Tribunal Judiciaire de Créteil, 10 mai 2022, n° 21/01965

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Sur la décision

Référence :
TJ Créteil, 10 mai 2022, n° 21/01965
Numéro(s) : 21/01965

Texte intégral

MINUTE N° : JUGEMENT DU : 10 Mai 2022 DOSSIER N° : N° RG 21/01965 – N° Portalis DB3T-W-B7F-SNLT AFFAIRE : S.A.R.L. CLOJUL C/ S.A. MMA IARD, Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL

4ème Chambre

COMPOSITION DU TRIBUNAL

PRESIDENT : Madame Sylvie TOURNON, Première Vice-Présidente Adjointe

Statuant par application des articles 801 à 805 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.

GREFFIER : Madame Pascale FOUCAULD, Greffier

PARTIES :

DEMANDERESSE

S.A.R.L. CLOJUL, dont le siège social est sis […]

représentée par Me Juliette BARRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire : P0141

DEFENDERESSES

S.A. MMA IARD, dont le siège social est sis […]

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est sis […]

représentés tous deux 17 mai 2022 par Me Jean-Marie COSTE FLORET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire : P0267

Clôture prononcée le : 8 mars 2022 Débats tenus à l’audience du : 08 Mars 2022 Date de délibéré indiquée par le Président : 10 Mai 2022 Jugement prononcé à l’audience du 10 Mai 2022, nouvelle date indiquée par le Président.

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EXPOSÉ DU LITIGE

La société CLOJUL exploite un établissement de restauration rapide sous l’enseigne Quick situé […].

Elle a souscrit une police d’assurance numéro 116 216 184 auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, avec avenant à effet au 1 octobreer 2017.

À la suite des mesures gouvernementales prises pour lutter contre l’épidémie de Covid 19, et particulièrement l’interdiction de recevoir du public prise par arrêté du 14 mars 2020, le conseil de la société CLOJUL a demandé aux sociétés défenderesses, selon lettre datée du 27 mai 2020, la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation.

En réponse le 27 août 2020, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles refusaient la prise en charge du sinistre en indiquant que le contrat exclut les dommages résultant de la fermeture collective d’établissement dans une même région ou sur le plan national.

La demande a été réitérée par lettre du 27 novembre 2020 au titre d’un second sinistre consécutif à la fermeture partielle en application du décret du 16 octobre 2020 et à la fermeture complète consécutive au décret du 29 octobre 2020.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier délivré le 1 mars 2021, la sociétéer CLOJUL a fait assigner les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles devant le tribunal judiciaire de Créteil.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 21 février 2022, la société CLOJUL demande au tribunal de:

% Condamner solidairement les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à garantir la société CLOJUL des pertes d’exploitation subies à la suite des fermetures administratives successives de son établissement ;

% Désigner avant dire droit un expert avec la mission :

- d’évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute à compter du 15 mars 2020 jusqu’à la réouverture sans restriction du fonds de commerce exploité par la demanderesse, puis à compter du 30 octobre 2020 jusqu’à la réouverture sans restriction du fonds de commerce exploité par la demanderesse,

- d’évaluer le montant des frais supplémentaires d’exploitation pendant la période d’indemnisation,

- de se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estime utile à sa mission,

- d’entendre tout sachant au besoin,

- s’il l’estime nécessaire, de se rendre sur place,

- de mener de façon strictement contradictoire ses opérations d’expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l’état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission, puis envoyer un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu’il fixera, avant le dépôt de son rapport, en rappelant aux parties, lors de l’envoi de ce document de synthèse, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que de la date à laquelle il doit déposer son rapport ;

% Condamner solidairement les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société CLOJUL la somme de 125.000 € à titre de provision à valoir sur l’indemnisation due ;

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% Condamner solidairement les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à verser à la société CLOJUL la somme de 5.000 € à titre de provision à valoir sur les honoraires de l’expert qui sera désigné ;

% Condamner solidairement les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles à payer à la société CLOJUL la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

% Condamner solidairement MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles aux dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, la société CLOJUL fait valoir en substance que les conditions particulières de la police d’assurance relatives aux pertes d’exploitation comportent un paragraphe intitulé « Pertes d’exploitation après autres événements sauf » pour lesquelles la période d’indemnisation est de 24 mois, qui recouvre toutes les situations autres que celles expressément prévues au contrat (incendies et risques annexes, vol, bris de machine, pertes de marchandises sous température régulée). Elle soutient que l’événement dont il est demandé l’indemnisation qui est la pandémie de Covid-19, n’entre dans aucune des catégories spécifiques, et relève donc nécessairement de la catégorie perte d’exploitation après autres événements, et est présumé garanti sauf aux sociétés défenderesses de démontrer que le sinistre se situe en dehors de l’objet du contrat.

A titre subsidiaire, la société CLOJUL affirme que les pertes d’exploitation qu’elle invoque relèvent de l’extension de garantie prévue par l’article 1-7-2 des conditions générales “Fermeture administrative “qui prévoit que sont garantis les dommages définis au paragraphe « Dommages assurés » ci-avant, résultant de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l’établissement assuré par suite d’une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes.

Elle estime que la clause d’exclusion qui lui est opposée par les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles est inapplicable en l’espèce, faute pour les sociétés défenderesses de démontrer que la perte d’exploitation a été consécutive à une fermeture de plusieurs “biens” dans une même région sur un plan national, et que ces biens appartiennent au même propriétaire, concourent à la même exploitation et se situent à une distance de moins de 200 m les uns des autres.

Elle entend démontrer que la mise en œuvre de la clause d’exclusion nécessite une interprétation, ce qui, de jurisprudence constante, conduit à dire qu’elle ne peut pas recevoir application.

Elle soutient également que la clause d’exclusion vide la garantie de sa substance et ne peut également, de ce fait, recevoir application.

Par conclusions signifiées par RPVA en dernier état le 24 février 2022, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles demandent au tribunal de :

% Dire et juger qu’une épidémie et/ou pandémie ne constitue pas un événement garanti par la police, Au surplus :

% Dire et juger que les conditions d’application de la garantie ne sont pas réunies.

A défaut, et subsidiairement

% Dire et juger les sociétés MMA bien fondées à opposer l’exclusion contractuelle de garantie. En conséquence :

% Débouter la demanderesse de toutes ses demandes

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Subsidiairement

% Débouter la société demanderesse de sa demande de provision en raison de la carence de la demanderesse dans la charge de la preuve qui lui incombe.

% Ordonner l’expertise aux frais avancés du demandeur,

% Dire que l’Expert aura pour mission d’évaluer les pertes subies par l’assuré sur une période maximum de 3 mois et selon les modalités définies au contrat en distinguant l’activité de vente sur place et l’activité de vente à emporter, aides de l’Etat déduites.

% Réserver les dépens.

% Condamner la société demanderesse au paiement d’une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Après avoir rappelé que les conséquences financières de la crise économique liée aux mesures prises pour lutter contre l’épidémie du Covid-19, et l’ensemble des pertes subies par tous les acteurs économiques, ne peuvent être mises à la charge des assureurs sauf à ce qu’ils aient intégré ce risque lors de la fixation des primes des contrats d’assurance, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles insistent sur le fait que leur garantie doit être strictement appréciée au regard des termes du contrat et de l’intention des parties.

Elles ajoutent que le contrat applicable à l’espèce ne couvre que les événements qui y sont dénommés tels qu’ils sont définis au chapitre 1 du contrat. Elles précisent que les conditions particulières déterminent les garanties souscrites et leur montant et que les événements couverts au titre de la garantie « perte d’exploitation » sont donc désignés à ces conditions particulières, et que les garanties, y compris les extensions de garanties souscrites, ne peuvent amener le souscripteur à bénéficier d’une garantie pour des événements non contractuellement prévus. Elles affirment qu’une épidémie ou une pandémie ne constitue pas un événement garanti, même au titre de la garantie « tout sauf » alléguée par la société demanderesse, qui ne couvre que les dommages matériels atteignant les biens assurés et les pertes en résultant.

En réponse à la demande de mobilisation de la garantie « fermeture administrative», elles soutiennent que les conditions d’application de cette garantie ne sont pas réunies faute de décision de fermeture administrative de l’établissement assuré. Elles font valoir que l’établissement était d’autant moins fermé qu’il était autorisé à pratiquer la vente à emporter ou à livrer. Elles insistent sur le fait qu’une mesure d’interdiction de recevoir du public ne peut être assimilée à une fermeture administrative dès lors qu’elle n’a pas pour effet d’interdire l’exploitation de l’établissement.

Elles estiment qu’en toute hypothèse, elles peuvent arguer de la clause d’exclusion contractuelle qui énonce que sont exclus « les dommages résultant de la fermeture collective d’établissement dans une même région ou sur le plan national ».

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions déposées dans le dossier.

MOTIFS DU JUGEMENT

Sur les demandes de donner acte ou de constat

Le dispositif des conclusions des parties contient diverses demandes de “Déclarer”,

“Constater”, “Dire et juger”.

Il est rappelé, au visa de l’article 12 du code de procédure civile, que ne doivent pas faire l’objet d’une mention au dispositif les demandes des parties tendant à voir dire

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et juger ou déclarer ou constater, qui ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert.

Sur la mise en œuvre de la garantie contractuelle

En application des dispositions de l’article 1353 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. En application de ce texte, il appartient à l’assuré qui demande la mise en œuvre d’une garantie d’établir que les conditions de celle-ci sont réunies.

La société CLOJUL invoque le bénéfice de la garantie prévue aux conditions particulières « perte d’exploitation après autres événements sauf ».

Les conditions générales du contrat définissent, page 44, paragraphe 1.7.2, la garantie PERTES D’EXPLOITATION en indiquant: CE QUI EST GARANTI « Sont garantis les dommages définis au paragraphe “Dommages assurés” ci avant dès lors qu’ils sont la conséquence de dommages matériels survenant au lieu désigné au chapitre “l’assuré”, atteignant les biens désignés au tableau de garantie, et garantis, au jour du sinistre, au titre du présent contrat d’assurance pour les événements suivants :

- incendie et garantie annexe

- vol

- bris de machine

- perte de liquide

- perte de marchandises sous température régulée

- autres événements saufs ».

Il résulte de cette clause contractuelle que la garantie ne concerne que les conséquences de dommages matériels qui ont eu pour conséquence une perte d’exploitation.

Les dommages matériels sont définis au lexique comme étant toute destruction, détérioration, perte, disparition d’une chose ou d’une substance, toute atteinte physique subie par un animal.

L’épidémie de Covid-19 qui a généré l’ensemble des mesures administratives de restriction de circulation et de fermeture d’établissement ne répond pas à cette définition et ne constitue pas un dommage matériel au sens du contrat. Elle ne peut donc fonder la mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation.

Ces mêmes conditions générales comportent page 36 un paragraphe 1.4 intitulé AUTRES ÉVÉNEMENTS SAUFS. Les dommages assurés y sont définis comme étant les dommages matériels et les frais et pertes en résultant, atteignant les biens définis au titre « Incendie et garanties annexes- dommages aux biens » appartenant à l’assuré ou dont il est détenteur ou dépositaire.

Le paragraphe 1.4.2 définit CE QUI EST GARANTI et indique:

Sont garantis, sous réserve des exclusions mentionnées ci-après, les dommages assurés, autres que ceux résultant d’un événement couvert au titre des autres garanties accordées par le contrat, subis par les biens assurés et consécutifs à un événement dommageable d’origine accidentelle survenu au lieu indiqué au chapitre « L’assuré » ;

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Il résulte de l’ensemble de ces éléments que là encore, les dommages assurés ne sont que les dommages subis par les biens, donc matériels, et que cette disposition contractuelle ne s’applique pas aux pertes d’exploitation qui relève du régime spécifique précédemment examiné du paragraphe 1.7.

Le paragraphe 1.7.2 prévoit quatre extensions de garantie, dont la fermeture administrative, hypothèse pour laquelle CE QUI EST GARANTI Sont garantis les dommages définis au paragraphe « Dommages assurés » ci-avant, résultant de la fermeture temporaire obligatoire de tout ou partie de l’établissement assuré par suite d’une décision des autorités administratives ou judiciaires compétentes.

[…] CE QUI EST EXCLU Outre les exclusions citées aux conditions générales, ne sont pas garantis :

• les dommages résultant de la fermeture collective d’établissement dans une même région ou sur le plan national […].

Selon arrêté ministériel du 14 mars 2020, les restaurants et débits de boissons ne pouvaient plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter.

Selon décret du 23 mars 2020, les restaurants et débits de boissons ne pouvaient plus accueillir du public jusqu’au 11 mai 2020, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter. Les mêmes dispositions étaient reprises par décret du 29 octobre 2020.

La société CLOJUL n’a pas fait l’objet d’une décision de fermeture de tout ou partie de son établissement en application de ces textes, mais d’une simple restriction d’accès, qui a permis la poursuite de son fonctionnement limitée aux activités de livraison et de vente à emporter. La perte d’exploitation invoquée n’est donc pas garantie par les dispositions contractuelles, et la société CLOJUL sera déboutée de ses demandes.

Sur l’exécution provisoire

En raison du résultat de l’instance, il n’y a pas lieu à maintenir l’exécution provisoire de droit.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société CLOJUL qui succombe supportera la charge des dépens; elle sera déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée au regard de l’équité à payer aux sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 2000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe à la date du délibéré,

Déboute la société CLOJUL de ses demandes,

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Dit n’y avoir lieu à maintenir l’exécution provisoire de droit,

Condamne la société CLOJUL aux dépens,

Condamne la société CLOJUL à payer aux sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 2000 € (deux mille euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes, plus amples au contraires, des parties.

Fait à CRETEIL, L’AN DEUX MIL VINGT DEUX ET LE DIX MAI

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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