Cour d'appel de Caen, 27 juin 2013, n° 11/01142

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Caen, 27 juin 2013, n° 11/01142
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 11/01142
Décision précédente : Tribunal de commerce de Caen, 15 mars 2011

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 11/01142

Code Aff. :

ARRÊT N°

J C. J B.

ORIGINE : DECISION en date du 16 Mars 2011 du Tribunal de Commerce de CAEN -

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 27 JUIN 2013

APPELANTE :

LA SA E POWERTRAIN TECHNOLOGIES FRANCE

N° SIRET : 350 693 586

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP TERRADE ET DARTOIS, avocats au barreau de CAEN,

assistée de Me Isabelle LAGRANGE, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Monsieur J-K, L, M Z

né le XXX à XXX

XXX

XXX

représenté par la SCP GRAMMAGNAC – YGOUF BALAVOINE ET LEVASSEUR, avocats au barreau de CAEN,

assisté de Me Mathieu CROIX, avocat au barreau du HAVRE

LA SAS DIGNE ET FRANCOISE

N° SIRET : 438 726 325

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP MOSQUET MIALON D’OLIVEIRA LECONTE, avocats au barreau de CAEN,

assistée de Me LHOMME, avocat au barreau du HAVRE

LA S.A.R.L. ETABLISSEMENTS D

N° SIRET : 323 447 920

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP PARROT-LECHEVALLIER-ROUSSEAU, avocats au barreau de CAEN,

assistée de Me Aurelie VIELPEAU, avocat au barreau de CAEN

LA Compagnie G FRANCE IARD

N° SIRET : 722 057 460

XXX

XXX

prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP PARROT-LECHEVALLIER-ROUSSEAU, avocats au barreau de CAEN, assistée de Me Aurelie VIELPEAU, avocat au barreau de CAEN

XXX

LA SELARL F administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la SA Etablissements DIGNE ET FRANCOISE

XXX

XXX

XXX

représentée et assistée de Me Jacques MIALON, avocat au barreau de CAEN

Maître H C Mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS Etablissements DIGNE ET FRANCOISE

77 Rue de Bernières-BP 50196

XXX

représentée et assistée de Me Jacques MIALON, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur CHRISTIEN, Président, rédacteur,

Madame BEUVE, Conseiller,

Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 16 Mai 2013

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2013 et signé par Monsieur CHRISTIEN, Président, et Mme LE GALL, Greffier

EXPOSÉ DU LITIGE

Afin d’équiper le chalutier 'Oceanos’ dont il est l’armateur, M. Z a, moyennant le prix de 38 502 euros, acquis le 31 mars 2006 auprès de la société Digne & X un moteur de navire Iveco à l’état neuf produit par la société E Powertrain Technology France (la société E) et commercialisé au travers d’un réseau de concessionnaires auquel la société D appartient.

Prétendant qu’une avarie du moteur, survenue le 22 janvier 2008 alors qu’il avait repris la mer la veille après une première panne du 17 janvier, l’avait contraint à stopper celui-ci et à se faire remorquer jusqu’au port de Honfleur où la société D est intervenue au titre de la garantie du constructeur avant de laisser le navire gagner Port-en-Bessin par ses propres moyens afin qu’il soit procédé au démontage du moteur qui a révélé la rupture de l’un des pistons, M. Z a obtenu, selon ordonnances rendues les 4 avril et 30 juin 2008 par le juge des référés du tribunal de commerce de Bayeux, l’organisation d’une expertise judiciaire.

À la suite du dépôt du rapport de l’expert Y en date du 2 avril 2009, M. Z a, par actes des 23 septembre, 2 octobre et 6 octobre 2009, fait assigner les sociétés Digne & X, D et E devant le tribunal de commerce de Caen en réparation de son préjudice.

La société G France (la compagnie G), assureur de la société D, est intervenue volontairement à l’instance.

Par jugement en date du 16 mars 2011, les premiers juges ont, avec exécution provisoire :

débouté M. Z de ses demandes formées contre les sociétés Digne & X, D et G,

débouté la société D de sa demande reconventionnelle,

condamné la société E, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, à payer à M. Z les sommes de 69 088,83 euros HT au titre du préjudice matériel et 72 582,48 euros au titre du préjudice immatériel, augmentées des intérêts de retard à compter du 23 septembre 2009 capitalisés annuellement,

condamné la société E à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité de 2 500 euros chacun à M. Z, la société Digne & X et D, ainsi qu’aux dépens incluant les frais d’expertise.

Contestant sa responsabilité dans la panne, la société E a relevé appel de ce jugement le 7 avril 2011 en demandant à la cour de :

'Débouter M. Z de toutes ses demandes en ce qu’elles sont formées à l’encontre de la société E ;

En conséquence, condamner M. Z à restituer à la société E la somme de 148 412,78 euros versée au titre de l’exécution provisoire ;

Écarter les arguments de la société Digne & X et la débouter de toutes ses demandes à l’encontre de la société E ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de la société D à l’encontre de la société E ;

Débouter la société D de toutes ses demandes à l’encontre de la société E ;

À titre subsidiaire, écarter toute demande principale ou en garantie à l’encontre de la société E au titre du préjudice immatériel et dire et juger que la société E ne saurait être tenue de payer au titre du préjudice matériel une somme supérieure à 24 827,40 euros ;

Condamner toutes parties succombantes à payer à la société E la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner toutes parties succombant en tous les dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise'.

M. Z a quant à lui relevé appel incident et de cette décision en concluant en ces termes :

' Juger l’appel de M. Z recevable ;

À titre principal, recevant M. Z en son appel incident, dire et juger que la responsabilité des sociétés Digne & X, D et E est engagée ;

Donner acte de l’intervention volontaire de la compagnie G ;

En conséquence, infirmer la décision rendue par le tribunal de commerce de Caen du 16 mars 2011 ;

Par suite, condamner conjointement et solidairement, ou l’une à défaut de l’autre, les sociétés Digne & X, E et D, et son assureur la compagnie G, à payer à M. Z les sommes suivantes, augmentées des intérêts de retard à compter de l’assignation du 23 septembre 2009 :

69 088,83 euros au titre du préjudice matériel,

72 582,48 euros au titre des préjudice immatériels ;

Dans l’hypothèse où la cour retiendrait la responsabilité de la société Digne & X, fixer au passif de cette dernière, la créance de M. Z à hauteur des sommes suivantes, augmentées des intérêts de retard à compter de l’assignation du 23 septembre 2009 :

69 088,83 euros au titre du préjudice matériel,

72 582,48 euros au titre des préjudice immatériels ;

Ordonner la capitalisation des intérêts, année après année conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil ;

À défaut, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Condamner les mêmes sociétés, dans les mêmes conditions ou l’une à défaut de l’autre, à payer à M. Z la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel'.

La société D conclut quant à elle en ces termes :

'Dire et juger qu’aucune faute n’est susceptible d’être reprochée à la société D dans l’avarie survenue au moteur du navire Oceanos le 18 février 2008 ;

Dire et juger que la responsabilité totale et entière est imputable à la société E ;

En conséquence, confirmer le jugement entrepris ;

En recevant la société D en sa demande reconventionnelle et en infirmant sur ce point le jugement, condamner la société E à lui payer la somme de 11 535,17 euros ainsi qu’aux intérêts de droit à compter de la date de l’émission de la facture, soit le 14 janvier 2010 ;

À titre subsidiaire, et en déclarant recevable l’intervention volontaire de la compagnie G, (…) débouter M. B de sa demande de réparation de son préjudice matériel en tant que dirigée contre la compagnie d’assurance G ;

En toute hypothèse, dire et juger que la société E sera tenue de garantir la société D et la société G de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre ;

Condamner la société E, en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 7 000 euros ;

Condamner la société E en tous les dépens'.

La société Digne & X, ainsi que la SELARL F et Mme C, assignées en intervention forcée devant la cour en leurs qualités respectives d’administrateur et de mandataire judiciaire de la société Digne & X après la mise en redressement judiciaire de cette dernière le 25 avril 2012, demandent à la cour de :

'Dire et juger irrecevable et subsidiairement mal fondé l’appel interjeté à l’encontre de la société Digne & X par la société E ;

Dire et juger M. Z irrecevable en son appel incident ;

Et en tous cas, débouter M. Z des ses demandes formulées à l’encontre de la société Digne & X ;

À titre plus subsidiaire, condamner la société E à relever et garantir la société Digne & X de toutes les condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

En tout état de cause, condamner la société E ou toute partie succombante à payer à la société Digne & X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens'.

Les parties ont été invitées à s’expliquer par notes en délibéré sur la recevabilité du moyen tiré de l’irrecevabilité de l’appel principal dirigé par la société E contre la société Digne & X et de l’appel incident dirigé par M. Z contre la société Digne & X au regard des disposions de l’article 914 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour La société E le 29 mars 2013, pour M. Z le 26 avril 2013, pour la société D et la compagnie G le 5 mars 2013, pour la société Digne & X le 6 avril 2012, et pour la SELARL F et Mme C, ès-qualités d’administrateur et de mandataire judiciaire de la société Digne & X, le 8 octobre 2012.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la recevabilité des appels dirigés contre la société Digne & X

La société Digne & X ainsi que son administrateur et son mandataire judiciaire soutiennent que l’appel principal dirigé à leur encontre par la société E serait irrecevable puisqu’il ne lui est rien demandé et que, partant, l’appel incident formé par M. Z serait également irrecevable.

Il résulte cependant des dispositions de l’article 914 du code de procédure civile que le conseiller de la mise en état est seul compétent, jusqu’à son dessaisissement, pour déclarer l’appel irrecevable, les parties n’étant plus recevables à invoquer cette irrecevabilité après son dessaisissement.

Or, en maintenant leur fin de non-recevoir lors des débats devant la cour, la société Digne & X ainsi que son administrateur et son mandataire judiciaire invoquent ce moyen postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état.

D’autre part, la cour n’est pas tenue de relever d’office une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, et aucune partie ne peut l’y invitée.

Il s’en déduit que le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’appel principal dirigé par la société E contre la société Digne & X et de l’appel incident dirigé par M. Z contre la société Digne & X est lui-même irrecevable comme présenté tardivement devant la cour.

Sur la garantie des vices cachés

Selon l’avis de l’expert, la détérioration du moteur, que M. Z a toujours conduit de façon raisonnable, trouve son origine dans l’absorption par le cylindre n° 4 d’un mélange graisseux issu d’une réfrigération trop importante dans l’échangeur thermique, dénommé 'intercooler', provoquant une condensation notable amalgamée aux vapeurs d’huile recyclées qui a conduit à la rupture du piston.

M. Y précise que cet échangeur a pour fonction de refroidir, grâce au passage d’eau de mer, l’air et les vapeurs d’huile recyclées du carter moteur, et que, dans le cas présent, le refroidissement excessif de l’air produit un phénomène de condensation qui, mélangé avec les vapeurs d’huile, crée une matière graisseuse absorbée par le cylindre situé au droit de l’arrivée d’air, ce qui a provoqué des points de feu occasionnant la fusion du piston.

Il en vient ainsi à conclure que la panne, d’autant moins acceptable que le moteur n’avait que 2 785 heures de fonctionnement, est imputable à un défaut de conception du système de réfrigération de l’air de suralimentation.

L’expert a par ailleurs relevé que ce type de moteur fabriqué par la société E présentait, de façon récurrente, un défaut de colmatage de l’échangeur eau de mer/air, ce qu’il a constaté sur le navire Le Dylan équipé d’un moteur de même type et de même puissance que celui de L’Oceanos.

En outre, la société D a elle-même admis avoir rencontré des difficultés similaires avec ce type de moteur de bateau monté sur le navire La Constance.

Il est ainsi établi que l’avarie litigieuse résulte bien d’un vice caché antérieur à la vente, rendant le moteur impropre à son usage puisqu’il affecte la navigabilité du bateau sur lequel il est monté.

Dès lors, l’acquéreur est, conformément aux dispositions de l’article 1641 du code civil, fondé à agir en garantie contre son vendeur, mais aussi, directement, contre le vendeur intermédiaire et le vendeur originaire.

Le revendeur

Le moteur litigieux a, selon facture du 31 mars 2006, été vendu à M. Z par la société Digne & X.

Les premiers juges l’ont, à tort, exonérée de sa garantie en raison de ce qu’elle n’aurait pu déceler l’existence du vice affectant le moteur, alors que la connaissance du vice n’est pas une condition de la garantie des vices cachés de la chose vendue, et que, professionnelle de la vente de moteurs de bateau, la société Digne & X était en toute hypothèse tenue de connaître l’existence de ce vice.

La circonstance que la cause de l’avarie de moteur procède d’un défaut de conception imputable au constructeur est sans effet sur la garantie due par le revendeur à l’acquéreur, l’erreur de conception à l’origine d’un défaut de fonctionnement constituant bien un vice caché entrant dans la compréhension de l’article 1641 du code civil.

Le vendeur intermédiaire

Il est par ailleurs constant que la société Digne & X avait elle-même acquis le moteur auprès de la société D, concessionnaire du constructeur.

Or, M. Z dispose d’une action directe afin de rechercher la garantie du vendeur intermédiaire sur le fondement de l’article 1641 du code civil.

Le fabriquant

S’agissant de la société E, les premiers juges ont fait à tort application à la cause des articles 1386-1 et suivants du code civil relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux, dès lors que, si le moteur, victime d’une avarie en pleine mer, n’offrait de toute évidence pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, le préjudice indemnisable sur ce fondement ne peut consister que dans la réparation des atteintes à la personne ainsi qu’aux biens autres que le produit défectueux lui-même.

Or, M. Z réclame l’indemnisation du préjudice, étranger aux prévisions de l’article 1386-2 du code civil, consécutif à la nécessité de remplacer le moteur endommagé ainsi qu’à la perte de revenus subie du fait de l’immobilisation du navire.

En revanche, l’acquéreur est parfaitement fondé à agir directement en garantie du vice caché affectant le moteur contre son constructeur.

La société E ne saurait à cet égard sérieusement contester que le dysfonctionnement affectant le moteur résulte bien d’un vice caché antérieur à la vente, alors que le défaut de conception en lien causal avec l’avarie du 22 janvier 2008 a, au terme d’investigations techniques approfondies, été clairement mis en évidence par l’expert.

Contrairement à ce que soutient l’appelante, M. Y a en effet démontré que l’encrassement imputable au phénomène de condensation amalgamé aux vapeurs d’huile s’est insinué dans un cylindre et a provoqué secondairement la fusion de son piston.

Les allégations de la société E, qui prétend que l’entrée d’eau dans le moteur pourrait être due à un élément extérieur ou que l’origine de l’avarie serait à rechercher dans une erreur d’installation, ne reposent que sur des conjectures.

La société E ne saurait davantage soutenir que ce défaut de conception constaté ne pourrait donner lieu à garantie, dans la mesure où il ne rendrait pas le moteur impropre à son usage mais impliquerait seulement un nettoyage et un entretien plus fréquents.

Il résulte en effet du rapport d’expertise que ce moteur a présenté, pour la même cause, divers défauts de fonctionnement ayant donné lieu à plusieurs interventions de la société D au titre de la garantie contractuelle du constructeur, et qu’en dépit de ces interventions il a subi une avarie majeure en plein mer ayant contraint M. Z à le stopper et à faire remorquer le navire jusqu’à un port.

Sur la réparation du préjudice subi par M. Z

Le préjudice matériel

M. Z réclame, au titre de son préjudice matériel correspondant au coût de remplacement du moteur défectueux par un autre moteur identique, le paiement d’une somme totale de 69 088,83 euros HT se décomposant comme suit :

67 110,66 euros pour la fourniture du nouveau moteur,

1 623,45 euros au titre de l’intervention d’un électricien,

354,72 euros au titre des frais de mise au sec et de mise à l’eau pour les opérations de contrôle de motorisation.

L’expert a, à cet égard, confirmé que l’acquéreur du moteur défectueux n’avait eu d’autre choix que de le remplacer, les tentatives de réparation successives réalisées par la société D ayant toutes échoué, et la société E n’ayant jamais réussi à pallier les difficultés provoquées par le vice affectant son produit.

Faisant valoir que le vendeur originaire ne peut, lorsque le sous-acquéreur exerce son action rédhibitoire à son encontre, être tenu de restituer davantage que ce qu’il a lui-même reçu, la société E expose qu’elle ne saurait être condamnée, au titre du préjudice matériel, à une somme supérieure à 24 827,40 euros correspondant au prix que lui a effectivement payé son concessionnaire, la société D.

M Z n’exerce cependant nullement l’action rédhibitoire tendant à la restitution du prix, mais réclame l’indemnisation de son entier dommage, ce qu’il est fondé à faire dès lors que le vendeur professionnel, tenu de connaître les vices affectant la chose vendue, doit être condamné au paiement de dommages-intérêts en application de l’article 1645 du code civil à l’effet de réparer l’intégralité du préjudice provoqué par le vice affectant la chose vendue.

En outre, la société E, responsable d’un défaut de conception auquel elle est incapable de remédier, est mal venue à contester la nécessité, confirmée par l’expert, de remplacer le moteur, et le fait, à le supposer établi, que cette opération ait procuré une plus-value au navire n’est pas de nature à affecter le droit de M. Z à la réparation intégrale de son préjudice.

La compagnie G fait en revanche à juste titre observer qu’elle assure la société D au titre d’un contrat d’assurance couvrant le risque de mise en cause de la responsabilité civile de l’entreprise assurée, et que les conditions générales de la police exclut de la garantie le préjudice matériel qui représente la prestation de l’assuré.

Partant, la compagnie G ne peut être condamnée au paiement du préjudice matériel correspondant au coût de remplacement du moteur acheté par la société D à la société E et revendu à la société Digne & X.

Le préjudice immatériel

M. Z réclame d’autre part, au titre de son préjudice immatériel, le paiement d’une somme de 72 582,48 euros correspondant aux revenus bruts qu’il aurait dû réaliser durant la période d’immobilisation de L’Oceanos.

La société E soutient à ce sujet que la méthode d’estimation des pertes d’exploitation serait discutable et qu’elle est en toute hypothèse en droit d’opposer à M. Z la clause limitative de responsabilité figurant dans ses conditions générales de vente.

Il est établi par l’expertise que le chalutier s’est trouvé immobilisé durant 81 jours, à compter du 17 janvier 2008, date de la panne précédant l’avarie en mer du 22 janvier, et jusqu’au 6 avril 2008, date à laquelle les travaux de finition sur le pont et sur les apparaux de pêche, déposés pour l’accès au local des machines, ont été achevés.

Il ne saurait être sérieusement soutenu que la période d’immobilisation aurait pu être réduite si une réparation avait été réalisée, alors qu’il a été précédemment souligné que le remplacement du moteur s’imposait en raison de l’impossibilité de réparer le moteur de façon pérenne et que cette initiative a au contraire permis de limiter le temps d’immobilisation du chalutier.

M. Z établit par ailleurs que, par comparaison entre les performances de son chalutier avec celles de deux autres navires de taille, de capacité et de puissance équivalentes à celles de L’Oceanos, pratiquant la même pêche sur la même période, sa perte de revenus bruts a été de 90 728,10 euros, de sorte que sa perte nette, après abattement de 20 % correspondant aux coûts d’exploitation non engagés du fait de l’immobilisation du chalutier, est de 72 582,48 euros.

Contrairement à ce que soutient la société E, l’évaluation du préjudice immatériel tient bien compte des économies réalisées, du fait de l’arrêt de l’exploitation, l’abattement de 20 % incluant les frais de carburant, les taxes et les fournitures.

L’appelante soutient en outre, sans en rapporter la preuve convaincante, que M. Z, qui le conteste, aurait été, à l’époque de l’immobilisation de L’Oceanos, propriétaire d’un second navire.

La société E revendique par ailleurs le bénéfice de la clause limitative de responsabilité de ses conditions générales de vente, annexées au contrat de concession conclu avec la société société D.

Cependant, s’il est exact que, comme le rappelle l’appelante, le fabricant de la chose vendue est en droit d’opposer au sous-acquéreur tous les moyens de défense qu’il peut opposer à un acquéreur, il est aussi de principe que le vendeur professionnel, tenu de connaître les vices affectant la chose vendue, ne peut se prévaloir d’une stipulation excluant ou limitant à l’avance sa garantie.

Dès lors, la société E ne saurait utilement opposer à M. Z, patron pêcheur non spécialiste de la mécanique navale, la clause limitative de garantie figurant dans ses conditions générales, à supposer même que celle-ci ait été stipulée pour aménager les effets de la mise en oeuvre de la garantie légale des vices cachés.

Il convient donc, en conséquence de ce qui précède :

de condamner in solidum la société E et la société D à payer à M. Z la somme de 69 088,83 euros HT au titre du préjudice matériel,

de condamner in solidum la société E, la société D et la compagnie G à payer à M. Z la somme de 72 582,48 euros au titre du préjudice immatériel,

de fixer, à titre chirographaire, la créance de M Z au passif du redressement judiciaire de la société Digne & X pour un montant de 69 088,83 euros HT au titre du préjudice matériel et de 72 582,48 euros au titre du préjudice immatériel.

Le jugement attaqué sera par conséquent réformé en ce sens.

Cette créance de dommages-intérêts étant de nature indemnitaire, le point de départ des intérêts de retard sera, en application de l’article 1153-1 alinéa 2 du code civil, fixé au jour du jugement réformé du 16 mars 2011.

Ils seront capitalisés par années entières, conformément à l’article 1154 du code civil.

À l’égard de la société Digne & X, ces intérêts seront, conformément à l’article L. 622-28 du code de commerce, arrêtés au 25 avril 2012, jour de l’ouverture du redressement judiciaire.

Sur les recours en garantie

Les sociétés Digne & X et D ainsi que la compagnie G sollicitent, en cas de condamnation, l’entière garantie de la société E, ce à quoi cette dernière s’oppose en soutenant que les dommages ne résultent que des fautes de la société D, dont les réparations se sont avérées inefficaces et qui a manqué à son devoir de conseil en laissant L’Oceanos repartir vers Port-en-Bessin par ses propres moyens nautiques.

Sur ce dernier point, l’expert a toutefois à juste titre observé que le comportement de la société D, appelée à intervenir à la suite de l’avarie survenue en pleine mer du 22 janvier 2008 et du remorquage du bateau jusqu’à Honfleur, n’avait eu aucune incidence sur les désordres occasionnés au moteur.

M. Y indique ainsi que le moteur était, avant de reprendre la mer pour Port-en-Bessin, déjà bien atteint et le nombre d’éléments restant à sauver dans le moteur bien faible, la détérioration étant déjà acquise.

Au surplus, la société E est aujourd’hui malvenue à faire ce reproche à la société D, alors qu’il résulte de l’attestation de MM. Montagne et Dolley corroborée par les relevés de communications téléphoniques de ce dernier que, dûment informée, la société E n’avait fait aucune objection au retour du chalutier à Port-en Bessin par ses propres moyens, donnant seulement la consigne, respectée par M. Z, que le navire fasse route à faible régime.

Il a par ailleurs été précédemment indiqué que l’expertise, avait établi que l’avarie de moteur n’était imputable qu’à un vice de conception du système de réfrigération de l’air de suralimentation, et non à des réparations défectueuses de la société D.

L’expert a en outre souligné qu’il n’était pas dans les attributions de la société D de modifier la conception de ce moteur et qu’elle avait joué son rôle en prévenant suffisamment tôt le constructeur et en nettoyant régulièrement les échangeurs encrassés.

S’il est exact que la société D a imaginé de percer deux orifices dans le carter du moteur afin de diminuer la pression en vue du retour du chalutier à Port-en Bessin par ses propres moyens, elle affirme s’être elle-même rendue compte de l’inefficacité de cette intervention et avoir remplacé le carter percé.

En toute hypothèse, l’expert souligne avec raison, en réponse à un dire de la société E du 17 juin 2008, que ces orifices ont été percés postérieurement à l’avarie du 22 janvier et ne peuvent donc en être la cause.

Enfin, la société E oppose à la société D la clause limitative de responsabilité stipulée dans ses conditions générales de vente annexées au contrat de concession liant ces deux parties.

L’article 8 de ces conditions générales est ainsi conçu :

'En cas de non conformité du matériel vendu, ou encore si le matériel venait à être déclaré inapte à sa destination, le vendeur limite expressément sa responsabilité, indépendamment de la garantie légale, au seul remplacement des pièces ou organes défectueux, à l’exclusion du versement de toute indemnité de quelque nature qu’elle soit (préjudice d’exploitation par exemple)".

Si une telle clause peut être valablement stipulée entre deux professionnels de même spécialité, il résulte de ses termes clairs et précis que la limitation de garantie s’applique aux défauts de conformité et à la garantie contractuelle consentie par le constructeur du moteur à l’article 6 des conditions générales, mais est exclue en cas de mise en oeuvre de la garantie légale du vendeur.

Ainsi , il convient d’accorder aux sociétés Digne & X et D ainsi qu’à la compagnie G la garantie de la société FTP pour toutes les condamnations prononcées à leur encontre.

Sur la demande reconventionnelle en paiement de la société D

la société D a été amenée à intervenir à plusieurs reprises sur le moteur litigieux, alors que l’expertise a établi que les dysfonctionnements n’étaient imputables qu’à un vice de conception imputable au constructeur.

Elle a ainsi établi le 14 janvier 2010 une facture d’intervention d’un montant total de 11 535,17 euros.

Selon la facture d’achat de M. Z, le moteur litigieux a été vendu le 31 mars 2006 avec une garantie contractuelle du constructeur de trois ans.

C’est donc bien dans ce cadre que la société D, concessionnaire local de la société E, a réalisé ses interventions du mois de janvier 2008.

Or, l’expert a établi que l’acquéreur a toujours conduit son moteur de façon raisonnable, et que le remplacement de celui-ci n’est imputable qu’à un vice de conception auquel la société E, dûment informée du problème récurrent d’encrassement de l’échangeur par son concessionnaire, n’a pas su remédier de façon pérenne.

Contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’obligation pour le constructeur de régler à son concessionnaire les travaux sous garantie résulte bien du contrat de concession du 30 avril 2008, dont l’article 9.2 prévoie 'le remboursement au concessionnaire des coûts des pièces de rechange d’origine et de la main d’oeuvre consacrées à l’exécution des travaux sous garantie'.

Il en résulte que la société E doit prendre en charge le coût des interventions de la société D, dont les postes facturés le 14 janvier 2010 ne sont pas autrement contestés, ni dans leur principe, ni dans leur montant.

Il échet par conséquent de condamner la société E, après réformation du jugement attaqué sur ce point, à payer à la société D la somme de 11 535,17 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande formée par conclusions déposées le 26 janvier 2011 et reprises verbalement à l’audience du tribunal de commerce du même jour.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. Z, de la société D et de la compagnie G, ainsi que de la société Digne & X et de la SELARL F et Mme C, ès-qualités, l’intégralité des frais exposés par eux à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte que la société E sera condamnée à les indemniser de leurs frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Déclare irrecevable le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’appel principal dirigé par la société E contre la société Digne & X et de l’appel incident dirigé par M. Z contre la société Digne & X ;

Infirme le jugement attaqué en ce qu’il a :

débouté M Z de ses demandes formées contre la société Digne & X,

débouté M Z de ses demandes formées contre la société D et la société G France,

débouté la société D de sa demande reconventionnelle formée contre la société E Powertrain Technology France,

fixé le point de départ des intérêts de la créance de M. Z au 23 septembre 2009 ;

Condamne in solidum la société D et la société E Powertrain Technology France à payer à M. Z la somme de 69 088,83 euros HT au titre du préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2011 ;

Condamne in solidum la société D, la société G France et la société E Powertrain Technology France à payer à M. Z la somme de 72 582,48 euros au titre du préjudice immatériel, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2011 ;

Fixe, à titre chirographaire, la créance de M. Z au passif du redressement judiciaire de la société Digne & X pour un montant de 69 088,83 euros HT au titre du préjudice matériel et pour un montant de 72 582,48 euros au titre du préjudice immatériel, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2011 au 25 avril 2012 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts par années entières ;

Condamne la société E Powertrain Technology France à payer à la société D la somme de 11 535,17 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2011 ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Y additant, condamne la société E Powertrain Technology France à garantir intégralement la société Digne & X, la société D et la société G France des condamnations prononcées à leur encontre en principal, intérêts et frais ;

Condamne la société E Powertrain Technology France à payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile :

à M. Z, une somme de 2 500 euros,

à la société Digne & X, la SELARL F et Mme C, ès-qualités d’administrateur et de mandataire judiciaire de la société Digne & X, une somme de 1 500 euros,

à la société D et à la société G France, une somme de 1 500 euros ;

Déboute les parties de toutes autres demandes d’application de l’article 700 du code de procédure civile contraires ou plus amples ;

Condamne la société E Powertrain Technology France aux dépens d’appel ;

Accorde à la société civile professionnelle Parrot, Lechevallier et Rousseau et à la société civile professionnelle Mosquet, Mialon, d’Oliveira et Leconte le bénéfice des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

N. LE GALL J. CHRISTIEN

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Cour d'appel de Caen, 27 juin 2013, n° 11/01142