CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 05P03992

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Sur renvoi de : Conseil d'État, 4 septembre 2006
Précédents jurisprudentiels : 11 – Arrêt du 8 janvier 2002, Metropol et Stadler ( C-409/99
14 juin 2001 ( aff. 345/99:RJF 10/01 n° 1342
14 juin 2001 ( C-345/99, Rec. 2001 p. I-4493
258539, 9e et 10e s.-s., SA Tambrands France et a.:RJF 4/05 n° 324
27 octobre 1992, Commission/Allemagne ( aff. 74/91:Rec. p. I-5437
27 octobre 1992, Commission c/ RFA ( CJCE aff. 74/91:RJF 1/93 n° 167
29 avril 1999 ( C-136/97, Rec. p. I-2491
29 avril 1999, E Developments ( aff. 136/97:Rec. p. I-2491
29 avril 1999, E Developments, C-136/97
Ampafrance et Sanofi ( C-177/99 et C-181/99
Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013
arrêt du 14 juin 2001, Commission/Autriche, aff. 473/99
arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne, aff. 317/92
CE 12 janvier 2005 n° 256965
CE 12 janvier 2005 n° 256965, 257788, 258538 et 258539
CE 14 juin 2006 n° 288163
CE 14 juin 2006 n° 288163, 9e et 10e s.-s., SA Cedillac:RJF 10/06 n° 1179
CE 14 juin 2006 n° 288163, 9e et 10e s.-s., SA Cedillac:RJF n° 1179
CE 16 décembre 1977 n° 4895 sect.
CE 20 décembre 1995 n° 132183-122913
CE 20 octobre 2000, n° 203793
CE 24 mars 1999, n° 188968
CE 27 juillet 2001 n° 218067
CE 30 décembre 2002 n° 238032
CE 4 février 2000 n° 213321 sect., Mouflin:Lebon p. 29
CE 8 avril 1987 n° 61271
CE GISTI du 23 avril 2007 n° 283311
CE M.KA du 18 juillet 2006 n° 286122
CJCE 14 juin 2001, aff. 345/99, 5e ch., Commission c/ France
CJCE 14 juin 2001 aff. 345/99, Commission c/ France:RJF 10/01 n° 1342
CJCE 14 juin 2001, aff. 40/00, 5e ch., Commission c/ France
CJCE 17 octobre 1991, aff. 35/90, Commission c/ Espagne:RJF 2/92 n° 278
CJCE 18 décembre 1997 aff. 286/94, 340/95, 401/95 et 47/96
CJCE 18 juin 1998, aff. 43/96, Commission c/ France:RJF 8-9/98 n° 1062
CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, 5e ch., Commission c/ Italie
CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, Commission c/ Italie:RJF 1/02 n° 125
CJCE ( 25 octobre 2001 aff. 78/00:RJF 1/02 n° 125
CJCE 28 mars 1996, aff. 468/93, Commune d'Emmen:RJF 7/96 n° 956
CJCE 29 avril 1999 aff. 136/17:RJF 6/99 n° 812
CJCE 29 avril 1999, aff. 136/97, 2e ch., E Developments Ltd
CJCE 29 avril 1999, aff. 136/97, E Developments Ltd:RJF 6/99 n° 812
CJCE 29 avril 1999 aff. 136/97, E Developments:RJF 6/99 n° 812
CJCE 5 octobre 1999, aff. 305/97
CJCE 8 juillet 1986, aff. 73/85
CJCE Cedillac aff 368/06, du 18 déc 2007
CJCE du 18 décembre 2007 ( affaire Cedillac n° C-368/06
CJCE du 25 octobre 2001 ( aff. 78/00:RJF 1/02 n° 125
CJCE le 25 octobre 2001 ( aff. 78/00:RJF 1/02 n° 125
Commission c/ France du 14 juin 2001 ( aff. 345/99:RJF 10/01 n° 1342
Commission/France, aff. 50/87
Commission/France, C-345/99, Rec. p. I-4493, point 21, et du 7 décembre 2006, Eurodental, C-240/05
Gabalfrisa AEa., C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577
Molenheide AEa ( aff. 286/94, aff. 340/95, aff. 401/95 et aff. 47/96
Royscot. ea., aff. 305/97:Rec. p. I-6671

Texte intégral

N° 05PA03992
SAS ULYSSE
Lecture en date du 26 mars 2008
Conclusions de Madame L M, Commissaire du gouvernement
L’article 2 de la loi de finance rectificative pour 1993 du 22 juin 1993 codifiée à l’article 271 A du CGI a supprimé à compter du 1er juillet 1993, la règle dite du décalage d’un mois en vertu de laquelle la TVA afférente aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services n’était déductible qu’au titre du mois suivant celui au cours duquel le droit à déduction avait pris naissance
Le maintien de cette règle contraire au principe de déduction immédiate posé par l’article 18 de la 6e directive avait été autorisé par le Conseil des Communautés Européennes sur le fondement d’une dérogation permise par l’article 28.
Un mécanisme a toutefois été mis en place afin de lisser l’impact financier de la mesure qui conduisait dans un premier temps à permettre la déduction au titre d’un même mois, soit juillet 1993, de la TVA afférente à 2 mois: juin et juillet (entre 80 et 100 milliards de francs pour le budget de l’Etat)
Le législateur a ainsi prévu un dispositif de gel d’un mois de déduction de TVA appelé « déduction de référence » correspondant à la moyenne mensuelle de déductions opérée au cours des douze mois précédents l’entrée en application de la mesure et qui constituerait une créance sur le Trésor remboursable de façon échelonnée, de 5 % de la créance par an, soit un remboursement sur vingt ans mais, en réalité les créances subsistant au 31 déc 2001 ont été remboursées par anticipation en 2002 (décret du 13 fév 2002)
Il était également prévu que cette créance porterait intérêt qui ne pouvait excéder 4,5% l’an
Il a été de 4,5 % pour 1993, 1% pour 1994 et 0,1 % pour les années suivantes.
La SAS Ulysse estime que ce système est incompatible avec la 6e directive dès lors qu’il la prive de son droit à déduction immédiate de la TVA et lui impose des modalités de remboursement
Elle juge également le taux d’intérêt accordé dérisoire
La société requérante estime ainsi avoir subi, en raison de l’illégalité de ce système transitoire, un préjudice qu’elle chiffre à la différence entre les intérêts reçus sur sa créance de taxe déductible et ceux qu’elle aurait reçus si les taux avaient été fixés au niveau des taux effectifs moyens annuels pratiqués par les banques pour les prêts supérieurs à deux ans à taux fixe, soit un montant de 48 751, 17 € au paiement duquel elle demande que l’Etat soit condamné
Elle fait appel du jugement par lequel le TAM a rejeté sa requête
Pour écarter ses conclusions vous ferez application de la décision récente de la CJCE du 18 décembre 2007 (affaire Cedillac n° C-368/06), rendue conformément aux conclusions de l’avocat général, et qui retient la conformité du système français transitoire aux dispositions de la 6 ème directive.
À l’origine, dans l’affaire Cedillac, le tribunal administratif de Lyon avait formulé une demande d’avis au CE sur la conformité au droit communautaire de ce système transitoire
L’avis du 14 juin 2006 (Avis CE 14 juin 2006 n° 288163, 9e et 10e s.-s., SA Cedillac : RJF n° 1179, conclusions N O BDCF 10/06 n° 118) avait préconisé une question préjudicielle à la CJCE, que le tribunal administratif a posée par un jugement du 5 septembre 2006.( le Conseil d’Etat, lorsqu’il est saisi d’une demande d’avis, ne peut pas poser lui-même la question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (Avis CE 4 février 2000 n° 213321 sect., Mouflin : Lebon p. 29, concl. G. P Q 2000 p. 554).
La question de la conformité avait été déjà évoquée par le commissaire du gouvernement L. O dans ses conclusions (BDCF 4/05 n° 44) sur CE 12 janvier 2005 n° 256965 s, SA Tambrands France : RJF 4/05 n° 324.
Il indiquait ainsi que la compatibilité du dispositif avec la 6e directive peut être discutée au regard de la rupture de la chaîne de la TVA pour juillet 1993, dès lors que la déduction correspondante était gelée et au regard du montant des intérêts de la créance qui était d’un taux assez faible
Il rappelait la décision de la CJCE du 25 octobre 2001 (aff. 78/00 : RJF 1/02 n° 125) qui fait droit à un recours en manquement de la Commission contre l’Italie, dénoncée pour avoir substitué au remboursement de crédits de TVA nés au cours de l’année 1992 la remise à ceux-ci de titres d’Etat à compter du 1er janvier 1994 et venant à échéance cinq à dix ans plus tard. Les points 32 à 34 de l’arrêt jugent le procédé incompatible avec l’article 18 § 4 de la 6e directive.
Il rappelait cependant également la jurisprudence de la CJCE qui admet que des Etats membres rapprochent progressivement leurs législations du droit commun de la 6e directive par l’effacement graduel des éléments dérogatoires qu’ils ont été autorisés à conserver et notamment la décision E Developments (CJCE 29 avril 1999 aff. 136/17 : RJF 6/99 n° 812, conclusions N. AD BDCF 6-7/99 n° 74) qui portait sur la réduction du champ d’une exonération dérogatoire ainsi que la décision Commission c/ France du 14 juin 2001 (aff. 345/99 : RJF 10/01 n° 1342), s’agissant d’une réduction du champ d’exclusions dérogatoires du droit à déduction.
Par ces décisions, la CJCE a admis des restrictions apportées à certaines exigences du droit communautaire si elles sont le prix à payer d’un alignement partiel sur les objectifs assignés aux Etats membres par la directive.
Selon le commissaire du gouvernement cette jurisprudence n’était pas applicable au cas français car le changement de règle a été total et immédiat et le gel de droits à déduction n’avait pas pour objet de ménager une transition
C’est pourtant ce principe qu’a mis en œuvre la décision Cedillac de la CJCE précitée
La cour s’est livrée à une appréciation globale des effets du système transitoire :
Pour conclure à la compatibilité de ce dispositif, la Cour constate que le dispositif transitoire n’est qu’une mesure d’accompagnement, d’une durée limitée, ayant pour but de réduire l’impact sur le budget de l’État du passage, le 1er juillet 1993, de la règle du décalage d’un mois à l’application du principe de la déduction immédiate. Ainsi, ce dispositif a permis que ce principe de la déduction immédiate soit applicable en France sans aucune dérogation à partir de 2002.
Elle constate ainsi que la suppression de la règle du décalage d’un mois adopté par la France, alors qu’elle disposait encore du droit de maintenir cette règle en tant que dérogation de l’article 28, a globalement réduit le champ de cette dérogation malgré l ‘aménagement apporté par le système de créance de taxe déductible remboursable progressivement.
La cour souligne que toute autre interprétation de la 6e directive qui ferait obstacle à ce qu’un Etat puisse supprimer progressivement une dérogation serait contraire aux objectifs de la directive (point 37)
Elle souligne cependant qu’il appartient au juge national de vérifier dans chaque cas d’espèce que le dispositif transitoire a réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire.
En l’espèce, c’est bien le cas
Vous opposerez à la société requérante les 3 points de réduction des effets de la dérogation antérieure retenus par la CJCE :
-Ce dispositif transitoire, contrairement à ce qui résultait de l’application de la règle du décalage d’un mois, lui a permis de se prévaloir, à partir du 1er juillet 1993 et sans limitation quelconque, du principe de la déduction immédiate.
-Ensuite, les créances nées de sa mise en œuvre ont pu produire intérêt contrairement à celles antérieures qui résultaient de l’application de la règle du décalage d’un mois
-Enfin, ce dispositif réduit la créance au seul montant de la déduction de référence qui fait l’objet d’un remboursement échelonné qui a d’ailleurs été totalement remboursée dès 2002 , soit d’ailleurs antérieurement à ce que la société requérante n’introduise sa requête devant le TAM (points 40-41)
Ainsi la société ULYSSE ne peut soutenir qu’en instaurant un tel régime transitoire, qui, au cas d’espèce, réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire, et alors même que ce système lui serait moins favorable que l’application pure et simple du principe de déduction immédiate prévu par la directive, l’Etat français aurait porté atteinte aux objectifs de la 6e directive TVA
Ce moyen sera écarté
La Société ulysse se prévaut dans un dernier mémoire de la méconnaissance des stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, combinées avec l’article 1er du premier protocole additionnel
La société requérante explique qu’une différence de traitement infondée a été opérée entre les redevables dès lors que les créances dont le montant ne dépassait pas 150 000 FRF (22 867,35 euros) ont été remboursées dans leur totalité alors que pour les autres, supérieures à ce montant, un système de remboursement échelonné a été mis en place .
Ces stipulations prohibent les différences de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues, lorsqu’elles ne sont pas assorties de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire ne poursuivant pas un objectif d’utilité publique et qu’elles ne sont pas fondées sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi
Cf. CE GISTI du 23 avril 2007 n°283311
Cependant les différences de traitement instaurées par le dispositif en litige sont bien assorties de justifications objectives et raisonnables
En effet, elles sont fondées sur les situations des redevables au regard de la TVA :
Ainsi, en 1993, les créances dont le montant ne dépassait pas 150 000 FRF (22 867,35 euros) ont été remboursées dans leur totalité.
Les créances qui étaient supérieures à ce montant ayant fait l’objet d’un remboursement à hauteur de 25 %, avec un minimum de 150 000 FRF
Cette différence de traitement poursuit bien l’objectif d’utilité publique qui était de limiter l’impact financier de la mesure
Il n’y a donc pas de différence de traitement discriminatoire au regard de ces textes
La société invoque également l’atteinte aux biens prohibées par l’article 1er du protocole qui prévoit : que "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (…) ».
Selon l’avis du CE M. KA du 18 juillet 2006 n°286122 : si ces stipulations ont pour objet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt général et, d’une part, la prohibition de toute discrimination et, d’autre part, les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, elles laissent cependant au législateur national une marge d’appréciation et ces prescriptions ne peuvent ainsi être regardées comme méconnues si le dispositif mis en place trouve des justifications appropriées dans des considérations d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi.
En l’espèce le dispositif de gel mis en place répondait au souci de mettre en conformité le droit interne avec le droit communautaire sur la question de la déduction immédiate de la TVA le plus rapidement possible tout en préservant les finances publiques
Les gros redevables ont ainsi dégagé une créance sur l’Etat certes gelée mais qui a été rémunérée et remboursée progressivement
Par ailleurs ils ont pu déduire à partir de juillet 1993 immédiatement la TVA sans le décalage d’un mois supprimé
Certes la créance a été faiblement rémunérée mais cette circonstance ne révèle pas, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte aux biens dès lors que le dispositif trouve sa justification dans les conditions rappelées d’intérêt général
Ces moyens seront donc également écartés
Le dispositif transitoire ne méconnait pas le droit européen
Les conclusions de la société requérante tendant à la condamnation de l’Etat au versement d’une somme de 48 751 € seront donc rejetées ainsi que les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du CJA, l’Etat n’étant pas partie perdante dans cette affaire
PCMNC au rejet de cette requête
CJCE Cedillac aff 368/06, du 18 déc 2007 :
33 En l’espèce, d’une part, l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive constitue précisément l’une des dérogations prévues par celle-ci au système commun de la TVA, en ce sens qu’il autorise les États membres à continuer de maintenir certaines dispositions de leur législation nationale, antérieures à cette directive, dérogeant au principe de la déduction immédiate prévu à l’article 18, paragraphe 2, premier alinéa, de la même directive.
34 D’autre part, ledit article, tout en s’opposant à l’introduction de nouvelles dérogations ou à l’extension de la portée des dérogations existantes postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la sixième directive, ne fait pas obstacle à la réduction de la portée de celles-ci, étant donné le caractère transitoire de la dérogation qu’il prévoit (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, point 21).
35 À cet égard, il convient de rappeler que, au point 19 de l’arrêt E Developments, précité, qui concernait une autre disposition transitoire de la sixième directive, à savoir l’article 28, paragraphe 3, sous b), de celle-ci, concernant certaines exonérations de la TVA, la Cour a jugé que des modifications introduites dans la législation d’un État membre qui avaient non pas étendu le domaine de l’exonération de la TVA concerné, mais l’avaient au contraire réduit, n’avaient pas méconnu le libellé de ladite disposition.
36 Force est de constater que l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive se prête à une interprétation analogue. Ainsi, dans la mesure où la réglementation d’un État membre réduit le champ d’application d’une dérogation existante au principe de la déduction immédiate prévue par ce même article, il y a lieu de considérer que cette réglementation est couverte par ladite disposition et n’enfreint pas l’article 17, paragraphe 1, de la même directive.
37 Au demeurant, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt E Developments, précité, une interprétation différente de l’une des dérogations prévues par la sixième directive, selon laquelle un État membre, bien que pouvant maintenir une exonération existante, ne saurait la supprimer progressivement, serait contraire à l’objectif poursuivi par cette directive visant à la suppression des dérogations à celle-ci. De même, une telle interprétation compromettrait l’application uniforme de la sixième directive, dans la mesure où un État membre pourrait se voir contraint de maintenir l’ensemble des exonérations existantes à la date de l’entrée en vigueur de ladite directive, quand bien même il estimerait à la fois possible, approprié et souhaitable de mettre en œuvre progressivement le régime prévu par celle-ci dans le domaine considéré (voir, en ce sens, arrêt E Developments, précité, point 20).
38 Or, dans l’affaire au principal, il y a lieu de relever que le dispositif transitoire n’est qu’une mesure d’accompagnement, d’une durée limitée, ayant pour but de réduire l’impact sur le budget de l’État du passage, le 1er juillet 1993, de la règle du décalage d’un mois à l’application du principe de la déduction immédiate.
39 Au demeurant, il convient de constater tout d’abord que, comme il résulte du dossier, le dispositif transitoire, contrairement à ce qui résultait de l’application de la règle du décalage d’un mois, permet à un nombre non négligeable de redevables, y compris, notamment, ceux commençant leurs activités après le 1er juillet 1993 et ceux ayant une créance ne dépassant pas 10 000 FRF, de se prévaloir, à partir du 1er juillet 1993 et sans limitation quelconque, du principe de la déduction immédiate.
40 Ensuite, un tel dispositif permet également aux créances nées de sa mise en œuvre de produire des intérêts, contrairement aux créances résultant de l’application de la règle du décalage d’un mois.
41 Enfin, le dispositif transitoire réduit la créance de l’assujetti sur le Trésor au seul montant de la déduction de référence, en prévoyant la déduction immédiate de la différence entre ce montant et le montant total de la TVA déductible, et assure le remboursement échelonné du montant de la déduction de référence. Ainsi, ce dispositif a finalement permis que, à partir de l’année 2002, le principe de la déduction immédiate soit applicable en France sans aucune dérogation.
42 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, il en résulte que, sous réserve de vérification par la juridiction nationale dans chaque cas d’espèce, le dispositif transitoire a pour effet de réduire, en principe, le domaine d’application de la règle du décalage d’un mois.
43 Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure nationale, telle que le dispositif transitoire, visant à accompagner la suppression d’une disposition nationale dérogatoire autorisée par l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la même directive, pour autant qu’il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d’espèce, cette mesure réduit les effets de ladite disposition nationale dérogatoire.
la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que les articles 17 et 18 de la directive ne s’opposent pas au régime transitoire institué par la France à l’occasion de la suppression de la règle du décalage d’un mois autorisée par l’article 28, paragraphe 3, sous d) de la même directive, pour autant qu’il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d’espèce, le régime transitoire réduit les effets de la disposition nationale dérogatoire antérieure ; que la société ULYSSE ne peut dès lors soutenir qu’en instaurant un tel régime transitoire, qui lui est plus favorable que les règles prévalant antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 1993 dès lors notamment qu’il permet à la créance née de sa mise en œuvre de produire des intérêts et limite la créance de l’assujetti qui n’est pas immédiatement remboursable au seul montant d’une déduction de référence égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction acquis des mois d’août 1992 à juillet 1993, et alors même qu’un tel système lui serait moins favorable que l’application pure et simple du principe de déduction immédiate prévu par la directive, l’Etat français aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
ARRÊT DE LA COUR (première chambre) 18 décembre 2007 (la société ULYSSE) «Sixième directive TVA – Droit à déduction – Principes de la déduction immédiate et de neutralité fiscale – Report de l’excédent de la TVA sur la période suivante ou remboursement – Règle du décalage d’un mois – Dispositions transitoires – Maintien de l’exonération»
Dans l’affaire C-368/06, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal administratif de Lyon (France), par décision du 5 septembre 2006, parvenue à la Cour le 8 septembre 2006, dans la procédure
Cedilac SA contre 1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la «sixième directive»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cedilac SA (ci-après «Cedilac») au ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie au sujet de la demande de cette société tendant à ce que l’État français soit condamné à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi en raison des mesures législatives accompagnant la suppression de la règle dite du «décalage d’un mois» applicable en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») ayant grevé une opération imposable.
Le cadre réglementaire
La réglementation communautaire 3 L’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive prévoit que «[l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible».
4 L’article 18 de la sixième directive dispose:
«[…] 2. La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu du paragraphe 1, au cours de la même période.
[…] 4. Quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
[…]» 5 Aux termes de l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive, les États membres peuvent, au cours de la période transitoire visée au paragraphe 4 du même article, «continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue à l’article 18 paragraphe 2 premier alinéa».
6 L’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive est libellé comme suit:
«La période transitoire est initialement fixée à une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 1978. Au plus tard six mois avant la fin de cette période, et ultérieurement en tant que de besoin, le Conseil, sur la base d’un rapport de la Commission, réexaminera la situation en ce qui concerne les dérogations énumérées au paragraphe 3 et statuera à l’unanimité, sur proposition de la Commission, sur la suppression éventuelle de certaines ou de toutes ces dérogations.»
La réglementation nationale 7 Jusqu’au 1er juillet 1993, le code général des impôts (ci-après le «CGI») prévoyait, conformément à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive, une règle dite «du décalage d’un mois» dérogeant au principe de la déduction immédiate de la TVA.
8 En vertu de cette dérogation, les assujettis n’avaient pas la possibilité, contrairement à ce qui est exigé par l’article 18, paragraphe 2, premier alinéa, de la sixième directive, de déduire immédiatement de la TVA dont ils étaient redevables la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services. En effet, en application de la règle du décalage d’un mois, une telle déduction ne pouvait être opérée que sur le montant de la TVA due pour le mois suivant celui au cours duquel le droit à déduction avait pris naissance.
9 Toutefois, l’article 2.-I de la loi n° 93-859, du 22 juin 1993, portant loi de finances rectificative pour 1993 (JORF du 23 juin 1993, p. 8815, ci-après la «loi de 1993»), a abrogé, à partir du 1er juillet 1993, la règle du décalage d’un mois et introduit dans le CGI un article 271-I, dont le paragraphe 3 est libellé comme suit:
«La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance.» 10 En outre, l’article 2.-II de la loi de 1993 a institué un dispositif transitoire figurant au nouvel article 271 A du CGI (ci-après «le dispositif transitoire»).
11 Ainsi, aux termes de l’article 271 A, paragraphe 1, du CGI, les redevables qui ont commencé leur activité avant le 1er juillet 1993 soustraient, lors de leur première déclaration comportant application du principe de la «déduction immédiate», une «déduction de référence» du montant de la TVA déductible, équivalente à la moyenne mensuelle des droits acquis au cours des mois d’août 1992 à juillet 1993. Le montant de ladite déduction est ensuite converti en créance sur le Trésor et soumis à des modalités de remboursement particulières.
12 Le paragraphe 2 du même article prévoit notamment que, lorsque la déduction de référence n’a pas pu être entièrement soustraite du montant de la TVA déductible, l’excédent non soustrait est déduit du montant de la TVA déductible au titre des biens ne constituant pas des immobilisations et des services des mois suivants.
13 L’article 271 A, paragraphe 5, du CGI prévoit que, lorsque le montant de la déduction de référence ne dépasse pas 10 000 FRF (1 524,49 euros), les redevables ne sont, en principe, pas tenus de soustraire cette déduction dans les conditions prévues au paragraphe 1 dudit article.
14 Selon les décrets nos 93-1078, du 14 septembre 1993 (JORF du 15 septembre 1993, p. 12883), 94-296, du 6 avril 1994 (JORF du 16 avril 1994, p. 5646), et 2002-179, du 13 février 2002 (JORF du 15 février 2002, p. 2968), les créances dont les assujettis étaient titulaires en vertu de l’article 271 A du CGI ont été remboursées de la manière suivante:
– en 1993, les créances dont le montant ne dépassait pas 150 000 FRF (22 867,35 euros) ont été remboursées dans leur totalité. Au cours de cette même année, les créances qui étaient supérieures à ce montant ont fait l’objet d’un remboursement à hauteur de 25 %, avec un minimum de 150 000 FRF;
– en 1994, les créances restantes ont fait l’objet d’une inscription en compte et ont été remboursées à concurrence de 10 % de leur montant initial;
– chaque année suivante, les créances ont été remboursées à hauteur de 5 % de leur montant initial, et – en 2002, toutes les créances restantes ont été remboursées en totalité par anticipation.
15 Lesdites créances portaient un intérêt au taux de 4,5 % pour les intérêts échus en 1993, de 1 % pour ceux échus en 1994 et de 0,1 % pour les intérêts afférents à chacune des années suivantes.
Le litige au principal et la question préjudicielle 16 Le 26 décembre 2002, Cedilac a demandé à l’État français de lui verser la somme de 1 524 806,62 euros à titre de réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi en raison de l’application du dispositif transitoire au cours des années 1993 à 2002.
17 Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie n’ayant pas répondu à cette demande d’indemnisation, Cedilac a saisi le tribunal administratif de Lyon d’un recours dirigé contre cette décision de rejet implicite.
18 Avant de statuer sur la requête de Cedilac, ladite juridiction a, par jugement du 15 novembre 2005, demandé au Conseil d’État son avis sur la question de savoir si le dispositif transitoire est compatible avec les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive.
19 Par avis du 14 juin 2006, le Conseil d’État a estimé que la question posée par le tribunal administratif de Lyon présente une difficulté de nature à justifier une demande de décision préjudicielle à la Cour.
20 Dans ces conditions, le tribunal administratif de Lyon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«[L]e dispositif adopté par la France pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est[-il] compatible avec les dispositions des articles 17 et 18 [paragraphe] 4 de la [sixième directive]?» 21 La juridiction de renvoi, considérant que, eu égard au nombre d’actions déjà engagées devant les tribunaux administratifs et à l’enjeu financier considérable pour le budget de l’État français, ladite question appelait une réponse urgente de la Cour, a demandé à cette dernière de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure accélérée, en application de l’article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure.
22 Le président de la Cour a rejeté cette demande par ordonnance du 25 septembre 2006, en considérant que les conditions prévues audit article 104 bis, premier alinéa, n’étaient pas remplies.
23 Par ordonnance du président de la Cour du 23 mars 2007, la demande d’intervention présentée par la Fromagerie des Chaumes SAS a été rejetée comme irrecevable.
Sur la question préjudicielle 24 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une mesure nationale telle que le dispositif transitoire.
25 En proposant de répondre de manière affirmative à la question posée par la juridiction de renvoi, telle que rappelée au point précédent, Cedilac fait valoir que le droit à déduction immédiate constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par le législateur communautaire, de sorte que, en l’absence de toute disposition dérogatoire, ce droit devrait pouvoir s’exercer immédiatement pour la totalité des montants de la TVA ayant grevé les opérations effectuées en amont.
26 En revanche, le gouvernement français et la Commission proposent à la Cour de répondre de manière négative à ladite question, en développant des arguments en grande partie similaires.
27 À cet égard, ils rappellent, en premier lieu, que la règle du décalage d’un mois constituait une dérogation légitime au principe de la déduction immédiate de la TVA, dont l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive constitue le fondement, et que le dispositif transitoire n’est qu’une mesure d’accompagnement de la suppression de cette règle.
28 En particulier, le dispositif transitoire, en échelonnant sur une période de plusieurs années une partie de la charge budgétaire de l’État découlant de la suppression de la règle du décalage d’un mois, aurait rendu possible la transposition dans le droit interne français du régime général de la déduction immédiate prévu à l’article 18, paragraphe 2, de la sixième directive.
29 Dans ces circonstances, une interprétation de la sixième directive interdisant des dispositions telles que celles mises en œuvre par le dispositif transitoire aurait pour effet de dissuader un État membre de rapprocher sa législation du régime général et des objectifs poursuivis par la même directive.
30 En second lieu, la Commission relève que la situation des assujettis soumis au dispositif transitoire est nettement plus favorable que celle dans laquelle ceux-ci se trouvaient lorsque la règle du décalage d’un mois était applicable.
31 Afin de répondre à la question préjudicielle, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut en principe être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts du 6 juillet 1995, […], C-62/93, Rec. p. I-1883, point 18, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa AEa., C-110/98 à C-147/98, Rec. p. I-1577, point 43).
32 La Cour a également précisé que, étant donné que toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s’appliquer de manière similaire dans tous les États membres, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive (voir, en ce sens, arrêts […], précité, point 18, ainsi que du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi, C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013, point 34). Toutefois, de telles dérogations ne peuvent avoir qu’un caractère transitoire, l’objectif de l’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive étant leur suppression (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 1999, E Developments, C-136/97, Rec. p. I-2491, point 19; du 13 juillet 2000, Idéal tourisme, C-36/99, Rec. p. I-6049, point 32; du 14 juin 2001, Commission/France, C-345/99, Rec. p. I-4493, point 21, et du 7 décembre 2006, Eurodental, C-240/05, Rec. p. I-11479, point 52).
33 En l’espèce, d’une part, l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive constitue précisément l’une des dérogations prévues par celle-ci au système commun de la TVA, en ce sens qu’il autorise les États membres à continuer de maintenir certaines dispositions de leur législation nationale, antérieures à cette directive, dérogeant au principe de la déduction immédiate prévu à l’article 18, paragraphe 2, premier alinéa, de la même directive.
34 D’autre part, ledit article, tout en s’opposant à l’introduction de nouvelles dérogations ou à l’extension de la portée des dérogations existantes postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la sixième directive, ne fait pas obstacle à la réduction de la portée de celles-ci, étant donné le caractère transitoire de la dérogation qu’il prévoit (voir, par analogie, arrêt Commission/France, précité, point 21).
35 À cet égard, il convient de rappeler que, au point 19 de l’arrêt E Developments, précité, qui concernait une autre disposition transitoire de la sixième directive, à savoir l’article 28, paragraphe 3, sous b), de celle-ci, concernant certaines exonérations de la TVA, la Cour a jugé que des modifications introduites dans la législation d’un État membre qui avaient non pas étendu le domaine de l’exonération de la TVA concerné, mais l’avaient au contraire réduit, n’avaient pas méconnu le libellé de ladite disposition.
36 Force est de constater que l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive se prête à une interprétation analogue. Ainsi, dans la mesure où la réglementation d’un État membre réduit le champ d’application d’une dérogation existante au principe de la déduction immédiate prévue par ce même article, il y a lieu de considérer que cette réglementation est couverte par ladite disposition et n’enfreint pas l’article 17, paragraphe 1, de la même directive.
37 Au demeurant, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt E Developments, précité, une interprétation différente de l’une des dérogations prévues par la sixième directive, selon laquelle un État membre, bien que pouvant maintenir une exonération existante, ne saurait la supprimer progressivement, serait contraire à l’objectif poursuivi par cette directive visant à la suppression des dérogations à celle-ci. De même, une telle interprétation compromettrait l’application uniforme de la sixième directive, dans la mesure où un État membre pourrait se voir contraint de maintenir l’ensemble des exonérations existantes à la date de l’entrée en vigueur de ladite directive, quand bien même il estimerait à la fois possible, approprié et souhaitable de mettre en œuvre progressivement le régime prévu par celle-ci dans le domaine considéré (voir, en ce sens, arrêt E Developments, précité, point 20).
38 Or, dans l’affaire au principal, il y a lieu de relever que le dispositif transitoire n’est qu’une mesure d’accompagnement, d’une durée limitée, ayant pour but de réduire l’impact sur le budget de l’État du passage, le 1er juillet 1993, de la règle du décalage d’un mois à l’application du principe de la déduction immédiate.
39 Au demeurant, il convient de constater tout d’abord que, comme il résulte du dossier, le dispositif transitoire, contrairement à ce qui résultait de l’application de la règle du décalage d’un mois, permet à un nombre non négligeable de redevables, y compris, notamment, ceux commençant leurs activités après le 1er juillet 1993 et ceux ayant une créance ne dépassant pas 10 000 FRF, de se prévaloir, à partir du 1er juillet 1993 et sans limitation quelconque, du principe de la déduction immédiate.
40 Ensuite, un tel dispositif permet également aux créances nées de sa mise en œuvre de produire des intérêts, contrairement aux créances résultant de l’application de la règle du décalage d’un mois.
41 Enfin, le dispositif transitoire réduit la créance de l’assujetti sur le Trésor au seul montant de la déduction de référence, en prévoyant la déduction immédiate de la différence entre ce montant et le montant total de la TVA déductible, et assure le remboursement échelonné du montant de la déduction de référence. Ainsi, ce dispositif a finalement permis que, à partir de l’année 2002, le principe de la déduction immédiate soit applicable en France sans aucune dérogation.
42 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 52 et 53 de ses conclusions, il en résulte que, sous réserve de vérification par la juridiction nationale dans chaque cas d’espèce, le dispositif transitoire a pour effet de réduire, en principe, le domaine d’application de la règle du décalage d’un mois.
43 Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure nationale, telle que le dispositif transitoire, visant à accompagner la suppression d’une disposition nationale dérogatoire autorisée par l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la même directive, pour autant qu’il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d’espèce, cette mesure réduit les effets de ladite disposition nationale dérogatoire.
Sur les dépens 44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
Les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure nationale telle que le dispositif transitoire prévu par la loi n° 93-859, du 22 juin 1993, portant loi de finances rectificative pour 1993, visant à accompagner la suppression d’une disposition nationale dérogatoire autorisée par l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la même directive, pour autant qu’il soit vérifié par le juge national que, dans son application au cas d’espèce, cette mesure réduit les effets de ladite disposition nationale dérogatoire.
Signatures
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[…] M. J. S présentées le 18 septembre 2007 (1)
Affaire C-368/06
Cedilac SA contre
Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie [demande de décision préjudicielle formée par le tribunal administratif de Lyon (France)] «Impôts – TVA – Droit à déduction – Directive 77/388/CEE du Conseil – Articles 17, 18, et 28, paragraphes 3, sous d), et 4 – Abrogation par la République française de la règle du ‘décalage d’un mois’ – Créance sur le Trésor – Remboursement fractionné» 1. Dans sa décision, rendue en vertu de l’article 234 CE, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation qui doit être donnée aux articles 17, 18, et 28, paragraphes 3, sous d), et 4 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (2) (ci-après la «sixième directive»).
I – Règles pertinentes de droit communautaire 2. L’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive dispose que «[l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.» 3. L’article 18 de la sixième directive dispose, sous l’intitulé «Modalités d’exercice du droit à déduction»:
«[…] 2. La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période de déclaration, du montant de la taxe pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu du paragraphe 1, au cours de la même période.
[…].
4. Quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
[…]».
4. Au titre XVI de la sixième directive, l’article 28 prévoit un certain nombre de dispositions transitoires permettant aux États membres de maintenir des exonérations et dérogations en attendant leur suppression. Ainsi, l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive prévoit que les États membres pourront, pendant la période transitoire visée à l’article 28, paragraphe 4, «continuer à appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue à l’article 18 paragraphe 2 premier alinéa».
5. L’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive est rédigé comme suit: «[l]a période transitoire est initialement fixée à une durée de cinq ans à compter du 1er janvier 1978. Au plus tard six mois avant la fin de cette période, et ultérieurement en tant que de besoin, le Conseil, sur la base d’un rapport de la Commission, réexaminera la situation en ce qui concerne les dérogations énumérées au paragraphe 3 et statuera à l’unanimité, sur proposition de la Commission, sur la suppression éventuelle de certaines ou de toutes ces dérogations.»
II – Règles pertinentes de droit national 6. En vertu de l’exception prévue à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive, la République française a continué à appliquer la règle dite du décalage d’un mois après l’entrée en vigueur de la directive. En vertu de la règle du décalage d’un mois, les assujettis n’avaient pas la possibilité, comme le leur permettait l’article 17, paragraphe 1, de la directive, de déduire immédiatement de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») dont ils étaient redevables la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services. La déduction ne pouvait être opérée que le mois suivant.
7. En adoptant, le 22 juin 1993, l’article 2, paragraphe I, de la loi n° 93-859 de finances rectificative pour 1993 (3), la République française a abandonné la règle du décalage d’un mois. C’est ainsi que l’article 271, point 3, du code général des impôts (ci-après le «code»), inséré par l’article 2, paragraphe I, de la loi de finances rectificative pour 1993, prévoit que les assujettis ont le droit de déduire la TVA ayant grevé les biens et services de celle dont ils sont redevables au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance.
8. Outre l’abrogation de la règle du décalage d’un mois, une disposition transitoire a été insérée dans le code par l’article 2, paragraphe II, de la loi de finances rectificative pour 1993. Cette disposition figure à l’article 271 A dudit code.
9. Selon l’article 271 A, paragraphe 1, du code, les redevables qui ont commencé leur activité avant le 1er juillet 1993 soustraient une «déduction de référence» du montant de la taxe déductible. La déduction de référence est, en général, calculée sur la base de la moyenne mensuelle des droits à déduction qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui ont précédé.
10. L’article 271 A, paragraphe 2, du code prévoit notamment que, lorsque la déduction de référence n’a pas pu être entièrement soustraite du montant de la taxe déductible, l’excédent non soustrait est déduit les mois suivants. Si le montant de la taxe déductible obtenu après soustraction de la déduction de référence est inférieur à celui de la taxe déductible ayant pris naissance au titre du mois précédent, l’excédent de déduction de référence est reporté sur les déclarations suivantes.
11. En vertu de l’article 271 A, paragraphe 3, du code, le montant des droits à déduction que le redevable n’a pas exercés par application de l’article 271 A, paragraphe 1, en tenant compte des règles définies à l’article 271 A, paragraphe 2, constitue une créance du redevable sur le Trésor. Cette créance n’est ni cessible ni négociable. Elle peut, toutefois, être donnée en nantissement ou cédée à titre de garantie. En outre, elle peut être transférée en cas de fusion ou de cession d’entreprises, notamment. Quant au remboursement de la créance, il est prévu, entre autres dispositions, que celui-ci doit intervenir dans un délai maximal de vingt ans.
12. L’article 271 A, paragraphe 5, du code prévoit que, lorsque le montant de la déduction de référence ne dépasse pas 10 000 FRF, les redevables ne sont, en principe, pas tenus de soustraire la déduction de référence dans les conditions prévues à l’article 271 A, paragraphe 1.
13. Selon le décret n° 93-1078 du 14 septembre 1993 (4), le décret n° 94-296 du 6 avril 1994 (5) et le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 (6), les créances dont les redevables étaient titulaires en vertu de l’article 271 A du code ont été remboursées de la façon suivante:
– En 1993, les créances dont le montant ne dépassait pas 150 000 FRF (22 867,35 euros) ont été remboursées dans leur totalité. Cette même année, celles qui étaient supérieures à ce montant l’ont été à hauteur de 25%, avec un minimum de 150 000 FRF (22 867,35 euros).
– En 1994, les créances restantes ont fait l’objet d’une inscription en compte et ont été remboursées à concurrence de 10% de leur montant initial.
– Chaque année suivante, les créances ont été remboursées à hauteur de 5% de leur montant initial.
– En 2002, toutes les créances restantes ont été remboursées en totalité par anticipation.
14. Les créances en question portaient un intérêt au taux de 4,5% pour les intérêts échus en 1993, de 1% pour ceux échus en 1994 et de 0,1% pour chacune des années suivantes.
III – Procédure au fond et renvoi préjudiciel 15. La société Cedilac (ci-après la «partie requérante») a, le 26 décembre 2002, demandé la condamnation de l’État français à lui verser, notamment, la somme de 1 524 806,62 euros, augmentée des intérêts, en réparation du préjudice subi au titre des années 1993 à 2002 en raison de l’application du dispositif adopté pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois.
16. Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie n’ayant pas répondu à cette demande, ce qui équivalait à une décision implicite de rejet, la partie requérante a saisi le tribunal administratif de Lyon d’un recours contre cette décision implicite.
17. Par un jugement rendu le 15 novembre 2005, le tribunal administratif de Lyon a demandé au Conseil d’État, en application des dispositions de l’article L.113-1 du code de justice administrative, son avis sur la question de savoir si «le dispositif adopté par la France pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois institué par l’article 271 A du code général des impôts et dans ses décrets d’application successifs est compatible avec les dispositions des articles 17 et 18, paragraphe 4, de la [sixième directive]».
18. Par un avis du 14 juin 2006, le Conseil d’État a estimé que cette question présentait une difficulté de nature à justifier qu’elle soit soumise à la Cour à titre préjudiciel.
19. Par une décision du 5 septembre 2006, le tribunal administratif a décidé de suspendre la procédure et de soumettre à la Cour la question suivante:
«Le dispositif adopté par la France pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est-il compatible avec les dispositions des articles 17 et 18, paragraphe 4, de la [sixième directive]?» 20. Dans sa décision, la juridiction de renvoi a également prié la Cour d’examiner cette question conformément à la procédure accélérée prévue à l’article 104bis de son règlement de procédure, «eu égard au nombre des actions déjà engagées et à l’enjeu financier considérable pour le budget de l’État […]».
21. Par une ordonnance rendue le 25 septembre 2006, le président de la Cour a rejeté la demande de procédure accélérée.
22. Des observations écrites ont été présentées par la partie requérante, le gouvernement français et la Commission. Aucune audience n’a été demandée ou tenue.
IV – Principaux arguments des parties 23. La partie requérante soutient que le dispositif adopté pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois, qui a été institué par l’article 271 A du code et a eu pour effet d’empêcher la déduction immédiate de la TVA, est contraire au principe de la neutralité du régime de la TVA, et aux articles 17 et 18 de la sixième directive.
24. Elle s’appuie particulièrement sur l’arrêt rendu par la Cour dans une affaire Commission/Italie (7). Dans celle-ci, la Cour a jugé que la République italienne avait violé ses obligations au titre des articles 17 et 18 de la sixième directive en prévoyant le remboursement de l’excédent de TVA à une certaine catégorie d’assujettis par la remise de titres d’État. La Cour a estimé que les modalités de remboursement instituées par un État membre en vertu de l’article 18, paragraphe 4, de la sixième directive doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de taxe. Selon la partie requérante, cela implique que le remboursement soit effectué dans un délai raisonnable, et par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente. En tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne doit faire courir aucun risque financier à l’assujetti.
25. En outre, la partie requérante souligne que, contrairement à la situation qui prévalait dans l’affaire Commission/Italie, où les titres d’État émis en remboursement de l’excédent de TVA étaient cotés en bourse, les créances sur le Trésor n’étaient ni cessibles ni négociables. De plus, les créances étaient rémunérées par un intérêt légal insignifiant et les assujettis eux-mêmes devaient supporter seul le risque quasi certain de leur dévaluation sur une durée de vingt ans. La partie requérante ajoute que le dispositif litigieux rompait l’égalité qui doit exister entre les assujettis. En conclusion, la partie requérante demande à la Cour de répondre par la négative à la question posée par la juridiction de renvoi.
26. Le gouvernement français estime, quant à lui, que la question déférée par la juridiction de renvoi devrait être reformulée. La République française soutient que la juridiction de renvoi s’interroge, en fait, sur le point de savoir si le dispositif adopté pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est contraire à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive. Elle estime que la question, telle que reformulée, appelle une réponse négative.
27. La Commission estime, pour sa part, qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la compatibilité des dispositions du droit national avec le droit communautaire. Cette compétence revient aux juridictions nationales, le cas échéant après qu’elles ont obtenu de la part de la Cour, par la voie d’une procédure préjudicielle, les précisions nécessaires sur la portée et l’interprétation du droit communautaire.
28. Selon la République française, la règle du décalage d’un mois, qui a dérogé au principe de la déductibilité immédiate de la TVA consacré par l’article 18, paragraphe 2, de la sixième directive, était autorisée par l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive. La suppression de cette règle à compter du mois de juillet 1993 aurait eu pour effet de permettre aux assujettis d’exercer en juillet 1993 leurs droits à déduction nés pendant les deux mois de juin et juillet 1993. La réforme aurait ainsi entraîné une charge pour le budget de l’État évaluée entre 80 et 100 milliards de FRF. C’est la raison pour laquelle un mécanisme a été institué pour échelonner dans le temps cette perte exceptionnelle pour le budget de l’État. La République française ajoute que ce mécanisme ne concernait pas tous les redevables de la TVA. En effet, en vertu de l’article 271 A, paragraphe 5, du code, les entreprises pour lesquelles le montant de la déduction de référence est inférieur à 10 000 FRF ne sont pas soumises au mécanisme de remboursement échelonné. Ainsi, 82% du total des redevables n’étaient pas concernés par ledit mécanisme.
29. La République française et la Commission sont d’avis que le dispositif adopté pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est compatible avec la jurisprudence de la Cour relative à l’article 28, paragraphe 3, de la sixième directive. Elles considèrent qu’il convient d’appliquer par analogie la jurisprudence formulée par la Cour dans son arrêt E Developments (8). Ainsi, elles soutiennent que, alors qu’un État membre ne peut pas étendre la portée d’une dérogation existante visée par l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive, il peut y renoncer partiellement ou progressivement.
30. La Commission indique que la suppression de la règle du décalage d’un mois et les mesures d’accompagnement contestées par la partie requérante au principal ont été formulées dans le même acte législatif. Les mesures étaient destinées à faciliter le passage à l’application des règles instituées par les articles 17 et 18 de la sixième directive et du droit de déduire immédiatement la TVA.
31. Selon la République française et la Commission, les circonstances du cas d’espèce ne sont pas les mêmes que celles de l’affaire Commission/Italie (9).
32. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la République italienne avait, en procédant au remboursement de l’excédent de TVA par la remise de titres d’État à une certaine catégorie d’assujettis créanciers de l’État, manqué à ses obligations au titre des articles 17 et 18 de la sixième directive. Toutefois, le raisonnement de la Cour était, dans cet arrêt, fondé sur la circonstance que, contrairement à la République française en l’espèce, la République italienne ne pouvait se prévaloir d’aucune dérogation visée par la sixième directive.
33. La Commission ajoute que la situation de l’ensemble des assujettis est devenue nettement plus favorable depuis l’abrogation de la règle du décalage d’un mois, nonobstant les termes de l’article 271 A.
[…] 34. La juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si le dispositif adopté par la République française pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est compatible avec les articles 17 et 18, paragraphe 4, de la sixième directive.
35. Il convient de garder à l’esprit que la Cour n’est pas compétente pour se prononcer dans le cadre de l’application de l’article 234 CE sur la compatibilité des dispositions du droit national avec le droit communautaire. La Cour peut, en revanche, dégager du libellé de la question formulée par le juge national, eu égard aux données exposées par celui-ci, les éléments relevant de l’interprétation du droit communautaire (10).
36. Nous inférons, par conséquent, du libellé de la question et du raisonnement sous-tendant la décision de renvoi que la juridiction de renvoi souhaite savoir si les articles 17, 18, et 28, paragraphes 3, sous d), et 4 de la sixième directive s’opposent à des mesures telles que le dispositif en cause au principal.
37. Il est de jurisprudence constante que le droit à déduction prévu aux articles 17 et suivants de la sixième directive fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, pas être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (11). En outre, toute limitation du droit à déduction de la TVA a une incidence sur le niveau de la charge fiscale et doit s’appliquer de manière similaire dans tous les États membres. En conséquence, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la sixième directive (12).
38. Avant l’entrée en vigueur de la sixième directive, la République française appliquait la règle dite du décalage d’un mois. D’après les observations des parties, les redevables français ne pouvaient, en vertu de cette règle, déduire de la TVA due celle ayant grevé les biens acquis que le mois suivant celui où naissait le droit à déduction. La République française a été autorisée à maintenir la règle du décalage d’un mois, laquelle était antérieure à la sixième directive, après l’entrée en vigueur de celle-ci, en vertu d’une exception expresse formulée à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive.
39. L’exception expresse prévue à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive était toujours en vigueur le 1er juillet 1993 (13), lorsque la République française a supprimé la règle du décalage d’un mois et adopté le dispositif transitoire d’accompagnement de cette suppression. Nous estimons, par conséquent, que la réforme appliquée par la République française en adoptant, le 22 juin 1993, l’article 2, paragraphes I et II, de la loi de finances rectificative pour 1993 était volontaire, dans la mesure où le droit communautaire n’obligeait pas cet État membre à renoncer à l’exception dont il jouissait en vertu de l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive.
40. Il semble, à la lecture des observations du gouvernement français, que la règle du décalage d’un mois a eu pour effet que le Trésor était en situation continuelle de débiteur vis-à-vis des assujettis. Le montant de la créance variait d’un mois à l’autre, selon le montant de TVA qu’un assujetti était en droit de déduire au titre d’un mois particulier. Il appert que la créance ne donnait pas lieu au paiement d’intérêts.
41. La juridiction de renvoi indique qu’en adoptant la loi de finances rectificative pour 1993, la République française a non seulement supprimé la règle du décalage d’un mois, mais aussi institué les mesures transitoires prévues à l’article 271 A du code. À la lecture de la réglementation nationale applicable, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que la suppression en question impliquait que les assujettis qui commençaient leur activité après le 1er juillet 1993 n’étaient pas soumis à la règle du décalage d’un mois et que, partant, la TVA payée par ces assujettis était immédiatement déductible en vertu des règles instituées par les articles 17 et 18 de la sixième directive.
42. Toutefois, la République française ne s’est pas contentée d’abroger la règle du décalage d’un mois. En effet, sa suppression pure et simple aurait, selon le gouvernement français et la juridiction de renvoi, causé des problèmes budgétaires considérables. Ces problèmes auraient, selon le gouvernement français et la Commission, découlé du fait que les assujettis qui exerçaient déjà leur activité à la date du 1er juillet 1993 auraient eu, en principe, la possibilité d’exercer en juillet 1993 leurs droits à déduction nés pendant les deux mois de juin et juillet 1993 et de déduire immédiatement la TVA, les mois suivants, en vertu des articles 17 et 18 de la sixième directive.
43. La juridiction de renvoi a indiqué que le dispositif qui a accompagné la suppression de la règle du décalage d’un mois était une mesure d’exception, adoptée afin de permettre à cette réforme fiscale de se produire dans des conditions supportables pour le budget de l’État. En effet, ainsi qu’il ressort des observations du gouvernement français, les montants concernés par la suppression de la règle semblent très considérables (14). Selon la juridiction de renvoi, l’article 271 A du code a donc été conçu de façon à échelonner sur plusieurs années la charge budgétaire qu’impliquait la suppression en question.
44. Il apparaît, à l’analyse du cadre législatif tel que décrit par les parties dans leurs observations, que l’article 271 A du code exigeait des assujettis qu’ils calculent une déduction de référence, laquelle était, en général, établie sur la base de la moyenne mensuelle de la TVA qu’ils pouvaient déduire au titre du mois de juillet 1993 et des onze mois qui l’ont précédé. Lorsque la déduction de référence était d’un montant supérieur à 10 000 FRF, elle devenait une créance sur le Trésor. D’après la juridiction de renvoi, cette créance donnait lieu au paiement d’intérêts et devait être remboursée à l’assujetti concerné sur une période de vingt ans, réduite par après à dix ans. Selon le gouvernement français, le dispositif d’accompagnement n’a, en raison du seuil retenu de 10 000 FRF, affecté qu’à peu près 18% des assujettis (15).
45. La partie requérante soutient que le dispositif d’accompagnement l’a empêchée de déduire immédiatement la TVA, et qu’il était contraire au principe de la neutralité de la TVA, lequel commande que toute la TVA payée en amont puisse être déduite, ainsi qu’aux articles 17 et 18 de la sixième directive. En outre, elle se prévaut largement, dans ses observations, de la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt Commission/Italie, précité, rendu dans une affaire où un régime similaire introduit par la République italienne a été jugé contraire aux articles 17 et 18 de la directive.
46. Selon nous, bien qu’il existe effectivement quelques similitudes factuelles entre le cas d’espèce et l’affaire Commission/Italie, leurs cadres juridiques respectifs sont fondamentalement différents. Dans l’affaire Commission/Italie, l’État membre concerné a procédé au remboursement de l’excédent de TVA en émettant des titres d’État pour certains assujettis. Toutefois, l’État italien ne bénéficiait pas d’une dérogation semblable à celle dont jouissait l’État français au titre de l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la sixième directive, et il ne pouvait donc pas légalement écarter l’application des dispositions des articles 17 et 18 de la directive en instituant des règles empêchant des assujettis de déduire immédiatement la TVA. En conséquence, la partie requérante ne peut pas invoquer la jurisprudence de la Cour dans cette affaire à l’appui de ses arguments.
47. En outre, bien qu’il ne fasse aucun doute que la République française pouvait, en vertu de l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive, continuer à appliquer la règle du décalage d’un mois après l’entrée en vigueur de ladite directive, cette disposition ne lui donnait pas la latitude d’adopter une dérogation nouvelle ou d’étendre le champ de la dérogation existante.
48. En outre, nous estimons, en nous fondant, par analogie, sur le raisonnement de la Cour dans son arrêt E Developments, précité, que la sixième directive n’empêche pas un État membre de réduire le domaine d’une dérogation telle que visée à l’article 28, paragraphe 3, sous d), dès lors que la suppression de telles dérogations constitue l’objectif de l’article 28, paragraphe 4, de la directive (16). Dans l’affaire E Developments, le Royaume-Uni avait réduit le champ d’application d’une exonération fiscale que la sixième directive lui permettait de maintenir (17). La Cour a considéré qu’une interprétation restrictive de l’article 28, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, selon laquelle un État membre, bien que pouvant maintenir une exonération existante, ne pourrait pas la supprimer en partie, serait contraire audit objectif. Une telle interprétation aurait, selon la Cour, des effets néfastes pour l’application uniforme de la sixième directive puisqu’un État membre pourrait se voir contraint de maintenir une exonération existante quand même il estimerait à la fois possible, approprié et souhaitable de mettre en œuvre progressivement le régime prévu par la directive dans le domaine considéré.
49. Dans une affaire Commission/France (18), la Cour a estimé que, dans la mesure où la réglementation d’un État membre modifiait en le réduisant le champ d’une exclusion et se rapprochait par là même de l’objectif de la sixième directive, il y avait lieu de considérer que cette réglementation était couverte par la dérogation prévue à l’article 17, paragraphe 6, second alinéa, de la directive. Dans cette affaire – un recours intenté en vertu de l’article 226 CE –, la Cour a estimé que la République française, qui avait réduit le champ d’une exclusion existante, en remplaçant, en l’occurrence, une exclusion totale des véhicules de tourisme du droit à la déduction de la TVA par une exclusion plus limitée, où une déduction de la TVA était autorisée en ce qui concerne les véhicules affectés de façon exclusive à l’enseignement de la conduite, n’avait pas manqué à ses obligations au titre de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive.
50. Il semble ressortir de la décision de la juridiction de renvoi que, contrairement à la réduction du champ de l’exclusion instituée par le législateur français dans l’affaire Commission/France et qui paraît être une mesure plutôt précise et aux contours bien définis, le dispositif qui a accompagné la suppression de la règle du décalage d’un mois était extrêmement complexe et, s’il a affecté les assujettis, c’est à des degrés divers, selon le montant de leurs déductions de référence. En conséquence, malgré la suppression de la règle du décalage d’un mois à dater du 1er juillet 1993, certains assujettis ont continué à être titulaires de créances contre le Trésor français jusqu’en 2002.
51. Toutefois, il appert, à la lecture des observations de la Commission, et sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que les réformes volontaires (19) de la République française qui ont mené à la suppression de la règle du décalage d’un mois et au dispositif d’accompagnement de cette suppression ont eu pour effet de réduire progressivement les conséquences de cette règle. En outre, les effets du dispositif d’accompagnement semblent également avoir été progressivement réduits et avoir, en définitive, été éliminés en 2002. Ce processus semble avoir mené, entre 1993 et 2002, à une diminution de la charge que l’application des règles en matière de TVA faisait peser sur tous les assujettis.
52. Il semble qu’on puisse conclure, à la lecture des observations de la Commission et du gouvernement français, que la réforme adoptée par la République française a réduit, sur une période de dix ans, les divergences existant entre, d’une part, son régime fiscal résultant de la règle du décalage d’un mois et, d’autre part, les articles 17 et 18 de la sixième directive, permettant ainsi à cet État membre de s’aligner sur un des principes cruciaux de cette directive, à savoir la déductibilité immédiate de la TVA.
53. De plus, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction nationale, que ces divergences ont déjà été complètement éliminées en 1993, en premier lieu à l’égard des assujettis ayant commencé leur activité après le 1er juillet 1993, en deuxième lieu à l’égard de ceux dont la déduction de référence était d’un montant inférieur à 10 000 FRF, et en troisième lieu à l’égard de ceux dont la créance contre le Trésor ne dépassait pas 150 000 FRF (soit 22 867,35 euros). En effet, il semble ressortir de la réforme, telle que décrite par les parties, qu’en 1993 déjà – c’est-à-dire l’année où la réforme a été adoptée –, une part considérable de la déduction de référence, en l’occurrence 25%, était remboursée à tous les assujettis affectés par le dispositif d’accompagnement. En 1994, une portion supplémentaire, à savoir 10% de la déduction de référence, a dû être remboursée. Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale indique également que la créance sur le Trésor produisait des intérêts.
54. Nous concluons, par conséquent, que les articles 17, 18, et 28, paragraphes 3, sous d), et 4, de la sixième directive ne s’opposent pas, en principe, à des mesures telles que celles qui sont en cause au principal.
[…] 55. Compte tenu de ce qui précède, nous pensons que la Cour devrait répondre à la question déférée par le tribunal administratif de Lyon de la façon suivante:
Les articles 17, 18, et 28, paragraphes 3, sous d), et 4, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme ne s’opposent pas, en principe, à des mesures telles que celles qui sont en cause au principal.
-------------------------------------------------------------------------------- 1 – Langue originale: l’anglais.
-------------------------------------------------------------------------------- 2 – JO L 145, p. 1.
-------------------------------------------------------------------------------- 3 – JORF n° 143 du 23 juin 1993, p. 8815.
-------------------------------------------------------------------------------- […], p. 12883.
-------------------------------------------------------------------------------- 5 – JORF n° 89 du 16 avril 1994, p. 5646.
-------------------------------------------------------------------------------- 6 – JORF n° 39 du 15 février 2002, p. 2968.
-------------------------------------------------------------------------------- 7 – Arrêt du 25 octobre 2001 (C-78/00, Rec. p. I-8195).
-------------------------------------------------------------------------------- 8 – Arrêt du 29 avril 1999 (C-136/97, Rec. p. I-2491, point 19).
-------------------------------------------------------------------------------- 9 – Précitée note 7.
-------------------------------------------------------------------------------- […], par analogie, arrêt du 14 juillet 1971, Muller AEa. (10/71, Rec. p. 723, point 7).
-------------------------------------------------------------------------------- 11 – Arrêt du 8 janvier 2002, Metropol et Stadler (C-409/99, Rec. p. I-81, point 42).
-------------------------------------------------------------------------------- 12 – Voir notamment arrêt du 19 septembre 2000, Ampafrance et Sanofi (C-177/99 et C-181/99, Rec. p. I-7013, point 34 et la jurisprudence citée).
-------------------------------------------------------------------------------- 13 – Malgré la période transitoire initiale de cinq ans à dater du 1er janvier 1978, prévue à l’article 28, paragraphe 4, de la sixième directive, l’exception formulée à l’article 28, paragraphe 3, sous d), de la directive n’a pas été abrogée par le législateur communautaire. Bien que cela ne soit pas pertinent d’un point de vue chronologique, cette exception semble avoir été maintenue dans la directive «remaniée» relative à la TVA (voir article 372 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée; JO L 347, p. 1).
-------------------------------------------------------------------------------- 14 – Voir point 28, ci-dessus.
-------------------------------------------------------------------------------- […].
-------------------------------------------------------------------------------- 16 – Voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2000, Idéal tourisme (C-36/99, Rec. p. I-6049, point 32) et du 7 décembre 2006, Eurodental (C-240/05, Rec. p. I-11479, point 52).
-------------------------------------------------------------------------------- 17 – Voir point 20 de l’arrêt (précité note 8).
-------------------------------------------------------------------------------- 18 – Arrêt du 14 juin 2001 (C-345/99, Rec. 2001 p. I-4493).
-------------------------------------------------------------------------------- 19 – Voir point 39 ci-dessus.
1179. déduction de la taxe payée aux fournisseurs – modalités du droit à déduction – suppression de la règle du décalage d’un mois (art. 2 LFR 22-6-1993) – modalités de la suppression – étalement du remboursement de la « déduction de référence » (décrets des 14-9-1993, 6-4-1994 et 13-2-2002) – droits à déduction non remboursés constitutifs d’une créance sur l’Etat portant intérêt (arrêtés des 15-4-1994, 17-8-1995 et 15-3-1996) – préjudice allégué résultant de la faiblesse des taux d’intérêt – compatibilité avec les dispositions de la 6e directive du dispositif de transition accompagnant ainsi la suppression de la règle du décalage d’un mois – avis demandé au Conseil d’Etat (C. just. adm. art. L 113-1) – avis donné de saisir la CJCE d’une question préjudicielle 1° La suppression de la règle du décalage d’un mois par l’article 2, II de la loi de finances rectificative pour 1993 (93-859 du 22 juin 1993) a été assortie d’un dispositif de transition convertissant les droits à déduction ne pouvant immédiatement être exercés en créance sur le Trésor donnant lieu à remboursement fractionné et rémunéré par des intérêts. Ce dispositif de transition déroge au processus normal, conforme aux dispositions des articles 17 et 18 de la 6e directive, d’imputation de la taxe déductible sur la taxe due et, le cas échéant, du remboursement, dans un bref délai, de l’excédent de taxe déductible.
2° Cette mesure d’exception a eu pour seule fin de permettre, dans des conditions supportables pour le budget de l’Etat, la transposition d’une règle de déduction prévue par la directive, alors même que celle-ci autorisait encore le maintien en vigueur de dispositions nationales dérogatoires.
3° Eu égard à cet objectif, le dispositif de transition, bien qu’étranger aux dispositions de la directive, peut-il ne pas être tenu pour incompatible avec cette dernière dès lors qu’il est associé à la réalisation d’un rapprochement de la règle nationale avec la norme communautaire relative à l’un des principes du régime de la TVA ? 4° Le Conseil d’Etat est d’avis que la question ainsi posée présente une difficulté justifiant qu’elle soit soumise, à titre préjudiciel, à la Cour de justice des Communautés européennes.
Avis CE 14 juin 2006 n° 288163, 9e et 10e s.-s., SA Cedillac
MM. X. Y, Pres. – G, H. – O, Comm. du gouv. – SCP Bouzidi, Z, Av.
Les dispositions du II de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993, reprises sous l’article 271 A du CGI, ont eu pour objet d’étaler sur plusieurs années la réalisation du transfert de trésorerie, au détriment du budget de l’Etat et à l’avantage des assujettis à la TVA, corrélatif à l’abandon, opéré par les dispositions du I du même article 2 de ladite loi, de la règle du « décalage d’un mois » jusqu’alors maintenue en vigueur, pour la déduction des taxes ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services, au titre des dérogations autorisées, par l’article 28 § 3 d de la sixième directive du Conseil des Communautés européennes, en faveur de la règle de « déduction immédiate » fixée par l’article 18 § 2 de cette même directive. Le procédé retenu à cette fin a consisté à convertir en créance sur le Trésor, donnant lieu à des remboursements fractionnés dont les derniers sont effectivement intervenus en 2002 et rémunérée par des intérêts dont le taux a été fixé à 4,5 % pour l’année 1993, à 1 % pour l’année 1994 et à 0,1 % pour chacune des années suivantes, un montant de droits à déduction, dit « de référence », égal à la moyenne mensuelle des droits acquis au cours des mois d’août 1992 à juillet 1993, et que les assujettis ont dû soustraire du montant de la taxe déductible, exceptionnellement accrue de celle d’un mois, mentionné sur leur première déclaration comportant application du principe de « déduction immédiate ».
La valeur d’un « mois moyen » de TVA grevant les biens autres que les immobilisations et les services acquis par les assujettis pour les besoins de leurs activités a, de la sorte, été soustraite, pour être soumise à des modalités de restitution particulières, au processus normal, conforme aux dispositions des articles 17 et 18 de la sixième directive du Conseil des Communautés européennes, d’imputation de la taxe déductible sur la taxe due et, le cas échéant, de remboursement, dans un bref délai, de l’excédent de taxe déductible. Il a, toutefois, été recouru à cette mesure d’exception à seule fin de permettre, dans des conditions supportables pour le budget de l’Etat, la transposition en droit interne d’une règle fixée par la directive, alors même que celle-ci autorisait encore le maintien en vigueur de dispositions nationales dérogatoires. Eu égard à cet objectif, le dispositif institué par l’article 2 de la loi du 22 juin 1993 est susceptible de s’apparenter aux dispositions nationales qui, bien qu’étrangères à celles de la directive, ne sont pas tenues pour incompatibles avec cette dernière, dès lors qu’elles sont associées à la réalisation d’un rapprochement de la norme communautaire en ce qui concerne l’application de l’un des principes du régime de la TVA.
La question de savoir si, dans ces conditions, ce dispositif est, au regard du droit communautaire de la TVA, en tout ou partie de ses éléments, admissible ou non présente ainsi une difficulté de nature à justifier qu’elle soit soumise, à titre préjudiciel, à la Cour de justice des Communautés européennes.
Observations
Les conclusions du commissaire du gouvernement N O sont publiées au BDCF 10/06 n° 118.
Le jugement n° 03-2933 du 15 novembre 2005 du tribunal administratif de Lyon, saisissant le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur le fondement de l’article L 113-1 du Code de justice administrative, n’a pas été publié à la RJF.
La question avait été déjà évoquée par le commissaire du gouvernement L. O dans ses conclusions (BDCF 4/05 n° 44) sur CE 12 janvier 2005 n° 256965 s., SA Tambrands France : RJF 4/05 n° 324.
Il ne fait aucun doute que le dispositif de transition prévue par l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 n’est pas compatible avec les dispositions de la 6e directive (cf. CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, Commission c/ Italie : RJF 1/02 n° 125).
En revanche, on peut se demander si le dispositif de transition n’entrait pas dans le champ de la marge de manoeuvre que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes laisse aux Etats membres pour rapprocher progressivement leur législation dérogatoire du droit commun de la 6e directive (CJCE 29 avril 1999 aff. 136/97, E Developments : RJF 6/99 n° 812, concl. N. Fennely BDCF 6-7/99 n° 74 ; CJCE 14 juin 2001 aff. 345/99, Commission c/ France : RJF 10/01 n° 1342). Si un dispositif transitoire semble, dans son principe, compatible, on pouvait peut-être cependant, en l’espèce, hésiter compte tenu du caractère profondément dérogatoire du dispositif de transition. Le Conseil d’Etat a, sans doute pour ce motif, estimé plus prudent de préconiser la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes.
On rappellera que le Conseil d’Etat, lorsqu’il est saisi d’une demande d’avis, ne peut pas poser lui-même la question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (Avis CE 4 février 2000 n° 213321 sect., Mouflin : Lebon p. 29, concl. G. P Q 2000 p. 554).
(c) 2008 Editions T U 118. Le dispositif de transition adopté en vue de la suppression du décalage d’un mois pour la déduction de la TVA est-il compatible avec la 6e directive ?
Avis CE 14 juin 2006 n° 288163, 9e et 10e s.-s., SA Cedillac : RJF 10/06 n° 1179
Conclusions du commissaire du gouvernement N O
Analyse de l’arrêt 1° La suppression de la règle du décalage d’un mois par l’article 2, II de la loi de finances rectificative pour 1993 (93-859 du 22 juin 1993) a été assortie d’un dispositif de transition convertissant les droits à déduction ne pouvant immédiatement être exercés en créance sur le Trésor donnant lieu à remboursement fractionné et rémunéré par des intérêts. Ce dispositif de transition déroge au processus normal, conforme aux dispositions des articles 17 et 18 de la 6e directive, d’imputation de la taxe déductible sur la taxe due et, le cas échéant, du remboursement, dans un bref délai, de l’excédent de taxe déductible.
2° Cette mesure d’exception a eu pour seule fin de permettre, dans des conditions supportables pour le budget de l’Etat, la transposition d’une règle de déduction prévue par la directive, alors même que celle-ci autorisait encore le maintien en vigueur de dispositions nationales dérogatoires.
3° Eu égard à cet objectif, le dispositif de transition, bien qu’étranger aux dispositions de la directive, peut-il ne pas être tenu pour incompatible avec cette dernière dès lors qu’il est associé à la réalisation d’un rapprochement de la règle nationale avec la norme communautaire relative à l’un des principes du régime de la TVA ? 4° Le Conseil d’Etat est d’avis que la question ainsi posée présente une difficulté justifiant qu’elle soit soumise, à titre préjudiciel, à la Cour de justice des Communautés européennes.
En 1993 a été décidée la suppression du décalage d’un mois pour la déduction de la TVA, qui avait été institué en 1948
Dans un intéressant article publié à la Revue française de finances publiques en 1992 (M. A, B 1992 n° 37 p. 125), intitulé : « Le décalage d’un mois pour la déduction de la TVA : une situation explosive », Maurice A exposait les difficultés impliquées par la suppression de l'« anomalie » qu’était le décalage d’un mois pour la déduction de la TVA ayant grevé les achats des assujettis français. Il racontait aussi l’origine de cette règle. Son institution, en 1948, du temps de l’ancienne taxe à la production, au moment de la création du régime des paiements fractionnés, cinq ans avant la naissance de la TVA, provenait d’une idée de la direction générale des impôts pour faire naître, à peu de frais, une ressource utile dans une année budgétaire difficile.
Quarante-cinq ans plus tard, en 1993, dans des conditions et un contexte sur lesquels nous reviendrons, il était finalement décidé de mettre fin à cette anomalie, et l’Etat renonçait à cette ressource qui correspondait pour lui à une avance de trésorerie forcée de la part des assujettis à la TVA.
Ceux-ci, trop heureux d’obtenir satisfaction sur une revendication devenue passionnelle avec le temps, ne se sont guère inquiétés, à l’époque, des modalités pratiques selon lesquelles disparaissait cette « règle » qu’était la déduction de la taxe le mois suivant au cours duquel le droit à déduction avait pris naissance.
Certaines sociétés ont estimé que le mécanisme retenu pour abandonner cette règle leur portait préjudice
Quelques années plus tard, à partir de 2002, une fois dissipés les effets de l’enthousiasme initial, certaines entreprises assujetties à la TVA, portant un regard rétrospectif sur les incidences du mécanisme retenu pour abandonner cette règle, ont estimé qu’il avait entraîné, pour elles, un préjudice.
Tel est le cas de la société anonyme Cedillac qui, le 26 décembre 2002, a demandé réparation à l’Etat du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de la faiblesse des intérêts qui ont rémunéré la « créance sur le Trésor » dont elle s’est trouvée titulaire, au cours des années 1993 à 2002, à la suite du « gel », puis du « dégel » progressif du mois moyen de droit à déduction de TVA organisé par la loi de finances rectificative du 22 juin 1993. Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ayant conservé le silence sur la demande qui lui était présentée par la société, celle-ci a saisi le tribunal administratif de Lyon et a soutenu, devant lui, que le dispositif conçu pour supprimer la règle du décalage d’un mois et échelonner dans le temps le bénéfice qu’en retiraient les assujettis était contraire aux prévisions de la 6e directive.
Le TA de Lyon a sursis à statuer et a renvoyé au CE la question de la compatibilité avec la 6e directive du mécanisme retenu pour supprimer le décalage
Par un jugement du 15 novembre 2005, le tribunal vous transmet pour avis, sur le fondement de l’article L 113-1 du Code de justice administrative, la question de savoir « si le dispositif adopté par la France pour accompagner la suppression de la règle du décalage d’un mois est compatible avec les dispositions des articles 17 et 18 § 4 » de la 6e directive.
Cette demande d’avis est recevable. D’une part, il s’agit bien d’une question de droit nouvelle. Vous vous souvenez peut-être, cependant, l’avoir déjà approchée. Nous vous avons déjà entretenus de l’abandon de la règle du décalage d’un mois et, déjà, de la difficulté sérieuse de la question qui vous est posée Ihui, dans nos conclusions sur les affaires SA Tambrands France jugées le 12 janvier 2005, mais l’irrecevabilité des recours pour excès de pouvoir dont vous étiez alors saisis ne vous avait pas permis de la trancher (CE 12 janvier 2005 n° 256965 AEa. : RJF 4/05 n° 324, conclusions L. O BDCF 4/05 n° 44). Le caractère sérieux de la difficulté ne fait, d’autre part, pas de doute. Enfin, la question se pose dans de nombreux litiges : plusieurs centaines d’actions sont déjà engagées et l’enjeu, au début de l’année 2006, s’élevait selon le ministre à plus de 200 millions d’euros.
Avant la loi de finances pour 1993, la déduction de la TVA amont s’effectuait, partiellement, avec un décalage d’un mois
Avant de vous donner notre sentiment sur la réponse qu’il convient d’apporter à la question qui vous est posée par le tribunal administratif de Lyon, nous devons vous rappeler quel était le mécanisme qui avait été retenu pour renoncer à la règle du décalage d’un mois et étaler dans le temps l’effet budgétaire de cet abandon. Pardon de nous répéter, mais nous reprendrons largement la description que nous avions faite de ce système dans nos conclusions sur les affaires jugées le 12 janvier 2005.
Ihui, selon le 3 du I de l’article 271 du CGI, « la déduction de la taxe ayant grevé les biens et services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance ». Tel n’était pas le cas avant 1993.
Si le § 2 de l’article 18 de la 6e directive pose le principe de l’exercice immédiat du droit à déduction, le § 3 de son article 28 admet que les Etats membres y dérogent jusqu’à l’expiration de la période transitoire. De l’entrée en vigueur de la directive jusqu’à la loi de finances rectificative pour 1993, la France avait ainsi maintenu les dispositions, issues en dernier lieu du décret du 1er février 1967, de l’article 217 de l’annexe II au CGI, qui prévoyaient que la déduction de la taxe ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services était opérée au titre du mois suivant celui pendant lequel le droit à déduction avait pris naissance. Cette modalité constituait la règle du décalage d’un mois.
Mentionnons, pour mémoire, que la règle du décalage d’un mois ne s’appliquait donc pas pour les immobilisations ni pour certaines catégories de redevables ou d’opérations, bénéficiant d’une dérogation à la dérogation en vertu de dispositions expresses du Code général des impôts (exploitants agricoles, premières ventes de produits pétroliers, nouveaux assujettis, opérations sur métaux non ferreux…).
La suppression de ce décalage par la LFR pour 1993 s’est accompagnée d’un mécanisme de lissage de la charge budgétaire exceptionnelle correspondant au remboursement d’un mois de TVA
Le premier pas vers l’abandon de la règle a été le décret 93-117 du 28 janvier 1993 qui a supprimé le décalage pour les redevables forfaitaires et l’a supprimé à hauteur de 10 % pour les autres redevables. Le I de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 (93-859 du 22 juin 1993) a, six mois plus tard, supprimé entièrement le décalage d’un mois, par extension du principe de l’exercice immédiat du droit à déduction, en insérant au I de l’article 271 du CGI le 3 que nous avons cité il y a quelques instants.
L’application immédiate de la déduction « au mois courant » aurait eu pour effet de permettre aux assujettis d’exercer cumulativement, au titre du mois de juillet 1993, leurs droits à déduction nés pendant les deux mois de juin et juillet. Effectuée ainsi brutalement, la réforme aurait donc entraîné la nécessité, pour le Trésor, de leur rembourser « un mois de TVA », soit une charge évaluée, à l’époque, entre 80 et 100 milliards de francs pour le budget de l’Etat (Dans nos conclusions sur les affaires Tambrands et autres nous avions parlé de 82 milliards de francs, mais les estimations varient. Dans son ouvrage « La TVA à l’heure européenne » – Litec, décembre 1993, J.-J. C indique ainsi que le coût de la suppression de la règle avait été évalué à 5 milliards en 1969, 22 milliards en 1975, 32 milliards en 1979, 60 milliards en 1986 et 107 milliards en 1993). Les finances de l’Etat ne pouvant faire face à une telle perte exceptionnelle, il a été institué un mécanisme d’une rare mais inventive complexité, destiné à lisser dans le temps l’impact budgétaire de la suppression du décalage d’un mois. Ce régime a été créé par le II de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993, dont les dispositions ont été reprises à l’article 271 A du CGI.
Alors que, pour certaines catégories de redevables, la suppression a été immédiate…
Précisons toutefois que les modalités de mise en oeuvre du changement de législation ont été différentes selon les catégories de redevables. Certains ont bénéficié immédiatement, et pleinement, de la suppression de la règle du décalage d’un mois. Pour les autres, ceux qui nous intéressent le plus Ihui, a été institué un apurement échelonné du passé.
Rappelons donc que trois catégories de redevables étaient concernées par l’application entière et immédiate de la suppression de la règle : les nouveaux redevables, les petits et moyens redevables (soit les forfaitaires, pour lesquels le décalage avait déjà été supprimé par un décret du 28 janvier 1993 sur lequel nous reviendrons, et ceux relevant du régime simplifié), et enfin les « petits déducteurs » (néologisme emprunté à J.-J. C, précité), c’est-à-dire les entreprises au réel normal dont la « déduction de référence », invention que nous allons décrire dans un instant, était inférieure à 10 000 F.
Un million neuf cent cinquante-huit mille entreprises, soit quatre-vingt-deux pour cent du total des redevables, ont bénéficié immédiatement de la suppression pure et simple du décalage d’un mois.
… les autres ont vu le montant de TVA dû transformé en créance sur le Trésor
Restait le cas des redevables les plus importants, les « gros déducteurs », dont la déduction de référence excédait 10 000 F.
Les redevables ont donc dû déterminer une « déduction de référence », représentative d’un mois moyen de droits à déduction de TVA, calculée sur la période de douze mois précédant le 31 juillet 1993, sur les biens autres que les immobilisations et les services ouvrant droit à déduction. Le montant de cette « déduction de référence » devait être soustrait du montant de la TVA déductible figurant sur la déclaration couvrant le mois de juillet 1993. Lorsque cette déduction de référence était totalement soustraite de la TVA déductible courante, les redevables constataient alors une créance convertie en titres et d’un montant égal à celui de cette déduction de référence.
Le montant de la TVA restant due a donc été transformé en créance sur le Trésor et il a été prévu différentes modalités de remboursement, constituant une charge de trésorerie pour l’Etat, et des facilités pour les entreprises détentrices des créances. Les remboursements ont, d’une certaine façon, été utilisés par l’Etat comme des instruments de politique conjoncturelle.
A l’origine, la créance était remboursable sur 20 ans
L’article 271 A du CGI prévoyait, à l’origine, un remboursement de 5 % de la créance par an, soit un remboursement sur vingt ans. Cette créance n’était ni cessible ni négociable, mais pouvait être donnée en garantie ou cédée à titre de garantie dans les conditions de la loi Dailly. Elle était obligatoirement transférée en cas de fusion, scission, cession ou apport partiel d’actifs et toute dépréciation éventuelle de cette créance était, en vertu de l’article 271 A, sans incidence sur la détermination du bénéfice imposable. La loi précisait que des décrets en Conseil d’Etat devaient déterminer les conditions et les modalités de remboursement des titres. C’est sur cette habilitation législative que plusieurs décrets sont intervenus.
Un décret du 14 septembre 1993 a précisé les informations devant être fournies au comptable du Trésor chargé de gérer et régler la créance
Le décret 93-1078 du 14 septembre 1993 a ainsi indiqué les informations devant être fournies au comptable du Trésor chargé de la gestion et du règlement de la créance. Une fois que le montant de la TVA restant dû était constaté par les services des impôts, ces informations étaient transmises au comptable du Trésor qui ouvrait un compte pour chaque entreprise, comportant son identification, le montant et la date de naissance de la créance. Le décret avait fixé le montant du premier remboursement. Ainsi les créances qui n’excédaient pas 150 000 F furent remboursées en totalité. Celles d’un montant supérieur furent remboursées à concurrence de 25 % avec un montant minimum de 150 000 F. Ces remboursements ont pu être opérés, à l’époque, en raison du succès de l’emprunt d’Etat lancé en 1993. A ce moment de l’opération, environ 46 milliards de francs étaient, semble-t-il, déjà remboursés, soit à peu près la moitié du coût total pour les finances publiques.
Le rythme du remboursement a été modifié en 1994, puis en 1995
Puis l’article 21 de la loi de finances pour 1994 a porté à 10 % au lieu de 5 % le montant minimum de remboursement accordé au titre de 1994.
Un décret du 6 avril 1994 (94-296) a ensuite accordé un bonus de remboursement pour les entreprises qui embauchaient des salariés.
A partir de 1995, le taux minimal de remboursement de 5 % était de nouveau appliqué.
Des arrêtés successifs ont fixé le taux d’intérêt de la créance dans un sens toujours décroissant
Les créances ainsi nées du dispositif conçu pour étaler les effets de la réforme portaient intérêt, dont le taux était fixé par arrêté. La loi de finances rectificative pour 1993 avait prévu que ce taux ne pouvait pas excéder 4,5 %. Un arrêté du 15 avril 1994 l’a fixé au maximum pour les intérêts échus en 1993. Le taux a été réduit à 1 % par un arrêté du 17 août 1995 pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1994. Enfin un arrêté du 15 mars 1996 l’a diminué à 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995.
Les remboursements ont donc été opérés, sur la base du mécanisme que nous venons de décrire, jusqu’en 2001.
Enfin, un décret du 13 février 2002 a soldé le dispositif et prévu le remboursement des sommes restant dues
Puis, par un décret du 13 février 2002, il a été décidé de mettre fin à ces remboursements échelonnés et de rembourser l’intégralité des créances qui subsistaient, mettant ainsi définitivement fin au dispositif. Les créances non encore remboursées s’élevaient, à l’époque, à un montant d’environ 1,2 milliard d’euros.
Le texte du décret distingue deux types de créances. La première catégorie recouvre les créances figurant dans les comptes spéciaux, environ 15 700 à l’époque, qui ont été remboursées dès la publication du décret. La seconde catégorie regroupait des créances existantes, mais qui n’avaient pas été inscrites en compte spécial : des créances oubliées, en quelque sorte, mais ce résidu était donc pris en compte par la mesure.
Vous l’aurez compris, l’ensemble de ce mécanisme serait sans doute resté acceptable pour les assujettis concernés, à l’origine prêts à tout admettre pour qu’il soit mis fin au décalage d’un mois, sans la peau de chagrin des intérêts.
La compatibilité du dispositif avec la 6e directive peut être discutée au regard de la rupture de la chaîne de la TVA pour juillet 1993 et au regard du montant des intérêts de la créance
Nous avions indiqué, dans nos conclusions sur les affaires Tambrands France, que la compatibilité de ce système avec la 6e directive pose deux questions principales.
La première est celle la compatibilité avec la 6e directive du dispositif qui a consisté à soustraire les droits à déduction nés au cours du mois de juillet 1993 du déroulement normal de la chaîne de la TVA. La rupture de cette chaîne proviendrait, à suivre les intéressés, comme la société anonyme Cedillac, de ce que si l’Etat a, d’un côté, instauré la règle de la déduction immédiate, et rendu les droits à déduction nés au cours du mois de juillet 1993 exerçables dès la liquidation de la taxe nette éventuellement due au titre de ce mois, il a, de l’autre côté, et simultanément, rompu ce processus en gelant le montant de la déduction de référence.
La seconde question est celle de savoir si le dispositif adopté par la France pour rembourser les créances détenues par les assujettis qui a consisté à contracter, à leur égard, une dette à échéance lointaine en fixant, par ailleurs, le taux applicable aux intérêts échus à un montant presque insignifiant, au moins pour ceux échus à compter du 1er janvier 1995, est compatible avec le droit communautaire.
La société requérante se prévaut de la jurisprudence de la CJCE qui censure le dispositif italien
Au soutien de leur thèse, les assujettis concernés invoquent principalement la décision de la CJCE du 25 octobre 2001 (aff. 78/00 : RJF 1/02 n° 125) qui fait droit à un recours en manquement de la Commission contre l’Italie, dénoncée pour avoir substitué au remboursement de crédits de TVA nés au cours de l’année 1992 la remise à ceux-ci de titres d’Etat à compter du 1er janvier 1994 et venant à échéance cinq à dix ans plus tard. Les points 32 à 34 de l’arrêt jugent le procédé incompatible avec l’article 18 § 4 de la 6e directive selon lequel « quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les Etats membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent ». La CJCE a précisé les limites de cette marge de manoeuvre en disant pour droit que ces dispositions exigent que le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente », et de telle sorte que l’assujetti ne soit exposé à « aucun risque financier ».
Compte tenu de la solution d’irrecevabilité que nous avions proposée dans les affaires Tambrands France et autres, nous ne vous avions pas livré notre sentiment sur la compatibilité du dispositif que nous avons décrit avec la directive.
Il semble difficile de soutenir que le dispositif français de gel de montants forfaitaires de droits à déduction est couvert par la « liberté de manoeuvre » dont disposent les Etats membres
Pour dire la vérité, il est difficile de dire avec autorité que ce mécanisme est couvert par la « liberté de manoeuvre » dont disposent les Etats membres pour rembourser l’excédent des déductions autorisées visé au § 4 de l’article 18, ce qui est la position qu’ont adoptée différents tribunaux administratifs dans des jugements non publiés mais dont le ministre fait état devant vous. On ne peut, en particulier, qu’avoir les plus sérieux doutes sur la validité du dispositif, si on se limite à examiner, seule, la première question que nous avons évoquée. La directive et le mécanisme même de la TVA s’opposent en effet à ce qu’un Etat membre interdise aux assujettis d’exercer leur droit à déduction, y compris par imputation sur la taxe dont ils sont redevables, par le gel de montants forfaitaires de droit à déduction. Nous ne voyons pas très bien comment dire, sur le principe, que le gel d’un certain montant de droits à déduction nés au profit des assujettis, mis hors du circuit normal de la TVA, détournés de sa chaîne, est compatible avec la 6e directive. Le ministre soutient devant vous que le dispositif n’a pas eu pour effet d’empêcher l’exercice du droit à déduction puisque, vous dit-il, les redevables qui sont devenus titulaires d’une créance sur le Trésor au titre de la déduction de référence n’étaient pas précédemment titulaires d’un crédit de TVA. Et pourtant, toutes les entreprises imposées au réel normal qui ont calculé une déduction de référence supérieure à 10 000 F ont bien été dans l’obligation de la retrancher des droits à déduction sur biens autres qu’immobiliers et de services mentionnés sur la déclaration qu’elles ont déposée au titre du mois de juillet 1993 ou du troisième trimestre selon le régime de déclaration qu’elles pratiquaient.
Le ministre plaide le caractère transitionnel du dispositif en vue d’atteindre le droit commun communautaire alors même que la directive autorisait le maintien de régimes dérogatoires
Le ministre objecte néanmoins à l’inquiétude que nous éprouvons quant à la compatibilité du dispositif retenu avec les principes de la TVA que celui-ci n’a fait qu’organiser la transition entre un régime, le décalage d’un mois, dérogatoire à la norme communautaire, et la déduction immédiate, c’est-à-dire le droit commun. Et il s’étonne de ce que les modalités de mise en oeuvre de sa louable renonciation « unilatérale » à un dispositif dérogatoire autorisé par le Conseil des Communautés européennes et financièrement avantageux pour l’Etat puisse lui être reprochées.
D’une parenthèse, rappelons la situation de l’année 1993. Certes, l’article 28 § 3 d de la 6e directive autorisait les Etats membres à continuer d’appliquer des dispositions dérogeant au principe de la déduction immédiate prévue à l’article 18 § 2 pour une durée indéterminée. Cette disposition figure d’ailleurs toujours, Ihui, dans la 6e directive. La France, seule à appliquer une règle de déduction décalée, n’était peut-être pas tout à fait contrainte, juridiquement, d’abandonner la règle dérogatoire, même si, à l’époque, les discussions relatives à la proposition de 12e directive portant harmonisation des droits à déduction de TVA devaient notamment porter sur un réexamen de cette dérogation. Outre l’irritation croissante des assujettis à l’égard de cette avance de trésorerie sous contrainte à l’Etat, deux considérations principales ont pesé dans la décision : d’une part, et principalement, le handicap financier pour les entreprises françaises dans un marché européen de plus en plus intégré ; d’autre part, la mise en place du régime transitoire de la TVA intracommunautaire au 1er janvier 1993.
Il est vrai que la CJCE admet que les Etats membres rapprochent progressivement leurs législations du droit commun de la 6e directive par l’effacement graduel des éléments dérogatoires qu’ils ont été autorisés à conserver
Pour innocenter, au regard du droit communautaire, le dispositif prévu par la loi de finances rectificative pour 1993, le ministre s’appuie sur la jurisprudence de la CJCE qui admet que des Etats membres rapprochent progressivement leurs législations du droit commun de la 6e directive par l’effacement graduel des éléments dérogatoires qu’ils ont été autorisés à conserver. Il invoque aussi bien la décision E Developments (CJCE 29 avril 1999 aff. 136/17 : RJF 6/99 n° 812, conclusions N. AD BDCF 6-7/99 n° 74) qui portait sur la réduction du champ d’une exonération dérogatoire que la décision Commission c/ France du 14 juin 2001 (aff. 345/99 : RJF 10/01 n° 1342), s’agissant d’une réduction du champ d’exclusions dérogatoires du droit à déduction. Par ces décisions, la CJCE a admis des restrictions apportées à certaines exigences du droit communautaire si elles sont le prix à payer d’un alignement partiel sur les objectifs assignés aux Etats membres par la directive. Dans l’affaire Commission c/ France précitée, en particulier, la Cour n’a pas suivi la Commission qui contestait la validité de la limitation d’un droit à déduction par l’exigence d’une condition étrangère à la 6e directive, du moment qu’en réduisant le champ des exclusions existantes, la France se rapprochait de l’objectif de la 6e directive.
Mais dans le cas français, le changement de règle a été total et immédiat et le gel de droits à déduction n’avait pas pour objet de ménager une transition
En dépit de cette jurisprudence, la disculpation du dispositif retenu par le législateur en 1993 ne va pas absolument de soi. Contrairement aux législations incriminées dans les affaires jugées par la CJCE en 1999 et 2001, le législateur de 1993 n’a, en effet, pas diminué le champ d’une dérogation ou restreint l’emploi, par la France, de la faculté qu’elle tenait de l’article 28 § 3 de conserver une exception au principe de la déduction immédiate. Il a, d’un côté, opéré une rupture complète et définitive avec le système qui prévalait depuis quarante-cinq ans, et immédiatement rejoint le « droit commun » de la 6e directive. Il a, de l’autre côté, « gelé » un certain montant de droits à déduction nés au profit des assujettis, ce gel ni le lent dégel qui l’a suivi ne constituant réellement une « transition » entre la règle ancienne et le droit commun.
Un dispositif progressif avait commencé à être mis en oeuvre en janvier 1993, mais la suppression du décalage d’un mois ne s’est pas faite en poursuivant dans cette voie
Observons que le législateur n’a, ainsi, pas fait le choix de poursuivre dans la voie ouverte par le décret du 28 janvier 1993 qui avait supprimé le décalage d’un mois pour les redevables forfaitaires et qui, surtout, pour les autres redevables, avait prévu que le décalage d’un mois ne s’appliquait plus qu’à 90 % de la taxe déductible. En pratique, au titre de janvier 1993, les redevables concernés ont déduit la TVA déductible au titre des biens ne constituant pas des immobilisations et des services de janvier 1992 et 10 % de la TVA déductible au titre des biens ne constituant pas des immobilisations et des services de janvier 1993. Au titre de février 1993, ils ont déduit le reliquat de la TVA déductible au titre des biens ne constituant pas des immobilisations et des services de janvier 1993 (90 %) et 10 % de la taxe déductible des biens autres que des immobilisations et des services de février 1993. Et ainsi de suite : les déductions ultérieures s’opéraient en glissement. L’extension de ce mécanisme, par une augmentation croissante des droits à déduction nés au cours du mois, ou des derniers mois, couverts par la déclaration, selon un échéancier régulier, n’aurait sans doute pas encouru les mêmes reproches que ceux Ihui adressés au dispositif institué par la loi du 22 juin 1993. Le législateur a préféré adopter un dispositif qui n’est pas sans rappeler celui choisi, une vingtaine d’années plus tôt, pour la suppression du butoir, par l’emploi de la notion, à l’époque, de « crédit de référence » (cf. art. 7 de la loi de finances pour 1972 et décret du 4 février 1972, ainsi que les conclusions du Pdt O. Fouquet sur CE 8 avril 1987 n° 61271 ass., EDF Service de traitement industriel des résidus urbains : RJF 5/87 n° 508, conclusions Dr. fisc. 23-24/87 c. 1144). On notera cependant que le législateur s’est montré, avec le temps, plus clément pour la suppression des rémanences financières de TVA, puisque le « crédit de référence » n’était pas reconnu comme une créance indemnisable, à la différence de la « déduction de référence ».
C’est à la CJCE qu’il revient de dire si une infraction ponctuelle aux règles de la TVA est couverte par la renonciation à une règle dérogatoire
Parvenus à ce stade de l’analyse, vous vous posez peut-être, légitimement, la question de savoir si vous devez, et si vous pouvez, répondre vous-mêmes à la question qui vous est posée par le tribunal administratif de Lyon. Si vous en doutez, nous partageons votre sentiment. Si, d’une part, nous vous l’avons dit, nous avons du mal à voir dans la rétention du droit à déduction qui a été opérée une mesure compatible avec la 6e directive, nous pensons, d’autre part, que vous ne pouvez répondre avec assurance à la question de savoir si le mécanisme organisé par le législateur est au nombre des dispositifs, certes étrangers à la 6e directive, mais qui concourent à la réalisation d’un alignement du droit national sur le droit communautaire, de sorte qu’ils peuvent être blanchis de leur incompatibilité éventuelle avec ce dernier. Une infraction ponctuelle aux règles de la TVA est-elle couverte par la renonciation à une règle dérogatoire ? Est-elle susceptible d’être assimilée à un rapprochement de la norme communautaire ? Il revient, croyons-nous, à la CJCE de dire si, en l’espèce, la fin justifiait les moyens.
La réponse donnée par la Cour sera utile pour trancher les litiges indemnitaires engagés par les assujettis
Plus profondément, un renvoi à la CJCE nous paraît plus qu’opportun car l’analyse puis la critique, ou l’admission, au regard du droit communautaire, du dispositif incriminé, vous fourniraient autant d’éléments à la lumière desquels les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et vous-mêmes pourrez, dans le futur, examiner la réalité du préjudice invoqué par toutes les entreprises qui ont engagé des instances et apprécier, le cas échéant, l’indemnisation qu’il implique.
Le renvoi à la Cour devra être fait par le TA qui a saisi le CE par application de l’article L 113-1 du CJA
Si vous partagez notre sentiment sur l’intérêt d’une saisine de la CJCE, vous ne pourrez cependant lui soumettre vous-mêmes, Ihui, la question posée par cette affaire. Il reviendra au tribunal administratif de Lyon d’apprécier si, compte tenu notamment des éléments que vous lui fournirez dans votre avis, il estime nécessaire de saisir la Cour de Luxembourg, conformément à la possibilité qui lui est offerte par l’article 234 du Traité. Vous ne prononcez pas, en effet de renvoi préjudiciel lorsque vous êtes, vous-mêmes, saisis pour avis par application de l’article L 113-1 du Code de justice administrative (Avis CE 4 février 2000 n° 213321 sect., Mouflin : Lebon p. 29, conclusions G. P Q 2000 p. 554), mais vous pouvez donner votre avis sur l’opportunité d’un tel renvoi.
Tel est donc le sens de l’avis que nous vous invitons à rendre Ihui.
Si l’on suit le ministre pour regarder comme indivisibles les différents éléments du mécanisme de suppression du décalage, l’existence d’un préjudice lié à la faiblesse des intérêts n’apparaît pas évidente
Un dernier mot, toutefois, avant d’en terminer, sur la question du préjudice subi par les assujettis, qui se posera une fois seulement la position de la CJCE connue, si vous nous suivez. Nous croyons que le ministre fait valoir un argument assez fort face aux assujettis qui se plaignent de l’extrême faiblesse des intérêts qui ont rémunéré la « créance sur le Trésor » que constituait la « déduction de référence ». Il observe en effet, en particulier par comparaison avec le dispositif italien jugé par la CJCE le 25 octobre 2001 (aff. 78/00 : RJF 1/02 n° 125), qui plaçait les assujettis concernés dans une situation moins favorable que celle qui prévalait antérieurement, que le choix de la France était, au contraire, de tenter de placer, globalement, les assujettis français dans la situation plus favorable que constituait le droit commun, par comparaison avec la règle ancienne du décalage d’un mois. Il insiste sur le fait que le législateur n’a pas conçu un mécanisme à double détente, mais un dispositif qui, simultanément, autorise la déduction immédiate et fait naître une créance indemnisable, de sorte que l’ensemble des dispositions qui ont concouru à l’abandon de la règle du décalage d’un mois serait indivisible. Dans cette perspective, l’assujetti qui pourrait faire état d’un préjudice serait celui qui a été lésé si l’on compare les déductions qu’il aurait pu pratiquer à droit constant, si la règle du décalage d’un mois avait été conservée, avec sa situation résultée de l’abandon de cette règle.
Pour le dire autrement, nous avions utilisé dans nos conclusions sur les affaires Tambrands France (précitées) l’image du « tour de passe-passe », pour montrer que l’Etat avait retenu d’une main ce qu’il paraissait accorder de l’autre. C’est certainement ce qui s’est passé mais, si l’on pose la question en termes de préjudice, tous les assujettis qui réclament une indemnisation font comme si la créance sur le Trésor que l’Etat leur a consentie était un dû. Ce n’est pas absolument évident. En d’autres termes : dans quels cas un « vrai-faux » cadeau fait-il naître un préjudice ?
Vous ne donnerez sans doute la réponse à cette question que le jour du dénouement de ce feuilleton du décalage d’un mois.
Par ces motifs, nous concluons à ce qu’il soit répondu à la demande d’avis dans le sens des observations qui précèdent.
Observations
La question avait été déjà évoquée par le commissaire du gouvernement L. O dans ses conclusions (BDCF 4/05 n° 44) sur CE 12 janvier 2005 n° 256965 s., SA Tambrands France : RJF 4/05 n° 324.
Il ne fait aucun doute que le dispositif de transition prévu par l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 n’est pas compatible avec les dispositions de la 6e directive (cf. CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, Commission c/ Italie : RJF 1/02 n° 125).
En revanche, on peut se demander si le dispositif de transition n’entrait pas dans le champ de la marge de manoeuvre que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes laisse aux Etats membres pour rapprocher progressivement leurs législations dérogatoires du droit commun de la 6e directive (CJCE 29 avril 1999 aff. 136/97, E Developments : RJF 6/99 n° 812, conclusions N. Fennely BDCF 6-7/99 n° 74 ; CJCE 14 juin 2001 aff. 345/99, Commission c/ France : RJF 10/01 n° 1342). Si un dispositif transitoire semble, dans son principe, compatible, on pouvait peut-être cependant, en l’espèce, hésiter compte tenu du caractère profondément dérogatoire du dispositif de transition. Le Conseil d’Etat a, sans doute pour ce motif, estimé plus prudent de préconiser la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes.
On rappellera que le Conseil d’Etat, lorsqu’il est saisi d’une demande d’avis, ne peut pas poser lui-même la question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes (Avis CE 4 février 2000 n° 213321 sect., Mouflin : Lebon p. 29, conclusions G. P Q 2000 p. 554).
(c) 2008 Editions T U
Page 125. droit communautaire – taxe sur la valeur ajoutée – droit à déduction – modalités – remboursement – remise de titres d’Etat : contraire à 6e dir. art. 17 et 18
En prévoyant le remboursement de l’excédent de TVA par la remise de titres d’Etat – réalisée, en outre, tardivement – pour une catégorie d’assujettis en situation de crédit d’impôt au cours de l’année 1992, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17 et 18 de la 6e directive.
CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, 5e ch., Commission c/ Italie.
MM. W AA, Prés.-H., Mischo, Av. gén.
(Extraits)
Les faits et la procédure précontentieuse 7. Estimant que les décrets-lois n° 16/93 et 250/95 violaient à la fois le principe du droit à la déduction de la TVA en amont, consacré par l’article 17 de la 6e directive, et l’obligation, prévue à l’article 18 § 4 de ladite directive, de procéder à un remboursement « [q]uand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due », la Commission a engagé la procédure en manquement par l’envoi aux autorités italiennes, le 22 décembre 1997, d’une lettre de mise en demeure les invitant à présenter leurs observations dans un délai de deux mois.
8. Dans sa lettre de mise en demeure, la Commission indiquait notamment qu’elle avait été informée que de nombreux assujettis italiens visés par les décrets-lois n° 16/93 et 250/95 n’avaient pas été remboursés de l’excédent de TVA accumulé au cours de l’année 1992 et qu’ils avaient ainsi été privés de leur droit à déduction.
9. Par lettre du 2 avril 1998, les autorités italiennes ont répondu à ladite lettre de mise en demeure en soutenant que la législation italienne relative au remboursement de l’excédent de TVA par la remise de titres d’Etat était conforme aux dispositions de l’article 18 § 4 de la 6e directive.
10. Ne partageant pas le point de vue des autorités italiennes, la Commission a, par une lettre de mise en demeure complémentaire du 10 août 1998, invité les autorités italiennes à lui présenter leurs observations.
11. En réponse à cette seconde lettre de mise en demeure, les autorités italiennes ont transmis à la Commission quatre lettres respectivement datées des 27 janvier, 3 février, 26 février et 12 avril 1999.
12. Dans ses lettres des 3 et 26 février 1999, le gouvernement italien précisait, en particulier, que les titres émis sur le fondement de l’article 11 du décret-loi n° 16/93 avaient été mis à la disposition des assujettis à huit reprises entre le 26 avril 1994 et le mois de décembre 1998. Les titres émis sur le fondement de l’article 3 bis du décret-loi n° 250/95 auraient été mis à la disposition des assujettis à quatre reprises entre le 13 septembre 1996 et le 29 mai 1998.
13. Les arguments du gouvernement italien n’ayant toujours pas convaincu la Commission, celle-ci a adressé à la République italienne, le 9 juillet 1999, un avis motivé, invitant cet Etat membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
14. Les autorités italiennes ne se sont pas conformées à cet avis dans le délai imparti. C’est dans ces circonstances que la Commission a introduit le présent recours.
Le manquement allégué et l’appréciation de la Cour
Arguments des parties 15. La Commission considère que, en remettant aux assujettis des titres d’Etat venant à échéance cinq ou dix ans après leur émission, la République italienne a enfreint, notamment, les dispositions de l’article 18 § 4 de la 6e directive, relatif au traitement de l’excédent de TVA. La Commission fait valoir que cette disposition permet de reporter l’excédent résultant de la différence entre le montant des déductions autorisées et le montant de la taxe due, uniquement jusqu’à la période de déclaration suivante. Le report de l’excédent sur les périodes de déclaration ultérieures à celle qui suit immédiatement la période concernée violerait le principe établi par cette disposition, priverait les assujettis concernés de l’exercice normal du droit à déduction et porterait gravement préjudice à un principe fondamental du système commun de la TVA, à savoir le droit à l’exercice immédiat du droit à déduction.
16. Selon la Commission, l’obligation des administrations fiscales nationales de procéder à un remboursement « immédiat » de l’excédent de TVA en faveur d’un assujetti serait liée au droit de l’assujetti à l’exercice « immédiat » de son droit à déduction. La Commission s’appuie, à cet égard, sur l’arrêt du 18 décembre 1997, Molenheide AEa (aff. 286/94, aff. 340/95, aff. 401/95 et aff. 47/96 : Rec. p. I-7281, point 45).
17. La Commission considère que les « modalités » de remboursement que les Etats membres peuvent fixer, en vertu de l’article 18 § 4 de la 6e directive, ont trait aux formes que le remboursement peut revêtir, sans préjudice de l’obligation de mettre des fonds liquides à la disposition des créanciers de l’excédent de TVA. Ainsi, ce remboursement pourrait intervenir au moyen d’un virement sur le compte courant de l’assujetti, de l’envoi à celui-ci de chèques bancaires ou d’une autre modalité équivalente.
18. En revanche, un Etat membre excéderait manifestement le pouvoir discrétionnaire qui lui est ainsi conféré en matière de fixation des modalités de remboursement de l’excédent de TVA lorsque, au lieu de verser à l’assujetti une somme d’argent liquide, il lui impose d’accepter un titre dont l’échéance est différée dans le temps de cinq, voire dix ans.
19. Si l’assujetti avait besoin de l’argent dont l’Etat lui est débiteur au titre de la TVA, pour son propre fonds de roulement, il serait contraint soit d’emprunter la somme correspondant à l’excédent de TVA auprès d’une banque, donc de payer des intérêts débiteurs élevés et certainement supérieurs aux intérêts créditeurs dont sont porteurs les titres d’Etat qui lui ont été attribués, soit de négocier ces mêmes titres sur le marché financier au risque de devoir les revendre à un prix inférieur à leur valeur nominale et en devant déduire du produit de la vente les frais et les commissions réclamés par l’intermédiaire financier.
20. Etant donné que la dernière tranche des titres d’Etat émis en vertu de l’article 3 bis du décret-loi n° 250/95 ne doit arriver à échéance que le 1er janvier 2006, le manquement perdurerait jusqu’à cette date, à moins que les autorités italiennes ne décident le remboursement anticipé desdits titres. Selon la Commission, le fait que le nombre d’assujettis détenteurs de ceux-ci ne s’élève qu’à quelques centaines n’influe en aucune manière sur l’existence ou sur la gravitré du manquement.
21. La Commission souligne que la mise à disposition tardive des titres par le ministère du Trésor italien n’a fait qu’aggraver la violation des articles 17 et 18 de la 6e directive.
22. Le gouvernement italien rappelle les arguments qu’il avait développés au stade de la procédure précontentieuse. Ainsi, il fait valoir que la remise de titres d’Etat, à compter du 1er janvier 1994, en lieu et place d’un remboursement en espèces n’opère pas un report de l’excédent de TVA aux périodes de déclaration ultérieures, mais constitue un véritable remboursement effectué suivant les « modalités » que la République italienne a jugé opportun de « fixer » conformément aux dispositions de l’article 18 § 4 de la 6e directive.
23. Selon le gouvernement italien, l’article 18 § 4 de la 6e directive n’oblige pas l’Etat membre à utiliser un moyen de paiement précis, tel que les espèces, pour procéder au remboursement de l’excédent de TVA, car cette disposition prévoit expressément la faculté de pourvoir au remboursement en question selon les « modalités » fixées par l’Etat membre lui-même. Le terme « modalités » aurait un sens extensif qui couvrirait tant les modalités relatives à la forme que celles inhérentes au contenu du remboursement. Le législateur italien aurait, en vertu de cette disposition, établi de manière souveraine que la République italienne procéderait, en l’espèce, au remboursement de l’excédent de TVA par la remise de titres d’Etat plutôt que par le paiement d’une somme d’argent équivalente.
24. Le gouvernement italien soutient que, si certains assujettis ont été remboursés tardivement, cela n’est pas dû à la législation ou à des problèmes juridiques mais, dans une mesure d’ailleurs limitée à quelques cas, à des défaillances ou à des erreurs administratives des services préposés à l’émission des titres. Pour remédier à ces inconvénients, les assujettis auraient pu faire usage des voies de recours administrative et juridictionnelle prévues à l’encontre des administrations concernées.
25. Le gouvernement italien fait valoir que l’assujetti créancier d’un excédent de TVA n’a subi aucun dommage du fait des modalités de remboursement en cause, les titres qu’il a reçus étant porteurs d’intérêt et négociables, ce qui lui aurait permis de réaliser immédiatement sa créance. Quant à la République italienne, elle n’aurait tiré aucun avantage financier particulier de la remise de titres, cette modalité de remboursement ayant eu pour effet de substituer à la dette correspondant à la créance fiscale de l’assujetti une autre dette représentée par des titres d’Etat.
26. Par ailleurs, le gouvernement italien relève, dans sa défense, qu’il lui serait, en tout état de cause, impossible ou excessivement difficile de se conformer à l’avis motivé.
Appréciation de la Cour 27. Aux fins d’apprécier la compatibilité de la réglementation nationale en cause avec la 6e directive, il convient de rappeler à titre liminaire les caractéristiques du système commun de la TVA pertinentes en l’espèce.
28. Il résulte de l’article 17 de la 6e directive que les assujettis sont autorisés à déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA qui a déjà grevé les biens acquis et les services reçus par eux en amont. Ce droit à déduction constitue, conformément à une jurisprudence constante, un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation communautaire (voir, notamment, arrêt Molenheide AEa., précité, point 47).
29. En vertu de l’article 18 § 2 de la 6e directive, la déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période, du montant de la taxe déductible pour la même période.
30. Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, les caractéristiques du système commun de la TVA ainsi rappelées permettent de constater que le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA, due ou acquittée, dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA. En l’absence de toute disposition permettant aux Etats membres de limiter le droit à déduction conféré aux assujettis, ce droit doit s’exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 1988, Commission/France, aff. 50/87 : Rec. p. 4797, points 15 et 16).
31. Lorsque, pour une période de déclaration, le montant de la taxe déductible excède le montant de la taxe due et que l’assujetti ne peut donc effectuer la déduction par imputation conformément aux dispositions de l’article 18 § 2 de la 6e directive, l’article 18 § 4 de ladite directive prévoit que les Etats membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent.
32. Il résulte du libellé même de l’article 18 § 4 de la 6e directive et, en particulier, des termes « selon les modalités qu’ils fixent » que les Etats membres disposent d’une liberté de manoeuvre certaine dans l’établissement des modalités de remboursement de l’excédent de TVA.
33. Néanmoins, le remboursement de l’excédent de TVA étant l’un des éléments fondamentaux garantissant l’application du principe de la neutralité du système commun de la TVA, les modalités fixées par les Etats membres ne sauraient être telles qu’elles porteraient atteinte à ce principe en faisant supporter à l’assujetti, en tout ou partie, le poids de la TVA.
34. Il s’ensuit que les modalités de remboursement de l’excédent de TVA qu’un Etat membre fixe doivent permettre à l’assujetti de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant de cet excédent de TVA. Ceci implique que le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente. En tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne doit faire courir aucun risque financier à l’assujetti.
35. Or, il résulte des éléments présentés par la Commission et non contestés par le gouvernement italien que la République italienne a décidé de rembourser l’excédent de TVA dont bénéficiait un certain nombre d’assujettis pour l’année 1992 par la remise de titres d’Etat émis à partir du 1er janvier 1994 et venant à échéance cinq ou dix ans après l’émission. Ces titres n’ont été distribués aux assujettis concernés que progressivement, d’avril 1994 à décembre 1998.
36. Force est de constater que la réglementation italienne en cause, qui ne donne pas lieu à un paiement effectué en liquidités ou de façon équivalente dans un délai raisonnable mais prévoit la remise de titres d’Etat, n’est pas compatible avec le système de remboursement de l’excédent de TVA prévu par la 6e directive.
37. La circonstance, mise en avant par le gouvernement italien, que seul un nombre relativement faible d’assujettis avait été concerné par la réglementation nationale en cause est sans incidence sur la constatation du manquement.
38. Par ailleurs, le problème invoqué par le gouvernement italien, à savoir qu’il lui serait difficile voire impossible de se mettre en conformité avec le droit communautaire au cas où la Cour considérerait que la réglementation nationale en cause enfreint les dispositions de la 6e directive, est également sans incidence sur la solution du litige. En effet, conformément à une jurisprudence constante, un Etat membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par une directive (voir, notamment, arrêt du 14 juin 2001, Commission/ Autriche, aff. 473/99, non encore publié au Recueil, point 12).
39. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en prévoyant le remboursement de l’excédent de TVA par la remise de titres d’Etat – réalisée, en outre, tardivement – pour une catégorie d’assujettis en situation de crédit d’impôt au cours de l’année 1992, la Répubique italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17 et 18 de la 6e directive.
Observations
La question posée à la Cour de justice était celle des limites de la marge de manoeuvre accordée aux Etats membres par l’article 18 § 4 de la 6e directive pour fixer les modalités du remboursement de crédits de TVA.
La Cour pose le principe que le remboursement doit être effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, sans faire courir un risque financier à l’assujetti.
La remise de titres d’Etat venant à échéance plusieurs années après l’émission ne remplissait pas ces critères.
Sur la conciliation entre le droit à remboursement rapide et le pouvoir d’appréciation des Etats membres en matière de modalités de remboursement, cf CJCE 18 décembre 1997 aff. 286/94, 340/95, 401/95 et 47/96, Garage Molenheide et a : RJF 4/98 n° 523.
(c) 2008 Editions T U 812. droit communautaire – taxe sur la valeur ajoutée – exonérations – maintien d’exonérations – disposition transitoire (6e dir. art. 28 § 3 b) – portée de la clause de gel – réduction du champ d’application – livraison d’un terrain à bâtir
S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir, un Etat membre est en droit d’exonérer cette livraison au titre du § 3 b) de l’article 28 de la 6e directive lu en combinaison avec l’annexe F, point 16 de la même directive, nonobstant le fait que cet Etat a d’une part, introduit depuis l’adoption de cette directive la possibilité de renoncer à l’exonération de la TVA au titre de ces livraisons et, d’autre part, réduit la portée matérielle de l’exonération applicable à celles-ci, de telle sorte que certaines livraisons antérieurement exonérées sont désormais assujetties à la TVA.
CJCE 29 avril 1999, aff. 136/97, 2e ch., E Developments Ltd.
MM. D, Prés.-H. – AD, Av. gén.
1. Par ordonnance du 2 avril 1997, parvenue à la Cour le 14 avril suivant, le VAT and Duties Tribunal, Manchester Tribunal Centre a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de TVA : assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la « 6e directive », lu en combinaison avec l’annexe F, point 16, de cette directive.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige qui oppose E Developments Ltd (ci-après « E ») aux Commissioners of Customs & Excise (ci-après les « Commissioners »), compétents en matière de perception de la TVA au Royaume-Uni, au sujet d’une décision de ces derniers refusant d’admettre la déductibilité de la TVA que E a payée en amont lors de l’achat d’une parcelle de terrain.
La réglementation communautaire 3. L’article 28 § 3 de la 6e directive dispose :
« 3. Au cours de la période transitoire visée au § 4, les Etats membres peuvent :

b) continuer à exonérer les opérations énumérées à l’annexe F dans les conditions existantes dans l’Etat membre ;
c) accorder aux assujettis la faculté d’opter pour la taxation des opérations exonérées dans les conditions fixées à l’annexe G ;
… » 4. L’annexe F de la 6e directive, intitulée « Liste des opérations visées à l’article 28 § 3 b) », mentionne, en son point 16, « les livraisons de bâtiments et de terrains visés à l’article 4 § 3 ».
5. Aux termes de l’annexe G, intitulée « Droit d’option », de la 6e directive :
« 1. Le droit d’option visé à l’article 28 § 3 c) peut être accordé :

b) s’il s’agit d’opérations visées à l’annexe F… » 6. L’article 4 § 3 par b), de la 6e directive prévoit que «… Sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels les Etats membres ».
L’article 13 B de la 6e directive, intitulé « Autres exonérations », dispose que les Etats membres exonèrent « h) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 4 § 3 b) ».
La réglementation nationale 7. A la date de l’adoption de la 6e directive, l’annexe 5, première catégorie, du Finance Act 1972 exonérait de la TVA les ventes d’immeubles, cette exonération comportant toutefois un certain nombre d’exceptions. A l’époque des faits au principal, ladite exonération et les exceptions correspondantes étaient prévues par le Value Added Tax Act 1983 (loi sur la TVA, ci-après le « VATA 1983 »), dans sa version résultant du Finance Act 1989 qui a réduit le domaine de l’exonération en introduisant un plus grand nombre d’exceptions à celle-ci et la faculté d’opter pour la taxation dans certains cas.
Faits du litige au principal 8. E a acheté à […] une parcelle de terrain, sise à Chesterton, pour laquelle elle avait obtenu un permis de construire et qu’elle a ensuite revendue à John Kottler Ltd. Ces deux opérations ont été réalisées le 29 avril 1994.
9. La vente dudit terrain constituait une livraison exonérée de la TVA en vertu du VATA 1983. Cependant, conformément aux dispositions de ce dernier, […] a choisi de renoncer à l’exonération et de facturer la TVA sur la vente dudit terrain, tandis qu’aucune TVA n’a été facturée à l’occasion de la vente entre E et John Kottler Ltd. Le 12 septembre 1994, les Commissioners ont évalué à 12 443 UKL la TVA due par E, correspondant à la taxe facturée en amont sur le prix d’achat du terrain. En vertu de l’annexe 6 A, paragraphes 2 et 3, du VATA 1983, il est constant que E ne pouvait pas exercer rétroactivement l’option lui permettant de renoncer à l’exonération de l’opération de vente à John Kottler Ltd.
10. Toutefois, E prétend que les dispositions de la 6e directive étant d’effet direct, ladite vente constituait une opération taxable en vertu de son article 2 § 1 de ladite directive, et que, de ce fait, elle pouvait déduire la taxe payée en amont.
11. En revanche, les Commissioners soutiennent que les dispositions pertinentes de la réglementation nationale sont conformes à l’article 28 § 3 b) lu en combinaison avec l’annexe F, point 16, de cette directive, de sorte qu’elles demeuraient applicables à la date de ladite opération.
12. Le VAT and Duties Tribunal, Manchester Tribunal Centre, devant lequel l’affaire a été portée, a jugé que, depuis 1977, le domaine de l’exonération de la TVA au Royaume-Uni n’avait pas été étendu, mais qu’il avait, au contraire, été réduit par l’introduction d’un plus grand nombre d’exceptions. La question serait donc de savoir si cette restriction constitue un obstacle à l’application de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive. Dès lors, ledit Tribunal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« S’agissant de la livraison d’un terrain non bâti, mais sur lequel, à l’époque de la livraison, la construction d’édifices était légalement autorisée en vertu d’un permis accordé conformément aux lois de l’Etat membre et dont le tribunal a jugé qu’il constituait un terrain à bâtir, le Royaume-Uni est-il en droit d’exonérer cette livraison au titre de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive ? Et ce, nonobstant le fait que :
a) le régime d’imposition des livraisons de terrains, y compris celles portant sur des terrains qui sont incontestablement des terrains à bâtir, a connu des modifications depuis que le Royaume-Uni a consenti à l’adoption de la 6e directive, le 17 mai 1977, en particulier depuis la promulgation du Finance Act 1989 qui a introduit la faculté de renoncer à l’exonération de la TVA pour certaines de ces livraisons ; et b) le régime d’imposition des livraisons de terrains qui constituent incontestablement des terrains à bâtir a connu des modifications depuis que le Royaume-Uni a consenti à l’adoption de la 6e directive, le 17 mai 1977, en particulier depuis la promulgation du Finance Act 1989 qui a exigé que certaines de ces livraisons, auparavant exonérées, soient imposées au taux normal en tant qu’ouvrages d’ingénierie civile, étant précisé que :
si elle avait eu lieu avant le 17 mai 1977, la livraison aurait été exonérée au titre du point 1, première catégorie, de l’annexe 5 du Finance Act 1972. »
Sur la question préjudicielle 13. A titre liminaire, il convient de relever que la juridiction nationale a qualifié la parcelle de terrain vendue par E de terrain à bâtir au sens de l’article 4 § 3 de la 6e directive. Dès lors qu’en vertu de cette même disposition il appartient aux Etats membres de définir la notion de terrain à bâtir, la Cour se trouve liée par l’appréciation de la juridiction de renvoi sur ce point, sans qu’il y ait lieu de faire acception de la circonstance qu’une telle définition fait défaut dans la législation du Royaume-uni.
14. E soutient tout d’abord que la finalité des dispositions transitoires prévues par l’article 28 § 3 de la 6e directive est de « geler » à la date d’adoption de celle-ci, soit le 17 mai 1977, les exonérations énumérées à son annexe F. Selon le libellé même de l’article 28 § 3 b), le Royaume-Uni ne serait en droit de continuer à exonérer les livraisons de terrains à bâtir que si les conditions qui existaient à la date du 17 mai 1977 avaient été maintenues.
15. Or, selon E, en instaurant la faculté de renoncer à l’exonération pour les livraisons de terrains à bâtir, le Royaume-Uni a modifié les conditions qui lui auraient permis de maintenir les exonérations initiales.
16. A cet égard, il suffit de relever que l’article 28 § 3 c) de la 6e directive, lu en combinaison avec l’annexe G de cette directive, permet expressément aux Etats membres – ainsi que l’a fait le Royaume-Uni – d’accorder aux assujettis le droit d’option pour la taxation en ce qui concerne les opérations exonérées conformément à l’annexe F.
17. E soutient ensuite que l’exonération prévue à titre transitoire par l’article 28 § 3 b) de la 6e directive ne peut plus être appliquée du fait que le régime d’imposition des livraisons de terrains à bâtir a connu des modifications fondamentales résultant de l’adoption du Finance Act 1989, en vertu duquel certaines des ces livraisons ne sont plus exonérées. A cet égard, elle invoque notamment l’arrêt du 27 octobre 1992, Commission/Allemagne (aff. 74/91 : Rec. p. I-5437).
18. Il est vrai que la Cour a jugé au point 17 de l’arrêt Commission/Allemagne, précité, que le maintien par un Etat membre d’exonérations partielles non expressément prévues par les dispositions transitoires visées à l’article 28 § 3 de la 6e directive ne saurait être admis, un tel maintien étant d’ailleurs contraire au principe de sécurité juridique. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que ledit arrêt a été rendu à propos d’une transposition incorrecte par un Etat membre de l’article 26 de la 6e directive concernant le régime spécifique et complexe des agences de voyage et, plus particulièrement, de l’applicabilité des dispositions transitoires visées aux points 17 et 27 de l’annexe F. L’arrêt Commission/Allemagne, précité, est donc intervenu dans des circonstances de fait et de droit tout à fait différentes de celles de l’affaire au principal et, dès lors, E ne saurait utilement s’en prévaloir au soutien de son argumentation.
19. En effet, dans l’affaire au principal, le Royaume-Uni est, en vertu de l’article 28 § 3 b) lu en combinaison avec l’annexe F, point 16, de la 6e directive, autorisé à continuer à exonérer les livraisons de biens immeubles hormis les quelques exceptions au maintien de l’exonération contenues dans une liste figurant à l’annexe 5, première catégorie, du Finance Act 1972, à laquelle l’annexe 6, première catégorie, du VATA 1983, dans sa version résultant du Finance Act 1989, en a ajouté un certain nombre d’autres. Ces modifications n’ont, ainsi que la juridiction nationale l’a jugé, pas étendu le domaine de l’exonération, mais l’ont, au contraire réduit. Elles ne sont donc pas intervenues en méconnaissance du libellé de l’article 28 § 3 b) qui, s’il s’oppose à l’introduction de nouvelles exonérations ou à l’extension de la portée des exonérations existantes postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la 6e directive, ne fait pas obstacle à la réduction de celles-ci leur suppression constituant l’objectif de l’article 28 § 4 de la 6e directive.
20. A cet égard, une interprétation restrictive de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive, selon laquelle un Etat membre, bien que pouvant maintenir une exonération existante, ne saurait la supprimer, même en partie seulement, sans abolir du même coup toutes les autres exonérations, serait contraire audit objectif. En outre, une telle interprétation aurait, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, des effets néfastes pour l’application uniforme de la 6e directive. En effet, un Etat membre pourrait se voir contraint de maintenir l’ensemble des exonérations existantes à la date de l’adoption de la 6e directive, quand bien même il estimerait à la fois possible, approprié et souhaitable de mettre en oeuvre progressivement le régime prévu par celle-ci dans le domaine considéré.
21. Il y a donc lieu de répondre à la question posée que, s’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir, un Etat membre est en droit d’exonérer cette livraison au titre de l’article 28 § 3 b) lu en combinaison avec l’annexe F, point 16, de la 6e directive, nonobstant le fait que cet Etat a, d’une part, introduit depuis l’adoption de cette directive la possibilité de renoncer à l’exonération de la TVA au titre de telles livraisons et, d’autre part, réduit la portée matérielle de l’exonération applicable à ces dernières de telle sorte que certaines livraisons antérieurement exonérées sont désormais assujetties à la TVA.
Observations
Selon la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, « il revient aux Etats membres de définir la notion de « terrain à bâtir » au sens des dispositions combinées des articles 13 B h) et 4 § 3 b) de la 6e directive » (cf. CJCE 28 mars 1996, aff. 468/93, Commune d’Emmen : RJF 7/96 n° 956).
Les dispositions transitoires de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive qui autorisent les Etats membres à « continuer à exonérer les opérations énumérées à l’annexe F dans les conditions existantes dans l’Etat membre » s’opposent par leur libellé même à l’introduction de nouvelles exonérations ou à l’extension de la portée d’exonérations existantes (CJCE 8 juillet 1986, aff. 73/85, Hans-Dieter et Ute Kerrut : RJF 7/91 n° 1030 ; Rec. 2219 point 17) ainsi qu’à la réintroduction d’exonérations existant avant l’assujettissement à la TVA des prestations en cause conformément à la 6e directive (CJCE 17 octobre 1991, aff. 35/90, Commission c/ Espagne : RJF 2/92 n° 278).
Dans l’arrêt de plénière du 27 octobre 1992, Commission c/ RFA (CJCE aff. 74/91 : RJF 1/93 n° 167), la Cour de justice a considéré que « dès lors que la République Fédérale d’Allemagne… n’a pas maintenu, pour les différentes opérations effectuées par les agences de voyage, le régime général d’imposition à la TVA et a adopté un régime particulier fondé sur les règles définies par l’article 26 de la 6e directive, elle ne peut pas se prévaloir de la possibilité de continuer à exonérer certaines opérations dont l’exonération n’est pas prévue par cet article ».
Mais, ainsi que le relève la Cour, cette décision est intervenue dans des conditions de fait et de droit différentes de celles en cause ici. L’arrêt Commission c/ Allemagne a été rendu à propos d’une transposition incorrecte par un Etat membre de l’article 26 de la 6e directive concernant le régime spécifique des agences de voyage et ne peut être interprété comme consacrant le principe selon lequel toute modification fondamentale des conditions d’une exonération transitoire de TVA la prive de son effet. Dans l’espèce commentée, au contraire, les modifications apportées par le Royaume-Uni à sa législation nationale n’ont pas étendu le domaine de l’exonération mais l’ont réduit ; elles ne méconnaissaient donc pas l’article 28 § 3 b) de la 6e directive, la suppression des exonérations constituant l’objectif à terme de l’article 28 § 4 de cette même directive.
Ainsi que le relevait M. AB AC, avocat général, dans ses conclusions, « il convient de ne pas décourager les Etats membres de procéder par étapes à l’élimination d’exonérations de TVA autorisées à titre transitoire. En tout état de cause, toutes ambiguïtés qui ressortiraient de la législation nationale adoptée après 1977 au titre des exonérations transitoires devraient, selon nous, être résolues par les juridictions nationales conformément au principe selon lequel toute réduction de la portée d’une exonération préexistante doit être interprétée largement ; de telles règles sont, après tout, assimilables en fait à une exception à l’une des exonérations obligatoires prévues par le titre X de la 6e directive.
Les conclusions de l’Avocat général, AB AD, sont publiées au BDCF 6-7/99.
(c) 2008 Editions T U
Page 1342. droit communautaire – taxe sur la valeur ajoutée – droit à déduction – exclusions – maintien des règles nationales antérieures à la 6e directive (standstill) – 1° modification autorisant la déduction pour les véhicules affectés exclusivement à l’enseignement de la conduite (CGI art. 273 septies A issu de la loi du 26-7-91) : absence de manquement – 2° réintroduction d’une suppression totale du droit à déduction sur le gazole (CGI art. 298-4-1° b issu de la loi du 30-12-97) : manquement 1° Dans la mesure où la réglementation d’un Etat membre modifie en le réduisant, postérieurement à l’entrée en vigueur de la 6e directive, le champ des exclusions existantes et se rapproche par là même de l’objectif de la 6e directive, il y a lieu de considérer que cette réglementation est couverte par la dérogation prévue à l’article 17 § 6, second alinéa, de la 6e directive et n’enfreint pas son article 17 § 2. Ainsi, en remplaçant une exclusion totale des véhicules de tourisme du droit à déduction de la TVA par une autorisation de déduction partielle portant sur les véhicules et les engins affectés de façon exclusive à l’enseignement de la conduite, la France n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive (1re espèce).
2° En réintroduisant, à dater du 1er janvier 1998, une suppression totale du droit à déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules et des engins n’ouvrant pas droit à déduction après avoir partiellement ouvert ce droit à déduction, la France a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive (2e espèce).
1re espèce :
CJCE 14 juin 2001, aff. 345/99, 5e ch., Commission c/ France.
MM. La Pergola, Prés. – W AA, H. – Geelhoed, Av. gén.
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 septembre 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en soumettant les véhicules utilisés par les assujettis enseignant la conduite à la condition que lesdits véhicules soient affectés à l’usage exclusif de cette activité pour pouvoir exercer le droit à déduction de la TVA ayant grevé l’acquisition de ces biens, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de TVA : assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de TVA – champ d’application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en oeuvre (JO L 102, p. 18, ci-après la « 6e directive »).
2. Par ordonnance du président de la Cour du 24 mars 2000, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la République française.
La réglementation communautaire 3. L’article 17 § 2 a) de la 6e directive dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :
a) la TVA due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti. » 4. L’article 17 § 6 de la 6e directive prévoit :
« Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.
Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les Etats membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive. » 5. Aucune des propositions présentées par la Commission au Conseil en vertu de l’article 17 § 6 premier alinéa de la 6e directive n’a été adoptée par ce dernier.
La législation française 6. Le 1er janvier 1979, date d’entrée en vigueur de la 6e directive, tous les véhicules de tourisme étaient en principe exclus du droit à déduction de la TVA par la législation française.
7. A compter du 1er janvier 1993, le régime français de la TVA a été modifié afin d’ouvrir un droit à déduction pour certains véhicules ou engins.
8. A cet égard, l’article 273 septies A du CGI, dans sa version résultant de la loi 91-716 du 26 juillet 1991 (JORF du 27 juillet 1991, p. 9955, ci-après le « CGI »), prévoit :
« La TVA afférente aux achats, importations, acquisitions intracommunautaires, livraisons et services effectués à compter du 1er janvier 1993 cesse d’être exclue du droit à déduction en ce qui concerne les véhicules ou engins affectés de façon exclusive à l’enseignement de la conduite. »
Les faits et la procédure précontentieuse 9. La Commission soutient que l’exigence d’une affectation exclusive à l’enseignement de la conduite, prévue à l’article 273 septies A du CGI, n’est pas conforme à l’article 17 § 2 de la 6e directive, qui prévoit le droit à déduction de la taxe en amont dont l’assujetti est redevable, sans autre condition que l’utilisation des biens et des services pour les besoins de ses opérations taxées.
10. Par lettre du 18 juin 1998, la Commission a donc mis le gouvernement français en demeure de lui faire connaître ses observations dans un délai de deux mois.
11. Les autorités françaises ont répondu à la lettre de mise en demeure, par lettre du 13 octobre 1998, en indiquant qu’elles ne pouvaient partager le point de vue de la Commission. En effet, un Etat membre entendant limiter la portée d’une exclusion nationale d’un droit à déduction, conforme au droit communautaire en vertu de l’article 17 § 6 de la 6e directive, serait en droit de définir les cas dans lesquels cette exclusion ne trouvera plus à s’appliquer.
12. Ne partageant pas la conclusion du gouvernement français, la Commission a adressé à la République française, le 10 mars 1999, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures requises pour s’y conformer dans un délai de deux mois.
13. Par lettre du 1er juin 1999, les autorités françaises ont répété leur point de vue et ont fait savoir à la Commission qu’elles n’entendaient pas donner suite à l’avis motivé.
14. Dans ces circonstances, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Le manquement allégué et l’appréciation de la Cour 15. Selon la Commission, l’article 17 § 6 de la 6e directive permettrait uniquement aux Etats membres de maintenir les mesures nationales d’exclusion du droit à déduction de la TVA qui existaient à la date d’entrée en vigueur de cette directive, à savoir au 1er janvier 1979. En revanche, cette disposition ne permettrait pas de modifier semblable exclusion en introduisant par la suite un droit à déduction soumis à condition. Si un Etat membre modifie sa législation ultérieurement, il ne pourrait le faire qu’en se conformant aux dispositions de l’article 17 § 2 de la 6e directive, autrement dit en introduisant un droit à déduction de la TVA sans autre condition que l’utilisation des biens et des services pour les besoins des opérations taxées de l’assujetti.
16. La Commission souligne qu’il n’appartient pas à un Etat membre de définir lui-même les règles qui s’appliquent en matière de droit à déduction de la TVA. Seul le législateur communautaire serait compétent pour ce faire. La condition imposée par la République française afin de pouvoir bénéficier du droit à déduction, à savoir une affectation exclusive à l’activité d’enseignement de la conduite, serait étrangère à la 6e directive. Si un Etat membre estime nécessaire la mise en place de régimes spéciaux, il devrait avoir recours au système instauré en vertu de l’article 27 de la 6e directive et demander dans ce cadre d’être autorisé à introduire une dérogation spéciale afin de simplifier la perception de la taxe ou d’éviter certaines fraudes ou évasions fiscales, ce que la République française n’a pas fait en l’espèce.
17. Le gouvernement français, soutenu par le gouvernement du Royaume-Uni, fait valoir que la disposition nationale litigieuse n’introduit pas un nouveau régime d’exclusion, qui serait interdit par l’article 17 § 6 de la 6e directive, mais qu’elle constitue une simple dérogation à une exclusion existante. L’exclusion totale initiale du droit à déduction de la TVA afférente aux véhicules affectés à l’enseignement de la conduite étant conforme à l’article 17 § 6 de la 6e directive, il s’ensuivrait que l’autorisation du droit à déduction de cette TVA sous certaines conditions serait logiquement également conforme au droit communautaire.
18. A cet égard, il convient de rappeler que l’article 17 § 2 de la 6e directive énonce en termes explicites et précis le principe de la déduction des montants facturés comme TVA pour les biens livrés ou les services rendus à l’assujetti, dans la mesure où ces biens ou ces services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées.
19. Le principe du droit à déduction de la TVA est néanmoins soumis à la disposition dérogatoire figurant à l’article 17 § 6 de la 6e directive, et en particulier à son second alinéa. Les Etats membres sont ainsi autorisés à maintenir leur législation existant en matière d’exclusion du droit à déduction à la date d’entrée en vigueur de la 6e directive, jusqu’à ce que le Conseil arrête les dispositions prévues à cet article (voir arrêt du 5 octobre 1999, Royscot. ea., aff. 305/97 : Rec. p. I-6671, point 29).
20. Cependant, aucune des propositions présentées par la Commission au Conseil en vertu de l’article 17 § 6 premier alinéa de la 6e directive n’ayant été adoptée par ce dernier, il y a lieu de rappeler que les Etats membres peuvent maintenir leur législation existant en matière d’exclusion du droit à déduction de la TVA jusqu’à ce que le législateur communautaire établisse un régime communautaire des exclusions et réalise ainsi l’harmonisation progressive des législations nationales en matière de TVA (voir arrêt Royscot ea., précité, point 31).
21. Aux fins d’apprécier la compatibilité de la modification législative nationale en cause avec les dispositions de la 6e directive, il convient de se référer à l’arrêt du 29 avril 1999, E Developments (aff. 136/97 : Rec. p. I-2491), qui concernait une autre disposition transitoire de la 6e directive, à savoir l’article 28 § 3 b) relatif aux exonérations de TVA. La Cour a considéré dans cet arrêt que des modifications introduites dans la législation d’un Etat membre qui n’avaient pas étendu le domaine de l’exonération de TVA, mais l’avaient au contraire réduit, n’avaient pas méconnu le libellé dudit article. En effet, si cet article s’oppose à l’introduction de nouvelles exonérations ou à l’extension de la portée des exonérations existantes postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la 6e directive, il ne fait pas obstacle à la réduction de celles-ci, leur suppression constituant l’objectif de l’article 28 § 4 de la 6e directive (voir arrêt E Developments, précité, point 19).
22. L’interprétation de l’article 17 § 6 de la 6e directive se prête à l’application d’un raisonnement analogue. Ainsi, dans la mesure où la réglementation d’un Etat membre modifie en le réduisant, postérieurement à l’entrée en vigueur de la 6e directive, le champ des exclusions existantes et se rapproche par là même de l’objectif de la 6e directive, il y a lieu de considérer que cette réglementation est couverte par la dérogation prévue à l’article 17 § 6 second alinéa de la 6e directive et n’enfreint pas son article 17 § 2.
23. En l’espèce, la modification législative nationale remplace une exclusion totale des véhicules de tourisme du droit à déduction de la TVA par une autorisation de déduction partielle, à savoir portant sur les véhicules et les engins affectés de façon exclusive à l’enseignement de la conduite.
24. Force est de constater que la modification ainsi apportée à la législation française a pour effet de réduire le champ des exclusions existantes et de rapprocher cette législation du régime général de déduction visé à l’article 17 § 2 de la 6e directive.
25. Dès lors, il y a lieu de considérer que, en soumettant les véhicules utilisés par les assujettis enseignant la conduite à la condition que lesdits véhicules soient affectés à l’usage exclusif de cette activité pour pouvoir exercer la droit à déduction de la TVA ayant grevé l’acquisition de ces biens, la République française n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive. Par conséquent, le recours en manquement doit être rejeté comme non fondé.
2e espèce :
CJCE 14 juin 2001, aff. 40/00, 5e ch., Commission c/ France.
MM. La Pergola, Prés. – W AA, H. – Geerlhoed, Av. gén.
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 février 2000, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en réintroduisant, à dater du 1er janvier 1998, une suppression totale du droit à déduction de la TVA (ci-après la « TVA ») ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules n’ouvrant pas droit à déduction après avoir partiellement ouvert ce droit à déduction à plusieurs reprises, la République française a manqué aux oblibations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1), dans sa version résultant de la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995, modifiant la directive 77/388 et portant nouvelles mesures de simplification en matière de TVA – champ d’application de certaines exonérations et modalités pratiques de leur mise en oeuvre (JO L 102, p. 18, ci-après la « 6e directive »).
La réglementation communautaire 2. L’article 17 § 2, sous a), de la 6e directive dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :
a) la TVA due ou acquittée à l’intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ».
3. L’article 17 § 6 de la 6e directive prévoit :
« Au plus tard avant l’expiration d’une période de quatre ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.
Jusqu’à l’entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les Etats membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législateur nationale au moment de l’entrée en vigueur de la présente directive. » 4. Aucune des propositions présentées par la Commission au Conseil en vertu de l’article 17 § 6 premier alinéa de la 6e directive n’a été adoptée par ce dernier.
La législation française 5. Le 1er janvier 1979, date d’entrée en vigueur de la 6e directive, et jusqu’au 30 juin 1982, les gazoles utilisés comme carburants pour le fonctionnement de véhicules et d’engins n’ouvrant pas droit à déduction étaient exclus du droit à déduction de la TVA.
6. Entre 1982 et 1991, cette interdiction de déduction de la TVA a subi plusieurs modifications. Le taux de déduction autorisé est ainsi passé progressivement de 10 % en 1982 à 90 % en 1991 ; il a été ramené à 50 % dans le courant de l’année 1991.
7. Le droit de déduire la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour le fonctionnement de véhicules et d’engins n’ouvrant pas droit à dédution a été à nouveau entièrement supprimé à partir de 1998. A cet égard, l’article 15 de la loi n° 97-1269, du 30 décembre 1997, portant loi de finances pour 1998 (JORF du 31 décembre 1997, p. 19261), a modifié comme suit l’article 298 § 4-1° du CGI :
« N’est pas déductible la TVA afférente aux achats, importations, acquisitions intracommunautaires, livraions et services portant sur :
- […]
- les gazoles utilisés comme carburants mentionnés au tableau B de l’article 265 du Code des douanes utilisés pour des véhicules et engins exclus du droit à déduction ainsi que pour des véhicules et engins pris en location quand le preneur ne peut pas déduire la taxe relative à cette location, à l’exception de ceux utillisés pour les essais effectués pour les besoins de la fabrication de moteurs ou d’engins à moteurs ;
[…] ».
Les faits et la procédure précontentieuse 8. Estimant que la réintroduction d’une exclusion du droit à déduction de la TVA n’était pas compatible avec l’article 17 § 2 de la 6e directive, la Commission a engagé la procédure en manquement, en adressant, le 24 juillet 1998, à la République française une lettre de mise en demeure l’invitant à présenter ses observations dans un délai de deux mois.
9. Le 30 octobre 1998, les autorités françaises ont répondu à cette lettre de mise en demeure en indiquant ne pas partager le point de vue de la Commission. Les autorités françaises soutenaient en substance qu’elles étaient libres de moduler le droit à déduction dès lors qu’elles n’aggravaient pas la limitation existant à la date d’entrée en vigueur de la 6e directive pour la France, c’est-à-dire au 1er janvier 1979.
10. La Commission a notifié un avis motivé à la République française le 19 juillet 1999.
11. Les autorités françaises ne se sont pas conformées à l’avis motivé dans les délais requis et elles ont adressé, le 10 décembre 1999, une réponse dans laquelle elles maintenaient leur position.
12. Dans ces circonstance, la Commission a introduit le présent recours.
Le manquement allégué et l’appréciation de la Cour 13. La Commission soutient que la législation française en cause, réintroduisant une exclusion du droit à déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules et des engins n’ouvrant pas droit à déduction, n’est pas couverte par la dérogation prévue à l’article 17 § 6 de la 6e directive et qu’elle enfreint l’article 17 § 2 de ladite directive. En effet, selon la Commission, l’article 17 § 6 ne permet pas à un Etat membre de revenir, a posteriori, à un régime dérogatoire qui a été abandonné même partiellement, en réintroduisant une exclusion totale du droit à déduction de la TVA sur certaines dépenses. Contrairement à ce que soutiennent les autorités françaises, les Etats membres ne disposeraient pas d’une entière discrétion pour adapter et moduler, selon leurs propres critères, un régime dérogatoire national sous réserve uniquement qu’ils n’aggravent pas la situation existant au moment de l’entrée en vigueur de la 6e directive.
14. Selon le gouvernement français, l’article 17 § 6 de la 6e directive ne fait pas obstacle à ce qu’un Etat membre modifie des exclusions existant lors de l’entrée en vigueur de ladite directive sous réserve que les modifications apportées n’augmentent pas les taux d’exclusion au-delà de la quotité initialement fixée ni n’étendent les exclusions existantes à des catégories de biens ou de services non concernées au moment de cette entrée en vigueur. La législation en cause serait donc compatible avec la 6e directive.
15. Par ailleurs, le gouvernement français soutient que la modification législative en cause a été introduite pour des raisons environnementales. Ce gouvernement fait encore valoir que la Commission avait été informée des précédentes mesures ayant pour effet de réduire le taux de déduction de TVA autorisé pour le carburant concerné et que ces mesures n’avaient appelé aucune observation de la part de la Commission, ce qui aurait laissé supposer qu’elles étaient conformes à la 6e directive.
16. A cet égard, il convient de relever que, conformément à l’arrêt de ce jour, Commission/France (aff. 345/99, non encore publié au Recueil, point 22), dans la mesure où la réglementation d’un Etat membre modifie en le réduisant, postérieurement à l’entrée en vigueur de la 6e directive, le champ des exclusions existantes, et se rapproche par là même de l’objectif de la 6e directive, cette réglementation est couverte par la dérogation prévue à l’article 17 § 6 second alinéa de la 6e directive et n’enfreint par son article 17 § 2.
17. Il y a lieu de considérer, au contraire, qu’une réglementation nationale ne constitue pas une dérogation permise par l’article 17 § 6 second alinéa de la 6e directive et enfreint son article 17 § 2 si elle a pour effet d’étendre, postérieurement à l’entrée en vigueur de la 6e directive, le champ des exclusions existantes en s’éloignant ainsi de l’objectif de ladite directive.
18. Il en va ainsi pour toute modification postérieure à l’entrée en vigueur de la 6e directive qui étend le champ des exclusions applicables immédiatement avant ladite modification.
19. Or, il est constant que la loi française litigieuse, en excluant totalement un droit à déduction de la TVA, introduit une modification qui éloigne la législation française de l’objectif de la 6e directive. Il importe peu à cet égard que la modification n’étende pas le champ des exclusions applicables lors de l’entrée en vigueur de la 6e directive.
20. Dès lors, il y a lieu de considérer que cette loi n’est pas couverte par la dérogation prévue à l’article 17 § 6 second alinéa, de la 6e directive et qu’elle enfreint l’article 17 § 2 de la même directive.
21. L’argument du gouvernement français selon lequel la législation litigieuse poursuit un objectif environnemental ne saurait avoir pour effet de justifier une telle législation, contraire à la 6e directive.
22. Le gouvernement français cherche également à justifier la législation en cause en relevant que la Commission s’est abstenue d’intervenir à l’encontre de la République française lors de précédentes modifications législatives réduisant le taux autorisé de déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules et des engins n’ouvrant pas droit à déduction.
23. A cet égard, il y a lieu de relever que, conformément à une jurisprudence constante, c’est à la Commission qu’il appartient d’apprécier le choix du moment auquel est introduite l’action en manquement (voir, notamment, arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne, aff. 317/92 : Rec. p. I-2039, point 4).
24. Dès lors, il convient de constater que, en réintroduisant, à dater du 1er janvier 1998, une suppression totale du droit à déduction de la TVA ayant grevé les gazoles utilisés comme carburants pour des véhicules et des engins n’ouvrant pas droit à déduction après avoir partiellement ouvert ce droit à déduction, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 17 § 2 de la 6e directive.
Observations 1° Après avoir admis que la clause de gel de l’article 17 § 6 de la 6e directive permettait de maintenir des exclusions très larges du droit à déduction (CJCE 18 juin 1998, aff. 43/96, Commission c/ France : RJF 8-9/98 n° 1062 ; CJCE 5 octobre 1999, aff. 305/97, Royscot Leasing Ltd et a. : RJF 12/99 n° 1632), la Cour de justice était confrontée au problème de la modification unilatérale par un Etat membre de ses règles d’exclusion du droit à déduction.
Pour admettre que la France puisse renoncer partiellement à une exclusion du droit à déduction maintenue par l’effet de la clause de gel, en subordonnant la déduction à une condition d’affectation exclusive, la Cour s’inspire de sa jurisprudence relative aux dispositions transitoires de l’article 28 de la 6e directive, selon laquelle un Etat membre peut réduire la portée d’une exonération temporairement maintenue en application de la clause de gel de l’article 28 § 3 b), cette réduction allant dans le sens du rapprochement avec le droit commun de la directive (CJCE 29 avril 1999, aff. 136/97, E Developments Ltd : RJF 6/99 n° 812, conclusions N. AD BDCF 6-7/99 n° 74).
Sur cette logique « qui peut le plus peut le moins », voir également l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat a jugé compatible avec la clause de gel de l’article 17 § 6 de la 6e directive une exclusion du droit à déduction assortie d’une dérogation soumise à une condition d’affectation exclusive (CE 24 mars 1999, n° 188968, ministre c/ Roger : RJF 5/99 n° 553, conclusions G. Bachelier BDCF 5/99 n° 51).
On remarquera que l’analyse de la Cour de justice repose sur une interprétation du droit interne français qui est contraire à l’interprétation retenue par le Conseil d’Etat dans une décision légèrement antérieure à l’arrêt commenté (CE 20 octobre 2000, n° 203793, SARL Auto-Ecole Schlub : RJF 1/01 n° 24, conclusions Mme E. AF BDCF 1/01 n° 6). Dans sa décision, le Conseil d’Etat a jugé qu’avant la loi du 26 juillet 1991 créant l’article 273 septies A du CGI les véhicules d’auto-école, en raison de leur aménagement spécial, étaient conçus pour l’enseignement de la conduite et non pour le transport de personnes au sens de l’article 237 de l’annexe II, et n’étaient donc pas exclus du droit à déduction. Dans cette logique, comme l’indiquait Mme AG AF dans ses conclusions, l’article 273 septies A du CGI était incompatible avec l’article 17 de la 6e directive en tant qu’il restreignait le droit à déduction par le jeu de la condition d’affectation exclusive à l’enseignement de la conduite.
La Cour de justice, pour sa part, s’est prononcée sur le bien-fondé de la thèse de la Commission, qui admettait que les véhicules d’auto-école avaient été exclus du droit à déduction par l’effet de la clause de gel mais qui soutenait que la France ne pouvait remplacer une exclusion par une déduction soumise à une condition étrangère au droit commun de la 6e directive. Cette divergence avec le juge national sur l’interprétation du droit interne est regrettable, mais on doit constater que la Cour de justice juge expressément que l’article 273 septies A du CGI n’enfreint pas l’article 17 § 2 de la 6e directive qui pose les règles de principe du droit à déduction.
2° De manière symétrique, la Cour juge qu’un Etat membre qui, après la clause de gel, s’est rapproché du droit commun de la 6e directive, ne peut plus s’éloigner à nouveau du droit commun.
Une renonciation même partielle à la clause de gel de l’article 17 § 6 crée donc un « effet de cliquet » analogue à celui qui résulte de la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle un Etat membre qui assujettit à la TVA des opérations dont il aurait pu maintenir l’exonération en application des dispositions transitoires de l’article 28 § 3 b) de la 6e directive ne peut plus ultérieurement rétablir l’exonération en se prévalant de cette disposition (CJCE 17 octobre 1991, aff. 35/90, Commission c/ Espagne : RJF 2/92 n° 278).
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Page 324. déduction de la taxe payée aux fournisseurs – modalités du droit à déduction – suppression de la règle du décalage d’un mois (art. 2 LFR 22-6-1993) – modalités de la suppression – étalement du remboursement de la « déduction de référence » (décrets des 14-9-1993, 6-4-1994 et 13-2-2202) – droits à déduction non remboursés constitutifs d’une créance sur l’Etat portant intérêt (arrêtés des 15-4-1994, 17-8-1995 et 15-3-1996) – refus du premier ministre d’abroger décrets et arrêtés – recours pour excès de pouvoir contre ce refus – recours irrecevable s’agissant : 1° des décrets de 1993 et 1994 et des arrêtés de 1994 et 1995 qui ont épuisé leurs effets ou qui ont été abrogés ; 2° du décret de 2002 et de l’arrêté de 1996 dès lors que les créances des requérants étaient soldées
I. 1° Caractère irrecevable des conclusions d’un recours pour excès de pouvoir, dans la mesure où elles sont dirigées contre le refus d’abroger des décrets ou des arrêtés dont les dispositions, à la date où la demande d’abrogation a été formulée, n’étaient plus en vigueur, soit que leur application, limitée dans le temps, fût épuisée, soit que des dispositions contraires ultérieures les eussent nécessairement abrogées.
2° Les dispositions des décrets 93-1078 du 14 septembre 1993 et 94-296 du 6 avril 1994, fixant les modalités de remboursement du « crédit de référence » résultant de la suppression de la règle du décalage d’un mois par l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 (93-859 du 22 juin 1993) ainsi que celles des arrêtés du 15 avril 1994 et du 17 août 1995 fixant le taux d’intérêt de la créance sur le Trésor, ont épuisé leurs effets en tant que pour une part elles ne concernent que les années 1993 et 1994 et que pour le surplus elles ont été nécessairement abrogées par les dispositions contraires du décret 2002-179 du 13 février 2002 et de l’arrêté du 15 mars 1996.
II. 1° L’intérêt pour agir de l’auteur d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d’abroger des décrets ou des arrêtés est apprécié au regard des effets que le maintien en vigueur des actes contestés auraient sur la situation des requérants. Caractère irrecevable du recours lorsque les dispositions des actes contestés ne sont plus susceptibles d’application à l’égard de l’auteur du recours.
2° Les dispositions du décret 2002-179 du 13 février 2002 prévoyant le remboursement immédiat des créances portées en compte et non encore soldées ainsi que celles de l’arrêté du 15 mars 1996 fixant le taux d’intérêt de la créance sur le Trésor ne sont plus susceptibles d’application à l’égard d’assujettis dont les créances, normalement inscrites en compte en 1993, ont été définitivement soldées au plus tard en mars 2002.
CE 12 janvier 2005 n° 256965, 257788, 258538 et 258539, 9e et 10e s.-s., SA Tambrands France et a. Mme F, Pres. – MM. G, H. – O, Comm. du GOUV.
Considérant que les requêtes susvisées, présentées, respectivement, par la SA Tambrands France, par la SA Grands Magasins de la Samaritaine, par la SA Viticole de Reims et par la SA France Champagne, tendent à l’annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites de rejet que, d’une part, le Premier ministre, et, d’autre part, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ont opposées aux demandes par lesquelles, au cours de mois du mars 2003, elles ont, en termes identiques, sollicité, auprès du premier, l’abrogation des décrets du 14 septembre 1993, du 6 avril 1994 et du 13 février 2002, et, auprès du second, l’abrogation de ses arrêtés des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996, l’ensemble de ces actes réglementaires ayant été pris sur le fondement et pour l’application des dispositions du II de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993 reprises sous l’article 271 A du CGI qui, selon elles, enfreignaient les règles fixées par la sixième directive du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 ; qu’il y a lieu de joindre ces requêtes pour y statuer par une seule décision ;
Considérant que les dispositions du I de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 du 22 juin 1993 ont étendu à la TVA ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services, dont, jusqu’au 30 juin 1993, les assujettis ne pouvaient opérer la déduction que par imputation sur la taxe due au titre du mois suivant celui de la naissance du droit à cette déduction, en vertu des dispositions de l’article 217 de l’annexe II au CGI maintenues en vigueur ainsi que le permettaient celles de l’article 28, § 3, point d, de la sixième directive, la règle de principe, énoncée à l’article 18, § 2, de la même directive, de la « déduction immédiate », désormais formulée au 3 de l’article 271 du CGI en ces termes, que « la déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance » ; qu’afin d’étaler sur plusieurs années l’incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l’imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d’effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soient les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993 ont prévu que, sous réserve d’exceptions et d’aménagements divers, les redevables devraient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d’une « déduction de référence… égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent », que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables « une créance… sur le Trésor… convertie en titres inscrits en compte d’un égal montant », que des décrets en Conseil d’Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir « à hauteur de 10 % au minimum pour l’année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum… et dans un délai maximal de vingt ans », et, enfin, que les créances porteraient intérêt « à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % » ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n’excédaient pas 150 000 F et d’une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l’excédaient, le taux d’intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d’intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu’enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées, et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;
Considérant que, d’une part, les demandes que les sociétés requérantes ont, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, formulées auprès du Premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie au cours du mois du mars 2003 aux fins d’abrogation par ceux-ci de l’ensemble des décrets et arrêtés susmentionnés étaient sans objet en ce qui concerne ceux de ces actes réglementaires ou celles de leurs dispositions qui n’étaient plus alors en vigueur, soit que leur application, limitée dans le temps, fût épuisée, soit que les dispositions contraires du décret du 13 février 2002 les eussent déjà, nécessairement, abrogés ; que, d’autre part, en ce qui concerne les dispositions restant en vigueur, et qui n’étaient susceptibles d’applications qu’à l’égard d’assujettis dont les créances n’avaient pas encore été portées en compte, les sociétés requérantes, dont les créances avaient été normalement inscrites dès 1993 et définitivement soldées, selon le cas, en juin 1995, en décembre 1999 ou en mars 2002, n’avaient, en tout état de cause, aucun intérêt à ce qu’en fût prononcée l’abrogation, et ne pouvaient, par suite, utilement saisir de demandes en ce sens les autorités compétentes ; qu’il suit de là que les requérantes ne sont pas recevables à demander l’annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites de rejet résultées du silence gardé par le Premier ministre et par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur les pétitions qu’elles leur ont respectivement adressées ;
Décide : Rejet.
Observations
Les conclusions du commissaire du gouvernement N O sont publiées au BDCF 4/05 n° 44.
Il résulte des conclusions du commissaire du gouvernement que les requérants ont par ailleurs demandé à la juridiction administrative réparation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de la faiblesse des intérêts fixés par les arrêtés ministériels en rémunération de la créance qu’ils détenaient sur le Trésor en conséquence du gel partiel du remboursement du « crédit de référence ». Aussi souhaitaient-ils faire juger directement par le Conseil d’Etat que les modalités de remboursement progressif du « crédit de référence » étaient contraires aux dispositions de la 6e directive telles qu’interprétées par la Cour de justice (CJCE 25 octobre 2001 aff. 78/00, Commission c/ Italie : RJF 1/02 n° 125). Toutefois, la voie procédurale rapide qu’ils avaient ainsi choisie, se heurte à l’obstacle des règles générales de recevabilité du recours pour excès de pouvoir.
Sur le fond, la question que le Conseil d’Etat n’a pas eue à trancher est celle de savoir, en cas de passage d’un régime dérogatoire (règle du décalage d’un mois) au régime de droit commun quelles restrictions à la 6e directive sont admissibles au titre de la période transitoire. Rapprocher CJCE 29 avril 1999 aff. 136/97, E Developments : RJF 6/99 n° 812, concl. N. AD BDCF 6-7/99 n° 74 ; CJCE 14 juin 2001 aff. 345/99, Commission c/ France : RJF 10/01 n° 1342.
II. 1° Rapprocher CE 27 juillet 2001 n° 218067, Camif : RJDA 12/01 n° 1209 Lebon p. 401 ; CE 30 décembre 2002 n° 238032, Confédération nationale des syndicats dentaires : Lebon T. p. 609.
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Page 44. A propos des modalités de suppression de la règle du décalage d’un mois : un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d’abroger une norme réglementaire qui a épuisé ses effets à l’égard du requérant est-il recevable ?
CE 12 janvier 2005 n° 256965, 257788, 258538 et 258539, 9e et 10e s.-s., SA Tambrands France et a. : RJF 4/05 n° 324
Conclusions du commissaire du gouvernement N O
Avant la loi de finances pour 1993, la déduction de la TVA amont s’effectuait avec un décalage d’un mois
L’examen de ces quatre affaires implique de rappeler une modalité autrefois fameuse mais désormais disparue de l’exercice du droit à déduction de la TVA.
Ihui, selon le 3) du I de l’article 271 du CGI, « La déduction de la taxe ayant grevé les biens et services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance ». Il n’en a pas toujours été ainsi.
Si le § 2 de l’article 18 de la 6e directive pose le principe de l’exercice immédiat du droit à déduction, le § 3 de son article 28 admet que les Etats membres y dérogent jusqu’à l’expiration de la période transitoire. De l’entrée en vigueur de la directive jusqu’à la loi de finances rectificative pour 1993, la France avait ainsi pu maintenir les dispositions, issues du décret du 1er février 1967, de l’article 217 de l’annexe II au CGI, qui prévoyaient que la déduction de la taxe ayant grevé les biens ne constituant pas des immobilisations et les services était opérée au titre du mois suivant celui pendant lequel le droit à déduction avait pris naissance. Cette modalité était connue sous le nom de la règle du décalage d’un mois.
Le I de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 (93-859 du 22 juin 1993) a supprimé ce décalage d’un mois, par extension du principe de l’exercice immédiat du droit à déduction, en insérant au I de l’article 271 du CGI le 3) que nous avons cité en commençant nos conclusions.
La suppression de ce décalage par la LFR pour 1993 s’est accompagnée d’un mécanisme de lissage de la charge budgétaire exceptionnelle correspondant au remboursement d’un mois de TVA
L’application immédiate de la déduction « au mois courant » aurait eu pour effet de permettre aux assujettis d’exercer cumulativement, au titre du mois de juillet 1993, leurs droits à déduction nés pendant les deux mois de juin et juillet. Effectuée ainsi brutalement, la réforme aurait donc entraîné la nécessité, pour le Trésor, de leur rembourser « un mois de TVA », soit une charge évaluée, à l’époque, à 82 milliards de francs pour le budget de l’Etat. Les finances de l’Etat ne pouvant faire face à une telle perte exceptionnelle, il a été institué un mécanisme d’une rare mais inventive complexité, destiné à lisser dans le temps l’impact budgétaire de la suppression du décalage d’un mois. Ce régime a été créé par le II de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993, dont les dispositions ont été reprises à l’article 271-A du CGI.
Le montant de TVA due a été transformé en créance sur le Trésor remboursable, en principe, sur vingt ans
En simplifiant assez nettement, pour vous exposer le système retenu, nous dirons que les redevables ont dû déterminer une « déduction de référence », représentative d’un mois moyen de droits à déduction de TVA, calculée sur la période de douze mois précédant le 31 juillet 1993, sur les biens autres que les immobilisations et les services ouvrant droit à déduction. Le montant de cette « déduction de référence » devait être soustrait du montant de la TVA déductible figurant sur la déclaration couvrant le mois de juillet 1993. Lorsque cette déduction de référence était totalement soustraite de la TVA déductible courante, les redevables constataient alors une créance convertie en titres et d’un montant égal à celui de cette déduction de référence.
Le montant de la TVA restant due a donc été transformé en créance sur le Trésor et il a été prévu différentes modalités de remboursement, constituant une charge de trésorerie pour l’Etat, et des facilités pour les entreprises détentrices des créances. Les remboursements ont, d’une certaine façon, été utilisés par l’Etat comme des instruments de politique conjoncturelle.
L’article 271-A du CGI prévoyait, à l’origine, un remboursement de 5 % de la créance par an, soit un remboursement sur vingt ans. Cette créance n’était ni cessible ni négociable, mais pouvait être donnée en garantie ou cédée à titre de garantie dans les conditions de la loi Dailly. Elle était obligatoirement transférée en cas de fusion, scission, cession ou apport partiel d’actifs et toute dépréciation éventuelle de cette créance était, en vertu de l’article 271-A, sans incidence sur la détermination du bénéfice imposable. La loi précisait que des décrets en Conseil d’Etat devaient déterminer les conditions et les modalités de remboursement des titres. C’est sur cette habilitation législative que plusieurs décrets sont intervenus.
Un décret du 14 septembre 1993 a précisé les informations devant être fournies au comptable du Trésor chargé de gérer et régler la créance et un décret du 6 avril 1994 a fixé le rythme du remboursement…
Le décret 93-1078 du 14 septembre 1993 a ainsi indiqué les informations devant être fournies au comptable du trésor chargé de la gestion et du règlement de la créance. Une fois que le montant de la TVA restant due était constaté par les services des impôts, ces informations étaient transmises au comptable du Trésor qui ouvrait un compte pour chaque entreprise, comportant son identification, le montant et la date de naissance de la créance. Le décret avait fixé le montant du premier remboursement. Ainsi, les créances qui n’excédaient pas 150 000 F furent remboursées en totalité. Celles d’un montant supérieur furent remboursées à concurrence de 25 % avec un montant minimum de 150 000 F.
Puis l’article 21 de la loi de finances pour 1994 a porté à 10 % au lieu de 5 % le montant minimum de remboursement accordé au titre de 1994.
Un décret du 6 avril 1994 (94-296) a ensuite accordé un bonus de remboursement pour les entreprises qui embauchaient des salariés.
A partir de 1995, le taux minimal de remboursement de 5 % était de nouveau appliqué.
… tandis que des arrêtés fixaient le taux d’intérêt de la créance, dans la limite d’un plafond déterminé par la loi
Les créances ainsi nées du dispositif conçu pour étaler les effets de la réforme portaient intérêt, dont le taux était fixé par arrêté. La loi de finances rectificative pour 1993 avait prévu que ce taux ne pouvait pas excéder 4,5 %. Un arrêté du 15 avril 1994 l’a fixé au maximum pour les intérêts échus en 1993. Le taux a été réduit à 1 % par un arrêté du 17 août 1995 pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1994. Enfin, un arrêté du 15 mars 1996 l’a diminué à 0,1 % pour les intérêts échus à compter du 1er janvier 1995.
Les remboursements ont donc été opérés, sur la base du mécanisme que nous venons de décrire, jusqu’en 2001.
Un décret du 13 février 2002 a soldé le dispositif et prévu le remboursement des sommes restant dues
Puis par un décret du 13 février 2002 il a été décidé de mettre fin à ces remboursements échelonnés et de rembourser l’intégralité des créances qui subsistaient, mettant ainsi définitivement fin au dispositif. Les créances non encore remboursées s’élevaient, à l’époque, à un montant d’environ 1,2 milliards d’euros.
Le texte du décret distingue deux types de créances. La première catégorie recouvre les créances figurant dans les comptes spéciaux, environ 15 700 à l’époque, qui ont été remboursées dès la publication du décret. La seconde catégorie regroupait des créances existantes, mais qui n’avaient pas été inscrites en compte spécial : des créances oubliées, en quelque sorte, mais ce résidu était donc pris en compte par la mesure.
Cette décision trouvait probablement sa source dans un arrêt de la CJCE jugeant incompatible avec la 6e directive un dispositif équivalent mis en place par l’Etat italien
Si les pouvoirs publics, en décidant d’anticiper l’extinction du dispositif, ont peut-être été sensibles aux difficultés de trésorerie rencontrées par les entreprises en raison du ralentissement de la conjoncture, n’est sans doute pas étrangère à leur décision l’arrêt Commission c/ Italie de la CJCE (25 octobre 2001 aff. 78/00 : RJF 1/02 n° 125), qui condamne l’Italie en manquement pour avoir remis aux assujettis des titres d’Etat, émis à compter du 1er janvier 1994 et venant à échéance cinq à dix ans plus tard, en substitution du remboursement de crédits de TVA nés au cours de l’année 1992. Les points 32 à 34 de l’arrêt montrent que le dispositif italien a été jugé incompatible avec les dispositions de l’article 18 § 4 de la 6e directive, selon lequel « Quand le montant des déductions autorisées dépasse celui de la taxe due pour une période de déclaration, les Etats membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent ». Mais la Cour a posé des limites à cette marge de manoeuvre laissée aux Etats par la directive en posant le principe que le remboursement doit être effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, sans faire courir un risque financier à l’assujetti. Elle en a déduit qu’en prévoyant le remplacement du remboursement de la TVA par la remise de titres d’Etat pour une catégorie d’assujettis en situation de crédit d’impôt au cours de l’année 1992, la République italienne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 17 et 18 de la 6e directive.
Se prévalant de cet arrêt, diverses sociétés ont introduit des recours indemnitaires, actuellement pendants devant les juridictions du fond…
Tirant argument de cette décision de la CJCE, les sociétés anonymes Tambrands France, Grands magasins de La Samaritaine, Viticole de Reims et France Champagne ont formé des demandes en réparation des préjudices qu’elles estiment avoir subi du fait de la faiblesse des intérêts qu’elles ont perçu en compensation du gel, puis du dégel progressif, de leurs droits à déduction correspondant à la déduction de référence, à partir du mois de juillet 1993. Leur thèse consiste, évidemment, à soutenir que le mécanisme créé par le II de l’article 2 de la loi de finances rectificative de 1993 n’est pas compatible avec la 6e directive.
L’administration n’a pas accédé à leurs demandes et elles ont porté le litige devant les tribunaux administratifs territorialement compétents, de Paris et Chalons-en-Champagne, au cours des mois de mars et avril 2003.
… tout en demandant l’abrogation des décrets et arrêtés susmentionnés
En parallèle, au même moment, ces quatre sociétés ont saisi le Premier ministre et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de demandes d’abrogation, d’une part, des trois décrets dont nous avons parlés, en date des 14 septembre 1993, 6 avril 1994 et 13 février 2002, ainsi que, d’autre part, des trois arrêtés fixant le taux des intérêts, des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996.
Ces sociétés demandent l’annulation pour excès de pouvoir des refus qui leur ont été opposés
Les sociétés requérantes vous saisissent Ihui des décisions implicites de rejet nées du silence conservé par le Premier ministre et le ministre des finances sur ces demandes.
Sur le fond, la thèse des requérantes consiste à soutenir que le dispositif créé par la loi de finances rectificative pour 1993 est incompatible avec les exigences du droit communautaire.
Leur argumentation comprend deux parties qui sont liées.
Elles soutiennent que le dispositif français rompt la chaîne de la TVA et n’est pas compatible avec les prescriptions de la 6e directive
Elles font valoir, d’une part, que si l’Etat a, d’un côté, instauré la règle de la déduction immédiate, et rendu les droits à déduction nés au cours du mois de juillet 1993 exerçables dès la liquidation de la taxe nette éventuellement due au titre de ce mois, il a, de l’autre côté, et simultanément, rompu ce processus en gelant le montant de la déduction de référence. C’est, en quelque sorte, à une rupture de la chaîne de la TVA qu’auraient procédé les pouvoirs publics en instituant le dispositif que nous avons décrit, ce qui, à suivre la thèse des requérantes, serait condamnable au regard du droit communautaire.
Les quatre sociétés soutiennent, d’autre part, en se fondant sur l’arrêté précis de la CJCE, que le mécanisme de remboursement prévu par la loi et les décrets que nous avons mentionnés est également incompatible avec la 6e directive qui impose aux Etats membres, lorsqu’ils optent pour le remboursement d’un crédit de TVA, d’assurer son remboursement dans un délai raisonnable par la voie de la mise à disposition des assujettis de fonds liquides. Or, les requérantes font valoir qu’on ne saurait considérer que le mécanisme français de transition vers la règle de la déduction immédiate est conforme à ces principes, dès lors que le remboursement fractionné était susceptible de s’échelonner sur une période de vingt ans et que les titres représentatifs de la créance détenue sur le Trésor n’étaient pas liquides. Elles ajoutent que les taux d’intérêts qui ont été appliqués présentent un caractère frustratoire et, finalement, estiment que l’opération destinée à étaler dans le temps les effets de la suppression de la règle du décalage d’un mois présente les caractéristiques d’un emprunt forcé.
En défense, le ministre se prévaut de différences avec le mécanisme italien et du caractère transitoire du système français
En défense, le ministre argue de ce que le dispositif français ne serait nullement comparable au mécanisme italien condamné par la CJCE. D’une part, sur le plan technique, ce dernier était afférent aux modalités de remboursement des crédits de TVA calculés selon les règles de droit commun prévues aux articles 17 et 18 de la 6e directive, alors que le système français concerne la renonciation au bénéfice d’une règle dérogatoire. D’autre part, dans ses effets, le dispositif italien plaçait les entreprises dans une situation moins favorable que celle qui prévalait antérieurement, alors que le choix de la France visait à placer les entreprises dans la situation plus favorable que constituait le droit commun. Le ministre ajoute que le mécanisme institué par le II de l’article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 n’a pas interrompu un processus, mais organisé une transition vers le droit commun, et que la CJCE admet, dans certaines hypothèses, des restrictions apportées à des exigences de la 6e directive lorsqu’elles sont, d’une certaine façon, le prix à payer pour parvenir à un alignement partiel ou progressif vers le régime général défini par la 6e directive (CJCE 29 avril 1999 aff. 136/97, E Developments : RJF 6/99 n° 812, conclusions N. AD BDCF 6-7/99 n° 74, pour la réduction du champ d’une exonération dérogatoire ; CJCE 14 juin 2001 aff. 345/99, Commission c/ France : RJF 10/01 n° 1342, s’agissant d’une réduction du champ d’exclusion dérogatoire du droit à déduction. On soulignera que la Cour a, dans cette affaire, et contrairement à la position de la Commission, admis la validité de la limitation d’un droit à déduction par exigence d’une condition « étrangère à la 6e directive », du moment que le droit ainsi restreint constituait, néanmoins, un progrès rapprochant matériellement le régime national du régime général défini par la directive).
Les questions posées par ces requêtes sont très délicates…
A ce stade, ainsi résumées, les questions de fond posées par ces affaires nous semblent délicates. D’une part, en effet, peut-on estimer, avec assurance, que la soustraction par l’Etat des droits à déduction nés au cours du mois de juillet 1993 au déroulement normal de la chaîne de la TVA est susceptible d’être regardé comme conforme au droit communautaire, dès lors que l’objectif visé par les pouvoirs publics était de s’aligner sur le droit commun de la 6e directive ? D’autre part, le dispositif adopté par la France pour rembourser les créances détenues par les assujettis qui a consisté à contracter, à leur égard, une dette à échéance lointaine, en fixant, par ailleurs, le taux applicable aux intérêts échus à un montant presque insignifiant, au moins pour ceux échus à compter du 1er janvier 1995, est-il compatible avec le droit communautaire de la TVA ?
Ces questions soulèvent de réelles difficultés et on peut comprendre, en tout cas, même si elles s’en sont inquiétées un peu tard, que les sociétés requérantes estiment sommairement que l’Etat s’est livré à une sorte de tour de passe-passe en faisant mine de leur rembourser ce qui leur était dû, tout en le retenant par ailleurs.
… mais ne nécessitent pas d’être tranchées à ce stade du fait de l’irrecevabilité des recours pour excès de pouvoir
Mais, si vous nous suivez, vous n’aurez pas à répondre aux questions que nous venons d’énoncer qui devront, en tout état de cause, être tranchées à l’occasion des actions de plein contentieux engagées, par ailleurs, par les sociétés.
Nous croyons en effet que les requêtes dont vous avez à connaître Ihui, dirigées contre les refus d’abrogations opposés par les autorités que les sociétés avaient saisies, sont irrecevables, ainsi que le fait valoir le ministre, même si nous parvenons à cette conclusion par un raisonnement un peu plus subtil que le sien.
En réalité, il convient de distinguer deux causes d’irrecevabilité, selon les actes que le Premier ministre et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, ont, chacun pour leur part, refusé d’abroger.
Les décrets des 14 septembre 1993 et 6 avril 1994 et les arrêtés de 1994 et 1995 avaient, pour partie, épuisé leurs effets et, pour le reste, été abrogés par le décret de 2002…
En premier lieu, une partie des conclusions des sociétés requérantes était sans objet le jour de l’introduction de leurs requêtes devant vous. En effet, l’intervention du décret du 13 février 2002 a, nécessairement, emporté abrogation des dispositions du décret du 6 avril 1994 en vertu desquelles le remboursement des créances devait se poursuivre, à raison de 5 % par an. S’agissant des dispositions du décret du 14 septembre 1993 et du reste des dispositions du 6 avril 1994, leurs effets étaient achevés puisqu’elles prévoyaient le montant des remboursements pour les années 1993 et 1994. Les effets des arrêtés du 15 avril 1994 et du 17 août 1995 étaient pareillement épuisés dès lors qu’ils ne concernaient que les intérêts dus au titre des années 1993 et 1994.
… or un recours dirigé contre le refus d’abroger des dispositions déjà abrogées ou ayant achevé leurs effets est lui-même privé d’objet
Rappelons que vous êtes saisis de recours dirigés contre des refus d’abrogation, et non de recours pour excès de pouvoir directement dirigés contre ces actes. La seule portée d’une éventuelle annulation de votre part serait de conduire les autorités administratives à abroger, pour l’avenir, et après le prononcé de votre décision, les dispositions litigieuses. S’agissant de textes qui, soit ont été abrogés, soit ont produit tous leurs effets, il n’y a pas d’utilité à ce que le juge de l’excès de pouvoir se prononce. Vous jugez ainsi que l’abrogation en cours d’instance d’un acte a pour effet de rendre sans objet les conclusions dirigées contre le refus de l’abroger, alors même qu’il a été exécuté pendant la période où il était en vigueur (CE 27 juillet 2001 n° 218067, Camif : RJDA 12/01 n° 1209 ; CE 30 décembre 2002 n° 238032, Confédération nationale des syndicats dentaires : Lebon T. p. 609). Cette solution reflète la portée du mécanisme de la demande d’abrogation, qui est dépourvu d’effet direct sur les dispositions réglementaires dont l’abrogation est demandée, et dont la seule conséquence, si ces dispositions sont jugées illégales, est de conduire à leur abrogation ultérieure, seulement pour l’avenir. Et, de ce point de vue, il n’y a pas de différence entre des dispositions abrogées et des dispositions dont les effets sont totalement épuisés. Dans les affaires qui vous sont soumises Ihui, contrairement aux deux précédents que nous avons cités, les dispositions en cause avaient été abrogées postérieurement à l’introduction des requêtes, d’où les solutions de non-lieu alors retenues. Ihui, l’abrogation ou l’épuisement des effets des actes étaient accomplis à la date à laquelle les sociétés requérantes vous ont saisis, les conclusions présentées contre les refus d’abrogation qui leur ont été opposés étaient donc dépourvues d’objet ab initio et, par suite, irrecevables (CE 16 décembre 1977 n° 4895 sect., Lehodey et a. : Lebon p. 508).
Par ailleurs, à la date d’introduction des demandes adressées au gouvernement, les comptes des sociétés requérantes avaient déjà été soldés de sorte qu’elles étaient dépourvues d’intérêt à demander l’abrogation des dispositions encore en vigueur…
En second lieu, s’agissant des dispositions qui subsistaient et qui produisaient encore des effets, les sociétés requérantes nous paraissent dépourvues d’intérêt à agir. En effet, en mars 2003, à la date des demandes des sociétés requérantes auprès du Premier ministre et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, subsistaient les dispositions du décret du 13 février 2002 et celles de l’arrêté du 15 mars 1996 fixant le taux d’intérêt. Les seules dispositions du décret encore susceptibles de recevoir effet en mars 2003 étaient celles relatives aux créances qui n’avaient pas été inscrites en compte spécial, visées par son article 2, puisque la totalité des créances inscrites en compte spécial avaient, pour leur part, été remboursées dès la parution du décret.
Or il est constant que les comptes des sociétés requérantes ont été soldés, pour l’une, en juin 1995, pour une autre, en décembre 1999 et, pour les deux dernières, en mars 2002. Dans ces conditions, aucune des dispositions subsistantes n’était plus susceptible de les concerner, et elles n’avaient, en conséquence, plus d’intérêt, en mars 2003, à rechercher leur abrogation.
Il en résulte, certainement, que les sociétés requérantes n’avaient pas d’intérêt à demander l’abrogation des dispositions encore en vigueur. Sont-elles dépourvues, en conséquence, d’intérêt à agir devant vous ? … et par suite à demander l’annulation du refus d’abroger
Autrement dit, le recours dirigé contre un refus d’abrogation est-il recevable quel que soit par ailleurs l’intérêt qui préside à la demande initiale ou bien, au contraire, seuls les justiciables qui ont intérêt à demander l’abrogation du règlement peuvent déférer au juge le refus de l’autorité compétente ? Cette question est tranchée par votre décision Mme J et M. K (CE 20 décembre 1995 n° 132183-122913 ass. : Lebon p. 440, conclusions Delarue RFDA 1996 p. 313, chronique Stahl et AH Q 1996 p. 124), qui juge que l’intérêt pour agir à l’encontre du refus d’abrogation s’apprécie au regard des effets sur la situation des requérants du maintien en vigueur de l’acte contesté. Le refus s’efface et il faut examiner l’intérêt plus en amont, cette solution se justifiant, pour reprendre les termes de N. Chahid-Nouraï dans ses conclusions sur l’affaire Alitalia, par votre refus d’abandonner la « règle fondamentale selon laquelle n’importe qui ne peut demander n’importe quoi ».
Nous vous proposons donc de juger que les sociétés requérantes ne sont pas recevables à demander l’annulation des décisions implicites de rejet résultées du silence gardé par le Premier ministre et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur les demandes qu’elles leur avaient adressées. Si vous nous suivez, vous rejetterez leurs conclusions présentées au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
Par ces motifs, nous concluons au rejet des requêtes.
(c) 2008 Editions T U
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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 05P03992