Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 18 décembre 2013, n° 10/08508

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 18 déc. 2013, n° 10/08508
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 10/08508

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S (footnote: 1)

3e chambre 1re section

N° RG : 10/08508

N° MINUTE :

JUGEMENT

rendu le 18 Décembre 2013

DEMANDERESSE

Société G-Star Raw C.V., venant aux droits de la société G-Star Inrternational BV, intervenante volontaire

[…]

[…]

représentée par Me Stéphane COLOMBET – VIVIEN & Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0210

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. H & M X & MAURITZ

[…]

[…]

représentée par Me Julien FRENEAUX – SEP BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

Thérèse ANDRIEU, Vice Présidente

Camille LIGNIERES, Vice Présidente

assistées de Marie PIGNOLET Greffier

DEBATS

A l’audience du 15 Octobre 2013

tenue publiquement

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe

Contradictoirement

en premier ressort

FAITS ET PROCEDURE :

La société G-Star International B.V., société de droit néerlandais dont la marque éponyme « G-Star » a été créée en 1989, avait pour principale activité la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements, d’articles textiles et d’accessoires.

La société G STAR International BV a commercialisé un jean « ELWOOD qui présente :

— un empiècement en jean de forme arrondie situé au niveau de chaque genou, contenant des surpiqures placées au centre, à l’avant du jean ;

— une couture en diagonale située sous les poches avant du jean ;

— une surpiqûre apposée au niveau de chaque genou, à l’arrière du jean;

— une bande horizontale située au bas de chaque jambe, à l’arrière du jean.

La société H&M X et Mauritz, filiale française du groupe suédois H&M, est spécialisée depuis 1947 dans la fabrication et la commercialisation d’articles de mode.

Ayant découvert que la société H&M avait commercialisé en France un jean « & » sous la référence « Jeans Young 386580 » reproduisant selon elle les caractéristiques du jean « Elwood » et estimant en conséquence que la société H&M agissait en contrefaçon de ses droits d’auteur sur le jean « ELWOOD », la société G STAR INTERNATIONAL BV a alors fait l’acquisition de deux jeans litigieux dans des magasins à l’enseigne H & M.

La société G-Star International B.V. a mis en demeure, respectivement les 4 et 6 août 2009, la société H & M X & Mauritz, société mère du groupe située en Suède, ainsi que la société française H & M de confirmer par écrit avant le 20 août 2009 cesser toute reproduction illicite.

La société G STAR International B.V a également mandaté un huissier afin que ce dernier constate la commercialisation du jean litigieux dans deux magasins à l’enseigne H & M situés respectivement 54, […], […] niveau -1, -2 et -3, […].

Lors de ces opérations, le 11 août 2009, un exemplaire de jean de couleur bleu similaire à celui du jean "Elwood" selon la société G STAR a été acheté dans chaque magasin précité au prix de 39,90 euros.

La société G STAR International BV a fait assigner, par acte d’huissier en date du 4.06.2010, la société H&M X & Mauritz devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.

Sur autorisation du juge de la mise en état de la troisième chambre du tribunal de grande instance de Paris, en date du 12.01.2011,la société

G-STAR INTERNATIONAL BV a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux du siège social de la société H&M.

A l’issue des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 14 janvier 2011, la société H & M indiquait qu’elle avait commercialisé le jean argué de contrefaçon sous la référence 36858 « parfois ajouté d’un zéro devant ou derrière » mais indiquait ne pas être en mesure de communiquer de documents comptables.

Par conclusions d’incident en date du 7.02.2011 la société H&M a saisi le juge de la mise en état aux fins de rétraction de l’ordonnance précitée pour incompétence du juge ayant rendu l’ordonnance.

Par ordonnance en date du 1er.03.2011,le juge de la mise en état a déclaré la société H & M irrecevable en sa demande de rétractation.

La société H&M a formé appel de l’ordonnance le 4 mars 2011.

La cour d’appel par arrêt du 20 juin 2012 a déclaré la société H&M irrecevable en son appel.

La société H & M a formé un pourvoi en cassation.

La société G STAR RAW CV qui prétend avoir repris entièrement l’activité en avril 2011 de la société G STAR INTERNATIONAL B.V suite à la cessation d’activité de celle-ci, est intervenue volontairement à la procédure par conclusions en date du 29.06.2011.

Par conclusions récapitulatives notifiées par e-barreau en date du 09.09.2013, la société G STAR RAW a demandé au tribunal de :

constater que la société G-Star Raw C.V. vient aux droits de la société G-Star International B.V. et a qualité et intérêt à agir ;

constater l’originalité du modèle "Elwood" ;

constater la validité du procès-verbal de constat d’huissier du 11 août 2009 ;

En conséquence :

déclarer la société G-Star Raw C.V. recevable et bien fondée en ses demandes ;

débouter la société H & M X & Mauritz de ses demandes en nullité et irrecevabilité du procès-verbal de constat d’huissier du 11 août 2009,

constater que le modèle vendu et/ou proposé à la vente sous la référence "Jeans Young 386580" par la société H & M X & Mauritz contrefait le modèle original de jean "Elwood" dont G-Star Raw C.V. est titulaire des droits d’auteur ;

- En conséquence :

ordonner, avant dire droit sur le montant définitif du préjudice subi au titre des actes de contrefaçon, à la société H & M X & Mauritz de produire dans le mois de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard passé ce délai :

- les documents comptables et informations en sa possession sur les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et détenteurs antérieurs éventuels des modèles de jeans vendus en France sous la référence "Jeans Young 386580" ;

- les quantités produites, commercialisés, reçues ou commandées sur le territoire français, le chiffre d’affaires résultant de la commercialisation du jean vendu sous la référence "Jeans Young 386580", la durée de cette commercialisation ainsi que les documents comptables justifiant de ces éléments ;

ordonner à la société H & M X & Mauritz de cesser sans délai tout acte de contrefaçon du modèle de jean "Elwood" et de ne plus détenir, vendre ou offrir à la vente des produits contrefaisant ce modèle et ce, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

ordonner le retrait immédiat de tous les circuits commerciaux des produits contrefaisants et leur destruction, aux frais de la défenderesse et sous constat d’huissier, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

condamner la société H & M X & Mauritz à verser à la société G-Star Raw C.V. la somme provisionnelle de 150.000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ;

constater que la société H & M X & Mauritz a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société G-Star Raw C.V. ;

En conséquence :

ordonner à la société H & M X & Mauritz de cesser sans délai tout acte de concurrence déloyale à l’encontre de la société G-Star Raw C.V. ;

interdire à la société H & M X & Mauritz de commercialiser les produits référencés

« Jeans Young 386580" et ordonner le retrait immédiat de tous les circuits commerciaux et la destruction de ces produits, sous constat d’huissier et sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

condamner la société H & M X & Mauritz à verser à la société G-Star Raw C.V. la somme provisionnelle de 150.000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale ;

débouter la société H & M X & Mauritz de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

ordonner la nomination d’un expert avec pour mission de prendre connaissance de tous documents comptables produits avant dire droit par la société H & M X & Mauritz afin de déterminer le montant définitif du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon et des actes de concurrence déloyale ;

autoriser la société G-Star Raw C.V. à faire publier, en intégralité ou par extraits, la décision à intervenir, dans cinq (5) journaux, magazines ou périodiques de son choix, aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 10.000 euros, ainsi qu’en page d’accueil du site Internet de la société H & M X & Mauritz à l’adresse www.hm.com pendant une durée ininterrompue de six (6) mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

condamner la société H & M X & Mauritz à verser à la société G-Star Raw C.V. la somme de 40.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie ;condamner la société H & M X & Mauritz au paiement des entiers dépens.

En réplique, la société H&M par conclusions n°6 notifiées par e-barreau en date du 26.09.2013 a demandé au tribunal de :

Procéder conformément à l’article 299 du code de procédure civile à la vérification de l’acte sous seing privé du 20 décembre 1995 versé aux débats sous la pièce G-Star n°16,

Constater le faux, et écarter cette pièce des débats ;

Prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé le 11 août 2009 par le ministère de Maître A B, huissier de Justice, devant le magasin H&M du […] à Paris, et devant le Forum des Halles à Paris ;

subsidiairement, déclarer ce procès-verbal irrecevable en tant que preuve ;

en toute hypothèse, écarter des débats ce procès-verbal de constat, ainsi que toutes les pièces qui lui sont annexées ;

Prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 14 janvier 2011 par le ministère de Maître C D, huissier de Justice, au siège social de la société H&M

X et Mauritz ; l’écarter des débats, avec toutes les pièces qui lui sont annexées ;

Déclarer la société G-Star Raw C.V. irrecevable, et en tout cas mal fondée, en l’ensemble de ses demandes ; l’en débouter ;

Condamner la société G-Star Raw C.V. à payer à la société H&M X & Mauritz la somme de 25.000 € (vingt-cinq mille Euros) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Condamner la société G-Star Raw C.V. à payer à la société H&M X & Mauritz la somme de 50.000 € (cinquante mille Euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

Condamner la société G-Star Raw C.V. aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés par Maître Julien Fréneaux, Avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 1er octobre 2013.

SUR QUOI:

Sur la recevabilité à agir de la société G STAR RAW C.V:

La société H&M fait valoir que la cession de droits d’auteur intervenue le 20.12.1995 sensée avoir été conclue entre la société Depeche Hommes B.V et Monsieur E Z d’une part et la société G-STAR INTERNATIONAL B.V d’autre part sur le jean argué de contrefaçon est dénuée de force probante, que les actes de cession intervenus par la suite entre la société G-STAR INTERNATIONAL B.V et la société G STAR RAW sont également dénués de force probante, que l’opposabilité aux tiers de ces actes n’est pas établie.

La société H&M soutient en conséquence que la société G-STAR RAW échoue à établir ses droits d’auteur sur le jean Elwood et qu’elle ne saurait se rabattre sur la présomption de titularité instaurée au profit de la personne morale.

La société H&M relève que la société G STAR RAW immatriculée en 2011 ne peut invoquer une divulgation du jean litigieux sous son nom en 1997. De plus, elle n’est pas titulaire de la marque G STAR sous laquelle le jean est divulgué.

La société H&M conclut donc à l’irrecevabilité à agir de la société G-STAR RAW en contrefaçon de droits d’auteur sur le jean « Elwood ».

La société G-STAR RAW fait valoir en réplique bénéficier de la présomption prétorienne de titularité sur le jean « Elwood » et ce au vu des nombreux articles de presse produits établissant la divulgation de celui-ci à compter de 1997.

Elle considère en outre établir la preuve de la transmission des droits d’auteur à son bénéfice sur le jean litigieux par la production des actes de transmission confortés par la cession de droits d’auteur de Monsieur Z à la société G STAR INTERNATIONAL B.V.

Elle conclut au rejet de la fin de non recevoir soulevée par la société H&M.

Sur ce :

Une personne morale qui commercialise une oeuvre sous son nom de façon non équivoque est présumée titulaire des droits d’exploitation à l’égard des tiers poursuivis en contrefaçon en l’absence de revendications du ou des auteurs.

Pour bénéficier de cette présomption, il lui appartient de caractériser l’oeuvre sur laquelle elle revendique des droits, de justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et d’apporter la preuve que les caractéristiques de l’oeuvre qu’elle a commencé à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu’elle revendique.

Si les conditions de commercialisation apparaissent équivoques, il lui appartient alors de préciser les circonstances de fait et de droit qui la fonde à agir en contrefaçon.

Il ressort de la pièce n°3 de la société requérante s’agissant d’extraits de presse que le jean Elwood a été divulgué sous le nom commercial GSTAR et sous la marque G STAR en 1997 dans le magazine « Sportswear international News France ».

Il n’est pas nécessaire que que la dénomination sociale de la société GSTAR International B.V soit indiquée en son intégralité comme le soutient la société H&M, la divulgation d’un produit par une personne morale sous son nom commercial étant suffisante pour établir la présomption de titularité sachant que c’est sous son nom commercial que la personne morale connue du public.

Dans ces conditions, la société G STAR International BV établit bénéficier d’une présomption de titularité non équivoque sur le jean Elwood sans qu’il soit nécessaire d’analyser les preuves de création et de cession des droits d’auteur par Monsieur Z au bénéfice de la société G STAR International B.V.

La société H&M conteste le fait que la société G STAR RAW C.V soit venue aux droits de la société G.STAR INTERNATIONAL B.V et puisse se prévaloir d’une présomption de titularité que seule la société G.STAR INTERNATIONAL B.V pouvait invoquer.

La société G STAR RAW C.V produit sous la pièce n° 47 un acte de cession en date du 19.04.2011 intervenu entre la société G STAR INTERNATIONAL B.V et elle-même portant sur tous les droits de propriété intellectuelle détenus par la société cédante à la fois déposés et non déposés en ce compris les droits d’auteur.

Il s’agit d’une transmission universelle de patrimoine non critiquée par la société H&M de sorte que la question du périmètre de la cession importe peu.

L’acte de cession qui porte d’une part la signature de la société G STAR RAW cessionnaire et d’autre part la signature de la société G STAR INTERNATIONAL BV cédante est valable sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la production de l’acte de cession en original d’autant que la société G STAR RAW INTERNATIONAL a pris la précaution de produire sous les pièces 76 et 76 bis un certificat notarié établi aux Pays Bas et attestant de ce que le document de cession produit sous la pièce n°47 est la copie conforme du document original.

Par la production de cet acte de cession, la société G STAR RAW établit la chaîne des droits dont elle bénéficie.

Le moyen selon lequel l’acte de cession intervenu entre la société G STAR International B.V et la société G STAR RAW ne serait pas opposable aux tiers du fait de l’absence de publication est sans pertinence dans le cadre du présent litige dans la mesure où la société G STAR RAW invoque une présomption de titularité sur un produit que seule elle oppose aux tiers.

Dans ces conditions, la société G STAR RAW établit venir aux droits de la société G STAR INTERNATIONAL B.V du fait de la transmission universelle des droits de propriété intellectuelle de sorte qu’elle bénéficie aux lieux et place de la société G STAR INTERNATIONAL B.V de la présomption de titularité à l’égard des tiers établie de façon non équivoque sur le jean Elwood et ce, sans qu’il soit nécessaire de débattre de la question de la validité de la transmission des droits d’auteur et du périmètre de la cession.

La société G STAR RAW a donc qualité pour agir en contrefaçon de droits d’auteur sur le jean Elwood.

Sur l’originalité du jean Elwood:

La société G STAR RAW fait valoir que l’originalité du jean Elwood réside dans le choix volontaire d’une coupe inspirée de celle "d’un pantalon de motard qui se serait déformé après de longues heures passées sur une bécane, que l’agencement de coutures et de surpiqures ne répond à aucune nécessité fonctionnelle ou technique liée aux contraintes de sécurité de la conduite d’une moto, à la différence des pantalons de motard.

La société G STAR RAW fait valoir que l’originalité du jean Elwwod réside dans le choix volontaire d’une coupe inspirée de celle "d’un pantalon de motard qui se serait déformé après de longues heures passées sur une bécane, que l’agencement de coutures et de surpiqures ne répond à aucune nécessité fonctionnelle ou technique liée aux contraintes de sécurité de la conduite d’une moto, à la différence des pantalons de motard.

La société H&M soutient que les différentes coutures notamment à l’arrière du jean au niveau du genou ne sont pas esthétiques mais dictées par des critères fonctionnels pour permettre la flexion de la jambe gênée par l’empiècement à l’avant, que la différence de niveau de la jambe est comblée par l’ajout de la bande horizontale et qu’en conséquence ces éléments ne peuvent constituer des éléments ornementaux ayant uniquement pour fonction de produire la forme tridimensionnelle de pantalon recherchée.

De façon plus générale, la société H&M entend faire remarquer que le pantalon Elwood n’est pas original en ce qu’il reprend la forme d’un pantalon de motard.

Sur ce :

Comme il a été dit précédemment, la société G STAR RAW C.V bénéficie d’une présomption de titularité sur le jean Elwood mais elle doit expliciter en quoi l’œuvre qu’elle revendique est originale pour que celle-ci soit protégée par le droit d’auteur.

Elle décrit le jean revendiqué comme présentant la combinaison de caractéristiques originales de la façon suivante :

— un empiècement en jean de forme arrondie située au niveau de chaque genou, contenant des surpiqures placées au centre, à l’avant du jean ;

— une couture en diagonale située sous les poches avant du jean ;

— une surpiqure apposée au niveau de chaque genou, à l’arrière du jean;

- une bande horizontale située au bas de chaque jambe, à l’arrière du jean.

Le tribunal constate que le jean Elwood présente une combinaison de différents éléments au niveau notamment des renforts aux genoux et du bas des jambes de pantalon qui lui donnent un aspect de pantalon de motard détourné à des fins esthétiques ne s’agissant pas de contraintes techniques imposées par la destination du jean s’agissant d’un pantalon proposé pour être porté dans la vie quotidienne mais de choix arbitraires qui révèlent l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

La société G STAR RAW qui explicite l’originalité du jean « Elwood » est recevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur à l’égard de la société H&M.

Sur la demande de nullité du procès-verbal de constat en date du 14.08.2009:

La société H&M relève que l’huissier instrumentaire était assisté d’une stagiaire laquelle a pénétré dans le magasin H&M du 54 boulevard Haussman à Paris.

Cette stagiaire membre du cabinet d’avocats de la société requérante ne pouvait selon la société H&M procéder à l’achat du produit litigieux sans rompre le principe de l’égalité des armes de sorte que le procès-verbal de constat est entaché selon elle de nullité pour irrégularité de fond tenant à la qualité de la personne qui a remis à l’huissier les pièces annexées au procès-verbal lequel ne pouvait y procéder.

A tout le moins, la société H&M considère que le procès-verbal devra être écarté des débats.

La société G STAR RAW conclut au rejet de la demande de nullité soulevée par la société H&M.

Sur ce:

Un constat d’achat vise à rapporter la preuve de la présence de marchandises arguées de contrefaçon.

Le fait que l’huissier constate qu’une personne est entrée dans un magasin les mains vides pour en ressortir avec un achat qui sera annexé au procès-verbal est régulier quelque soit la qualité de la personne qui procède à l’achat, l’huissier intervenant régulièrement dans le cadre de la mission de constat qui lui est confiée par le requérant.

La société H&M ne démontre pas en quoi la qualité de stagiaire du cabinet de conseil de la société requérante l’empêcherait de procéder à l’achat du produit litigieux et constituerait une irrégularité de fond.

En conséquence, il ne s’agit que d’une irrégularité de forme et la société H&M ne rapporte pas la preuve d’un grief.

En conséquence, la société H&M est déboutée de sa demande en nullité du procès-verbal de constat en date du 14.08.2009.

Sur la demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14.01.2011:

La société H&M soulève trois moyens de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14.01.2011.

- Une ordonnance rendue par un juge qui n’en avait pas le pouvoir:

La société H&M soutient que le juge du fond peut annuler des actes d’exécution d’une ordonnance sur requête pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l’ordonnance par le juge qui l’a rendue.

Elle estime en l’espèce que le juge qui a autorisé la saisie-contrefaçon est intervenu en qualité de juge de la mise en état alors qu’il devait intervenir en qualité de délégataire du président de la troisième chambre civile 1re section à laquelle l’affaire avait été distribuée et que le procès-verbal de saisie-contrefaçon doit être annulé car dressé en vertu d’une ordonnance que le juge de la mise en état n’avait pas le pouvoir de délivrer.

La société G STAR RAW conclut au rejet de la demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon la mention du juge statuant en qualité de juge de la mise en état n’étant qu’une erreur matérielle qui ne saurait entacher le procès-verbal de nullité.

Sur ce:

Il appartient au tribunal saisi de l’instance au fond de statuer sur la demande de nullité pour défaut de compétence du juge saisi qui a délivré l’ordonnance autorisant le requérant à procéder aux opérations de saisie-contrefaçon et ce, sans faire obstacle aux dispositions qui autorisent le juge qui a rendu l’ordonnance de connaitre des recours en rétraction formés contre l’ordonnance rendue.

L’article 812 du code de procédure civile dispose que « Le président du tribunal est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi… les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge saisi ».

L’article 812 alinéa 3 prévoit en conséquence que les requêtes doivent être présentées lorsque l’instance est en cours ce qui est le cas dans le présent litige devant le président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée au ou juge saisi.

En l’espèce, l’affaire avait été distribuée à la troisième chambre civile 1re section du tribunal de grande instance de Paris et à la date de la présentation de la requête en saisie-contrefaçon le 12.01.2011, l’affaire était traitée par le juge de la mise en état s’agissant du juge saisi chargé du suivi de la procédure jusqu’à la saisine du tribunal au fond et ainsi exclusivement compétent pour statuer jusqu’à son dessaisissement en application des dispositions de l’article 771 du code de procédure civile.

Le juge de la mise en état au vu des articles 812 alinéa 3 et 771 du code de procédure civile avait ainsi compétence pour statuer sur la requête en saisie-contrefaçon qui lui était présentée en cours d’instance en sa qualité de juge saisi de sorte que le moyen soulevé par la société H & M pour incompétence du juge qui a rendu l’ordonnance est rejeté.

- Saisie sans présentation au saisi de la minute de l’ordonnance:

La société H&M fait valoir que l’ordonnance sur requête ne peut être exécutée que sur présentation à la personne à laquelle elle est opposée de la minute de l’ordonnance ou d’une expédition revêtue de la formule exécutoire, la signification d’une copie de l’ordonnance étant insuffisante.

Il ressort de l’acte de signification d’ordonnance en date du 14.01.2011 à 11H45 que l’huissier a signifié et laissé copie certifiée conforme d’une requête et d’une ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal de grande instance de Paris en date du 12.01.2001 et qu’il est mentionné en outre dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14.01.2011 que l’huissier agit en « vertu d’une ordonnance rendue sur requête en date du 12.01.2011 dont il est porteur et qu’il va agir en vertu de cette ordonnance en informant le saisi lequel a eu le temps matériel d’en faire la lecture et de téléphoner éventuellement à son conseil ».

En conséquence, les diligences opérées par l’huissier et mentionnées au procès-verbal de saisie-contrefaçon ont permis au saisi de prendre connaissance de la minute de l’ordonnance, le contenu de celle-ci lui ayant été lu par l’huissier.

Ce moyen est donc rejeté.

- Investigations en l’absence de découverte préalable des objets argués de contrefaçon sur les lieux de la saisie:

La société H&M fait valoir que l’huissier a procédé à la saisie d’éléments comptables sans avoir cherché au préalable à saisir les produits et à décrire les produits, objets de la saisie-contrefaçon, que l’huissier en procédant de la sorte a outrepassé ses pouvoirs, que la nullité du procès-verbal doit être prononcée pour irrégularité de fond.

Sur ce :

Le but d’une saisie-contrefaçon est la saisie-réelle et descriptive d’objets argués de contrefaçon.

La recherche de documents et d’informations est subordonnée à la découverte préalable des produits argués de contrefaçon sur les lieux de la saisie.

En l’espèce l’huissier a procédé dès son arrivée sur les lieux de la saisie à la recherche d’éléments comptables et au questionnement du salarié de la société H&M sans au préalable s’enquérir de la présence sur les lieux des jeans argués de contrefaçon alors-que l’ordonnance lui imposait de procéder d’emblée à une saisie descriptive et ne l’autorisait pas à poursuivre les opérations de saisie en cas d’absence de découverte de produits argués de contrefaçon sur place.

En agissant ainsi, l’huissier instrumentaire a outrepassé les termes de la mission pour laquelle il était autorisé par ordonnance judiciaire.

La nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14.01.2011 est prononcée pour irrégularité de fond en application des dispositions de l’article 117 du code de procédure civile pour défaut de qualité à agir de l’huissier instrumentaire et sans qu’il soit nécessaire pour la partie qui l’invoque de rapporter la preuve de l’existence d’un grief.

Sur les actes de contrefaçon:

En l’absence d’autorisation expresse et préalable du titulaire des droits patrimoniaux sur une oeuvre, toute imitation, reproduction ou représentation -peu important qu’elle soit partielle ou totale- de celle-ci constitue un acte de contrefaçon, en application de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que :

« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque".

De même, l’article L. 335-3 du même code indique que :

« Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi".

Pour apprécier la contrefaçon il convient de s’attacher aux ressemblances et non aux différences.

Le tribunal constate que le jean référencé "Jeans Young 386580" reprend les caractéristiques essentielles du jean Elwood à savoir :

— un empiècement en jean de forme arrondie situé au niveau de chaque genou, contenant des surpiqures placées au centre, sur l’avant du jean et une surpiqure au niveau de chaque genou à l’arrière du jean ;

— une couture en diagonale située sous les poches avant du jean ;

— une bande horizontale située au bas de chaque jambe à l’arrière du jean.

La combinaison des éléments ornementaux du jean de la société H&M crée en conséquence le même effet que celui produit par le « Elwood », la reprise de ces caractéristiques conférant au jean le même aspect global, la même forme que ceux du jean de la société G STAR lesdites caractéristiques et la forme du pantalon étant indissociables.

La société H&M a donc commis des actes de contrefaçon en offrant à la vente et en commercialisant le jean « Elwood » et sera condamnée à réparer le préjudice subi à ce titre.

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire :

La concurrence déloyale et le parasitisme sont certes pareillement fondés sur l’article 1382 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

En effet, la concurrence déloyale comme le parasitisme présentent la caractéristique commune d’être appréciés à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.

La société H&M soulève l’irrecevabilité à agir de la société G STAR RAW pour les mêmes motifs que ceux invoqués à l’appui de la recevabilité de la demande en contrefaçon de droits d’auteur de la société G STAR RAW lesquels ont été écartés.

Le tribunal relève qu’à l’appui de sa demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale, la société G STAR RAW fait valoir que le jean contrefaisant est commercialisé dans les mêmes lieux que le jean Elwood, est d’une moindre qualité de tissu et est vendu à un prix inférieur ce qui dévalorise le jean Elwood.

S’il s’agit d’éléments aggravant les faits de contrefaçon ils ne caractérisent pas des faits distincts de concurrence déloyale de sorte que la société G STAR RAW est irrecevable en ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et de façon surabondante, la société G STAR RAW ne démontre pas avoir qualité à agir sur le fondement de la concurrence déloyale faute d’opposabilité de ses droits, la présomption de titularité ne pouvant jouer que sur le fondement du droit d’auteur.

Sur la réparation du préjudice subi:

Aux termes de l’article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.

Faute d’éléments fournis par la société H&M sur l’étendue de la commercialisation du jean contrefaisant « Jeans Young 386580 »et le réseau de distribution en France, il convient d’ordonner à la société défenderesse de fournir les documents comptables sous astreinte pour permettre d’évaluer le préjudice et ce suivant les modalités fixées au dispositif.

Il n’est pas nécessaire d’ordonner une expertise sur la base des documents qui seront produits et évaluer le montant du préjudice subi.

Il appartiendra aux parties de se mettre d’accord sur le montant de préjudice et en l’absence d’accord de saisir à nouveau le tribunal aux fins de l’évaluer.

Les mesures d’interdiction, de rappel des circuits commerciaux et de destruction des stocks seront également ordonnées suivant les modalités fixées au dispositif.

La demande de provision à valoir sur la réparation du préjudice est rejetée faute d’éléments suffisants pour l’évaluer.

La mesure de publication est rejetée.

Sur les autres demandes

La société H&M est déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive succombant dans ses prétentions.

Les conditions sont réunies pour condamner la société H&M à verser à la société G.STAR RAW la somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exécution provisoire de la présente décision est ordonnée sauf en ce qui concerne la mesure de destruction des stocks.

La société H&M est condamnée aux dépens .

PAR CES MOTIFS:

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort et par remise au greffe au jour du délibéré,

Déclare la la société G-Star Raw C.V. venant aux droits de la société G-Star International B.V. recevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur sur le jean Elwood,

Déclare la société G STAR RAW irrecevable en ses demandes au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

Rejette la demande de nullité du procès-verbal de constat d’huissier du 11 août 2009,

Prononce la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 14.01.2011,

Dit que le jean vendu et/ou proposé à la vente sous la référence "Jeans Young 386580" par la société H & M X & Mauritz contrefait le jean "Elwood" sur lequel la société G-Star Raw C.V. est titulaire de droits d’auteur,

Condamne la société H&M à réparer le préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis au préjudice de la société G STAR RAW,

En conséquence :

Ordonne à la société H & M X & Mauritz de cesser tout acte de contrefaçon du jean "Elwood" en France et de ne plus détenir, vendre ou offrir à la vente des produits contrefaisant le jean Elwood et ce, sous astreinte provisoire de 75 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai de six mois,

Ordonne avant dire droit sur le montant définitif du préjudice subi au titre des actes de contrefaçon, à la société H & M X & Mauritz de produire dans le mois de la signification du présent jugement sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai et ce pendant un délai de trois mois :

- les quantités produites, commercialisées, reçues ou commandées sur le territoire français, le chiffre d’affaires résultant de la commercialisation du jean vendu sous la référence "Jeans Young 386580", la durée de cette commercialisation ainsi que les documents comptables justifiant de ces éléments,

Dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes provisoires ordonnées,

Ordonne le retrait de tous les magasins H&M des produits contrefaisants s’agissant du jean référencé Jeans Young 386580"et leur destruction, aux frais de la défenderesse et ce sous constat d’huissier dans le mois de la signification de la présente décision,

Dit que les parties une fois les documents produits évalueront le montant du préjudice subi et à défaut d’accord saisiront à nouveau le tribunal pour statuer sur son évaluation,

Déboute la société G STAR RAW de sa demande d’expertise sur le préjudice subi,

Déboute la société G-Star Raw C.V.de sa demande provisionnelle à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon ,

Déboute la société G STAR RAW de sa demande de publication judiciaire,

Déboute la société H & M X & Mauritz de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,

Condamne la société H & M X & Mauritz à verser à la société G-Star Raw C.V. la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision hormis en ce qui concerne la mesure de destruction des stocks,

Condamne la société H & M X & Mauritz au paiement des entiers dépens.

Fait et jugé à Paris le 18 Décembre 2013

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 18 décembre 2013, n° 10/08508