Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4 3, 29 novembre 2019, n° 17/14684

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4 3, 29 nov. 2019, n° 17/14684
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 17/14684
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Marseille, 5 juillet 2017, N° F16/00985
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 15 octobre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 29 NOVEMBRE 2019

N° 2019/ 325

RG 17/14684

N° Portalis DBVB-V-B7B-BA73P

SARL CABINET [V] ET [P]

C/

[M] [Q]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

— Me Sophie ROBERT de la SCP CHABAS & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

— Me Edouard BAFFERT, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 06 Juillet 2017 enregistré au répertoire général sous le n° F 16/00985.

APPELANTE

SARL CABINET [V] ET [P], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Sophie ROBERT de la SCP CHABAS & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE et Me Grégory LEURENT, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [M] [Q], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Edouard BAFFERT, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 01 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Frédérique BEAUSSART, Conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Dominique DUBOIS, Président de Chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Erika BROCHE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Novembre 2019.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Novembre 2019,

Signé par Madame Dominique DUBOIS, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

[M] [Q] a été engagé à compter du 1er septembre 1991 par le Cabinet [V] et [P] (CAC), en qualité d’ingénieur expert. L’existence d’un contrat de travail écrit fait débat entre les parties.

Les relations de travail étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises d’expertises en matière d’évaluations industrielles et commerciales.

La société CAC était membre du groupe [P], groupement de cabinets d’experts d’assurance, jusqu’à son rachat par le groupe ERGET en décembre 2015.

[M] [Q] était également depuis 1992 gérant associé de la SARL ACEA, autre cabinet d’experts d’assurance, membre du groupe [P]. Les périmètres d’action des deux sociétés font également débat entre les parties.

A compter de janvier 1996 les sociétés CAC et la SARL ACEA ont partagé des locaux à [Localité 1].

Une action en concurrence déloyale a été introduite par le cabinet [V] et [P] à l’encontre de la SARL ACEA.

Par lettre recommandée du 06 avril 2016 [M] [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

Saisi le 25 avril 2016 par [M] [Q] d’une demande de requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de diverses demandes indemnitaires, le conseil de prud’hommes de Marseille, par jugement du 06 juillet 2017, a :

— dit que la prise d’acte faite par Monsieur [Q] par lettre recommandée du 6/04/2016 est justifiée et s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse

— dit que la moyenne des trois derniers mois s’élève à la somme de 6 980 euros

— condamné la Societe [V] & [P] prise en la personne de son représentant légal à payer à Monsieur [Q] les sommes suivantes :

* 25 128 € net a titre de dommages et intéréts pour non prise des congés

* 31 825 € brut à titre de requalification temps partiel à temps plein sur rappel de salaires

* 3 182.50€ brut à titre de rappel de congés payés y afférent

* 48.472,22 € net à titre d’indemnité légale de licenciement

* 20 940 € brut à titre indemnité préavis

* 2 094 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 83 760 € à titre de dommages et intérêts pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 1 200 € au de l’article 700 du Code de procédure civile,

— dit que toutes ces sommes portant intérét au taux légal à compter de la date de l’acte introductif d’instance fait par Monsieur [Q]

— dit que le présent jugement bénéficiera de l’exécution provisoire de droit sur les créances dans la limite du plafond défini à l’article R. 1454-28 du Code du travail,

— ordonné le remboursement par la Société [V] & [P], prise en la personne de son représentant légal, aux organismes concernés, des indemnités de chomages versés au salarié dans la limite de six mois, dit qu’une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée par le greffe aux dits organismes en application de l’article. L1235-4 du Code du travail

— débouté Monsieur [Q] du surplus de ses demandes

— débouté la Société [V] & [P] de toutes ses demandes

— condamné la partie qui succombe aux entiers dépens.

La SARL CABINET [V] et [P] a interjeté appel de la décision par acte du 28 juillet 2017

PRETENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 septembre 2019 la SARL CABINET [V] ET [P], appelante, conclut à l’infirmation du jugement et demande de :

— ordonner avant dire droit à Monsieur [M] [Q] qu’il produise au débat le contrat de travail qu’il a conclu avec la société ACEA et ses bulletins de salaire de la société ACEA sur la période 2013 à 2016 ainsi qu’un bulletin de salaire, à titre d’exemple d’un expert ACEA sur la même période et son contrat de travail

— ordonner avant dire droit à Monsieur [M] [Q] qu’il produise au débat la comptabilité de la société ACEA sur 2015 et 2016 et notamment la liste de l’ensemble des nouvelles expertises confiées sur 2015 et 2016 à la société ACEA mentionnant la compagnie d’assurance prescriptrice, le courtier concerné et le lieu du sinistre

— sinon, dire et juger que la prise d’acte de Monsieur [M] [Q] produira les effets d’une démission

— condamner Monsieur [M] [Q] au remboursement des sommes versées au titre de l’exécution provisoire à hauteur de 58.225,56 euros

— condamner Monsieur [M] [Q] à payer à la Société CABINET [V] & [P] la somme de 6.516 euros au titre du préavis non exécuté

— condamner Monsieur [M] [Q] à verser à la Société CABINET [V] & [P], la somme de 35.520 euros au titre d’un trop perçu sur salaire

— débouter Monsieur [M] [Q] de l’ensemble de ses demandes

— condamner Monsieur [M] [Q] à verser à la Société CABINET [V] & [P] une somme de 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

— le condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 septembre 2019 [M] [Q], intimé, conclut à la confirmation partielle du jugement et demande ainsi de :

— constater l’absence de contrat de travail à temps partiel écrit

— constater l’absence d’information du salarié quant à ses droits à congés-payés

— constater les manquements de l’employeur rendant impossible le maintien du contrat de travail et notamment, la modification de la rémunération du salarié sans son accord

Par conséquent,

— débouter le Cabinet [V] & [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné le Cabinet [V] & [P] au paiement de :

— dommages et intérêts pour non prise des congés 25 128,00 €

— requalification temps partiel/temps plein: rappel de salaires 31 825,00 €

— requalification temps partiel/temps plein: rappel de congés-payés 3.182,50 €

— dommages et intérêts pour licenciement abusif 83.760,00 €

— article 700 du Code de procédure civile 1.200,00 €

— réformant sur le montant, condamner le Cabinet [V] & [P] au paiement des indemnités suivantes :

— indemnité légale de licenciement 54.611,32 €

— indemnité préavis 23.592,09 €

— indemnité compensatrice de congés-payés sur préavis : 2.359,20 €

— le condamner au paiement de 5.000 euros sur le fondement de l’Article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétible exposés dans le cadre de l’appel.

Sur les demandes de production de pièces avant dire droit

En réplique à la demande de la société appelante relative à la communication des pièces comptables et d’une liste des missions d’expertise ACEA [M] [Q] invoque le secret professionnel à l’égard de la société ACEA dont il n’est plus le gérant et à l’égard des prescriteurs d’expertise. Il souligne que la demande n’a comme objet que d’alimenter l’instance en concurrence déloyale.

Sur la rupture du contrat de travail

La SARL CAC soutient que, non seulement [M] [Q] ne rapporte pas la preuve des griefs qu’il invoque à l’encontre de l’employeur, mais que ces griefs sont faux. Elle conteste ainsi :

— toute volonté de le tenir à l’écart de la société à compter de décembre 2015 en ne lui confiant plus de mission au prétexte qu’il exerçait une seconde activité au sein de la société ACEA dont il était gérant. Elle fait valoir au contraire que dès le rachat de la société CAC par le groupe ERGET, Mr [Q] a créé une entité commerciale opérationnelle sur le même secteur géographique que son employeur en région Sud alors que les deux sociétés du groupe [P] exerçaient la même activité mais sur des zones géographiques différentes suivant une répartition convenue (Sud pour la société CAC et Rhône Alpes pour ACEA), détournant dès lors des missions à son employeur en violation de son obligation de loyauté. Dans cette stratégie à laquelle son fils s’est associé, également salarié de la société CAC jusqu’à sa prise d’acte du 03 mai 2016 pour rejoindre ACEA, il a demandé à ses prescripteurs d’attribuer des missions d’expertise à la société ACEA plutôt qu’à son employeur. Ce faisant, il ne peut se plaindre de plus se voir confier de missions tout en les orientant lui-même vers ACEA

— toute éviction des réunions et séminaires de la société CAC. L’employeur fait valoir que Mr [Q] ne rapporte aucun manquement en ce sens à proximité de la date de la prise d’acte, contrairement aux exigences de la cour de cassation, et que la seule réunion à laquelle il fait référence est du 15 novembre 2015, donc antérieure au rachat de la société. Elle soutient au contraire que Mr [Q] n’a pas répondu le 17 mars 2016 à l’invitation au séminaire du Groupe ERGET prévu le 01 avril 2016

— la modification unilatérale de sa rémunération. Elle fait valoir qu’il ne saurait être reproché une modification unilatérale de son contrat de travail puisqu’il ne bénéficiait pas d’une rémunération fixe garantie mais d’une rémunération calculée sur le chiffre d’affaires réalisé et payée sous forme d’avances ajustables et récupérables sur la base du volume de rétrocessions d’honoraires. Elle affirme qu’il s’agit du mode rémunération de tous les experts de la société, y compris au sein d’ACEA, que ses fiches de paie depuis 2000 établissent ce mode de rémunération, ce qui n’avait donné lieu à aucune contestation de sa part jusque là et qu’il était prévu au contrat de travail que la régularisation des avances pouvait se faire en cours d’exécution du contrat ou n’intervenir que lors du départ du salarié de la société. Elle rappelle que si elle n’est pas en mesure de produire le contrat de travail, ce contrat, comme celui de son fils, ont justement disparu des locaux qu’occupait Mr [Q] à [Localité 1] dont il détenait seul la clé avec la comptable.

[M] [Q] soutient qu’à compter du rachat de la société CAC par le groupe ERGET et la prise de fonction de son nouveau gérant en décembre 2015, il fait l’objet de manoeuvres répétées pour le pousser à la démission. Au soutien du caractère justifié de sa prise d’acte aux torts de l’empoyeur il rappelle qu’il convient d’examiner l’ensemble des manquements de l’employeur sans se limiter à ceux qui ont été énoncés dans la lette de rupture et fait valoir ainsi que :

— la SARL CAC l’a délibérément tenu à l’écart et a multiplié les accusations mensongères, les menaces à son encontre. Il reproche ainsi à l’employeur d’avoir prétendument découvert l’existence d’une agence ACEA à [Localité 1], de lui avoir reproché la gérance de celle-ci par courrier du 21 janvier 2016, d’avoir mis en cause sa probité pour de prétendus détournements de clientèle non fondés par courrier du 23 mars 2016

— la SARL CAC, qui était tenue de lui fournir le travail convenu, ne lui a plus confié de nouvelle mission d’expertise à compter du mois de novembre 2015, réalité non contestée par l’employeur, qui invoque en retour de manière injustifié un détournement de clientèle sans démontrer aucune manoeuvre en ce sens et alors que les assureurs demeurent libres de confier leurs missions d’expertise

— la SARL CAC a modifié unilatéralement sa rémunération de plus des deux tiers alors qu’il s’agit d’un élément de son contrat de travail. Il fait valoir que sa rémunération a toujours été fixe et que l’employeur ne rapporte pas la preuve, faute de contrat de travail, de son consentement à un mode rémunération sous forme de rétrocession du chiffre d’affaires réalisé, ne produit aucun écrit relatif au travail facturé, à des régularisations. Il affirme que la seule mention 'rétrocession’ sur le bulletin de paie ne suffit pas à démontrer que sa rémunération représentait un pourcentage du chiffre d’affaires, qu’aucun pourcentage n’était mentionné. Il soutient par ailleurs qu’en plus de ses missions d’expertise, il exerçait des fonctions commerciales et de relations clientèles qui excluaient une rémunération sur la base d’honoraires facturés.

En conséquence il fonde ses réclamations financières sur la convention collective des entreprises d’expertises en matière d’évaluations industrielles et commerciales du 7 décembre 1976 ainsi que, s’agissant des dommages et intérêts, sur son ancienneté de 24 ans dans l’entreprise, la manière dont à 69 ans il a été poussé hors de la société, le contraignant à faire valoir ses droits à retraite de manière prématurée en le privant d’une grande part de ses revenus et en minorant le calcul de ses points retraite.

Sur la demande de restitution d’un trop perçu de salaire

Sur la base d’une rémunération par versement d’avances récupérables, la SARL réclame au salarié la différence entre les sommes versées en 2015 et 2016 et le pourcentage dû au regard du montant du chiffre d’affaires réellement réalisé par Mr [Q]

Sur la demande au titre des rappels de salaire et congés payés afférents

[M] [Q] soutient qu’aucun contrat de travail écrit n’a été signé avec l’employeur et que celui-ci, auquel la charge de la preuve incombe, échoue à rapporter la preuve contraire. Il fait valoir l’irrecevabilité et l’absence de caractère probant de l’attestation de [I] [V], ancien gérant de la société CAC.

Il soutient donc qu’en l’absence de contrat de travail écrit, le contrat est présumé à temps plein, rappelant que l’article L 3123 du code du travail exige que le contrat de travail à temps partiel soit écrit et qu’il appartient donc à l’employeur qui se prévaut d’un contrat de travail à temps partiel, de combattre cette présomption en démontrant la durée hebdomadaire ou mensuelle convenue, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir son rythme de travail ni dans l’obligation de se tenir constamment à la disposition de l’employeur. Affirmant que la société CAC ne rapporte pas cette preuve il a affirme avoir droit à des rappels de salaires et congés payés afférents à hauteur des montants réclamés sur la base d’un temps plein.

La SARL CAC affirme au contraire qu’un contrat de travail a bien été signé entre les parties et que s’il ne peut le produire, c’est qu’il a disparu dans des circonstances imputables au salarié.

Elle soutient ensuite qu’il est constant que le paiement d’un rappel de salaire sur la base d’un temps plein est subordonné au fait que le salarié soit resté à la disposition de son employeur sans pouvoir s’engager pour le compte d’un autre employeur au titre de la partie non travaillée, qu’il en est autrement lorsque le salarié reconnaît travailler à temps partiel pour un autre employeur. Elle fait donc valoir que Mr [Q] reconnaît lui-même qu’il travaillait pour la SARL CAC à temps partiel tout en étant gérant et salarié de la société ACEA. Elle invoque également le fait que l’horaire mentionné sur ses bulletins de paie était de 134,62 heures. Enfin elle renouvelle sa demande de production de son contrat de travail, de ses bulletins de salaire ACEA entre 2013 et 2016 ainsi que ceux d’un expert ACEA dans le cadre d’un arrêt avant-dire droit, faute d’avoir répondu à la sommation de communiquer qui lui a été faite en ce sens.

Sur l’information des droits à congés payés

[M] [Q] invoque une faute de l’employeur en ce qu’il n’a pas respecté son obligation légale d’information de ses droits à congés payés, ses bulletins de paie ne comportant aucune mention en ce sens et n’ayant été destinataire d’aucun décompte des jours acquis lui permettant d’en bénéficier. Il fait valoir qu’il incombe à l’employeur de justifier qu’il a bien satisfait à son obligation en cas de litige relatif au congé principal de 4 semaines et réclame le montant de ses congés payés sur trois ans. Il précise qu’en l’absence de contrat de travail écrit, l’employeur ne peut lui opposer comme il le fait, des modalités d’intégration des congés payés dans le pourcentage de rétrocession d’honoraires, prévues au contrat.

La SARL CAC soutient que les contrats de travail des experts prévoient que les rétrocessions d’honoraires à hauteur de 38% intègrent les 10% de congés payés, qu’il ne peut donc en être payés deux fois, qu’il n’est pas contesté qu’il est régulièrement parti en vacances ni avancé qu’il en aurait été empêché, qu’il ne produit aucun décompte pour justifier des 25 128€ réclamés, pas plus que d’un quelconque préjudice.

Vu l’ordonnance de clôture du 13 septembre 2019

SUR CE

Les demandes de production de pièces avant dire droit

La cour s’estime suffisamment informée au vu des pièces produites aux débats sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la production des pièces sollicitées par l’appelant. La demande sera ainsi rejetée

La requalication du contrat de travail à temps plein et les rappels de salaire et congés payés afférents

En application de l’article L 3123-6 le contrat de travail à temps partiel est écrit.

La relation de travail entre les parties n’étant pas contestée, l’absence d’écrit constatant l’existence d’un contrat de travail à temps partiel fait présumer que ce dernier a été conclu à temps plein, à charge pour l’employeur de combattre par tout moyen cette présomption en démontrant la durée exacte du travail et sa répartition sur la semaine ou le mois, à défaut que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas obligé de se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

Au cas présent l’employeur soutient que la carence d’écrit résulte du fait du salarié et qu’il s’évince de son activité en parallèle de mandataire et salarié du cabinet ACEA qu’il travaillait bien à temps partiel pour la société [V] et [P].

S’agissant de l’existence d’un contrat de travail écrit, sa seule affirmation dans le courrier avec AR en date du 15 janvier 2016 par lequel il demandait à M. [Q] de lui adresser son exemplaire du contrat de travail, la secrétaire l’ayant informé que ce dernier ne se trouvait plus dans le classeur prévu à cet effet à leur plus grand étonnement, n’est pas probant car aucune attestation de cette salariée ne vient la confirmer. Le siège de la société, où sont normalement conservés les contrats de travail, était à [Localité 3] où elle était immatriculée. Et la production de 7 contrats de travail avec d’autres salariés n’est probante qu’à l’égard des relations de travail qu’ils concernent. Enfin la preuve certaine d’un tel contrat ne peut résulter de la seule attestation de [F] [V], ancien gérant et actionnaire de la société [V] et [P], qui a été également salarié de ACEA (contrat de travail du 17 avril 1995 à temps partiel), affirmant qu’un contrat de travail à temps plein a bien été signé en 1991 comme avec tous les collaborateurs, ajoutant que Mr [Q] n’aurait pas accepté de se lancer dans cette aventure dans contrat en bonne et due forme. Et s’il est produit le jugement du conseil des Prud’hommes de Marseille relatif au litige ayant opposé la société à [O] [Q], fils de [M] [Q] pour souligner l’existence d’une même contestation élevée à propos de l’existence du contrat de travail, la Cour ne peut raisonner par analogie.

S’agissant de l’exercice à temps partiel de Mr [Q] au sein de la société [V] et [P], il est établi et non contesté, que ce dernier était parallèlement gérant associé de la société ACEA jusqu’au 31 août 2016.

Mais rien n’atteste statutairement d’une activité en dehors de celle du mandat social, laquelle n’est pas incompatible avec une activité salariée à temps plein.

Et la seule production par l’employeur de bulletins de paie faisant état d’un horaire de 169 heures en décembre 1991, de 150 heures en juillet 2000 après la modification de l’intitulé de la rémunération et de 134,62 heures à compter de janvier 2002 selon les bulletins produits par le salarié, étant précisé qu’aucun avenant n’est venu acter une modification du contrat de travail, est insuffisante à rapporter la preuve d’un horaire à temps partiel alors que par ailleurs aucune stabilité ni régularité ou organisation du travail avec des jours de disponibilité n’est rapportée au delà de l’autonomie qui découlait de son statut et de la nature de son poste.

En conséquence le contrat de travail sera requalifié en contrat de travail à temps plein et le jugement du conseil des Prud’hommes confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à un rappel de salaire et congés payés afférents à ce titre pour les montants qu’il a justement apprécié.

La rupture du contrat de travail

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette prise d’acte emporte les effets d’un licenciement sans cause et sérieuse en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, et les effets d’une démission dans le cas contraire.

En l’espèce, [M] [Q], salarié intimé, reproche en premier lieu à son employeur de l’avoir délibérément tenu à l’écart des réunions et séminaires et d’avoir multiplié les accusations mensongères sur de prétendus détournements de clientèle.

Sur le 1er point il procède par affirmation sans produire aucun élément démontrant qu’il aurait été délibérément tenu à l’écart de réunions de la société CAC. Il n’est même donné aucun élément sur la tenue de réunions excepté celle du 15 novembre 2015, antérieure de près de 6 mois à la prise d’acte et sans qu’il n’établisse que l’ensemble du personnel était convié excepté lui-même.

Sur le 2ème point, il produit à l’appui des faits reprochés, deux courriers du 21 janvier 2015 et du 23 mars 2015, par lesquels [J] [D], gérant du cabinet [V] et [P], l’interpellait en sa qualité de gérant de la société ACEA sur l’implantation de sa société à [Localité 1] faisant naître une concurrence directe, compte tenu de l’identité des secteurs géographiques avec le cabinet [V] et [P] dont il était salarié.

Si ces courriers invoquent bien une concurrence directe et soulèvent des interrogations sur sa loyauté à l’égard de son employeur, ils ne suffisent pas à eux-même à établir la matérialité d’accusations mensongères dont le salarié se prévaut.

Par ailleurs en l’état des deux courriers produits, la multiplicité des accusations n’est pas rapportée.

Il ressort des pièces produites que le cabinet ACEA dont le siège social était établi à [Localité 2], a ouvert une nouvelle implantation à [Localité 1] comme cela résulte de la carte de voeux 2016, ce qui constitue un élément nouveau au delà de la coexistence de longue date des deux sociétés dans des locaux partagés à [Localité 1] et de la juxtaposition connue et acceptée jusque là d’activités de leurs dirigeants pour le compte des deux sociétés, Mr [Q] gérant d’ACEA et salarié de CAC, Mr [V], gérant de CAC qui a également été salarié d’ACEA.

S’adressant ainsi à Mr [Q] nécessairement en sa double qualité de gérant d’ACEA et de salarié de CAC, il ne peut être déduit de ces deux courriers, l’existence de manquements graves de l’employeur à l’égard de son salarié.

[M] [Q] reproche ensuite à son employeur de ne plus lui avoir fourni de nouvelles missions d’expertise depuis novembre 2015. La matérialité des faits n’est pas contestée par l’employeur qui tente le justifier aux motifs d’un détournement de clientèles.

Il s’appuie sur un tableau récapitulatif général du chiffre d’affaires de 1996 à 2016 qui montre certes une baisse de 6, 3 % en 2015 et de 27,7% en 2016 mais sans que cette baisse objective des faits imputables à Mr [Q] qui n’était pas le seul expert du cabinet et alors même que l’examen du document témoigne de variations importantes du chiffre d’affaires sur 10 ans avec des pics à la hausse et à la baisse.

L’employeur produit également des tableaux de deux autres experts pour les années 2015 et 2016, également concernés par une baisse des rentrées d’honoraires mais dans des proportions significativement moindres. Il sera néanmoins observé qu’aucune corrélation n’est démontrée avec une fuite des missions au bénéfice d’ACEA, que les assureurs sont libres de contracter avec le cabinet de leur choix et que le volume d’activité de Mr [Q] alors âgé de plus de 65 ans, pouvait en être affectée.

Surtout ensuite de la cession de la participation majoritaire par Mr [V] dans la société CAC au groupe ERGET impliquant la reprise du contrat de travail de Mr [Q], l’employeur ne pouvait en modifier unilatéralement un élément, en manquant à son obligation de fournir le travail convenu, sans d’ailleurs en tirer lui-même de conséquence en terme de rupture du contrat de travail, au prétexte d’une confusion de la délimitation entre travail salarié et gérance d’une société ayant la même activité.

Enfin il est établi qu’à compter du 05 avril 2016 l’employeur informait par mail Mr [Q] d’une réduction de sa rémunération au minimum conventionnel en invoquant un ajustement du versement mensuel prévisionnel au regard d’un trop perçu de 35 520€ résultant de la baisse de son chiffre d’affaires sur les trois derniers trimestres 2015 et le 1er trimestre 2016. Sa rémunération est donc passée de 6980€ à 2172€.

Pour se justifier la socité [V] et [P] invoque un mode de rémunération calculé sur le chiffre réalisé payé sous forme d’avances ajustables et récupérables, en usage pour tous les experts et tel qu’expressément prévu pour les experts dont le contrat de travail est produit.

Etant rappelé qu’un tel contrat établissant l’acceptation de ce mode de rémunération par le salarié, n’est pas produit pour Mr [Q], il résulte de l’ensemble des fiches de paie produites par le salarié que depuis septembre 1991, date de son embauche à février 2016, il a perçu des rémunérations mensuelles par séquences invariables, seulement augmentées comme le serait un salaire fixe, avec un intitulé 'salaire’ jusqu’en juillet 2000 avant de figurer ensuite comme rétrocession du CA réalisé.

Au vu des pièces produites, de février 1997 au 31 décembre 2001 il a ainsi perçu une rémunération brute de 32 500 francs, elle est ensuite passée à 5000€ bruts jusqu’en janvier 2003, puis à 5770€ jusqu’en décembre 2004, à 5890€ jusqu’en décembre 2005, à 6240€ jusqu’en décembre 2007, à 6540€ jusqu’en janvier 2010, à 6840€ jusqu’en janvier 2011 et à 6980€ jusqu’en février 2016.

L’employeur ne peut utilement invoquer une fixité de l’avance mais non de la rémunération alors même qu’en 24 ans de relation contractuelle, aucun décompte ni régularisation n’est intervenue.

En conséquence l’employeur ne peut se prévaloir d’un ajustement au chiffre d’affaires et le salarié établit que l’employeur a modifié unilatéralement le montant de sa rémunération.

Le manquement reproché s’en trouve caractérisé.

Il en résulte que si le salarié intimé n’établit pas tous les faits qu’il invoque, les modifications unilatérales des éléments du contrat de travail, tenant à l’obligation de fournir le travail convenu et à la rémunération, constituent non seulement des manquements de l’employeur mais ils démontrent, pris dans leur ensemble, une volonté manifeste de la société [V] et [P] de se soustraire à ses obligations contractuelles qui a dès lors rendue impossible la poursuite de la relation de travail.

La rupture, dont le salarié a pris l’initiative, s’en trouve justifiée. La prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur doit emporter les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Les demandes subséquentes

En conséquence et par application de l’article L1235-3 du code du travail, le salarié intimé est fondé à obtenir l’indemnisation du préjudice que lui a fait subir la rupture de son contrat de travail, et ce dans pour un montant correspondant au moins aux six derniers mois de salaire.

Au vu de l’âge de Mr [Q] au moment de la rupture du contrat de travail, de son ancienneté et des seuls éléments qu’il produit sur l’étendue de son préjudice, une exacte évaluation conduit la Cour à fixer à 45 000 € le montant des dommages et intérêts qui l’indemniseront exactement. Le jugement du conseil des Prud’hommes sera infirmé en ce sens.

Le salarié intimé est également fondé en sa demande d’indemnité de licenciement, laquelle en application de l’article L 1234-9, R1234-2 et R 1234-4 du code du travail dans leur version applicable, pour 24 ans et 8 mois d’ancienneté et au vu du montant du salaire, a été exactement évaluée par le conseil des Prud’hommes à la somme de 48 472, 22 €.

Mr [Q] peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice des congés payés y afférant, représentant 3 mois de salaire, en application des dispositions de la convention collective des entreprises d’expertise en matière d’évaluations industrielles et commerciales du 7 décembre 1976, durée du préavis non contestée, soit comme l’ont exactement retenu les premiers juges la somme de 20 940€ outre 2094 € au titre des congés payés afférents.

Sur les demandes restitution d’un trop perçu de salaire et de remboursement des sommes verséses au titre de l’exécution provisoire

Compte tenu de ce qui précède, la société [V] et [P] n’est pas fondée à réclamer un trop-perçu sur les avances récupérables, ni le remboursement des sommes versées au titre de l’exécution provisoire et elle sera déboutée de ses demande à ces titres.

Les dommages et intérêts pour le défaut d’information des droits à congés payés

Il résulte des bulletins de paie produits par le salarié qu’il était omis l’information, à laquelle l’employeur est cependant tenu, sur les droits à congés payés du salarié. Il n’est pas contesté que [M] [Q] n’a pas été destinataire de décomptes des jours acquis puisque l’employeur s’en tient à un mode de rémunération sous forme de rétrocession d’honoraires au moyen d’avances ajustables et récupérables dont le pourcentage tient compte des congés payés. Il s’ensuit qu’une irrégularité résulte bien du défaut d’information des droits à congés payés. Cependant faute de rapporter la preuve d’un quelconque préjudice en découlant, Mr [Q] qui se borne à relever le défaut d’information et réclamer des sommes qui seraient dûes à ce titre pour perte de change de recouvrir cette somme, sera débouté de sa demande à ce titre. Le jugement du conseil des Prud’hommes sera infirmé sur ce point.

Les dispositions accessoires

En application de l’article 700 du code de procédure civile, il est équitable que l’employeur contribue à hauteur de 2000€ aux frais irrépétibles exposés par le salarié en cause d’appel . Corrélativement la société [V] et [P] sera déboutée de sa demande sur ce fondement.

En application de l’article 696 du même code, il échet de mettre les dépens à la charge de l’employeur qui succombe.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,

Déclare recevables l’appel principal et incident

Rejette la demande de production de pièces

Confirme le jugement entrepris’en ce qu’il a :

— dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse'

— condamné la société [V] et [P] à payer à [M] [Q] les sommes de :

—  31 825 € brut à titre de requalification temps partiel à temps plein sur rappel de salaires et 3 182.50€ brut à titre de rappel de congés payés y afférent

—  48.472,22 € net à titre d’indemnité légale de licenciement

—  20 940 € brut à titre indemnité préavis et 2 094 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

L’infirme pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société [V] et [P] à payer à [M] [Q] la somme de 45 000€ à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1235-3 du code du travail

Déboute [M] [Q] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour non prise des congés,

Déboute la société [V] et [P] de ses demandes au titre d’une restitution d’un trop perçu de salaire et de remboursement des sommes verséses au titre de l’exécution provisoire

Déboute les parties de leurs autres prétentions

Condamne la société [V] et [P] à verser à [M] [Q] la somme de 2.000 € à titre de nouvelle contribution aux frais irrépétibles'

Condamne la société [V] et [P] à supporter les dépens d’appel.'

LE GREFFIERLE PRESIDENT

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4 3, 29 novembre 2019, n° 17/14684