies par le ministre chargé de l’éducation nationale. / Les promotions sont prononcées, dans l’ordre d’inscription au tableau annuel d’avancement, par le recteur d’académie. ».

5. D’une part, il résulte de ces dispositions que l’administration pouvait légalement arrêter chaque année un tableau d’avancement pour organiser l’avancement de grade et d’échelon des professeurs des écoles après avis de la commission administrative paritaire compétente.

6. D’autre part, il n’est pas établi que la requérante aurait fait l’objet, dans le cadre de l’organisation de l’un de ces tableaux d’avancement, d’une discrimination quelconque au bénéfice d’agents syndiqués. Enfin, le moyen tiré de l’inégalité de traitement des professeurs des écoles en fonction de « quotas départementaux définis par le ministre », est dépourvu des précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.

7. En toute hypothèse, l’instauration de quotas selon le lieu d’affectation des agents ne méconnait pas forcément le principe d’égalité entre agents d’un même corps dès lors que, comme en l’espèce, il se fonde sur l’intérêt général qui s’attache à ce que les agents publics soient répartis sur le territoire en fonction des besoins de la population et des nécessités du service.

8. En troisième lieu, ni les dispositions du décret n° 90-680 du 1er août 1990, ni aucune autre disposition réglementaire n’a pour objet ou pour effet d’introduire des grilles indiciaires différentes au sein du corps des professeurs des écoles qui est régi par une grille indiciaire unique. Par ailleurs, le principe d’égalité entre agents d’un même corps ne trouve pas à s’appliquer lors de la constitution du corps ou de l’intégration de ses membres et le pouvoir réglementaire peut tenir compte, dans l’intérêt du service, de différences de grade, d’indice, ou d’ancienneté entre agents d’un même corps, d’un même cadre d’emplois ou dotés d’un même emploi, pour instituer des conditions d’intégration différentes de ces agents. La requérante n’est, par suite, pas fondée à contester les conditions dans lesquelles elle a été intégrée, en tant qu’ancienne institutrice, à la grille indiciaire unique du nouveau corps des professeurs des écoles.

9. En quatrième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l’article 119 du traité de Rome, de la directive européenne 75/117/CEE ainsi que du principe « à travail égal, salaire égal » qui, selon l’intéressée, aurait été posé par la décision de la CJUE du 15 avril 2021 n°C-511/19, AB contre Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction ni de ce qui précède qu’elle serait victime d’une discrimination à ce titre.

10. En cinquième lieu, en l’absence de tout élément indiquant que la requérante aurait fait l’objet d’une discrimination quelconque, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité garanti par la Déclaration des droits de l’homme manque en fait.

11. Ainsi, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, Mme C n’établit ni que les dispositions du décret du 1er août 1990 seraient illégales, ni que le ministre de l’éducation nationale aurait commis une faute en les appliquant. Par conséquent, les conclusions indemnitaires présentées par Mme C doivent être rejetées.

12. Il résulte ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner sa recevabilité, la requête de Mme C doit être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme A C et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l’audience du 9 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Marjanovic, président,

M. Even, premier conseiller,

M. Caustier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

Le président-rapporteur,

Signé

V. B

L’assesseur le plus ancien

dans l’ordre du tableau,

Signé

P. EVEN

La greffière,

Signé

D. WISNIEWSKI

La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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