Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 28 mars 2003

  • Responsabilité civile au titre de l'art. l. 713-5 cpi·
  • Identité des produits ou services·
  • Atteinte à la marque de renommée·
  • Agissements parasitaires·
  • Substitution de slogan·
  • Liberté d'expression·
  • Risque de confusion·
  • Marques complexes·
  • Partie figurative·
  • Euro symbolique

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 28 mars 2003
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Décision(s) liée(s) :
  • Cour d'appel de Paris, 14 janvier 2005
  • 2003/10900 Cour de cassation, 19 octobre 2006
  • R/2005/13489
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : CAMEL CHOICE QUALITY ; CAMEL
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 1695893 ; 1245009 ; 1245010
Classification internationale des marques : CL34
Référence INPI : M20030189
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Texte intégral

FAITS ET PROCEDURE La société JT INTERNATIONAL expose qu’elle fabrique les cigarettes de marque CAMEL vendues en France et qu’elle exploite plusieurs marques figuratives apposées sur les paquets de cigarettes commercialisées sous cette dénomination. Ayant appris que le Comité National Contre les Maladies Respiratoires et la Tuberculose, ci-après dénommé CNMRT, s’apprêtait à diffuser une campagne publicitaire de lutte contre le tabagisme en utilisant le décor figurant sur les paquets de cigarettes CAMEL et correspondant aux marques qu’elle exploite, elle a fait assigner celui-ci par acte du 6 novembre 2001, sur le fondement des articles L.713-2, L.713-3 et L.716-9 du Code de la propriété intellectuelle, aux fins de lui voir ordonner de mettre fin aux agissements litigieux et l’entendre condamné à lui verser la somme de un franc à titre de dommages- intérêts et ce, avec exécution provisoire, la somme de 10 000 francs étant en outre réclamée au titre des frais irrépétibles. Dans le cours de la procédure, la société JAPAN TOBACCO Inc, titulaire des marques opposées, est intervenue volontairement aux côtés de la société JT INTERNATIONAL. Ces deux sociétés, se fondant sur les articles précités et l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle, sollicitent la somme d’un euro à titre de dommages-intérêts ainsi que la somme globale de 3 000 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 22 mai 2002 infirmant l’ordonnance de référé du 16 novembre 2001 faisant droit à la demande d’interdiction sollicitée, elles ont fondé leur demande, à titre subsidiaire, sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil et incriminé des agissements parasitaires et de dénigrement. Le CNMRT réplique que la campagne qu’il a initiée est une campagne de prévention destinée à prévenir les adolescents des risques encourus par la consommation de tabac et que pour attirer l’attention des jeunes il convient de traiter le sujet avec humour comme le fait la société qui commercialise les cigarettes de marque CAMEL. Il fait valoir qu’il a utilisé les éléments figuratifs de la marque CAMEL dans un but de parallélisme des méthodes de communication, en tentant de toucher le même public jeune que les sociétés demanderesses. Il fait valoir que le visuel litigieux ne constitue pas une copie servile des éléments figuratifs de la marque CAMEL, qu’il n’existe ni possibilité de confusion ni intention de nuire. Il considère que l’utilisation parodique de ces éléments est un moyen nécessaire à la réalisation des buts de la campagne de prévention compte tenu du thème qu’il a choisi. Il réclame la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. Les demanderesses ont repris, dans leurs dernières écritures, l’ensemble de leur argumentation développée dans leurs écritures antérieures.

DECISION I – SUR LA CONTREFAÇON DE MARQUE Attendu que la société JAPAN TOBACCO Inc est titulaire de la marque complexe n°1 695 893 déposée le 30 septembre 1981 pour protéger des produits de la classe 34 à savoir les tabacs de toutes sortes, cigarettes, cigares, tabac à fumer, tabac en tablettes, tabac à mâcher, produits du tabac, produits pour fumeurs, tabac à priser, papier à cigarettes, étuis et boîtes à cigarettes, fume-cigarettes et pipes ; que cette marque représente l’emballage d’un paquet de cigarettes ; que sur l’une des faces de cet emballage figure notamment la dénomination CAMEL surmontant un paysage désertique ; qu’au premier plan se dresse un dromadaire alors qu’on aperçoit en arrière plan, sur la gauche de l’animal, trois palmiers plantés devant une pyramide, et sur la droite du mammifère une autre pyramide de plus grande taille ; que la reproduction d’un village turc illustre la deuxième face de l’emballage ; que le dépôt de cette marque a été régulièrement renouvelé. Attendu que la société JAPAN TOBACCO Inc est également titulaire des marques complexes n°1 245 009 et n°1 245 010 déposées en couleurs le 14 septembre 1983 pour désigner le tabac, brut ou manufacturé, les articles pour fumeurs et les allumettes ; que ces marques sont constituées de l’emballage d’un paquet de cigarette reprenant les caractéristiques de la marque précédente ; que le terme « FILTERS » est inscrit sous la dénomination CAMEL de la marque 1 245 009 ; que le dépôt de ces deux marques a été renouvelé en 1993. Attendu que ces marques sont exploitées en France par la société JT INTERNATIONAL Attendu que l’affiche et les timbres destinés à être distribués dans le cadre de la campagne publicitaire contre les méfaits du tabac par le CNMRT se présentent comme suit : en haut de l’affiche, sous le bandeau portant le titre « Campagne du timbre 2001-2002 », est inscrit, en lettres de même taille et de même couleur que la dénomination CAMEL, le slogan « TE LAISSE PAS ROULER PAR LA CIGARETTE » ; qu’on peut lire au bas du document la phrase suivante : « La campagne du timbre nuit gravement au tabagisme » ; que les éléments figuratifs de l’affiche consistent dans la reproduction d’un dromadaire efflanqué reposant à terre sur ses membres repliés ; que le nuage de fumée qui s’échappe de la cigarette placée entre ses lèvres a la forme d’une tête de mort ; que l’animal s’exprime ainsi : « La clope c’est pire que la traversée du désert… » ; que se dressent à l’arrière du quadrupède anémié trois palmiers sur la gauche et une pyramide sur la droite ; que ces différents éléments de couleur orange sont placés sur un fond de couleur jaune pâle. Attendu qu’il ressort de cette description que les marques opposées ne sont pas reproduites à l’identique ; qu’il ne peut donc être fait application de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle qui sanctionne la contrefaçon par reproduction.

Attendu que les dispositions de l’article L.713-5 dudit code ne trouvent pas davantage application en l’espèce dès lors que la campagne publicitaire dont le visuel est critiqué porte sur des produits du tabac et non pas sur des produits ou services non similaires à ceux protégés par les marques de la société JAPAN TOBACCO Inc. Attendu que l’article L.713-3 du code précité interdit notamment l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public. Attendu que le CNMRT ne conteste pas et même revendique, selon ses propres termes, avoir utilisé certains des éléments figuratifs caractéristiques des marques des sociétés demanderesses au motif que la stratégie de la société JT INTERNATIONAL serait de prendre principalement pour « cible » publicitaire les jeunes et les adolescents ; qu’il indique avoir parodié ces marques afin d’attirer l’attention du même public que celui qui achète les cigarettes CAMEL et avoir choisi le mode humoristique à l’instar de la société JT INTERNATIONAL qui parodie elle-même la figure emblématique de ses marques que constitue le dromadaire. Attendu, cependant, que l’exception de parodie, propre au droit d’auteur et aux droits voisins, ne peut être invoquée en l’espèce, les demanderesses ayant fondée leur action sur le droit des marques qui ignore une telle exception. Attendu qu’ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée sont prohibés s’il résulte de cette imitation un risque de confusion dans l’esprit du public. Attendu qu’il ne peut être soutenu qu’existé en la cause un tel risque ; qu’en effet, le consommateur ne peut se méprendre sur l’origine de la campagne publicitaire du CNMRT alors que sont inscrites en gros caractères les mentions « CAMPAGNE DU TIMBRE 2001-2002 » et le slogan « TE LAISSE PAS ROULER PAR LA CIGARETTE » ; que le public, quel que soit son niveau d’attention, ne peut croire que les propos prêtés au dromadaire, qui apparaît affaibli et malade au contraire de celui figurant sur la marque CAMEL, ainsi que la présence d’une tête de mort, émanent de la société qui exploite les marques CAMEL agissant dans le cadre d’une campagne publicitaire tendant à promouvoir les produits du tabac qu’elle commercialise sous ces marques ; que le consommateur comprend immédiatement que les affiches et les timbres litigieux ont pour but de le détourner de la consommation des cigarettes vendues sous la marque CAMEL. Attendu qu’en l’absence de risque de confusion, la contrefaçon par imitation n’est pas constituée. II – SUR LES AGISSEMENTS PARASITAIRES ET LE DENIGREMENT

Attendu que les demanderesses font valoir, à titre subsidiaire, que les agissements du CNMRT consistant dans la réalisation d’une affiche et de timbres dans les conditions sus décrites constituent des agissements parasitaires et des actes de dénigrement ; qu’elles soutiennent que ces actes révèlent l’intention du CNMRT de discréditer les marques CAMEL ; que ce dernier rétorque que la liberté d’expression ne peut être régie par les dispositions de l’article 1382 du Code civil. Attendu que si les agissements parasitaires allégués par les demanderesses ne sont pas constitués dès lors que de tels agissements supposent la recherche d’un profit au moindre coût qui est absente en l’espèce, en revanche le but poursuivi par le CNMRT est bien de discréditer aux yeux du public, jeune en l’occurrence, les produits CAMEL que ce public privilégie par rapport à d’autres marques de cigarettes afin de le détourner de ces produits ; que le CNMRT reconnaît lui-même avoir choisi de reprendre, en les déformant d’une manière humoristique, les éléments caractéristiques des marques CAMEL précitées pour mieux attirer l’attention des jeunes sur les méfaits du tabac et les dissuader d’acheter les cigarettes vendues sous ces marques. Attendu que la légitimité du but de santé publique poursuivi par le CNMRT de même que la liberté d’expression que celui-ci invoque ne l’autorisent pas à porter atteinte aux droits des tiers qui exercent leur activité dans les limites des prescriptions légales. Attendu que le préjudice subi par les demanderesses du fait des actes fautifs commis par le CNMRT sera réparé par l’allocation de la somme de un euro à titre de dommages- intérêts ; qu’il sera fait droit à la demande d’interdiction sollicitée dans les conditions définies ci- après au dispositif. III – SUR L’ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE Attendu qu’il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des demanderesses les sommes qu’elles ont exposées au titre des frais irrépétibles. IV – SUR L’EXECUTION PROVISOIRE Attendu que l’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée. PAR CES MOTIFS Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, Dit que le COMITE NATIONAL CONTRE LES MALADIES RESPIRATOIRES ET LA TUBERCULOSE a commis une faute au préjudice des sociétés JT INTERNATIONAL et JAPAN TOBACCO Inc en utilisant certains des éléments du décor du paquet de cigarettes vendu sous la dénomination CAMEL aux fins de discréditer les produits commercialisés sous cette marque.

En conséquence, Lui interdit la poursuite de tels agissements sous astreinte de 30 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement. Le condamne à verser aux demanderesses la somme globale d’un euro à titre de dommages et intérêts. Rejette la demande formée par les sociétés JT INTERNATIONAL et JAPAN TOBACCO Inc au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement. Condamne le défendeur aux dépens.

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