Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 21 octobre 2020, n° 17/14882

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 2-4, 21 oct. 2020, n° 17/14882
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 17/14882
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, 5 juillet 2017, N° 15/05782
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4

ARRÊT AU FOND

DU 21 OCTOBRE 2020

ALG

N° 2020/ 194

Rôle N° RG 17/14882 – N° Portalis DBVB-V-B7B-BBAJC

N AM B

C/

J D épouse Epouse X

O M AP D

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me François GARGAM

Me Françoise BOULAN

Me Mathilde F

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d’AIX-EN-PROVENCE en date du 06 Juillet 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/05782.

APPELANT

Monsieur N AM B

né le […] à […], demeurant […]

représenté et assisté par Me François GARGAM, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

INTIMES

Madame J D épouse X

née le […] à […], demeurant […]

représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assisté Me Christophe MILHE-COLOMBAIN, avocat au barreau de CARPENTRAS substitué par Me Aurélie BERTOLDO, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

Monsieur O M AP D

né le […] à […], demeurant […]

représenté et assisté par Me Mathilde F, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 09 Septembre 2020 en audience publique devant la cour composée de :

M. O-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre

Mme Annie RENOU, Conseiller

Mme Annaick LE GOFF, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2020.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2020,

Signé par M. O-Baptiste COLOMBANI, Premier président de chambre et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Y, L D, veuve de M A, est décédée le […] à Aix-en-Provence. De son union avec M A, sont issus deux enfants, tous les deux prédécédés sans descendants.

Aux termes d’un testament olographe en date du […], Y L D a institué pour légataire universel M. N B. L’original de ce testament a été déposé le […] chez maître AQ-AR E, en regard d’un procès-verbal d’ouverture et de description en date du 8 janvier 2015. Ce testament olographe a, en outre, été enregistré au tribunal de grande instance d’Aix en Provence, le 13 janvier 2015, sous le numéro 15/00010.

Par décision en date du 25 septembre 2012, Y D a été placée sous tutelle par décision du juge des tutelles de Salon de Provence en date du 25 septembre 2012.

Un acte de notoriété a été dressé le 6 mai 2015 par maître AQ-AR E, notaire à Salon de Provence, à la requête de M. N B. Puis, une requête aux fins d’envoi en possession a été soumise au président du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence qui, par ordonnance en date du 21 mai 2015, a envoyé M. N B en possession de la succession de Y, L D.

C’est dans ce contexte que, par exploit d’huissier en date du 12 octobre 2015, Mme J D épouse X et M. O D, frère et s’ur de la défunte, ont attrait M. N B devant le tribunal de grande instance d’Aix en Provence pour solliciter, au visa des articles 901 et 414-1 du code civil, qu’il soit dit que le testament olographe établi le […] par Y D est nul et de nul effet.

Par jugement contradictoire en date du 6 juillet 2017, le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a :

— annulé le testament olographe rédigé par Mme Y D veuve A le […] au profit de M. N B,

— débouté M. N B de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et propos mensongers,

— condamné M. N B à payer à Mme J D et M. O-M D la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté M. N B de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

— condamné M. N B aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration reçue au greffe le 31 juillet 2017, M. N B a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 6 octobre 2017, M. N B demande à la cour de :

— le recevoir en son appel et le déclarer fondé,

— infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

— débouter Mme J AO D épouse X et M. O M AP D de leurs demandes, fins et conclusions et de leur appel incident,

— dire et juger que feue Y, L D, veuve A était saine d’esprit lorsqu’elle a rédigé un testament en faveur de M. N B le […],

— dire et juger que Mme J AO D épouse X et M. O M AP D ne rapportent aucunement la preuve de l’insanité d’esprit de feue Y, L D veuve A au moment de la rédaction du testament en date du […] en faveur de M. N B,

— en conséquence, débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions Mme J AO D épouse X et M. O M AP D,

— recevoir M. N B en ses demandes reconventionnelles,

— dire et juger que la procédure judiciaire engagée à l’encontre de M. N B par Mme J AO D épouse X et M. O M AP D portant des accusations malveillantes, des insinuations tendancieuses et non fondées, démontrent l’intention de nuire à M. N B et ce à travers des affirmations mensongères,

— condamner in solidum Mme J AO D épouse X et M. O M AP D à payer à M. N B la somme de 25.000 € et ce à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et propos mensongers,

— condamner in solidum Mme J AO D épouse X et M. O M AP D à payer à M. N B la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner in solidum Mme J AO D épouse X et M. O M AP D aux entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel dont distraction au profit de maître François Gargam, avocat aux offres de droit.

M. N B expose, à titre liminaire, la situation familiale de la défunte.

Contrairement à ce que soutiennent les consorts D-X, l’appelant affirme que Y D n’entretenait aucune relation avec son frère et sa s’ur même s’ils habitaient la même commune, ceux-ci n’ayant été, selon lui, d’aucun soutien au décès de l’époux et des enfants de la défunte.

C’est dans ce contexte qu’elle se serait prise d’affection pour N B, fils de sa coiffeuse.

C’est ainsi qu’elle a manifesté la volonté de lui céder, dans un premier temps à titre onéreux, une partie de son terrain, conformément à sa valeur vénale fixée à la somme de 120.890 €, selon mesure d’expertise diligentée le16 avril 2012 par maître AQ-AR E, notaire à Salon de Provence.

C’est devant ce même officier public ministériel que la de cujus a déposé en décembre 2011 le testament litigieux.

M. N B rappelle qu’il incombe à ceux qui agissent en nullité d’un acte de rapporter la preuve de l’existence d’un trouble mental ayant aboli toute capacité de discernement au moment précis de son accomplissement, l’ouverture d’une mesure de tutelle ou de curatelle, avant ou après la passation de l’acte, n’entraînant pas ipso facto sa nullité.

Or, M. B fait valoir qu’il n’est pas établi que la de cujus présentait un trouble mental ayant aboli toute capacité de discernement au moment de la passation de l’acte litigieux.

Il soutient que seule l’information délivrée par l’aide-ménagère de Y D, selon laquelle celle-ci avait rédigé un testament en sa faveur, avait motivé les intimés à saisir, dans l’urgence, le juge des tutelles, alors même qu’ils évoquaient, dans leur signalement, une situation problématique depuis 2008.

Il considère, en outre, que si l’aide-ménagère avait noté chez son employeur des troubles mentaux importants, elle n’aurait pas manqué d’entreprendre une démarche de signalement avant la rédaction du testament litigieux.

L’appelant qualifie, par ailleurs, de pure complaisance les attestations établies par Mme P Q, l’infirmière de la défunte, et par Mme R S épouse C, responsable du CCAS de Pelissanne. Il précise avoir déposé une main courante à l’encontre de cette dernière auprès de la gendarmerie.

M. N B se prévaut, pour sa part, d’un certificat médical circonstancié établi par le docteur T G, le 12 mai 2012, qui considère qu’à la date où elle a examiné la patiente, cette dernière n’était pas hors d’état de manifester sa volonté. L’appelant souligne, en outre, le fait que ce praticien place la de cujus dans le groupe 6 de la grille A.G.G.I.R., servant à évaluer le degré de perte d’autonomie ou de dépendance physique et psychique des demandeurs à l’Allocation Personnalisée d’Autonomie – APA – alors que seuls les groupes 1 à 4 permettent cette attribution. Le niveau 6 serait défini comme : 'Personnes âgées sans perte d’autonomie pour les actes essentiels de la vie courante.'

Le certificat médical ne démontrerait donc aucunement qu’à la date où le testament a été rédigé, la de cujus était insane.

M. B ajoute que le tuteur désigné était totalement au fait de l’existence de ce testament rédigé par sa protégée et qu’il n’a jamais engagé de procédure pour en solliciter l’annulation ou de procédure pénale pour abus de faiblesse.

Concernant la fiche de liaison médicale et la prescription établie par la clinique 'La Méditerranée’ en date du 25 septembre 2011, versées aux débats par les intimés, elles feraient seulement état d’un syndrome anxio-dépressif avec asthénie et n’évoqueraient aucune insanité d’esprit.

Quant aux comptes-rendus d’hospitalisation remontant au 15 octobre 2008 et au 6 mai 2011, adressés au médecin traitant de la de cujus, et communiqués par les intimés, il en ressortirait qu’il existait une suspicion d’hypomanie, à savoir 'un état psychiatrique caractérisé par un trouble de l’humeur, laquelle peut être irritable, excitée, persistante et omniprésente' et un syndrome de Diogène (accumulation d’objets). A aucun moment, ces comptes-rendus hospitaliers ne feraient état d’une insanité d’esprit, l’équipe gériatrique n’ayant fait que soulever la question de la mise sous tutelle de la patiente.

S’agissant du compte-rendu d’hospitalisation rédigé au sein de l’établissement « Les Oliviers», daté du 30 juillet 2012, et tout particulièrement du scanner cérébral faisant apparaître de multiples lacunes ischémiques au niveau capsule ventriculaire, il ne démontrerait pas davantage l’existence d’une insanité d’esprit, les lacunes cérébrales en cause étant la conséquence, selon M. B, d’accidents vasculaires cérébraux dont la cause principale serait une hypertension artérielle non traitée ou mal contrôlée par un traitement.

M. N B considère faire la preuve, même si celle-ci ne lui incombe pas, de ce que la de cujus était saine d’esprit le […].

Tout d’abord, cela ressortirait de la rédaction même du testament qui précise que la testatrice est saine de corps et d’esprit lorsqu’elle l’a rédigé. Il fait valoir le fait que maître AQ-AR E, notaire, aurait nécessairement refusé de conserver le testament si elle avait eu le sentiment que celui-ci avait été rédigé par une personne dont l’insanité d’esprit était patente.

Il évoque, à ce stade, la transaction en cours sur partie du terrain appartenant à Y D et conteste le fait que le prix de cession ait été fixé à la somme dérisoire de 10.000 €.

L’appelant indique, de plus, verser aux débats des attestations certifiant que la de cujus était tout à fait saine d’esprit. Il produit également les relevés de compte de la défunte qui viendraient contredire le fait qu’elle était une femme dispendieuse, ne connaissant pas la valeur de l’argent.

A titre reconventionnel, M. B réclame l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1382 ancien du code civil.

Suivant dernières conclusions signifiées par voie dématérialisée le 14 janvier 2020, Mme J D épouse X demande à la cour, en application des articles 414-1 et suivants et 901 du code civil, de :

— débouter M. N B de toutes ses demandes, fins et prétentions,

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence en date du 6 juillet 2017 ;

Y ajoutant,

— condamner M. N B à porter et payer à Mme J X née D la somme de 286.364, 26 €, outre intérêts depuis le 30 juillet 2015,

— le condamner à lui porter et payer la somme de 7.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— le condamner aux entiers dépens d’appel, ces derniers distraits au profit de maître Françoise Boulan, membre de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE, avocats associés, aux offres de droit.

Mme D épouse X considère que les éléments du dossier permettent d’établir qu’à tout le moins depuis 2008, Y D était atteinte de troubles mentaux.

Le tribunal aurait fait une exacte application de la jurisprudence issue de l’article 414-1 du code civil aux termes de laquelle si l’état d’insanité d’esprit existait à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux, il se produit un renversement de la charge de la preuve. M. B serait, dès lors, défaillant dans l’administration de la preuve qui lui incombe de l’absence d’insanité d’esprit de Y D au moment de la rédaction du testament litigieux.

Les éléments de preuve produits aux débats afin de conduire à la nullité du testament en cause, en application des dispositions des articles 414-1, 414-2, 464 et 901 du code civil, seraient les suivants : documents émanant de la gendarmerie, documents médicaux, documents EPHAD,

attestations de diverses personnes extérieures à l’environnement familial et amical.

En outre, l’état de démence de la défunte aurait été caractérisé, seulement quelques mois avant l’acte contesté, par le MMS dit « mini-mental state » ou test de Folstein, un score inférieur à 24 permettant de suspecter un état de démence.

Il serait, de plus, démontré que cet état de santé mental altéré était constant depuis l’année 2008. Il est également relevé que la de cujus présentait un diagnostic de syndrome anxio-dépressif avec asthénie lorsqu’elle a été prise en charge par la clinique « Le Méditerranée », au cours des mois d’août et septembre 2011.

M. B ne proposerait, pour sa part, que des attestations de proches ou de membres de sa famille dont le contenu serait peu crédible.

En application du jugement et de l’arrêt à intervenir, il est sollicité la condamnation de M. N B à restituer tous les fonds qu’il a perçus grâce aux divers actes accomplis par maître E, notaire. L’intéressé aurait ainsi reçu la somme de 174.488,58 € et celle de 62.824,82€ après impôts et

frais, soit un total de 286.364, 26 €. Ce montant serait objectivé par les services du Crédit Agricole, maître E ayant perçu les fonds, pour compte de M. B.

M. N B n’ayant pas exécuté le jugement entrepris pourtant assorti de l’exécution provisoire, il est demandé à la cour d’assortir cette condamnation financière à hauteur de 286.364, 26 € des intérêts depuis le 30 juillet 2015.

Suivant dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 16 janvier 2020, M. O D demande à la cour, en application des articles 901 et 441-1 du code civil, de :

— rabattre l’ordonnance de clôture en application de l’article 784 du code de procédure civile;

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

— constater, en application des articles 901 du code civil et 414-1 du code civil, que Y, U D Veuve A n’était pas saine d’esprit et souffrait de troubles mentaux exclusifs de toute manifestation de consentement éclairé, le […], lorsqu’elle a rédigé le testament en faveur de M. N B,

— dire et juger que le testament olographe établi le […] par Y, U D veuve A est nul et de nul effet ;

Vu les nouvelles pièces versées aux débats le 14 janvier 2020 ;

— condamner M. N B à restituer à la succession des héritiers de droit de Y D veuve A l’intégralité des sommes qu’il a perçues au titre du contrat d’assurance-vie, ainsi que par legs ou par dons, avec intérêts au taux légal depuis le 30 juillet 2015,

— débouter M. N B de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et propos mensongers,

— condamner M. N B à verser une somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de maître F, avocat sous son affirmation de droit.

M. O D invoque les dispositions des articles 901, 414-1 et 464 du code civil.

Il relève que Y D présentait un syndrome de Diogène évoluant depuis plus de 7 ans en 2008, raison pour laquelle le juge des tutelles a été saisi par lettre reçue le 11 avril 2012, dans laquelle M. O D et Mme J AO D épouse X précisaient que leur s’ur avait un état de santé mentale déficient depuis plusieurs mois, notamment elle ne contrôlait plus ses dépenses, stockant de grandes quantités de nourriture qu’elle achetait pratiquement tous les jours, laissant tout pourrir chez elle alors que le service social de la mairie lui livrait des plateaux repas. Ils précisaient également que le service social de la mairie de Pélissanne les avait informés qu’un jeune homme et sa mère, sous prétexte de s’occuper d’elle, essayaient d’obtenir la cession du terrain devant sa maison pour construire la leur.

L’intimé indique que l’état d’insanité d’esprit de sa soeur a été constaté suite au décès de sa fille, lors de l’intervention à son domicile de la police municipale de Pelissanne, puis de son admission à l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) de Salon de Provence, et enfin, le 5 septembre 2008, au centre 'Le Méditerranée'.

Est également invoqué :

— un compte rendu d’hospitalisation du 6 mai 2011 soulevant la question de la mise sous tutelle de l’intéressée avec nécessité d’un signalement au procureur, Y D ayant de nouveau été hospitalisée pour syndrome anxio-dépressif avec asthénie du 25 août 2011 au 23 septembre 2011 ;

— le certificat médical dressé le 22 mai 2012 par le docteur G, médecin spécialiste inscrit sur la liste prévue par l’article 431 du code civil, concluant que V D présentait une altération de ses facultés personnelles et préconisant une mesure de tutelle ;

— le parcours de soins de la défunte jusqu’à son admission au sein de l’EHPAD 'Les Oliviers'.

L’ordonnance de clôture a finalement été prise le 2 septembre 2020 de sorte qu’il n’y a pas lieu à statuer sur la demande de révocation de cette ordonnance, telle qu’elle figure dans les écritures de M. O D signifiées antérieurement, le 16 janvier 2020.

M. N B a fait signifier des conclusions le 7 septembre 2020, postérieurement à l’ordonnance de clôture.

Sur ce,

- Sur les conclusions signifiées le 7 septembre 2020, postérieurement à l’ordonnance de clôture :

En application de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrcevabilité prononcée d’office. L’article 803 du même code prévoit que cette ordonnance ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

Il convient d’observer qu’aucune demande de révocation de l’ordonnance de clôture n’apparaît dans les conclusions déposées par M. N B, le 7 septembre 2020, après l’ordonnance de clôture en date du 2 septembre 2020. Aucune cause grave n’est par conséquent invoquée.

Les conclusions signifiées postérieurement à la clôture seront donc écartées des débats conformément aux dispositions de l’article 802 du code de procédure civile.

- Sur le fond :

Selon procès-verbal de description et de dépôt de testament en date du 8 janvier 2015, maître AQ-AR E, notaire à Salon de Provence, a déclaré avoir reçu de Y D A, de son vivant, pour en assurer la conservation, le testament olographe en date du […], ainsi rédigé :

'Ceci est mon testament

Je soussigné madame A Y saine de corps et d’esprit déclare instituer Mr B N comme Légataire universel de la totalité de ma succession.

Fait à Pelissanne le Jeudi […].'

Mme J D épouse X et M. O D concluent à la nullité de ce testament pour insanité d’esprit de son auteur.

En application de l’article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit.

L’article 414-1 du même code dispose également que pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble

mental au moment de l’acte. Il appartient dès lors à Mme J D épouse X et à M. O D qui se prévalent de cette cause de nullité de démontrer que Y D A souffrait d’un trouble mental ayant aboli sa capacité de tester au moment précis où l’acte a été rédigé ou bien que cette insanité d’esprit existait, à la fois, dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte litigieux. Dans cette dernière hypothèse, il revient à la partie adverse d’établir que le testament a été rédigé dans un intervalle lucide entre ces deux périodes.

Les intimés versent aux débats un certificat médical dressé le 15/10/2008, plus de trois ans avant la rédaction du testament litigieux, suite au décès de la fille de Y D A, aux termes duquel étaient notées une absence de déficit neurologique focalisé outre l’existence de troubles cognitifs modérés (MMS à 23/30). Ce certificat faisait suite à une consultation psychiatrique réalisée le 25/09/2008 révélant la nécessité de réaliser une exploration neuro-psyschologique plus approfondie dans le cadre d’un tableau clinique correspondant à une sorte de 'folie à deux'.

Ces éléments médicaux, recueillis trois ans avant la rédaction du testament litigieux, ne peuvent être utilisés pour caractériser une abolition des facultés mentales de la testatrice au moment de la rédaction de l’acte, intervenue le […]. Ils permettent uniquement de dater l’apparition de certains troubles.

Les consorts D produisent également aux débats un certificat médical daté du 06/05/2011, soit sept mois avant la rédaction du testament, faisant état d’un bilan MMS stable depuis 2008. Le compte rendu d’hospitalisation du 06/05/2011 devait préciser que cette personne âgée avait été admise aux urgences suite à des épisodes de logorrhée et à une suspicion d’accès d’hypomanie ; l’équipe mobile de gériatrie soulevait alors la question de la mise sous tutelle de l’intéressée avec nécessité d’un signalement au procureur.

Du 25 août au 23 septembre 2011, soit moins de quatre mois avant la rédaction du testament, Y D A était hospitalisée pour syndrome anxio-dépressif avec asthénie et difficulté à la marche.

Elle était de nouveau hospitalisée, du 22 mai au 31 juillet 2012, au CHU de Salon de Provence où un scanner cérébral permettait de déceler de multiples lacunes ischémiques au niveau capsulo-ventriculaire bilatéral. Le compte rendu d’hospitalisation mentionnait qu’elle était atteinte d’un syndrome démentiel avec un maintien à domicile difficile.

C’est dans ces circonstances que le docteur G, médecin spécialiste inscrit sur la liste prévue par l’article 431 du code civil, établissait un certificat médical, le 22 mai 2012, six mois après la rédaction du testament en cause, concluant que Y D A présentait des troubles du jugement la conduisant notamment à procéder à des achats compulsifs, outre un syndrome de Diogène, l’exposant à tomber dans le besoin et susceptibles de la mettre dans l’impossibilité de pourvoir à ses intérêts. Ce médecin préconisait une mesure de tutelle et précisait que l’intéressée ne pouvait conserver son droit de vote.

Le fait que le docteur G ait mentionné dans son rapport que Y D A était autonome pour les actes essentiels de la vie en regard de la grille A.G.G.I.R. ne devait pas l’empêcher de considérer que cette personne âgée était hors d’état d’exprimer sa volonté, à tel point qu’il ne lui semblait pas opportun qu’elle conservât son droit de vote eu égard à ses troubles de jugement.

Le 31 juillet 2012, Y D A était finalement admise au sein de l’EPHAD 'Les Oliviers’ où le docteur H rédigeait un certificat médical daté du 6 août 2012, faisant état de troubles sévères à type de démence, nécessitant une mise sous tutelle.

C’est ainsi que la procédure de protection était ouverte dès le 1er août 2012 et que la personne âgée était placée sous sauvegarde de justice le 10 août 2012, M. W AA étant désigné en qualité de mandataire judicaire, dans un premier temps.

L’on observera que si l’action en nullité du testament pour insanité d’esprit fait partie des nullités relatives de protection qui ne peuvent être invoquées que par la personne intéressée, son représentant ou, après le décès, par ses successeurs légaux ou testamentaires, il n’en demeure pas moins que la loi n’impose pas que l’action ait été initiée par le de cujus ou le représentant de celui-ci pour que celle conduite par les ayants droit soit ensuite considérée comme recevable ou bien fondée.

Aux fins de démontrer l’état d’insanité d’esprit de leur auteur au moment de la rédaction de l’acte litigieux, les intimés versent aux débats une série de témoignages sur le comportement de la défunte :

— Mme P Q, infirmière libérale qui suivait Y D A à domicile depuis 2009 jusqu’à son départ en maison de retraite en mai 2012, témoigne avoir constaté une altération de l’état psychologique de cette personne âgée dès le début de sa prise en charge : elle décrit un amoncellement de poubelles dans la maison, des achats compulsifs et le fait qu’elle se déplaçait avec des enveloppes remplies d’argent liquide ;

— Mme AB AC, aide à domicile de Y D A, témoigne de ce que celle-ci lui avait annoncé à plusieurs reprises qu’elle allait vendre la moitié de son terrain à un jeune homme 'très gentil’ ; elle précise avoir alerté les services du CCAS après avoir été informée de ce que le jeune homme en question avait emmené Y D A chez le notaire et constaté la venue sur son terrain d’une entreprise d’abattage d’arbres sans que la personne âgée n’ait été prévenue ; elle évoque la grande fragilité psychologique de la défunte qui faisait ses courses tous les jours et achetait de la nourriture en telle quantité qu’elle était obligée de la jeter;

— Mme R S épouse I, responsable du CCAS de Pelissanne, atteste être intervenue au domicile de Y D A pour prendre la défense de ses intérêts face à des personnes mal intentionnées qui voulaient l’exploiter ; elle évoque la fragilité et la vulnérabilité de Y D A, la volonté de M. N AD d’acquérir une partie de son terrain et le fait qu’il ait entrepris d’y faire abattre des arbres afin de prendre possession des lieux, tout en faisant croire à la défunte qu’il s’occuperait d’elle en contrepartie; elle précise que Y D A retirait des sommes importantes au distributeur, avait perdu la valeur de l’argent et achetait tout en double ou en triple.

Par ailleurs, divers voisins, artisans ou commerçants de Pelissanne, ayant bien connu Y D A, viennent attester de ses achats compulsifs et de ce qu’elle était capable de donner d’importantes sommes d’argent, faisant ainsi preuve d’une prodigalité pathologique.

Les témoignages aux termes desquels Y D A se déplaçait avec d’importantes sommes d’argent sur elle sont parfaitement crédibles lorsque l’on détaille ses relevés de compte Crédit Agricole qui font apparaître d’importants retraits DAB, pouvant aller jusqu’à quatre fois mille euros au cours d’une même journée comme le 10 février 2011, le 13 mai 2011, le 11 août 2011, le 10 novembre 2011, le 14 février 2012. Ces importants retraits au distributeur cessent à compter du mois de mai 2012, date qui correspond à la prise en charge hospitalière de la personne âgée avant l’ouverture de la mesure de protection.

En regard de l’ensemble de ces éléments, il est établi que Y D A souffrait, depuis au moins 2008, de troubles psyschiatriques caractérisés par un syndrome de Diogène, des achats compulsifs et d’importants dons d’argent dont elle pouvait faire bénéficier voisins, artisans et commerçants de son entourage. Le comportement de Y D A tel que décrit dans les nombreux témoignages produits aux débats, corroborés par les pièces médicales également communiquées ainsi que par l’étude de son compte bancaire, permet de considérer que la défunte

avait développé une forme pathologique de prodigalité qui l’amenait non seulement à exposer des dépenses excessives pour elle-même mais également à gratifier son entourage sans faire preuve d’aucun discernement.

En l’état de ces éléments établissant que Y D A souffrait d’insanité d’esprit sur des périodes immédiatement antérieure et postérieure à l’établissement du testament, il appartient à M. N B de démontrer que celui-ci a été rédigé dans un intervalle lucide le […], la seule mention portée à l’acte 'saine de corps et d’esprit' étant insuffisante, en l’état des éléments précédemment exposés, à établir que la testatrice était en possession de toutes ses facultés mentales au moment de sa rédaction.

En effet, contrairement à ce que soutient l’appelant, le fait que ce testament olographe ait été reçu par maître AQ-AR E, notaire, n’a pas pour effet d’établir ipso facto que la testatrice était en possession de ses facultés mentales au moment de la rédaction de l’acte. Il s’agit, en effet, d’un simple testament olographe et non d’un testament authentique et, comme justement relevé par le notaire lui-même dans un courrier adressé à W AA, mandataire judiciaire de Y D A, l’officier public ministériel n’en a été que le récipiendaire et non le rédacteur. Il n’était donc pas en capacité d’évaluer la situation de santé mentale de la testatrice au moment de sa rédaction, étant, de plus, observé que le testament a été déposé en l’étude d’un notaire qui n’était pas le notaire de famille de la défunte, lequel aurait sans doute été le mieux à même de déceler chez celle-ci un éventuel trouble du comportement.

Aux fins de démontrer la bonne santé mentale de la testatrice au moment de l’acte, l’appelant verse aux débats les attestations suivantes :

— Mme AE AF, commerçante à Pelissanne, indique que cette cliente était une personne très sensée ;

— AG B, père de l’appelant, atteste avoir rencontré Y D à plusieurs reprises au salon de coiffure et lors des différents entretiens avec maître E ; il fait état de ce que la défunte ne s’entendait pas avec les membres de sa famille ;

— AH AI, compagne de l’appelant, témoigne de la volonté de Y D A de léguer son terrain à N B et de sa bonne santé mentale ainsi que de son souhait de ne rien laisser à son frère ;

— AJ B, la mère de l’appelant, explique que Y D A n’a pas souhaité choisir le notaire de la famille afin qu’il n’informe pas ses frère et soeur de l’existence du testament ;

— Bastien Gasperi, qui précise avoir rencontré Y D A à trois reprises, atteste qu’elle était cohérente et qu’elle se plaignait des pressions subies du fait de la rédaction du testament ;

— Yolande Laurent, chauffeur de taxi, évoque avoir raccompagné la défunte chez elle à plusieurs reprises après ses passages chez le coiffeur et après ses courses : 'Elle était claire dans sa tête';

— Antoinette Pistol déclare que Y D A était méfiante envers son entourage familial et en possession de ses moyens intellectuels ;

— AK AL, coiffeuse auprès du salon tenu par la mère de l’appelant, décrit la défunte comme sereine, organisée et cohérente dans ses propos.

Il convient de relever que ces attestations émanent soit de proches de l’appelant (membres de sa famille, compagne, employée du salon de coiffure géré par la mère de l’appelant), soit de personnes sans réelles relations de proximité avec la défunte et qui la décrivent en termes très généraux. Cette

description d’une personne très sensée et organisée, qui savait ce qu’elle voulait, en particulier en termes d’achats, apparaît, par ailleurs, en contradiction avec la description livrée par l’infirmière et l’aide à domicile de la personne âgée, tant de sa personne que de l’état de son domicile, encombré de biens de consommation qu’elle achetait sans réel besoin.

Enfin, le fait que Y D A ait entretenu ou pas de bonnes relations avec ses frère et soeur n’a aucune incidence sur la solution du litige, seule la question de sa capacité à tester ayant une incidence juridique sur le sort du testament en cause.

L’appelant ne faisant pas la démonstration de ce que le testament qu’il revendique a été rédigé dans un intervalle lucide, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé, sur le fondement de l’insanité d’esprit, le testament olographe rédigé par Y D A le […] au profit de M. N B.

Il ressort d’un courrier adressé le 20 juillet 2018 par le Crédit Agricole au conseil de Mme J D épouse X que le montant de 286.364,26 € invoqué par les intimés auprès de la banque comprend la somme de 62.824,82 € correspondant au contrat d’assurance-vie dont la défunte a rendu M. B bénéficiaire.

Le litige portant uniquement sur le testament du […] et non sur le contrat d’assurance-vie dont l’appelant est bénéficiaire à hauteur de 62.824,82 € et qui ne fait pas partie de la succession, les intimés seront déboutés de leur demande formée de ce chef qui constitue, du reste, une demande nouvelle en cause d’appel.

Par conséquent, seule la somme de 174.488,58 € versée par le Crédit Agricole entre les mains de maître E peut aujourd’hui être revendiquée par les intimés comme faisant partie de l’actif de la succession de Y D A.

C’est pourquoi, ajoutant au jugement entrepris, il convient de condamner M. N B à restituer à la succession de Y D A la somme de 174.488,58 € avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui fixe les droits de Mme J D épouse X et de M. O D.

Mme J D X, qui n’a pas vocation à recevoir l’intégralité des sommes encaissées par M. N B, sera donc déboutée de sa demande tendant à voir l’appelant condamné à lui verser directement la somme de 286.364,26 € avec intérêts depuis le 30 juillet 2015.

- Sur la demande reconventionnelle de M. N B fondée sur l’abus de procédure :

M. N B étant défaillant dans le cadre de la présente instance, sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’abus de procédure sera purement et simplement écartée et le jugement également confirmé de ce chef.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

L’équité commande de condamner M. N B à payer à Mme J D épouse X et à M. O D la somme de 2.500 € à chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

M. N B sera débouté de ses demandes formées à ce titre.

Par ces motifs,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Ecarte les conclusions signifiées et déposées le 7 septembre 2020, postérieurement à l’ordonnance de clôture du 2 septembre 2020.

Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence le 6 juillet 2017 en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne M. N B à restituer à la succession de Y D A la somme de CENT SOIXANTE QUATORZE MILLE QUATRE CENT QUATRE VINGT-HUIT EUROS et CINQUANTE-HUIT CENTIMES (174.488,58 €) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Déboute les intimés de leur demande formée au titre de l’assurance-vie souscrite par Y D A.

Déboute Mme J D épouse X de sa demande tendant à voir l’appelant condamné à lui verser directement la somme de 286.364,26 € avec intérêts depuis le 30 juillet 2015.

Condamne M. N B à payer à Mme J D épouse X et à M. O D la somme de DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS (2.500 €) à chacun au titre des frais irrépétibles d’appel.

Déboute M. N B de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le condamne aux entiers dépens d’appel avec distraction au profit de maître F, avocat, et de maître Françoise Boulan, membre de la Selarl LEXAVOUE Aix en Provence, avocats associés.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 21 octobre 2020, n° 17/14882