Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 17 novembre 2017, n° 17/59538

  • Message·
  • Commentaire·
  • Pseudonyme·
  • Site·
  • Adresse url·
  • Assignation·
  • Sociétés·
  • Huissier·
  • Référé·
  • Liberté d'expression

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TGI Paris, réf., 17 nov. 2017, n° 17/59538
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 17/59538

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

N° RG :

17/59538

N° : 1/FF

Assignation du :

07 Juillet 2017

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

rendue le 17 novembre 2017

par A B, Juge au Tribunal de Grande Instance de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Myriam POZZI, Faisant fonction de Greffier.

DEMANDERESSE

Société EUROCONCERT

[…]

[…]

représentée par Me Jean-baptiste POTIER, avocat au barreau de PARIS – #E0164

DÉFENDEURS

Monsieur C Y

[…]

[…]

représenté par Me Anne-constance COLL, avocat au barreau de PARIS – #E0653

Madame D X

[…]

[…]

non comparante

DÉBATS

A l’audience du 13 Octobre 2017, tenue publiquement, présidée par A B, Juge, assisté de Géraldine DRAI, Greffier,

Nous, Président,

Vu l’assignation en référé délivrée le 17 juillet 2017 à l’encontre C Y et D X à la requête de la société EUROCONCERT qui nous demande, au visa des articles 809 du code de procédure civile et 1240 du code civil :

— de condamner les défendeurs à cesser de tenir des propos dénigrants à son encontre, sous quelque forme que ce soit, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la présente ordonnance,

— de condamner les défendeurs à procéder, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, au retrait de certains commentaires publiés sur différents sites et accessibles à différentes adresses URL,

— de condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme provisionnelle de 5 000 € à titre de dommages et intérêts,

— de condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— de condamner solidairement les défendeurs aux entiers dépens,

Vu les écritures déposées à l’audience du 13 octobre 2017 par le conseil de C Y, aux termes desquelles celui-ci conclut à voir débouter la société EUROCONCERT de toutes ses demandes et de la voir condamner à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

Les conseils des parties comparantes ayant été entendus en leurs plaidoiries à l’audience du 13 octobre 2017, à l’issue de laquelle avis leur a été donné de ce que l’ordonnance à intervenir serait prononcée le 17 novembre 2017, par mise à disposition au greffe,

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la qualification de la décision :

D X a été régulièrement citée à comparaître mais n’a pas comparu ; il sera statué par ordonnance réputée contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 473 du code de procédure civile.

L’article 472 du même code dispose que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et que le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur le rappel des faits :

La société EUROCONERT vend et loue des pianos.

A partir du 16 janvier 2015, la société EUROCONCERT a loué un piano à C Y.

En juin 2017, C Y a informé la société EUROCONCERT de ce qu’il entendait mettre un terme à la location en raison de son déménagement.

Après des difficultés rencontrées par les parties pour fixer la date à laquelle la société EUROCONCERT reprendrait le piano, la demanderesse a récupéré l’instrument le 14 juin 2017.

Le 15 juin 2017, la société EUROCONCERT a demandé par mail à C Y de retirer un « commentaire désobligeant sur trust pilot » ; C Y a répondu le même jour qu’il ne voyait pas de quoi elle parlait et a indiqué qu’il s’agissait peut-être d’un commentaire de son amie.

L’échange de mails entre les intéressés s’est poursuivi à ce sujet.

C Y a indiqué qu’il attendait toujours la restitution de sa caution ; il a ensuite avisé la société EUROCONCERT de ce qu’à défaut de restitution de la caution, il publierait des avis négatifs sur elle.

Le 20 juin 2017, la société EUROCONCERT a indiqué par mail qu’elle ne restituerait pas la caution, faute selon elle pour son client d’avoir fait accorder le piano pendant qu’il lui était loué.

C Y a répondu en persistant dans sa réclamation de restitution de sa caution, faute de quoi il publierait des avis négatifs sur différents sites.

Des commentaires ont été publiés sur internet au sujet de la société EUROCONCERT, sur différents supports en ligne.

Le 22 juin 2017, la société EUROCONCERT a mis C Y en demeure de retirer « de très nombreux commentaires sur plusieurs sites internet (notamment Google, Pagesjaunes, Trustpilot, Yelp et Z) » et notamment un commentaire « publié sur le site www.trustpilot.com », deux « commentaire[s] publié[s] le 20 juin 2017 sur www.Z.com » et un « commentaire publié le 20 juin 2017 sur www.pagesjaunes.fr ».

Le 23 juin 2017, le conseil de la société EUROCONCERT a mis en demeure le site Trustpilot, les Pages Jaunes, Google et Yelp de retirer des commentaires en ligne.

C’est dans ces conditions que l’assignation en référé a été délivrée à C Y et à son amie, D X.

Sur les moyens des parties :

Au soutien de ses demandes, la société EUROCONCERT fait valoir, en substance, que la diffusion des messages litigieux constitue un dénigrement à son égard, caractérisant l’intention des défendeurs de lui nuire, et qu’il en résulte pour elle un trouble manifestement illicite.

C Y conteste l’existence d’un dommage imminent et d’un trouble manifestement illicite. Sur ce point, il conteste en premier lieu être responsable de ces commentaires. Il fait valoir, en deuxième lieu, que les propos qui lui sont reprochés entrent dans le champ de la liberté d’expression reconnue aux consommateurs dans la critique des produits et services.

Sur ce :

Aux termes de l’article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Il convient de rappeler que, hors restriction légalement prévue, la liberté d’expression est un droit dont l’exercice, sauf dénigrement de produits et de service, ne peut être contesté sur le fondement de l’article 1240 (anciennement 1382) du code civil. Le dénigrement de produits et de services constitue une action spécifique, dont l’objet n’est pas de protéger l’honneur et la considération d’une entreprise, des personnes qui la dirigent ou qui lui sont préposées – ce qui relève de l’application exclusive de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse –, mais de réparer les dommages résultant des abus du droit à la critique dont ses produits ou les services qu’elle propose peuvent faire l’objet.

En tout état de cause, en matière de référé, l’abus invoqué doit être caractérisé avec évidence, ce qui suppose la démonstration d’une faute d’une particulière gravité et excédant, sans contestation possible, les limites admissibles de la liberté d’expression, qui doivent être appréciées de manière particulièrement large quand est mise en cause la critique formulée par un consommateur, lequel doit nécessairement bénéficier d’une protection accrue dans l’exercice de ce droit fondamental.

Au cas d’espèce, il convient de relever que :

— aux termes de l’acte introductif d’instance, la société EUROCONCERT demande le retrait d’un message qui aurait été selon elle publiée par D X sur Facebook, cinq messages qui auraient été selon elle publiés par C Y sous son propre nom et sous quatre autres noms sur Google, cinq messages qui auraient été publiés sur le site Trustpilot, selon elle sous des pseudonymes, quatre messages qui auraient été publiés sur le site Pagesjaunes.fr sous le nom de D X ainsi que, selon elle, sous trois pseudonymes, trois messages qui auraient été publiés sur le site Yelp sous le nom de D X et, selon elle, sous deux pseudonymes, ainsi que « des messages » qui auraient été publiés sur le site Z, selon elle sous un pseudonyme ;

— il existe des incertitudes sur la correspondance entre les messages indiqués comme faisant partie de l’objet des poursuites, selon les termes des demandes formulées au dispositif de l’assignation, et les contenus évoqués dans le corps de l’assignation, qui fait par exemple état d’un commentaire qui aurait été publié le 20 juin 2017 sous le pseudonyme « clemsaussu » sur le site Z mais qui n’est pas repris au dispositif comme étant inclus dans les poursuites, le dispositif n’indiquant, pour ce site, qu’un message publié sous le pseudonyme « mehdi.camali » ;

— la demanderesse produit aux débats, outre des constats d’huissier, des impressions libres de contenus en ligne, dont les termes de la citation ne permettent pas d’identifier, parmi tous les contenus qui y apparaissent, ceux qu’elle entend exactement et précisément poursuivre, se bornant à se référer, dans le corps de l’assignation, de manière globale et sans précision, outre les constats d’huissier, à ses pièces n° 6 à 10 ;

— ces impressions libres ne sauraient en tout état de cause avoir une valeur probante dans la mesure où l’imputabilité du contenu querellé est contestée en défense, en sorte qu’il convient de s’en tenir aux constatations faites par huissier ;

— les constatations faites par huissier sur le site « www.google.fr », à l’URL indiquée dans le dispositif de l’assignation, font apparaître un seul message publié sous le nom de C Y, encore sous la forme d’une impression d’écran sur laquelle ne s’affiche qu’une partie de la traduction automatique du message, dont le seul contenu ainsi authentifié – et sous réserve de l’exactitude de la traduction – se borne à faire état des prix élevés pratiqués par la société demanderesse ainsi que de la piètre qualité de ses pianos et de son service clientèle, ce qui n’excède aucunement les limites du droit à la libre critique de biens et services ;

— il ne peut être tenu compte des autres messages publiés sous d’autres noms, dans la mesure où C Y conteste en être à l’origine et où aucun élément ne permet de les lui attribuer, à lui-même ou à D X ;

— les constatations faites par huissier sur le site Trustpilot à l’adresse URL indiquée dans la citation font apparaître des avis publiés sous plusieurs noms ou pseudonymes indiqués dans l’assignation, mais aucun élément certain ne permet d’attribuer ces pseudonymes aux défendeurs ou à l’un deux, ni de leur imputer, partant, la publication de ces commentaires ;

— c’est en vain que l’on recherche, dans ces constatations, le message qui aurait été publié sur ce site au nom de D X le 20 juin 2017, comme le prétend la demanderesse (en page 7 de l’assignation, cf. note 5 en bas de page), message dans lequel celle-ci aurait dit que EUROCONERT est « probablement le pire magasin de location de Paris », ce qui n’excède pas, de toute façon, avec l’évidence requise en référé, les limites de ce que peut dire un client mécontent ;

— les constatations faites par huissier sur Facebook portent sur une adresse URL distincte de celle indiquée dans la citation et ne font apparaître qu’une publication, sur le profil de la société EUROCONCERT, mise en ligne au nom de D X et qui désigne cette enseigne en termes certes virulents (« horrible shop, worst client service ever. Very high prices compared to the competition, and poor quality of intruments. Don’t get here […] Avoid Euroconcert, they are not worth your time and money! ») mais qui n’excèdent pas les limites de ce que peut écrire un consommateur exprimant son vif mécontentement ;

— les constatations faites par huissier sur le site Pagesjaunes.fr portent sur une autre adresse URL que celle mentionnée dans la citation et ne font apparaître aucun message publié sous le nom d’un des deux défendeurs ;

— c’est en vain que l’on recherche, dans ce constat, le commentaire qui y aurait été publié sous le « profil » de D X le 20 juin 2017 (cf. page 6 de l’assignation, note 3 en bas de page) ;

— aucun élément ne permet d’imputer aux défendeurs la publication de commentaires, sur ce site, sous les prénoms ou pseudonymes « mehdi » ou « alexg », comme indiqué au dispositif de l’assignation, pas plus que sous le nom de « clem », étant relevé qu’à l’adresse URL sur laquelle portent les constatations d’huissier, aucun message n’apparaît publié sous ce dernier surnom ;

— dans les constatations faites par huissier sur le site Z apparaît un message publié, comme indiqué dans le dispositif de l’assignation, sous le nom « mehdi camali », qu’aucun élément ne permet toutefois d’attribuer avec certitude à l’un des défendeurs et dont le contenu se borne, de toute façon, à déplorer un service client « inexistant », des « pianos mal entretenus » et des tarifs non compétitifs, ce qui n’excède pas, là non plus, les limites de ce que peut exprimer un client mécontent ;

— aucune constatation par huissier n’est produite en ce qui concerne le site Yelp ;

— dans ces conditions, la demanderesse n’établit pas, avec l’évidence requise en référé, l’existence du trouble qu’elle invoque, ni l’imputabilité aux défendeurs d’un comportement fautif.

Il sera donc dit n’y avoir lieu à référé et la demanderesse sera déboutée de toutes ses demandes.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de C Y les frais irrépétibles qu’il a dû exposer pour défendre ses intérêts. Il conviendra en conséquence de lui allouer la somme de 2 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, en premier ressort et par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe au jour du délibéré,

Disons n’y avoir lieu à référé.

Déboutons la société EUROCONCERT S.A.R.L. de toutes ses demandes.

Condamnons la société EUROCONCERT S.A.R.L. à payer à C Y la somme de deux mille cinq cents euros (2 500 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamnons la société EUROCONCERT S.A.R.L. aux dépens.

Fait à Paris le 17 novembre 2017

Le Greffier, Le Président,

Myriam POZZI A B

1:

Copies exécutoires

délivrées le:

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 17 novembre 2017, n° 17/59538