Cour d'appel d'Amiens, Chambre sociale tass, 23 février 2017, n° 15/02725

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, ch. soc. tass, 23 févr. 2017, n° 15/02725
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 15/02725
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale d'Amiens, 10 mai 2015, N° 21400496
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N° Z

C/

X

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA SOMME

Association XXX

XXX

COUR D’APPEL D’AMIENS

CHAMBRE SOCIALE TASS SECURITE SOCIALE ARRET DU 23 FEVRIER 2017 *************************************************************

RG : 15/02725

JUGEMENT DU TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE d’ AMIENS (REFERENCE DOSSIER N° RG 21400496) en date du 11 mai 2015

PARTIES EN CAUSE : APPELANT Monsieur E Z (en son nom propre ainsi qu’en sa qualité de représentant de l’indivision successorale de feu Mme F Z)

XXX

XXX

représenté, concluant et plaidant par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CISTERNE & CHERRIER, avocat au barreau de ROUEN

ET :

INTIMEES Madame G X ès qualités de tutrice de Mme H Y veuve X

XXX

représentée, concluant et plaidant par Me Rachel SAADA, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA SOMME agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège :

XXX

XXX

représentée, concluant et plaidant par Me Carl WALLART, avocat au barreau D’AMIENS

XXX (Salariée: Mme F X) agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié en cette qualité audit siège :

XXX

XXX

représentée, concluant et plaidant par Me Pascal POUILLOT de la SCP POUILLOT DORE TANY ASSOCIES, substitué par Me Edith DIAS FERNANDES de la SCP POUILLOT DORE TANY ASSOCIES, avocats au barreau D’AMIENS

DEBATS : A l’audience publique du 15 Décembre 2016, devant Mme I J, Conseiller , siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

— Mme I J, en son rapport,

— les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives .

Mme I J a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 23 Février 2017 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ,

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme K L

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE : Mme I J en a rendu compte à la formation de la CHAMBRE SOCIALE TASS de la Cour composée en outre de M. Christian BALAYN, Président de Chambre, Mme Agnès DE BOSSCHERE, Conseiller,

qui en a délibéré conformément à la Loi

ARRET : CONTRADICTOIRE PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION : Le 23 Février 2017, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Christian BALAYN, Président de Chambre et Mme K L, Greffier. *

**

DECISION : Vu le jugement en date du 18 février 2013 par lequel le tribunal des affaires de sécurité sociale d’AMIENS, statuant dans le litige opposant Monsieur E Z, Madame X G représentant Madame Y H à l’association Group Sup de Co Amiens Picardie en présence de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Somme a dit que le décès de Madame F X épouse Z a un caractère professionnel au sens de la législation sur les accidents du travail, a déclaré opposable à l’employeur la décision du 13 avril 2011 de la CPAM de prendre en charge le décès de Madame Z au titre de la législation sur les accidents du travail, a sursis à statuer sur les demandes relatives à la reconnaissance éventuelle de la faute inexcusable dans l’attente de l’issue de la procédure pénale pendante devant la cour d’appel d’AMIENS suite à l’appel du jugement du tribunal correctionnel d’AMIENS du 31 mai 2012;

Vu le jugement en date du 11 mai 2015 par lequel le tribunal des affaires de sécurité sociale d’AMIENS, statuant dans le litige opposant Monsieur E Z en son nom ainsi qu’en qualité de représentant de l’indivision successorale résultant du décès de Madame F X et Madame G X ès qualité de tutrice de Madame H X à l’association groupe Sup de Co Amiens Picardie en présence de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Somme a débouté Monsieur Z et Madame X de leur demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur à l’encontre de Madame F X épouse Z;

Vu l’appel interjeté par Monsieur Z en son nom ainsi qu’en sa qualité de représentant de l’indivision successorale le 26 mai 2015 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 20 mai précédent ;

Vu l’appel interjeté par Madame X en sa qualité d’ayant droit de Madame H X , décédée, le XXX à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 21 mai précédent ;

Vu les conclusions et observations orales des parties à l’audience des débats du 15 décembre 2016 auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens développés en cause d’appel;

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 24 juillet 2015, régulièrement communiquées et soutenues oralement à l’audience par lesquelles Monsieur Z faisant valoir au fond que la décision de relaxe rendue en l’espèce à l’égard de l’employeur et des supérieurs hiérarchiques de son épouse ne saurait faire obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail, que l’accident du travail mortel dont a été victime le 23 juillet 2009 Madame F X est dû à la faute inexcusable de son employeur au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale en ce que l’employeur ne pouvait ignorer le danger présenté par le travail demandé et n’a pris aucune mesure pour en prévenir les risques en termes de santé et de sécurité, sollicite l’infirmation du jugement entrepris, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, par conséquent la majoration de la rente à son maximum, demande que la CPAM soit condamné à faire l’avance d’une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral subi ainsi que de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi par Madame X épouse Z représentée par l’indivision successorale et requiert la condamnation de l’intimé au paiement d’une indemnité de procédure;

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 18 novembre 2016, régulièrement communiquées et soutenues oralement à l’audience par lesquelles Madame G X faisant valoir que l’accident du travail mortel dont a été victime le 23 juillet 2009 Madame F X est dû à la faute inexcusable de son employeur qui doit être reconnue à titre principal de plein droit sur le fondement de l’article L 4131-4 du code du travail et, à titre subsidiaire, en raison de la conscience du danger que l’employeur avait et de l’absence totale de mesures de prévention prises pour protéger la salariée, demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de condamner l’association Groupe Sup de Co Amiens Picardie à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’affection subi ainsi que des dommages et intérêts au titre de l’action successorale pour les souffrances endurées par Madame F X ainsi qu’une indemnité de procédure;

Vu les conclusions enregistrées au greffe les 14 et 15 décembre 2016, régulièrement communiquées et reprises oralement à l’audience, aux termes desquelles l’association Groupe Sup de Co, réfutant les moyens et arguments développés au soutien des appels concernant l’existence d’une prétendue faute inexcusable de sa part aux motifs d’une part qu’elle n’avait pas conscience du danger occasionné, d’autre part que la chambre correctionnelle de la cour d’appel d’AMIENS a relaxé l’employeur des faits de harcèlement prétendument commis à l’égard de Madame X et qu’en tout état de cause elle a pris toutes les mesures nécessaires de prévention et de protection des salariés et que le geste de la salariée revêtait un caractère imprévisible, sollicite la confirmation du jugement entrepris et le débouté de l’ensemble des demandes formées par les appelants observant à titre subsidiaire que Madame X étant décédée peu de temps après son admission à l’hôpital sans avoir repris connaissance, il ne peut être sollicité la réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de son propre décès;

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 15 décembre 2016, régulièrement communiquées et soutenues oralement à l’audience, par lesquelles la Caisse primaire d’assurance maladie de la Somme déclare s’en rapporter à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable et sur les demandes formées par les ayants droits, sollicite la condamnation de l’employeur à lui rembourser toutes les sommes dont elle aura fait l’avance et au paiement d’une indemnité de procédure;

SUR CE, LA COUR;

Sur la jonction des procédures:

Madame G X et Monsieur E Z ont tous deux interjeté appel du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’AMIENS le 11 mai 2015.

Dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu d’ordonner la jonction des procédures enrôlées sur les numéros 15/2725 et 15/3273.

Sur la faute inexcusable:

Madame F X épouse Z a été engagée par l’association Sup de Co Amiens Picardie le 15 avril 1991 en qualité de chargée de mission auprès du directeur général.

Le 23 juillet 2009 Madame X s’est donnée la mort en se défenestrant depuis son bureau du deuxième étage de son lieu de travail.

Par décision du 13 avril 2011, cet accident a été reconnu au titre de la législation sur les accidents professionnels par la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme.

Monsieur Z a saisi la CPAM d’une demande de conciliation préalable tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur de son épouse.

La tentative de conciliation ayant échoué, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’AMIENS d’une demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur. Celui-ci, par jugement du 11 mai 2015, dont appel, a statué comme indiqué précédemment.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents dont il peut être victime à l’occasion du travail.

Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il résulte de l’article L 4131-4 du code du travail relatif aux droits d’alerte et de retrait que le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévu à l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident de travail ou du maladie professionnelle alors qu’eux mêmes ou un représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé.

En l’espèce, Madame G X considère que l’employeur avait été alerté par la salariée du risque pour sa santé mentale en l’absence de changement de ses conditions de travail à travers son mail du 20 mai 2009 ainsi que par les représentants du personnel qui avaient évoqué à plusieurs reprises le risque de souffrance au travail lié au management et à la surcharge de travail observant en outre que l’inspection du travail avait également alerté l’association.

Madame X rappelle enfin que le CHSCT de l’association ne fonctionnait pas normalement, l’employeur ne l’ayant réuni qu’à une seule reprise suite à la désignation de ses membres fin 2006 et qu’ainsi l’association elle-même avait empêché le CHSCT de se réunir et de fonctionner.

Cependant, à la faveur de justes motifs de droit et par une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve du dossier, les premiers juges ont exactement retenu que l’appelante ne justifiait pas de la réunion des conditions requises pour que joue la présomption de faute inexcusable instituée par l’article L 4131-4 du code du travail, à défaut notamment d’éléments permettant de considérer que l’employeur aurait été effectivement informé d’un risque ou danger particulier présenté par le travail exécuté par Madame X épouse Z, risque dont la réalisation se serait trouvée à l’origine de l’accident du travail dont elle a été victime.

Cette information ne pouvait en effet se déduire du mail adressé par la salariée le 20 mai 2009 en ce que si Madame X épouse Z rappelait au sein de cet écrit l’existence de ses difficultés personnelles, elle faisait état d’un mieux être, de sa satisfaction dans l’aide apportée par son assistante et précisait que 'la journée d’hier s’était bien passée'.

Il n’est pas davantage établi que cette signalisation de la situation particulière de la salariée ait été faite auprès de l’employeur par l’intermédiaire d’un représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail comme requis à l’article L 4131-4 du code du travail en ce que si la situation globale de souffrance au travail avait été mise en exergue par les représentants du personnel, la situation particulière de Madame X n’avait pas été spécifiquement évoquée.

Par confirmation du jugement entrepris, il n’y a pas lieu de faire application de la présomption de la faute inexcusable instituée par l’article L 4131-4 du code du travail.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sein de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La charge de la preuve incombe au salarié ou à ses ayants droits.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, il suffit qu’elle en ait été la cause nécessaire.

En l’espèce, il n’appartient pas à la juridiction d’apprécier l’existence d’un harcèlement moral au sens des articles L 1152-1 et L 1154-1 du code du travail mais de rechercher si la salariée était exposée à un danger dont l’employeur pouvait pressentir la survenance pour prendre toute mesure nécessaire afin de l’éviter.

En outre, la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable en application de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale. Il suffit que la faute de l’employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée.

Si en l’espèce, il résulte de l’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel d’AMIENS en date du 11 septembre 2013 que la relaxe de Monsieur A, Madame B, Monsieur C et l’association Sup de Co pour les faits de harcèlement moral à l’encontre de Madame X a été confirmée, il sera rappelé à titre d’information que d’autres condamnations pour harcèlement moral à l’encontre d’autres salariés ont été prononcées.

Il ressort des éléments du dossier que Madame X épouse Z a intégré l’association Sup de Co Amiens Picardie en 1991 en qualité de chargée de mission auprès du directeur général, qu’elle a été nommée à partir du 1er janvier 1995 secrétaire générale de l’établissement puis, à compter du 1er juillet 2001 directrice de l’administration et de la communication interne, membre du comité de direction.

En 2003, elle a été démise de ses fonctions et a pris la fonction de responsable de l’apprentissage et de la formation interne le 1er septembre 2003. A compter de 2005, elle exerçait la fonction de chef de projet des comportements professionnels.

Il résulte tant des enquêtes effectuées par la caisse primaire d’assurance maladie que sur instructions du parquet, suite au procès verbal établi par l’inspection du travail le 5 juin 2009, par le commissariat de police d’AMIENS que dès 2003, Madame X épouse Z a vécu son changement d’affectation, sa sortie du comité de direction comme une véritable dégradation et qu’elle a été conduite à s’arrêter deux mois pour troubles dépressifs.

Le 8 septembre 2004, dans un état de grand stress et de tension, la salariée s’est enfermée dans son bureau et a évoqué lors de son entretien avec le médecin du travail, sur demande de l’employeur, l’existence de soucis aves sa hiérarchie, la perte de ses prérogatives.

Il ressort des éléments versés aux débats que de 2005 à 2008 si la salariée s’est impliquée dans son nouveau poste, elle a pu exprimer des difficultés relationnelles avec Monsieur A, son supérieur hiérarchique, faisant état à son entourage de fortes tensions et d’un sentiment de dévalorisation.

L’enquête administrative met en exergue l’existence chez la salariée de cycles de découragement et de mal être suivis de cycles d’euphorie, cycles qui en 2008 vont aller jusqu’à des blocages se traduisant par l’incapacité de se rendre au travail ou d’assurer ses missions.

Fin 2008, Madame X épouse Z a consulté un psychiatre qui a conclu que le problème rencontré devait trouver sa solution dans le cadre professionnel.

Courant 2009, la salariée a sollicité un entretien auprès du directeur général Monsieur C en vue d’évoquer son avenir professionnel. Cette demande restera sans suite. Le 7 juillet 2009, Madame X épouse Z subissait un entretien annuel d’évaluation avec Monsieur A à l’issue duquel elle constatait une baisse de son appréciation ( 3 ++ sur 4 en 2008 contre un seul ++ en 2009).

Il résulte des auditions des salariés de l’association que Madame X épouse Z faisait régulièrement état de sa surcharge de travail, de la difficulté ressentie dans ses relations professionnelles avec Monsieur A, de son sentiment d’isolement et d’absence de soutien.

Le dossier de la médecine du travail de la salariée révèle qu’elle a régulièrement exprimé depuis 2003 sa déception d’avoir été dessaisie de ses missions et qu’elle a ponctuellement évoqué auprès du médecin l’existence de tensions au sein de l’école.

Il ressort en outre des pièces du dossier qu’en juillet 2009 un arrêt maladie de 15 jours en raison d’un état anxio dépressif avait été prescrit par le docteur M N à Madame X, celle-ci ayant cependant refusé d’en faire usage de peur 'd’aggraver ses relations professionnelles conflictuelles'.

Il résulte également des éléments et pièces versés aux débats que Madame X épouse Z s’est plainte à plusieurs reprises de sa surcharge de travail. Ainsi, par mail en date du 17 septembre 2008, elle indiquait à son supérieur rencontrer des difficultés pour gérer seule certains dossiers. Mi juillet 2009, elle évoquait avec sa collègue Madame D 'sa crainte de ne pas pouvoir boucler ses dossiers avant son départ en vacances ayant beaucoup de choses à finaliser et ayant une partie de son travail non validée par Monsieur A.'

Le 22 juillet 2009, veille de son suicide, elle indiquait à Madame O P ne pas pouvoir se libérer le vendredi après midi suivant car elle n’arrivait pas à 'boucler sa semaine de travail avant son départ en vacances'.

Ainsi, les symptômes présentés par Madame X épouse Z décrits par les personnes de son entourage tant personnel que professionnel s’apparentent à une forme de stress important apparu depuis 2003, stress lié exclusivement au travail réalisé au sein de l’association dès lors qu’à aucun moment au cours des enquêtes il n’a été mis en évidences des troubles psychologiques préexistants ou de difficultés rencontrées par la salariée à l’extérieur de l’association.

A plusieurs reprises, l’employeur a été informé par les représentants du personnel de l’existence de situations de souffrance au travail au sein de l’association.

Ainsi, le procès verbal de la réunion DP/CE en date du 25 septembre 2008 faisait état de l’existence d’un surmenage des personnels au sein de l’association, la direction reconnaissant que le service pédagogique de l’association, service auquel était affecté la salariée, était sous pression.

Il ressort du compte rendu du CHSCT en date du 9 mars 2009 que la direction était informée d’une augmentation de la charge de travail des personnels et de l’existence de problèmes psychosociaux au sein de l’association (stress, surmenage…), une demande de mise en place du document unique d’évaluation des risques professionnels étant clairement formulée.

L’inspection du travail a par ailleurs dressé un procès verbal le 5 juin 2009 suite à une plainte des représentants du personnel relative à la souffrance au travail.

Dans le cadre de cette procédure, il s’avère que Madame X a été entendue, les salariés évoquant la concernant une 'mise au placard’ depuis 2003.

Il ressort de cette enquête qu’un certain nombre de salariés était contraint, afin de terminer leur travail, de revenir travailler le samedi matin, l’employeur indiquant à ce sujet 'ils ne sont pas obligés de venir mais nous sommes attentifs à l’engagement des salariés dans leur travail.'

L’employeur indiquait également, lorsque lui était posée la question de l’évaluation de la charge de travail du personnel et des surcharges de travail décrites par de nombreux salariés , 'qu’il existait une forte activité au sein de l’école du 1er septembre à fin février et également du 1er mars au 31 juillet', soit 11 mois par an…

Malgré une souffrance ressentie par Madame X épouse Z ainsi que par d’autres salariés au sein de l’association , souffrance portée à plusieurs reprises à la connaissance de l’employeur, celui-ci n’a pas mis en place au sein de l’association un système d’évaluation des risques psycho-sociaux malgré les prescriptions imposées par la loi et rappelées par l’inspecteur du travail.

L’élaboration d’un document unique d’évaluation des risques aurait pu permettre aux supérieurs hiérarchiques directement en contact avec la salariée de prendre les mesures et protections adéquates et éviter ainsi une dégradation de l’état de santé de Madame X épouse Z l’ayant conduit au suicide.

Ainsi, confronté à la dégradation de l’état de santé de la salariée depuis 2003, l’association Group Su de Co Amiens Picardie avait nécessairement conscience du danger auquel était exposée Madame X épouse Z et n’a pris aucune mesure pour l’en préserver ou pour permettre à son entourage professionnel direct de mettre en place de telles mesures.

Le geste de la salariée, eu égard aux éléments ci-dessus rappelés, ne peut être considéré comme un geste imprévisible susceptible d’avoir revêtu un caractère fautif étant observé qu’à défaut de pouvoir recevoir elle même la qualification de faute inexcusable, la faute de la victime ne revêt aucun caractère exonératoire à l’égard de l’employeur dont la faute inexcusable est retenue.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé et il sera désormais jugé que les éléments constitutifs de la faute inexcusable sont réunis.

Sur l’indemnisation:

L’article L 452-3 alinéa 2 du code de la sécurité sociale prévoit qu’en cas d’accident suivi de mort, les ayants droits de la victime peuvent demander la réparation du préjudice moral qu’ils subissent personnellement.

Monsieur E Z et Madame G X en sa qualité d’ayant droit de Madame H Y épouse X, mère de la victime, justifiant de leur qualité d’héritiers d’une victime décédée des suites d’un accident de travail due à la faute inexcusable de l’employeur sont recevables à obtenir l’indemnisation de leur préjudice moral.

Eu égard aux circonstances de l’accident, de l’âge de la victime (49 ans), la cour dispose des éléments nécessaires pour apprécier la réparation due au titre des souffrances morales aux sommes respectives pour chacun de 40 000 euros.

Il ressort des éléments du dossier que si Madame X épouse Z s’est défenestrée le 23 juillet 2009 à 9 heures 15, elle n’est décédée des suites de ses blessures que le 23 juillet 2009 en fin d’après midi. Selon le témoignage de Monsieur A, Madame X était encore consciente lors de son départ à l’hôpital.

En conséquence, il y a lieu de fixer le préjudice subi par Madame X épouse Z au titre des souffrances endurées à la somme de 20 000 euros.

Il convient en outre d’ordonner la majoration de la rente servie à Monsieur Z. Sur les frais irrépétibles et les dépens:

Il convient de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en faveur des appelants et d’allouer à chacun d’eux ainsi qu’à la CPAM , pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel, une indemnité dont le montant sera précisé ci-après.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l’association Groupe Sup de Co Amiens Picardie les frais irrépétibles exposés par elle.

En application de l’article R 144-10 du code de la sécurité sociale, il n’y a pas lieu à condamnation aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement et en dernier ressort;

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sur les numéros 15/2725 et 15/3273;

Infirme le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale d’AMIENS le 11 mai 2015;

Statuant à nouveau et y ajoutant:

Dit que l’accident du travail dont a été victime Madame F X épouse Z le 23 juillet 2009 a trouvé sa cause nécessaire et suffisante dans une faute inexcusable de son employeur, l’association Groupe Sup de Co Amiens Picardie;

Fixe au taux maximum la majoration de la rente due à Monsieur Z;

Fixe à 20 000 euros la réparation du préjudice subi par Madame F X épouse Z;

Fixe à 40 000 euros la réparation du préjudice moral de Monsieur E Z, époux de la victime;

Fixe à 40 000 euros la réparation du préjudice moral de Madame G X en sa qualité d’ayant droit de Madame H Y veuve X, mère de la victime;

Dit que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Somme fera l’avance de ces sommes à charge pour elle d’en récupérer ensuite les montants auprès de l’association Groupe Sup de Co Amiens Picardie;

Condamne l’association Groupe Sup de Co Amiens Picardie à payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 1500 euros à Monsieur E Z, 1500 euros à Madame G X en sa qualité d’ayant droit de Madame H Y veuve X et 500 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme;

Rejette toute autre demande;

Rappelle que la procédure devant les juridictions de sécurité sociale est gratuite et sans frais.


LE GREFFIER, LE PRESIDENT.

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