Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 25 novembre 2021, n° 20/11229

  • Méditerranée·
  • Associé·
  • Contrat de travail·
  • Sociétés·
  • Exécution déloyale·
  • Titre·
  • Indemnité·
  • Rupture·
  • Licenciement·
  • Transfert

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4-4, 25 nov. 2021, n° 20/11229
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 20/11229
Sur renvoi de : Cour de cassation, 29 septembre 2020
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 25 NOVEMBRE 2021

N°2021/

CM/FP-D

Rôle N° RG 20/11229 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGQ5I

S.C.P. INTERBARREAUX DELPLANCKE-POZZO DI BORGO- Y & ASSOCIES

C/

Z X

[…]

Copie exécutoire délivrée

le :

25 NOVEMBRE 2021

à :

Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Sophie SEMERIVA, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

Arrêt en date du 25 Novembre 2021 prononcé sur saisine de la Cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 30 septembre 2020, qui a cassé l’arrêt rendu le 21 septembre 2018 par la Cour d’Appel de AIX-EN-PROVENCE.

APPELANTE

S.C.P. INTERBARREAUX DELPLANCKE-POZZO DI BORGO- Y & ASSOCIES Dénommée TALLIANCE AVOCATS, demeurant […]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

et par Me Christine GAILHBAUD, avocat au barreau de GRASSE,

INTIMEES

Madame Z X, demeurant […]

représentée par Me Sophie SEMERIVA, avocat au barreau de MARSEILLE

[…] prise en la personne de son liquidateur amiable M. B Y, demeurant […]

représentée par Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 13 Septembre 2021, les avocats ne s’y étant pas opposés devant Madame Natacha LAVILLE, Président de chambre, et Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Président de chambre,

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2021.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2021

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Président de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme Z X a été engagée à compter du 19 décembre 1996 par la SCP Delplancke et associés suivants contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (32 heures par semaine) en qualité de secrétaire, coefficient 160. Elle avait plus particulièrement en charge les dossiers de Me Y.

Elle a travaillé à temps complet à compter du 1er avril 2000.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle avait la qualification de 1er clerc, échelon 2, coefficient 285 et percevait une rémunération mensuelle brute de 2.447,79 euros.

La SCP comportait trois bureaux, le cabinet principal situé à Nice et deux cabinets secondaires situés à Grasse et Menton.

En juillet 2013, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a cédé le cabinet de Menton à la société DPR Méditerranée, créée par Me Susini ancienne collaboratrice de Me Y, ce dernier et la société interbarreaux Delplanke.

Par lettre remise en mains propres le 2 août 2013, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a informé Mme X que dans le cadre du transfert à la société DPR Méditerranée de l’unité autonome activité représentant les dossiers mentonnais, son contrat de travail était transféré pour moitié au sein de la société DPR Méditerranée en application de l’article L. 1224-1 du code du travail, et ce à compter du 2 août 2013. Il était alors indiqué qu’elle devait dorénavant travailler à Menton et à Nice, la répartition des jours et horaires de travail entre les deux structures étant précisée.

A compter du 7 août 2013, Mme X a été en arrêt de travail.

Par courrier du 23 avril 2014, Mme X a pris acte de la rupture de son contrat de travail pour les raisons suivantes :

' la modification de son travail et le transfert partiel au motif inexact de transfert d’unités autonomes d’activité dans une autre structure à l’égard de ces deux employeurs,

' des conditions dans lesquelles elle a été mise à disposition par la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés, pendant plusieurs mois auprès d’une société immobilière en dehors du cadre légal le permettant,

' les graves répercussions sur sa santé en résultant.

Suivant requête du 5 mai 2014, elle a saisi sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile, invoquant la qualité d’auxiliaire de justice du défendeur, le conseil de prud’hommes de Digne les Bains aux fins de demander l’indemnisation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une exécution déloyale du contrat de travail.

Par jugement du 7 avril 2016, le conseil de prud’hommes de Digne les Bains :

• s’est déclaré compétent sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile,

• a dit que la société DPR Méditerranée devait être mise hors de cause,

• a dit que la prise d’acte de la rupture était fondée sur les motifs suffisamment graves (déstabilisation, modification du contrat de travail et du lieu de travail, prêt de main d’oeuvre illicite, pressions, demande de démission) commis de surcroît par un cabinet d’avocats, auxiliaire de justice nécessairement informé des droits et obligations en matière de gestion du personnel pour ne pas commettre de tels manquements coupables, pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail,

• a dit que cette rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

• a condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à payer à Mme X les sommes de :

• 5000 euros au titre du préavis et des congés payés afférents,

• 11 108,33 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

• 1 098 euros au titre de l’indemnisation du droit individuel à la formation perdu pour 120 heures,

• 22 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

• 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral résultant de l’exécution déloyale du contrat de travail,

• 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• a prononcé l’exécution provisoire à hauteur de 25 000 euros,

• a condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés

aux dépens.

La société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a interjeté appel du jugement le 20 avril 2016.

Par arrêt du 21 septembre 2018, la cour d’apppel d’Aix en Provence a :

• confirmé le jugement sauf en sa disposition relative à une indemnité pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail, en celles relatives aux montants des sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité pour perte de chance d’utiliser le droit individuel à la formation et en celle relative aux intérêts ;

statuant à nouveau,

• condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à payer à Mme X les sommes de :

• 4896,58 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 489,65 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,

• 10.876,34 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

• 500 euros à titre d’indemnité pour perte de chance d’utiliser le droit individuel à la formation,

• débouté Mme X de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail,

• dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2014 et les sommes allouées de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement pour la partie confirmée et à compter du présent arrêt pour le surplus,

• ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par la loi,

y ajoutant,

• débouté Mme X de sa demande au titre du préjudice moral,

• condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à payer à Mme X la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d’appel,

• rejeté les autres demandes de la société DPR Méditerranée,

• condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés aux dépens de l’appel.

La société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a formé un pourvoi.

Selon arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, mais seulement en ce qu’il met hors de cause la société DPR Méditerranée, juge que la prise d’acte est fondée sur des motifs suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, que cette rupture s’analyse en une rupture aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à payer à la salariée diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’indemnité pour perte de chance d’utiliser le droit individuel à la formation, et a remis sur ces points l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel d’Aix en Provence autrement composée.

La Cour de cassation, précisant qu’il résulte de l’article L. 1224 '1 du code du travail, interprété à la

lumière de la directive 2001/23/CE conseil du 12 mars 2001, que lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail de salariés est transféré pour la partie de l’activité au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive, a considéré que la cour d’appel avait violé le texte susvisé en indiquant que pour juger que la prise d’acte par la salariée était justifiée par un manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, l’arrêt, après avoir jugé caractérisé le transfert d’une entité autonome, retient que si la partie de l’activité de la société Interbarreaux Delplancke-Lagache-Pozzo di Borgo-Y et associés cédée à la société DPR méditérranée représentait 50% de l’activité de la salariée, le contrat de travail devait se poursuivre auprès de la société Interbarreaux Delplancke -Lagache-Pozzo di Borgo-Y et associés dès lors que la salariée n’exerçait pas l’essentiel de ses fonctions au sein de l’entité transférée.

Par déclaration électronique de son avocat au greffe de la cour le 19 novembre 2020, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a saisi la cour de renvoi.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 6 septembre 2021 et reprises oralement à l’audience, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés demande à la cour de :

• infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé :

• que la prise d’acte de la rupture de la salariée est fondée sur des motifs suffisamment graves commis de surcroît par le cabinet d’avocats auxiliaires de justice nécessairement informé des droits et obligations en matière de gestion du personnel pour ne pas commettre de tels manquements coupables, pour rendre impossible la poursuite du contrat,

• que la rupture s’analysait en une rupture aux torts de l’employeur et produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à verser à Mme X les sommes suivantes : 5000 euros au titre de l’indemnité de préavis et congés payés sur préavis, 11'108,33 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement, 1098 euros au titre de l’indemnité du droit individuel à la formation perdu pour 120 heures, 2500 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

• rappeler que le chef de jugement de condamnation de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés 'à titre de dommages-intérêts pour agissements provoquant un préjudice moral, l’exécution déloyale du contrat, pression, proposition Mme X de 10'000 euros', a été infirmé par l’arrêt de la cour d’appel du 21 septembre 2018 devenu définitif et irrévocable sur ce chef,

• déclarer les demandes relatives au harcèlement moral, au préjudice moral et à l’exécution déloyale du contrat de travail irrecevables comme portant atteinte à la chose jugée ;

et statuant à nouveau :

• dire qu’il ne peut lui être reproché aucune faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail,

• dire que la prise d’acte de la rupture de Mme X s’analyse en une démission,

• débouter Mme X de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

• condamner Mme X à payer à la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés la somme de 5000 euros titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamner Mme X aux entiers dépens.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 10 septembre 2021, reprises oralement à l’audience, la société DPR Méditerranée représentée par son liquidateur amiable M. B Y, demande à la cour de :

• constater que les demandes de condamnation au titre du harcèlement moral, du préjudice moral et de l’exécution déloyale du contrat de travail se heurtent à l’autorité de la chose jugée,

• constater que la société DPR Méditerranée n’a commis aucun manquement grave rendant la poursuite du contrat de travail de Mme X impossible,

en conséquence,

• déclarer irrecevable les demandes de condamnation au titre du harcèlement moral, du préjudice moral et de l’exécution déloyale du contrat de travail,

• confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme X de toutes ses demandes à son encontre,

• infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la prise d’acte de Mme X produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté la société DPR Méditerranée de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• condamner en conséquence Mme X à payer à la société DPR Méditerranée la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en cause d’appel,

• condamner Mme X aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 13 septembre 2021et reprises oralement à l’audience, Mme X demande à la cour de :

• débouter la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés et la société DPR Méditerranée représentée par son liquidateur amiable Me Y, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

• dire qu’elle est bien fondée à prendre acte de la rupture de son contrat de travail qu’elle a exprimée dans sa lettre du 23 avril 2014, avec effet au 23 avril 2014, aux torts et griefs exclusifs de l’employeur en l’état des fautes graves qu’il a commises dans le déroulement du contrat de travail,

• confirmer partiellement le jugement rendu par le conseil de prud’hommes,

• condamner conjointement et solidairement la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés et la société DPR Méditerranée représentée par son liquidateur amiable Me Y à lui payer les sommes suivantes :

• 11'108,33 euros au titre d’indemnité de licenciement,

• 5000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 500 euros au titre d’indemnité de congés payés afférente,

• 30'000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement abusif,

• 10 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail,

• 15'000 euros au titre du harcèlement moral subi,

• 1098 euros au titre de la perte du droit individuel à la formation,

• 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

• dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la demande en justice et que les intérêts seront capitalisés,

• condamner la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés et la société DPR Méditerranée à lui régler chacune la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait

expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées reprises oralement à l’audience.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 13 septembre 2021 et mise en délibéré au 25 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prise d’acte de la rupture

Pour contester le jugement entrepris, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés dénie tout manquement de sa part rendant impossible la poursuite du contrat de travail, faisant valoir notamment que la scission du contrat de travail au prorata des fonctions exercées par la salariée n’était pas impossible, qu’elle n’entraînait pas de détérioration dans ses conditions de travail et ne portait pas atteinte au maintien des droits garantis par la directive 2001/23/ce du 12 mars 2001.

Mme X a invoqué au titre de la prise d’acte de la rupture, le transfert du contrat de travail à mi-temps imposé en l’absence de transfert d’une entité économique autonome et en l’absence de transfert du contrat de travail par l’effet de l’article L.1224-1 au motif de ce que la scission du contrat de travail avait pour effet de dégrader ses conditions d travail et portait atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive, dès lors que son ancienneté n’était pas reprise, que ses droits à congés payés acquis n’étaient pas repris, ni même la prime de transport et le droit individuel à la formation.

La société DPR Méditerranée soutient que le transfert du contrat de travail avait opéré et qu’aucun manquement grave ne pouvait être relevé à son encontre, s’agissant de faits qui se sont produits 9 mois avant la prise d’acte.

Il résulte de l’article L. 1224 '1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE conseil du 12 mars 2001, que lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail de salarié est transféré pour la partie de l’activité au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive.

Aux termes de la directive, celle-ci garantit le maintien des droits des travailleurs, à savoir notamment :

— les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert ;

— après le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle-ci les a prévues pour le cédant, correspondant aux dispositions de l’article L.1224-2 du code du travail.

En l’occurrence, même si le contrat de travail proposé par la société DPR Méditerranée à Mme X le 12 juillet 2013 stipulait l’absence de reprise de l’ancienneté acquise par la salariée au sein de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés, la notification du transfert partiel du contrat de travail par la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés du 2 août 2013, effectuée postérieurement, mentionne expressément une reprise de l’ancienneté et du salaire horaire. L’examen des bulletins de salaire qui ont suivi, laisse apparaître le maintien par la société DPR Méditerranée de la prime d’ancienneté au taux applicable à l’ancienneté de Mme X au sein de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés, (15% pour une ancienneté supérieure à 15 ans)

nonobstant la mention au demeurant exacte de la date d’entrée au 2 août 2013, outre un salaire horaire identique. La prime d’ancienneté est calculée à partir du salaire mensuel effectivement payé, en sorte que le montant de la prime était nécessairement moindre en août 2013 compte tenu de son absence. Le droit à prime d’ancienneté a donc été maintenu.

Mme X avait acquis des congés payés au sein de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés pour un total (N-1 +N) de 43 jours au moment de la scission. Or ni la notification du transfert ni les bulletins de salaire de Mme X au sein de la société DPR Méditerranée ne reprennent les congés payés acquis au sein de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés, qui sont particulièrement importants. En conséquence, la scission à 50% de son contrat de travail a eu pour effet de lui faire perdre ses droits à congés payés, qu’elle n’était plus mise en mesure de prendre, portant également atteinte à son droit au repos.

Ce faisant, le transfert partiel de contrat de travail ne pouvait opérer.

En imposant à Mme X un transfert partiel de contrat de travail alors que celui-ci n’avait pas opéré en raison de l’absence de maintien de ses droits acquis à congés payés, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés a manqué à ses obligations issues du contrat de travail.

Nonobstant la suspension du contrat de travail dès le 7 août 2013 jusqu’à la rupture et les démarches de la salariée pendant celle-ci pour obtenir une rupture conventionnelle, qui lui avait été refusée, le manquement de l’employeur est d’une gravité telle qu’il empêche la poursuite du contrat de travail et justifie à lui seul la prise d’acte de la rupture aux torts exclusifs de l’employeur.

Le moyen tiré de l’absence d’impartialité du conseil de prud’hommes est inopérant dès lors que la nullité du jugement n’a pas été sollicitée.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que la prise d’acte de la rupture était aux torts de l’employeur et produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture

Compte tenu de l’absence de transfert de contrat de travail de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés vers la société DPR Méditerranée, de l’absence de solidarité expressément stipulée ou prévue par la loi, la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés sera seule tenue au paiement des conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La demande de condamnation solidaire de la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés et de la société DPR Méditerranée sera rejetée et la société DPR Méditerranée sera mise hors de cause.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a mis hors de cause la société DPR Méditerranée.

1/ Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme X qui avait une ancienneté d’au moins deux ans dans une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés, a droit une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

Compte tenu de son âge au moment de la rupture (46 ans), de son ancienneté (17 ans et 4 mois), de

sa qualification, de sa rémunération (2.447,79 euros bruts par mois), des circonstances de la rupture et de la période de chômage couvrant la période du 10 octobre 2014 au 30 novembre 2015 qui n’a été indemnisé qu’à compter du 29 janvier 2016 compte tenu du mode de rupture du contrat de travail, Mme X justifie d’un préjudice résultant de la perte de son emploi permettant de lui allouer une indemnité exactement appréciée à la somme de 22.500 euros par le conseil de prud’hommes. Le jugement entrepris sera confirmé à ce titre.

2/Sur l’indemnité de préavis et congés payés afférents

Mme X a droit, au regard de son ancienneté à une indemnité compensatrice de préavis conventionnelle de deux mois outre les congés payés afférents soit aux sommes de 4.895,58 euros bruts et 489, 55 euros bruts, calculées sur la base de son salaire mensuel de 2.447,79 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé sur les montants alloués sur ces chefs.

3/ Sur l’indemnité de licenciement

Mme X qui avait une ancienneté de 17 ans et 4 mois au moment de la rupture a également droit à l’indemnité de licenciement légale plus favorable, d’un montant de 11.320,94 euros calculée sur la meilleure moyenne correspondant à celle des trois derniers mois de salaire de 2.547,21 euros bruts : (10 x 2.547,21 x 1/5)+(7 x 2.547,21 x 1/3)+(2.547,21 x 1/3x 4/12).

La salariée ayant limité sa demande à la somme de 11.108,33 euros, il y sera fait droit dans cette proportion.

Le jugement entrepris sera confirmé sur le montant de l’indemnité de licenciement allouée à Mme X.

3/ sur l’indemnité pour perte de chance d’utiliser le droit individuel à la formation

Mme X justifie de son droit individuel à la formation à hauteur de 120 heures et valorisé à la somme de 1.098 euros. Ce droit n’a pas été mis en oeuvre du fait des circonstances de la rupture liée à la faute de l’employeur ci-dessus mentionnée. La salariée a ainsi perdu la chance d’utiliser ce droit et le préjudice résultant de cette perte de chance sera entièrement réparé par la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts que la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés sera condamnée à lui verser.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il lui a accordé la somme de 1098 euros à ce titre.

Sur la demande de harcèlement moral

La cour d’appel a, dans son arrêt du 21 septembre 2018, rejeté la demande de harcèlement moral et de dommages et intérêts à ce titre, s’agissant d’une demande nouvelle en appel. L’arrêt n’a pas été cassé sur ce chef, en sorte que ces dispositions sont revêtues de l’autorité de chose jugée et que la demande présentée à ce titre est dorénavant irrecevable.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail

La cour d’appel a, dans son arrêt du 21 septembre 2018, rejeté la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral lié à l’exécution déloyale du contrat de travail. L’arrêt n’a pas été cassé sur ce chef, en sorte que ces dispositions sont revêtues de l’autorité chose jugée et que la demande présentée à ce titre est dorénavant irrecevable.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés succombant sera condamnée aux entiers dépens de l’appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire bénéficier Mme X des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à lui verser une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité ne commande pas de faire bénéficier la société DPR Méditerranée des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et elle sera déboutée de sa demande d’indemnité à ce titre tant pour la première instance que pour l’appel.

Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut.

Les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation le 9 mai 2014 et les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement pour la partie confirmée et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts qui est de droit lorsqu’elle est demandée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de sa saisine après renvoi de cassation,

Déclare irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et au titre du harcèlement moral subi ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à payer à Mme X les sommes de 5000 euros au titre du préavis et des congés payés afférents et de 1098 euros au titre de l’indemnisation du droit individuel à la formation perdu pour 120 heures ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à verser à Mme X les sommes suivantes :

• 4.895,58 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 489, 55 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférent,

• 500 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d’utiliser le droit individuel à la formation,

Confirme le jugement entrepris sur le surplus,

Y ajoutant,

Rappelle que les sommes allouées sont exprimées en brut,

Dit que les créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter du 9 mai 2014 et que les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jugement pour la partie confirmée et à compter du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne la capitalisation des intérêts ;

Condamne la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés à verser à Mme X une indemnité complémentaire de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la société Interbarreaux Delplancke Lagache Pozzo di Borgo Y et associés aux entiers dépens de l’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 25 novembre 2021, n° 20/11229