Tribunal de grande instance de Paris, 6e chambre 1re section, 27 mars 2012, n° 11/01295

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 6e ch. 1re sect., 27 mars 2012, n° 11/01295
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 11/01295

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

6e chambre 1re section

N° RG :

11/01295

N° MINUTE :

Assignation du :

04 Novembre 2010

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 27 Mars 2012

DEMANDERESSE

S.A.S ACH Construction, anciennement dénommée Société LEVAUX

[…]

[…]

représentée par Me Louis DES CARS de la SELARL ALTANA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R021

DÉFENDERESSE

S.A.S COMPAGNIE FRANCAISE POUR L’EXPOSITION DE SHANGHAI 2010 (COFRES)

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Jacques BUÈS de l’AARPI BUES ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0363

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Mme BOITTELLE-COUSSAU, Vice-Présidente

Mme X, Juge

Madame CASTERMANS, Vice-Président

assistée de Madame Christine TINCHON, Greffier, lors des débats, Madame Nathalie LE POL, Greffier, à la mise à disposition de la décision

DÉBATS

A l’audience du 15 Février 2012 tenue en audience publique devant Mme X, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe

contradictoire

en premier ressort

Faits et prétentions

En 2008, la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») a engagé, en application de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privés non soumises au code des marchés publics et du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 fixant les règles applicables aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l’article 3 de l’ordonnance sus-visée, une procédure de dialogue compétitif portant sur l’attribution du marché de travaux de construction du Pavillon de la France pour l’exposition universelle de 2010 à Shanghai.

L’avis publié mentionne expressément que le marché de travaux est « passé en application de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 » et que la procédure suivie est celle du dialogue compétitif , le dossier de candidature devant être remis le 6 mai 2008.

A cette date, la société Levaux a remis le dossier de candidature du groupement momentané d’entreprises constitué de l’entreprise Levaux, mandataire et entreprise générale, la société chinoise Shanxi Construction Engineering (Group) Corporation, et les bureaux d’études ADP Ingénierie et ADEMAPE Ingénierie.

Au terme du « dialogue compétitif » conduit par la COFRES, la société Levaux a été informée par lettre datée du 14 octobre 2008, reçue le 16 octobre 2008, par la COFRES que son offre avait été rejetée.

Par lettre du 16 octobre 2008, la société Levaux a sollicité de la COFRES que celle-ci lui communique les motifs détaillés du rejet de son offre ainsi que les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire du marché.

La société Levaux a mis en demeure la COFRES par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 octobre 2008.

Sur le fondement de l’article 24-1° de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005, la société Levaux a engagé le 5 novembre 2008, une action en référé précontractuel devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir suspendre la procédure de dialogue compétitif, de voir annuler la décision prise le 14 octobre 2008 par la COFRES de rejeter l’offre remise par le groupement Levaux et de voir enjoint à la COFRES de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence et, par conséquent, de reprendre la procédure de consultation.

L’ordonnance de référé rendue le 26 novembre 2008 a donné acte à la société Levaux de ce que, au vu de l’exception d’irrecevabilité soulevée avant tout débat au fond par la COFRES, le contrat ayant été signé préalablement à l’audience, elle renonçait à ses demandes et, dans la mesure où la société Levaux ne connaissait pas la survenue de cette signature, jugé que l’équité ne commandait pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la COFRES.

Par acte signifié le 19 janvier 2010, la société Levaux a fait assigner la COFRES devant le Tribunal de Commerce de PARIS, aux fins d’être indemnisée du préjudice qu’elle a subi du fait de son éviction irrégulière.

Par un jugement en date du 4 novembre 2010, le Tribunal de commerce de PARIS s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance de PARIS.

Aux termes des dernières conclusions récapitulatives signifiées le 22 novembre 2011 auxquelles le tribunal se réfère expressément pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la société ACH Construction, anciennement dénommée Société LEVAUX demande au Tribunal de :

— “condamner la COFRES à payer à la société ACH Construction une somme de 3 648 948 euros représentant son manque à gagner,

- A titre subsidiaire, condamner la COFRES à payer à la société ACH Construction une somme de 361 487.58 euros représentant les frais de présentation de son offre

- En tout état de cause, dire que cette indemnité portera intérêt au taux légal à compter du 23 octobre 2008, date de réception par la COFRES de la mise en demeure adressée par la société ACH Construction en application de l’article 1441-1 du Code de procédure civile,

- Ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1154 du Code Civil

- Condamner la COFRES à payer à la société ACH Construction une somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la COFRES aux entiers dépens

- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant opposition ou appel et sans caution”;

A l’appui de ses demandes, elle fait valoir en substance :

— que les irrecevabilités de procédure exposées par la COFRES sont dépourvues de toute pertinence dans la mesure où la société LEVAUX est fondée à exercer un recours indemnitaire fondé sur l’article 1382 du code civil devant le Tribunal de Grande Instance de Paris et que le seul délai d’action applicable est le délai de prescription de droit commun qui n’est en l’espèce pas expiré ;

— que la COFRES a commis des manquements à son obligation de respecter les principes fondamentaux de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, auxquels était soumise la passation dudit marché ;

— que la COFRES a signé le marché le 26 octobre 2008 après voir été informée de l’intention de la société Levaux d’exercer un recours précontractuel par la mise en demeure qui lui a été signifiée le 21 octobre 2008 mais de manière à respecter le délai d’attente d’au moins dix jours ; qu’informée du recours par la mise en demeure préalable, la COFRES aurait du attendre avant de signer le marché afin que le litige soit tranché par un juge statuant dans un délai très bref ; que la COFRES a signé le marché sans avertir la société LEVAUX et a soulevé l’exception d’irrecevabilité de la requête devant le juge ; que dès lors la signature est intervenue dans le seul but de faire échec à la procédure de référé précontractuel, ce qui constitue un détournement de pouvoir privant la société LEVAUX de ses chances d’obtenir un marché ;

— que la COFRES a méconnu les règles portant sur les critères d’attribution du marché en ce que le critère d’attribution a finalement été “celui de l’offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction du critère unique du prix le plus bas”, alors que selon l’article 19 du règlement de consultation prévoyait “l’offre économiquement la plus avantageuse sera déterminée par application des critères de pondération suivants : qualité, conformité et fiabilité de l’offre 50% et économie du projet : 50%” et que le critère d’attribution ne peut être modifié en cours de procédure ; qu’en outre, la Cofres a ajouté, en fin de procédure, un critère d’attribution du marché portant sur le délai d’exécution des travaux ; que la modification est intervenue sans avoir été portée à la connaissance des candidats, postérieurement au dépôt de leurs offres et que le seul critère du prix le plus bas est interdit en procédure de dialogue compétitif ; que le dialogue compétitif conduit par la COFRES n’a pas respecté plusieurs délais impératifs fixés par l’article 40 du décret du 30 décembre 2005 ; que l’obligation d’utiliser la langue française fixée par l’article 40-I-3° du décret du 30 décembre 2005 a été écartée par la COFRES qui a accepté l’usage du chinois et de l’anglais, de sorte que cette dernière a méconnu le principe de transparence er de l’égalité de traitement entre les candidats ;

— que la COFRES s’est abstenue d’indiquer, même succinctement, les motifs du rejet de l’offre, et ce contrairement à l’article 46-I du décret;

— que la COFRES a méconnu l’objet et les règles du dialogue compétitif par un “détournement de procédure” dans la mesure où aucune des conditions posées à l’article 38 du décret du 30 décembre 2005 relatif au recours à la procédure dérogatoire de dialogue compétitif n’était remplie ;

— que la COFRES n’a pas respecté les règles du dialogue compétitif et qu’elle a apporté des modifications substantielles aux conditions initiales de la mise en concurrence, excédant ainsi la mesure des adaptations et modifications qu’elle était autorisée à apporter au dossier de consultation ;

— que ces irrégularités ont gravement affecté la mise en concurrence et faussé l’égalité de traitement des candidats, ce qui a conduit à favoriser l’entreprise chinoise et à écarter l’offre de la société Levaux ;

— que la COFRES a commis des manquements de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la société LEVAUX sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

— qu’en raison de chances sérieuses d’emporter le marché, la société LEVAUX demande à être indemnisée de l’intégralité de son manque à gagner correspondant à la perte du marché et à titre subsidiaire d’être remboursée des frais engagés pour participer à la procédure et déposer son offre;

Aux termes des dernières conclusions récapitulatives signifiées le 22 novembre 2011 auxquelles le tribunal se réfère expressément pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (COFRES) demande au Tribunal de :

— déclarer la demande de la société Levaux irrecevable,

— à titre subsidiaire, débouter la société Levaux de sa demande,

— la condamner au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

A l’appui de ses demandes, elle fait valoir en substance :

— que la demande est irrecevable aux motif que :

— la preuve de la commission d’une faute par la COFRES n’est pas apportée et la perte de chance n’est pas étayée et certaine,

— les motifs exposés à l’appui de la demande s’inscrivent dans une logique propre au recours pour excès de pouvoir et non celle d’un recours indemnitaire,

— les prétendus manquements invoqués ne peuvent plus l’être à ce stade de la procédure dans la mesure où un candidat évincé est tenue de démontrer que ses propres intérêts ont été lésés par les irrégularités alléguées et que cette situation est intervenue au moment où le juge est saisi et qu’en l’espèce, la société LEVAUX n’a jamais fait part à la COFRES de manquements susceptibles de léser ses intérêts, ni adressé de mise en demeure pour respecter ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

— que du début à la fin de la procédure, la société Levaux a disposé du même niveau d’information et des mêmes délais que les autres candidats et n’a fait part d’aucune observation ou difficulté au cours de la procédure ;

— qu’elle explique que la société LEVAUX confond les simples mesures d’informations préparatoires et celles se rattachant directement au dialogue et qu’elle nourrit également une confusion entre le dispositif de l’offre finale et celui de l’offre définitive ;

— que la société LEVAUX n’a nullement dénoncé des manquements au cours de la procédure, alors qu’elle disposait de tous les moyens nécessaires ;

— que les critères d’attribution du marché n’ont subi aucune modification dans la mesure où le critère du délai figurait expressément comme d’un des cinq éléments d’appréciation du critère n° 1 ;

— que l’obligation d’utiliser la langue française a été respectée dans la mesure où il a été simplement accepté que la décomposition de prix selon la réglementation chinoise soit remise le 15 octobre 2008 et qu’il n’est pas établi un manquement à l’usage du français pour des pièces autres que graphiques et leurs annexes conformément aux exigences de la réglementation chinoise ;

— que l’obligation de motivation de la décision de rejet de l’offre a été respectée dès lors que la COFRES a dans le délai maximal prescrit donné l’intégralité des renseignements sollicités ; que le manquement relatif au défaut d’indications succinctes des motifs de rejet n’a plus de

portée en droit dès lors que le pouvoir adjudicateur a répondu dans le délai de quinze jours à la demande de motivation du candidat évincé, ce qui est le cas en l’espèce ;

— que les conditions exigées pour le recours à la procédure de dialogue compétitif étaient réunies dans la mesure où la COFRES se trouvait dans l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins et d’établir le montage juridique ou financier du projet et qu’il s’agissait d’un financement complexe et structuré dont le montage financier et juridique ne pouvait être prescrit à l’avance ;

La clôture a été prononcée le 31 janvier 2011 et l’affaire a été examinée le 15 février 2012 devant le juge rapporteur ; le juge a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s’en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l’affaire a alors été mise en délibéré au 27 mars 2012 par mise à disposition de la décision au greffe.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix et la chose jugée. L’article 125 du même code dispose que le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

En l’espèce, la COFRES soulève l’irrecevabilité de la demande la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX en faisant valoir que les prétendus manquements invoqués ne peuvent plus l’être à ce stade de la procédure dans la mesure où un candidat évincé est tenu de démontrer que ses propres intérêts ont été lésés par les irrégularités alléguées et que cette situation est intervenue au moment où le juge est saisi et qu’en l’espèce, la demande la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX n’a jamais, au cours de la procédure de dialogue compétitif, fait part à la COFRES d’irrégularités de procédure, ni adressé de mise en demeure pour respecter ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Cette demande d’irrecevabilité doit s’analyser comme une fin de non recevoir pour défaut d’intérêt à agir de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX dans la mesure où il s’agit d’apprécier si cette dernière justifie d’un intérêt à se prévaloir d’irrégularités qu’aurait commises la COFRES lors de procédure de dialogue compétitif, alors que cette procédure est achevée et que le marché a déjà été attribué à un autre groupement de société.

La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX allègue des manquements aux obligations de mise en concurrence prévues par l’ordonnance du 6 juin 2005 et son décret d’application commis par la COFRES dans le cadre de la procédure de dialogue compétitif (le non-respect des délais impératifs, le non-respect de l’usage obligatoire du français, non-respect de l’objet et des règles du dialogue compétitif), alors que la COFRES soutient que ces irrégularités auraient dû être examinées dans le cadre d’une procédure en référé pré-contractuel et non a posteriori.

En application de l’article 24-1° de l’ordonnance du 6 juin 2005, le référé pré-contractuel est une procédure permettant d’obtenir au cours des procédures de passation des marchés publics et avant que ceux-ci ne soient signés la suspension ou l’annulation de décisions illégales. Ce recours a donc pour objet d’examiner les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence avant la conclusion du contrat.

Or, les griefs allégués par la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX portent en partie sur des irrégularités qui auraient été commises pendant la procédure de dialogue compétitif et avant la conclusion du marché, telles que le non-respect des délais impératifs, le non-respect de l’usage obligatoire du français, le non-respect de l’objet et des règles du dialogue compétitif.

Aucune des pièces produites au débat ne démontre que la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a fait état d’irrégularités en cours de procédure avant d’être informée du rejet de sa candidature. La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX n’a dénoncé auprès de la COFRES des manquements aux obligations de mise en concurrence que par courrier du 20 octobre 2008, soit après avoir reçu la lettre du 14 octobre 2008 refusant sa candidature.

Il n’est pas contesté par les parties que la COFRES ayant signé le marché le 26 octobre 2008, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a renoncé à faire valoir les manquements à la procédure de mise en concurrence et à soutenir ses demandes dans le cadre du référé pré-contractuel, comme l’indique l’ordonnance du 26 novembre 2008 du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que dans une procédure au fond, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX ne peut se prévaloir de griefs qui auraient du être examinés dans le cadre d’un référé pré-contractuel dont l’objet est de sanctionner au fur et à mesure de la procédure les irrégularités de mise en concurrence .

Dans ces conditions, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX ne présente aucun intérêt à agir contre la COFRES pour rechercher sa responsabilité délictuelle pour des fautes qui auraient été commises en cours de procédure de dialogue compétitif.

Par conséquent, la demande de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX se heurte en partie à une fin de non-recevoir s’agissant des irrégularités qui auraient été commises pendant la procédure de dialogue compétitif.

En revanche, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX présente un intérêt à agir contre la COFRES pour rechercher sa responsabilité délictuelle pour des fautes qui auraient commises au moment du choix final du candidat et de la signature du marché avec ce dernier.

Sur la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Il incombe à la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX d’apporter la preuve d’une faute imputable à la COFRES au moment du choix définitif du candidat et de la passation du marché qui serait à l’origine de la perte de chance d’obtenir le marché.

Sur la faute

La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX reproche à la COFRES d’avoir modifié le critère d’attribution du marché sans avoir porté cette modification à la connaissance des candidats et postérieurement au dépôt de leurs offres en se fondant sur un critère unique du “prix le plus bas”.

Si les avis d’attribution, publié par la COFRES au JOUE du 6 novembre 2008 et au BOAMP du même jour mentionnent expressément que le critère d’attribution a finalement été celui de l'”offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction du critère unique du prix le plus bas”, il ressort des termes de la lettre du 4 novembre 2008 faisant état des motifs du rejet et des classements des entreprises que les critères de pondération posés à l’article 19 du règlement de consultation pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse ont été respectés.

Le fait que le critère du “prix le plus bas” soit mentionné dans les avis d’attribution publiés dans les bulletins officiels ne suffit pas à démontrer que le candidat final a été choisi sur cet unique critère, alors que le rejet des autres candidats a été motivé au regard de chaque critère posé par l’article 19 du règlement de consultation.

Dès lors, il ne peut être reproché à la COFRES d’avoir modifié a posteriori des critères d’attribution du marché.

La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX reproche à la COFRES de ne pas avoir motivé sa décision de rejet de l’offre en temps utile pour pouvoir exercer une action contentieuse et d’avoir signé le marché, alors qu’elle avait été informée de son intention d’exercer un référé pré-contractuel.

En l’espèce, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a été informée du rejet de sa candidature par lettre notifiée le 14 octobre 2008, alors que le marché a été signé le 26 octobre 2008 avec le candidat retenu.

Il en résulte que le délai d’attente d’au moins dix jours entre la notification du rejet de l’offre et la signature du marché prévu à l’article 46 du décret du 30 décembre 2005 a été respecté, la signature du marché ne pouvant intervenir avant le 24 octobre 2008.

Toutefois, il ressort des pièces produites au débat que par lettre du 20 octobre 2008 adressée par lettre recommandée avec accusé de réception et signifiée par voie d’huissier le 21 octobre 2008 , la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a fait état à la COFRES de manquements et d’irrégularités qu’elle aurait commises pendant la procédure de dialogue compétitif et de son intention d’exercer un référé pré-contractuel pour suspendre la signature du marché et la contraindre à respecter les obligations de publicité et de mise en concurrence, de sorte que la COFRES avait été parfaitement informée de la volonté de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX d’exercer un recours contentieux dont la recevabilité était conditionnée par l’absence de signature du marché, ce qu’elle ne pouvait ignorer en qualité d’autorité adjudicatrice appliquant les dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 .

En outre, l’article 46-1 du décret du 30 décembre 2005 dispose que le pouvoir adjudicateur avise, dès qu’il a fait son choix sur les candidatures ou sur les offres, tous les autres candidats du rejet de leurs candidatures ou de leurs offres, en indiquant succinctement les motifs de ce rejet.

Cette disposition ne précise pas de délai dans lequel les motifs du rejet doivent être communiqués, alors que l’article 83 du code des marchés publiques prévoit un délai de quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite à cette fin.

Toutefois, l’article 46-1 du décret du 30 décembre 2005 s’inscrit dans le cadre de la transposition en droit interne de la directive “recours”89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 pour laquelle est intervenu l’article 24-1 de l’ordonnance du 6 juin 2005 prévoyant le référé pré-contractuel. Cette directive impose aux Etats-membres de prendre “les mesures nécessaires pour assureur que les décisions prises par les entités adjudicatrices peuvent faire l’objet de recours efficace au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de passation des marchés ou les règles nationales transposant ce droit”. L’objectif essentiel de cette directive est donc d’instaurer une possibilité de contester le plus rapidement possible l’attribution du marché.

Ainsi, une société dont la candidature a été rejetée est privée de la possibilité d’exercer un recours efficace pour contester l’attribution du marché si elle n’a pas reçue en temps utile les informations nécessaires à l’exercice de ce recours, et ce même si ces informations ont été adressées dans le délai de quinze jours.

En l’espèce, la lettre du 14 octobre 2008 notifiant à la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX le rejet de sa candidature ne comporte aucune motivation ou explication, de sorte que la COFRES n’a pas motivé, même de manière succincte, comme lui impose le décret du 30 décembre 2005, ce rejet.

Par lettre du 16 octobre 2008 adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX demande à la COFRES les motifs détaillés du rejet de son offre et les caractéristiques et les avantages relatifs à l’offre retenue ainsi que le nom du ou des attributaires du marché.

Le caractère peu lisible de la copie du recommandé produit au débat ne permet pas de déterminer de manière certaine la date à laquelle la COFRES a réceptionné cette lettre, même si la date du 23 octobre 2008 apparaît la plus probable. En tout état de cause, il importe peu de savoir si le délai de quinze jours a été respecté dans la mesure où il s’agit d’apprécier si la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a reçu en temps utile les informations nécessaires pour exercer un recours efficace pour suspendre la passation du marché.

Par lettre du 4 novembre 2008 faisant référence à la lettre du 16 octobre 2008, la COFRES a porté à la connaissance de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX les motifs du rejet de son offre en les détaillant par critères de pondération tels que fixés par l’article 19 du règlement de la consultation et les caractéristiques de l’offre du candidat retenu.

Il n’est pas contesté par les parties que l’assignation en référé d’heure à heure a été signifiée à la COFRES par acte du 5 novembre 2008 pour une audience fixée au 21 novembre 2008.

Aucune pièce produite au débat ne permet d’établir que la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX avait eu connaissance de l’existence de la signature du marché en date du 26 octobre 2008 avant d’engager la procédure de référé pré-contractuel et de délivrer l’assignation en référé d’heure à heure.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la COFRES a indiqué à la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX de manière détaillée les motifs du rejet de son offre près neuf jours après la signature du marché, de sorte que cette société a eu connaissance de ces motifs, elle ne pouvait plus exercer utilement le référé pré-contractuel dans la mesure où la recevabilité de ce recours était conditionnée par l’absence de signature du marché, ce que la COFRES ne pouvait ignorer en qualité d’autorité adjudicatrice appliquant les dispositions de l’ordonnance du 6 juin 2005 .

Ainsi, si la COFRES a respecté le délai d’attente de dix jours fixé par le décret du 30 décembre 2005, il n’en demeure pas moins qu’elle a signé le marché avant d’informer la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX des motifs du rejet de sa candidature et avant que soit examiné le référé pré-contractuel initié par cette dernière en connaissance des motifs de rejet, et ce par un juge statuant pourtant dans un délai très bref (20 jours), alors que la COFRES était tenue de motiver le rejet de l’offre en temps utile pour permettre l’exercice d’un action contentieuse et qu’elle avait été parfaitement informée de l’intention de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX d’exercer un référé pré-contractuel et qu’elle ne pouvait ignorer que la recevabilité de ce recours était subordonnée à l’absence de signature du marché.

En signant dans ces circonstances le marché le 26 octobre 2008 avec le candidat retenu, la COFRES a commis des manquements de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX .

Sur le préjudice

La perte d’une chance peut se définir comme la disparition de la probabilité d’un événement favorable lorsque cette chance apparaît suffisamment sérieuse. Si la perte de chance est établie, elle constitue un préjudice indemnisable. Toutefois, le dommage certain se limite à cette perte et non à la totalité du bénéfice que la victime aurait retiré de la survenance de l’événement dont la réalisation est empêchée. Ainsi, la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

En l’espèce, la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX estime que les manquements commis par la COFRES lui ont causé un préjudice correspondant à son manque à gagner suite à la perte du marché.

Toutefois, les manquements commis par la COFRES ont empêché la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX d’exercer un recours contentieux visant à annuler la procédure de dialogue compétitif telle qu’elle a été initiée et à suspendre la passation du marché. La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a ainsi été privée d’une chance de voir son recours examiner et aboutir, alors que la société Levaux a été sélectionnée par la COFRES à participer à toutes les phases successives du dialogue compétitif et que sa candidature et son offre ont été jugés “conformes” jusqu’à la remise de l’offre finale.

Dans ces conditions, le préjudice subi par la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX s’analyse comme une perte de chance d’obtenir le marché dont l’indemnisation ne peut correspondre qu’à une fraction du préjudice subi par cette société du fait du rejet de sa candidature par la COFRES et non au manque au gagner suite à la perte du marché.

La société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX ne peut donc être indemnisée à hauteur du manque à gagner résultant de la perte du marché fixé à 3 648 948 euros. En revanche, il ressort des pièces produites au débat relatives aux frais de présentation de l’offre et notamment aux nombreuses factures de billets d’avion, de location de voiture et de chambre d’hôtel que la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX justifie avoir dépensé la somme de 411 487,58 euros.

Il convient également de relever que s’agissant d’une procédure de dialogue compétitif portant sur un projet devant être construit sur le territoire chinois, ces frais ne peuvent être considérés comme des risques normaux qu’une entreprise assume en soumettant une offre en vue de l’obtention d’un marché et ne peuvent être compensés par la seule indemnisation de 50 000 €.

Il est constant que la société ACH Construction, anciennement dénommée la société LEVAUX a reçu une indemnisation de 50 000 € suite au rejet de son offre, qui doit venir en déduction du montant des frais de présentation de l’offre.

Par conséquent, il convient de condamner la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») à payer à la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX la somme de 361 487,58 €, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement.

Rien ne s’oppose à ce que les intérêts soient capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du Code Civil, à compter de la demande qui en a été faite en justice. Ces intérêts seront capitalisés dès lors qu’ils seront dûs pour une année entière.

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 700 du Code de Procédure Civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens à payer à l’autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la somme qu’il détermine en tenant compte de l’équité.

La Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES »), partie succombante, devra supporter les dépens et devra payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les circonstances de l’affaire ne justifient pas d’ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal ;

Statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort et par mise à disposition,

Dit que la demande de la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX se heurte à une fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt à agir s’agissant des irrégularités qui auraient été commises pendant la procédure de dialogue compétitif,

En conséquence, déclare irrecevable pour défaut d’intérêt à agir la demande de la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX portant sur les irrégularités qui auraient été commises pendant la procédure de dialogue compétitif,

Dit que la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX présente un intérêt à agir contre la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») pour rechercher sa responsabilité délictuelle pour des fautes qui auraient commises au moment du choix final du candidat et de la signature du marché avec ce dernier,

En conséquence, déclare recevable la demande de la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX pour des fautes qui auraient commises par la COFRES au moment du choix final du candidat et de la signature du marché avec ce dernier,

Dit que la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») a commis des manquements de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX,

En conséquence, Condamne la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») à payer la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX la somme de 361 487,58 €, à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

Dit que ces intérêts seront capitalisés dès lors qu’ils seront dûs pour une année entière,

Condamne la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») à payer la société ACH Construction, anciennement dénommée société LEVAUX la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la Compagnie Française pour l’Exposition de Shanghai 2010 (dénommée « COFRES ») aux dépens,

Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du présent jugement.

Fait et jugé à Paris le 27 Mars 2012

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 6e chambre 1re section, 27 mars 2012, n° 11/01295