Tribunal administratif de Montreuil, 3 mars 2020, n° 2001852

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Montreuil, 3 mars 2020, n° 2001852
Juridiction : Tribunal administratif de Montreuil
Numéro : 2001852
Sur renvoi de : Conseil d'État, 25 juin 2019

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MONTREUIL

N° 2001852

___________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

PREFET DE LA SEINE-SAINT-DENIS

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme X

Juge des référés

___________

La juge des référés, Ordonnance du 3 mars 2020 __________

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 13 février 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 554-1 du code de justice administrative d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 9 septembre 2019 par lequel le maire de la commune de Sevran a interdit l’utilisation de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’alinéa premier de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur le territoire communal pour l’entretien des jardins et espaces verts, des voies ferrées et de leurs abords ainsi que des abords des routes départementales.

Il soutient que l’arrêté attaqué est entaché d’un vice d’incompétence, dès lors que le domaine de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques constitue une police spéciale en application des dispositions des articles L. 253-1, L. 253-7, R. 253-8 et R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime relevant de la compétence du seul ministre chargé de l’agriculture, la réglementation de l’utilisation de ces produits relevant selon les cas de la compétence des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation ou de celle du préfet de département dans lequel ces produits sont utilisés ; en outre, sur le fondement des dispositions du I de l’article L. 253-7 du code précité, il appartient à la seule autorité administrative compétente de prévoir l’interdiction ou l’encadrement de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, notamment « les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables » telles que définies par l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009.

Par un mémoire enregistré le 21 février 2020, la commune de Sevran conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est irrecevable et que le moyen tiré de l’incompétence du maire de la commune n’est pas fondé.



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Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête n° 2001849 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis demande l’annulation de l’arrêté attaqué.

Vu :

- la charte de l’environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme X, vice-présidente, en application des dispositions de l’article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique du 25 février 2020 à 14 heures.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique, tenue en présence de Mme Le Chartier, greffière d’audience :

- le rapport de Mme X, juge des référés ;

- les observations orales de Mme M., représentant le préfet de la Seine-Saint-Denis qui reprend ses écritures, et de MM. L. et M., représentant la commune de Sevran, qui précisent que le contexte urbain de Sevran est marqué par une forte imbrication des espaces, vingt-huit établissements scolaires étant par exemple situés à proximité de voies de chemins de fer.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : « Art. L. 2131-6, alinéa 3.- Le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. » ».

2. Par un arrêté du 9 septembre 2019, le maire de la commune de Sevran a interdit l’utilisation de l’herbicide glyphosate et des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’alinéa premier de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime sur le territoire communal pour l’entretien des jardins et espaces verts, l’entretien des voies ferrées et leurs abords et l’entretien des abords des routes départementales. Par un courrier du 16 octobre 2019 réceptionné le 18 octobre 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé à la commune de retirer son arrêté. En l’absence de réponse, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 9 septembre 2019 précité.



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Sur les conclusions prises sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative :

En ce qui concerne le principe de la compétence du maire de la commune :

3. Il résulte des dispositions des articles l’article L. 253-7, L. 253-7-1 et R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime que le législateur a organisé une police spéciale des produits phytopharmaceutiques selon laquelle la règlementation de l’utilisation de ces produits relève selon les cas de la compétence des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation ou de celle du préfet du département dans lequel ces produits sont utilisés. Il appartient ainsi à l’autorité administrative, sur le fondement du I de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, de prévoir l’interdiction ou l’encadrement de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment dans les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables.

4. La police spéciale relative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ayant été attribuée aux autorités étatiques mentionnées ci-dessus, le maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune en application des articles L. 2122-24, L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, ne peut prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, notamment en ce qui concerne les pollutions de toute nature, qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières.

En ce qui concerne l’existence de mesures de police spéciales de nature à encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières :

5. En premier lieu, il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1 du même code, à savoir notamment les espaces habituellement fréquentés par les enfants, les jardins et espaces verts ouverts au public, les centres hospitaliers et hôpitaux ainsi que les établissements accueillant des personnes âgées, malades ou handicapées.

6. En deuxième lieu, il est constant que, par une décision du 26 juin 2019 rendue dans les instances n° 415426 et 415431, le Conseil d’État statuant au contentieux a annulé l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, notamment en tant qu’il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques, après avoir considéré que ces riverains devaient être regardés comme des « habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme », au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 et rappelé qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé publique, lesquelles n’ont été adoptées que le 27 décembre 2019. Il s’ensuit qu’à la date de la décision contestée, aucune mesure de police spéciale n’avait été prise pour la protection des populations exposées dans des zones particulières, et notamment dans les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables.



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7. En troisième lieu, à la date de la présente ordonnance, un décret n°2019-1500 et un arrêté du 27 décembre 2019, pris pour l’exécution de la décision du Conseil d’Etat mentionnée au paragraphe précédent, prévoient certaines mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, et notamment des distances de sécurité au voisinage, non pas, comme l’a soutenu la requérante lors de l’audience, de chaque habitation, mais d’une zone d’habitation, expression susceptible de coïncider, dans le cas de communes entièrement urbanisées, avec l’ensemble du territoire communal. Toutefois, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, mais pourrait seulement, le cas échéant, entraîner l’obligation pour son auteur de l’abroger ou de l’adapter. Par suite, en l’absence de conclusions tendant à ce que la décision attaquée soit abrogée à titre provisoire, il n’entre, en tout état de cause, pas dans l’office du juge des référés de tenir compte de l’intervention des textes réglementaires du 27 décembre 2019.

En ce qui concerne les circonstances locales particulières :

8. D’une part, la commune de Sevran, qui compte plus de 50 000 habitants dont près du quart ont moins de quinze ans, soutient, sans être contredite, que des établissements scolaires et médicalisés sont situés à proximité de la voie ferrée qui traverse la ville et dont l’entretien implique l’utilisation des produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige. Il n’est pas non plus contesté que ces produits sont susceptibles d’être utilisés pour l’entretien d’espaces appartenant à des copropriétés et à des bailleurs sociaux de la commune, entièrement imbriqués dans les espaces d’habitation.

9. D’autre part, il appartient aux autorités administratives, comme au législateur, d’assurer la conciliation de la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, et de la santé, objectifs à valeur constitutionnelle avec d’autres intérêts fondamentaux de la Nation, et notamment avec la liberté d’entreprendre. Il est constant que les mesures relatives à l’interdiction du glyphosate concernent, sur le territoire de la commune de Sevran, essentiellement l’entretien des jardins des copropriétés privées et des bailleurs sociaux ainsi que les voies ferrées traversant la commune. En l’absence de tout élément apporté par le préfet de la Seine-Saint-Denis en dépit du délai de trente-six heures qui lui a été accordé pour ce faire, il ne résulte pas de l’instruction que la décision attaquée serait de nature à porter gravement atteinte à de tels intérêts, notamment économiques.

10. Par suite, eu égard à la dangerosité des produits que l’arrêté attaqué interdit, à l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises, à la date de la décision attaquée, par les autorités chargées de la police spéciale et à la portée des objectifs constitutionnels de protection de l’environnement et de la santé, le maire de Sevran peut être regardé, en l’état de l’instruction, comme ayant considéré à bon droit que les circonstances locales étaient de nature à justifier l’adoption de mesures de police générale en matière d’utilisation de produits phytosanitaires afin de protéger les habitants de la commune de la pollution en résultant.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir, que le seul moyen invoqué par le préfet de la Seine-Saint-Denis, tiré de l’incompétence de l’auteur de la décision attaquée, n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté. La requête présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis doit, dès lors, être rejetée.



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O R D O N N E :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.

Article 2 : L’Etat versera une somme de 1 000 (mille) euros à la commune de Sevran, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Seine-Saint-Denis et à la commune de Sevran.

Copie en sera adressée au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Fait à Montreuil, le 3 mars 2020

La juge des référés,

Signé

K. X

La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture et de l’alimentation en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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