Tribunal administratif de Rouen, Juge unique, 19 décembre 2023, n° 2304854

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Rouen, juge unique, 19 déc. 2023, n° 2304854
Juridiction : Tribunal administratif de Rouen
Numéro : 2304854
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 21 décembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 décembre 2023, M. B, représenté par Me Madeline de la SELARL EDEN avocats, demande au tribunal :

1°) de lui accorder le bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté du 10 décembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant la durée de deux ans ;

3°) d’annuler la décision du même jour par laquelle le préfet de la Seine-Maritime l’a assigné à résidence ;

4°) d’enjoindre au préfet, en cas de reconnaissance du bien-fondé de la requête au fond, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans l’attente du réexamen de sa situation, dans un délai d’un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l’État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ou à titre subsidiaire la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ou à titre subsidiaire à lui verser sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B soutient que :

o L’obligation de quitter le territoire français :

— a été prise par une autorité incompétente ;

— n’est pas suffisamment motivée ;

— a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;

— le collège de médecins de l’OFII aurait dû être consulté dès lors que le préfet était informé de son état de santé ;

— a été prise sans examen de sa situation personnelle ;

— est entachée d’erreur de droit, dès lors qu’il est régularisable de plein droit ;

— méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

o La décision refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire :

— est illégale par voie d’exception de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français ;

— n’est pas suffisamment motivée ;

— méconnaît l’article L. 612-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

o La décision fixant le pays de destination :

— n’est pas suffisamment motivée ;

— est dépourvue de base légale du fait de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français ;

— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

o L’interdiction de retour sur le territoire français :

— n’est pas suffisamment motivée ;

— a été prise sans examen de sa situation personnelle ;

— méconnaît les dispositions de l’article L. 612-10 du CESEDA et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

— méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

o L’assignation à résidence :

— est entachée d’incompétence ;

— n’est pas suffisamment motivée ;

— est dépourvue de base légale du fait de l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français ;

— est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré 14 décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu :

— la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme A comme juge du contentieux des mesures d’éloignement des étrangers ;

— les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir, au cours de l’audience publique du 15 décembre 2023, présenté son rapport et entendu les observations orales :

— de Me Madeline, représentant le requérant, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que dans ses écritures et demande en outre que soient écartés des débats l’ensemble des pièces de la procédure pénale, transmise en pièce 1 par la préfecture, en violation du secret de l’instruction ;

Le préfet n’étant ni présent ni représenté.

La clôture de l’instruction est intervenue à l’issue de l’audience, en application de l’article R 776-26 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, ressortissant marocain, est, selon ses dires, entré sur le territoire français pour la dernière fois en avril 2022, sous couvert d’un visa de court séjour. Par arrêté du 10 décembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant la durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Seine-Maritime l’a assigné à résidence. M. B demande l’annulation de l’ensemble de ces décisions.

Sur l’aide juridictionnelle à titre provisoire :

2. Il y a lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache à ce qu’il soit statué sur sa requête, de prononcer l’admission provisoire de M. B à l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions tendant à ce que soient écartées des débats des pièces produites en défense :

3. En l’absence de disposition le prévoyant expressément, l’article 11 du code de procédure pénale ne peut faire obstacle au pouvoir et au devoir du juge administratif de joindre au dossier, sur production spontanée d’une partie, des éléments d’information recueillis dans le cadre d’une procédure pénale, et de statuer au vu de ces pièces après en avoir ordonné la communication pour en permettre la discussion contradictoire.

4. Par suite, à supposer même que ces pièces soient couvertes par le secret de l’instruction, les conclusions tendant à ce qu’elles soient écartées du dossier doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

5. En premier lieu, aux termes de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Ne peuvent faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français : () 9° L’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ». Aux termes de l’article R. 611-1 du même code : « Pour constater l’état de santé de l’étranger mentionné au 9° de l’article L. 611-3, l’autorité administrative tient compte d’un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. / Toutefois, lorsque l’étranger est assigné à résidence aux fins d’exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français ou placé ou maintenu en rétention administrative en application du titre IV du livre VII, l’avis est émis par un médecin de l’office et transmis sans délai au préfet territorialement compétent. ». Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu’elle dispose d’éléments d’informations suffisamment précis permettant d’établir qu’un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu’elle prévoit des étrangers qui ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, l’autorité préfectorale doit, lorsqu’elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l’intéressé n’a pas sollicité le bénéfice d’une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l’avis du collège de médecins à compétence nationale ou l’avis d’un médecin de l’Office français de l’immigration et l’intégration si l’étranger est assigné à résidence ou placé en rétention.

6. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime avait été informé par la belle-sœur de M. B, appelée à la suite de la garde à vue de celui-ci de ce qu’il avait été hospitalisé à six reprises au sein du centre hospitalier spécialisé du Rouvray et que son état de santé nécessitait une prise en charge psychiatrique. Dans ces conditions, et même si le préfet n’avait pas connaissance de l’ampleur de la dégradation de cet état de santé, et alors même qu’un médecin aurait indiqué que la garde à vue de celui-ci était compatible avec son état de santé et qu’un expert psychiatrique sollicité, dans le cadre de la procédure pénale, a conclu qu’au moment des faits reprochés son discernement était altéré par un usage excessif de toxiques mais pas par une maladie psychiatrique, le préfet aurait dû saisir l’office français de l’immigration et de l’intégration pour qu’un avis médical soit rendu afin de s’assurer que M. B ne présentait pas un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers ne pouvant faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, qu’il y a lieu d’annuler l’arrêté du 10 décembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. B à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant la durée de deux ans ainsi, que, par voie de conséquence, la décision du même jour portant assignation à résidence.

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

8. Aux termes de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. »

9. Il y a lieu, en application de ces dispositions, d’enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de munir M. B d’une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours et de se prononcer sur sa situation au regard de son état de santé, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais du litige :

10. M. B a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire. Par suite son avocate peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Madeline, sous réserve de renonciation de sa part à la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle. Dans l’hypothèse où M. B ne serait pas admis à titre définitif au bénéfice de l’aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros lui sera versée sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : M. B est admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : L’arrêté du 10 décembre 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a obligé M. B à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant la durée de deux ans ainsi que la décision du même jour portant assignation à résidence sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de munir M. B d’une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours et de se prononcer sur sa situation au regard de son état de santé.

Article 4 : L’Etat versera à Me Madeline la somme de 1 000 euros en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Dans l’hypothèse où M. B ne serait pas admis à titre définitif au bénéfice de l’aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros lui sera versée sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. B et au préfet de la Seine-Maritime.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.

La magistrate désignée,

P. A

La greffière,

A. Lenfant

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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