Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 7 septembre 2017, n° 16/00613

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 2e ch., 7 sept. 2017, n° 16/00613
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 16/00613
Décision précédente : Tribunal de commerce d'Annecy, 22 février 2016, N° 2014J00115
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2e Chambre

Arrêt du Jeudi 07 Septembre 2017

RG : 16/00613

GB/SD

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d’ANNECY en date du 23 Février 2016, RG 2014J00115

Appelante

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est sis […] prise en la personne de son représentant légal

assistée de la SCP Z A GLESSINGER SAJOUS, avocat au barreau d’ANNECY

Intimée

Mme X B C Y

née le […] à THONON LES BAINS (74200), demeurant 5 rue du Levant – 74960 CRAN-GEVRIER

assistée de Me Emilie JOLY de la SELARL JURIS AFFAIRES AVOCATS CABINET E.JOLY-C.BOUVIER, avocat au barreau d’ANNECY

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/001503 du 06/02/2017 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CHAMBERY)

— =-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 16 mai 2017 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffier, en présence de Ludivine Becquet, assistante de justice

Et lors du délibéré, par :

—  Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président

—  Monsieur Franck MADINIER, Conseiller,

—  Monsieur Gilles BALAY, Conseiller, qui a procédé au rapport

— =-=-=-=-=-=-=-=-=-

FAITS ET PROCÉDURE

La CRCAM des Savoie poursuit à l’encontre de Mme X Y en sa qualité de caution de la société Le Space qui a été placée en redressement judiciaire le 16 juillet 2013 puis en liquidation judiciaire le 15 juillet 2014, le recouvrement de plusieurs créances relatives à trois prêts consentis le 14 avril 2007, le 23 novembre 2007 et le 21 décembre 2009.

Par exploit du 27 mars 2014, elle a saisi le tribunal de commerce d’Annecy après avoir fait inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur autorisation du juge de l’exécution du tribunal de grande instance d’Annecy par ordonnance du 3 mars 2014 ; après que la liquidation judiciaire a été prononcée, elle demandait la condamnation de la caution à lui payer en vertu des trois prêts les sommes de 50 000 €, 79 000 € et 131 704,74 avec intérêts à compter d’un courrier de mise en demeure du 8 août 2013, au taux contractuel.

Par jugement du 23 février 2016, le tribunal a prononcé une condamnation conforme à la demande pour les sommes de 50 000 € et 79 000 € avec les intérêts au taux contractuel à compter du 8 août 2013 ; mais il a débouté la CRCAM des Savoie de sa demande fondée sur le cautionnement du prêt numéro 249 980. Il a accordé des délais de paiement, prononcé la déchéance des pénalités et intérêts de retard échus entre la date du premier incident et celle à laquelle la caution été informée de la défaillance du débiteur principal, pour les prêts 196 663 et 72 029.

Par déclaration reçue au greffe le 24 mars 2016, la CRCAM des Savoie a interjeté appel de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées au greffe le 2 mai 2017 au nom de la CRCAM des Savoie, demandant à la Cour notamment de :

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Mme X Y à lui payer les sommes de 50 000 € et 79 000 € avec intérêts au taux contractuel à compter du 8 août 2013

— infirmer le jugement pour le surplus,

— la condamner à lui payer en outre la somme de 131 704,74 € avec intérêts au taux contractuel à compter du 8 août 2013

— la condamner à lui payer la somme de 1500 € pour frais irrépétibles

— la condamner aux dépens qui comprendront les frais des mesures conservatoires, avec distraction au profit de son avocat.

La banque affirme que le cautionnement du prêt litigieux n’était pas disproportionné au regard du patrimoine de Mme X Y.

Elle prétend n’avoir commis aucune faute dans l’octroi du crédit à la société Le Space.

Enfin, elle affirme n’avoir pas fait disparaître un droit préférentiel attaché à sa créance, et conteste avoir fait perdre à la caution le bénéfice d’une action subrogatoire.

Vu les conclusions déposées au greffe le 28 avril 2017 au nom de Mme X Y demandant à la Cour notamment de :

— annuler l’engagement de caution du 20 avril 2007

— la décharger de tous ses engagements de caution

— débouter la CRCAM des Savoie de toutes ses demandes

— ordonner la mainlevée de l’inscription provisoire d’hypothèque du 19 mars 2014

— à titre subsidiaire, condamner la CRCAM des Savoie à lui payer la somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts, et ordonner la compensation des dettes réciproques

— reporter ou échelonner le paiement des sommes sollicitées sur 2 années

— en tout état de cause, condamner la CRCAM des Savoie à lui payer la somme de 4000 € pour frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

L’intimée prétend que la CRCAM des Savoie n’est pas fondée à se prévaloir des engagements de caution qu’elle a souscrits, car ils étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus au moment de ses engagements, par application de l’article L341-4 du code de la consommation.

Par ailleurs, elle prétend que la responsabilité de la banque est engagée pour octroi abusif de crédit, affirmant pouvoir exercer cette action en démontrant que les garanties prises en contrepartie de ces concours étaient disproportionnées à ceux-ci, par application de l’article L650-1 du code de commerce. Selon la prévision de ce texte, elle demande l’annulation des cautionnements, et à tout le moins leur réduction.

Enfin, elle prétend que le Crédit Agricole lui a fait perdre le bénéfice de la subrogation en s’opposant à la vente amiable avantageuse d’un bien immobilier lorsque c’était possible, alors que ce bien devra être vendu par le liquidateur sur adjudication avec une mise à prix très inférieure à la valeur escomptée. En application de l’article 2314 du Code civil, elle demande à être déchargée du cautionnement.

Très subsidiairement, elle estime que l’octroi abusif de crédit lui a causé un préjudice indemnisable d’un montant de 200 000 €.

De même, elle demande que soit confirmée la disposition du jugement ayant prononcé la déchéance des pénalités et intérêts de retard échus entre la date du premier incident et celle à laquelle elle a été informée de la défaillance du débiteur principal, par application de l’article L341-1 du code de la consommation.

La procédure a été clôturée le 2 mai 2017.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur le moyen tiré de la disproportion des engagements de caution

L’article L341-4 du code de la consommation stipule qu’un créancier professionnel ne peut pas se prévaloir d’un contrat de cautionnement qui a été conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

La banque se prévaut à l’encontre de Madame X Y, des trois cautionnements suivants :

1) un engagement souscrit par acte sous-seing privé du 14 avril 2007 de garantir à concurrence de la somme de 50 000 € le prêt consenti par le même acte à la société Carpe Diem en formation représentée par elle-même et qui est devenue la société Le Space, d’un montant initial de 200 000 €, destiné à financer des travaux d’aménagement et l’achat de matériel neuf,

2) un engagement souscrit par acte sous-seing privé du 23 novembre 2007 de garantir à concurrence de la somme de 79 000 € le prêt consenti par le même acte à la société Le Space, d’un montant initial de 200 000 €, destiné à financer des travaux d’aménagement,

3) un engagement souscrit par acte sous-seing privé du 21 décembre 2009 de garantir à concurrence de la somme de 171 600 € le prêt consenti par le même acte à la société Le Space d’un montant de 132 000 € destiné à consolider des prêts à court terme.

Il est constant que Madame X Y a constitué une société dans le but d’exploiter un centre de spa sur Annecy, achetant par ailleurs les murs commerciaux par l’intermédiaire d’une SCI, et que les trois prêts litigieux s’inscrivent dans cette opération dont elle a eu le projet en 2007 dans le but d’investir une partie du patrimoine lui revenant à la suite de la liquidation de la communauté Morales/Roulier.

La banque a pu apprécier sa situation à travers le projet d’acte de liquidation de communauté dont il résulte que la moitié de l’actif net lui a été attribuée pour un montant évalué à 909 443,30 €. Ce patrimoine, bien que non immédiatement disponible et liquide, lui permettait facilement de répondre des engagements qu’elle prenait, aussi bien pour l’acquisition des murs que pour l’aménagement des locaux et l’exploitation du fonds de commerce. La somme précitée était constituée d’une soulte à recevoir de son ancien mari, d’un montant de 223 560,21 €, et de l’attribution en nature de divers comptes et contrats d’assurance-vie pour un total de 672 435,04 €.

La banque avait pris la précaution de demander, ce qui fait l’objet d’une lettre de la société en date du 17 avril 2007, la confirmation de l’apport en compte courant par Madame X Y d’une somme de 250 000 € dont 200 000 € bloqués pendant une durée de 5 ans.

Ces seules constatations suffisent à juger que nonobstant le caractère limité de ses revenus en 2007, et même en tenant compte de la caution qu’elle a par ailleurs donnée pour garantir le prêt consenti à la SCI pour l’acquisition de l’immeuble à concurrence de 150 000 € , Madame X Y disposait d’un patrimoine suffisant pour souscrire tous les cautionnements qui lui sont opposés ; elle disposait encore de ce patrimoine en 2009. Les engagements de caution qui lui sont aujourd’hui opposées par la banque n’étaient donc pas manifestement disproportionnées lorsqu’ils ont été souscrits.

Sur la prétention de nullité de l’engagement de caution du 20 avril 2007 et la demande de dommages et intérêts

Madame X Y prétend obtenir la nullité de l’engagement de caution qu’elle aurait souscrit le 20 avril 2007 ; il convient d’observer en premier lieu que la banque ne se prévaut d’aucun engagement souscrit à cette date.

Le moyen de nullité est invoqué sur le fondement de l’article L650-1 du code de commerce qui permet au juge de réduire ou d’annuler les garanties prises en contrepartie de concours consentis à un débiteur faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, lorsque le créancier peut être tenu pour responsable des préjudices subis du fait de ces concours, notamment dans l’hypothèse où les garanties qu’il avait prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnés à ceux-ci.

Or, les garanties souscrites par le crédit agricole en contrepartie de l’ensemble des concours que la banque a accordés à la société Le Space, sont les suivantes :

1) pour le prêt du 14 avril 2007, d’un montant de 200 000 €, outre le cautionnement précité dans la limite de 50 000 € le nantissement du fonds de commerce,

2) pour le prêt du 23 novembre 2007, d’un montant de 200 000 €, outre le cautionnement précité dans la limite de 79 000 €, le nantissement du même fonds de commerce et le nantissement d’un placement financier INVEST 4 dans la limite de 121 000 €,

3) pour le prêt du 21 décembre 2009, d’un montant de 132 000 €, le cautionnement solidaire pour la totalité des sommes dues dans la limite de 171 600 € représentant 130 % du capital pour tenir compte des frais et intérêts éventuels.

Les garanties souscrites en contrepartie des prêts consentis à la société Le Space n’étaient pas disproportionnées à ceux-ci.

La caution n’est donc pas fondée à rechercher la responsabilité de la banque du fait du préjudice qu’elle aurait pu subir en raison des concours consentis à la société Le Space.

Par ailleurs, elle ne démontre pas que les crédits auraient été abusivement ou même imprudemment consentis à la société Le Space.

Enfin, si la caution peut opposer toutes les exceptions du débiteur principal, et lorsqu’elle subit un préjudice personnel du fait de l’octroi abusif des crédits, solliciter la réduction ou l’annulation de son engagement, mais aussi le paiement de dommages-intérêts, cette action en responsabilité ne lui est ouverte aux termes du texte précité que dans les cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou en cas de garanties disproportionnées aux concours consentis ; ces conditions n’étant pas réunies, Madame X Y n’est pas fondée en sa demande de dommages-intérêts.

Sur le moyen tiré de la perte d’un recours rogatoire

Aux termes de l’article 2314 du Code civil, dans sa rédaction antérieure applicable litige, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution.

Le crédit agricole dispose de la qualité de créancier hypothécaire sur un bien appartenant à la SCI Corpore Sano. Il lui est reproché une attitude ayant empêché une vente utile de ce bien par l’administrateur judiciaire, et la perte d’une chance de réalisation de ce bien immobilier à bon prix.

Il suffit de relever que dans la présente espèce, Madame X Y est poursuivie en sa qualité de caution de la société Le Space, laquelle n’est propriétaire d’aucun bien immobilier ; en conséquence, sans qu’il y ait lieu de rechercher la pertinence de cet argument, il est possible d’affirmer que les conditions de vente de l’immeuble de la SCI Corpore Sano ne sont pas susceptibles de priver Madame X Y des recours subrogatoires qu’elle pourrait exercer à l’encontre de la société Le Space.

Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le moyen tiré de la déchéance des intérêts

Madame X Y invoque les dispositions de l’article L341-1 du code de la consommation dans leur rédaction ancienne applicable au litige pour prétendre être déchargée des intérêts de retard échus depuis la date du premier incident de paiement au motif qu’elle n’en a pas été informée par la banque.

Toutefois, elle est poursuivie en vertu de trois engagements de caution se rapportant à trois contrats de prêt différents, et elle ne précise pas si ce moyen est invoqué pour l’un d’entre eux ou pour chacun d’eux.

En outre, elle ne développe pas l’argument en ne précisant pas quelle est la date du premier incident de paiement dont elle n’aurait pas été informée, alors même qu’en qualité de gérante, elle pouvait par ailleurs disposer de cette information.

En définitive, l’appréciation de la pertinence de ce moyen n’est pas possible à défaut d’une prétention précise dont il serait le soutien, d’autant que cette imprécision se retrouve aussi bien dans les motifs des conclusions que dans leur dispositif.

La prétention formée en termes généraux et imprécis doit être rejetée.

Sur la demande de délais de paiement

Madame X Y ne produit pas ses avis d’imposition postérieurs à 2013 ; elle ne démontre pas la réalité de sa situation financière actuelle. Il n’est pas justifié de lui accorder les délais qu’elle sollicite.

Sur la créance du crédit agricole

La banque justifie de la déclaration de sa créance au passif de la société Le Space en date du 7 août 2013 ; les sommes déclarées ne font pas l’objet de contestations. Madame X Y ne conteste pas le montant des sommes qui lui sont réclamées suivant mises en demeure du 8 août 2013 représentant, pour chacun des trois prêts, des sommes inférieures ou égales au montant limite de ses engagements.

Il résulte que la demande doit être accueillie pour les sommes dues en principal, augmentées des intérêts au taux conventionnel de chacun des prêts à compter du 8 août 2013.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Madame X Y doit supporter les dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile dont la distraction sera ordonnée en application de l’article 699 du même code.

Par ailleurs, il est équitable de la condamner à indemniser le crédit agricole de ses frais irrépétibles en lui payant une somme de 1500 € en application de l’article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Réforme partiellement le jugement rendu le 23 février 2016 par le tribunal de commerce d’Annecy,

Le confirme en ce qu’il a condamné Madame X Y à payer à la caisse régionale de crédit agricole des Savoie la somme de 50 000 € avec intérêts au taux contractuel de 4,30 % à compter du 8 août 2013 et la somme de 79 000 € avec intérêts au taux contractuel de 5,5 % à compter du 8 août 2013,

L’infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Condamne Madame X Y à payer à la caisse régionale de crédit agricole des Savoie la somme de 131 704,74 € avec intérêts au taux contractuel de 4,05 % à compter du 8 août 2013,

La condamne en outre à lui payer la somme de 1500 € pour frais irrépétibles,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne Madame X Y aux dépens de première instance et d’appel, qui comprendront les frais des mesures conservatoires et autorise la SCP Z A Glessinger Sajous à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l’avance sans recevoir de provisions, sur son affirmation de droit.

Ainsi prononcé publiquement le 07 septembre 2017 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Evelyne THOMASSIN,
Conseiller faisant fonction de Président et Madame Sylvie DURAND, Greffier.

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Cour d'appel de Chambéry, 2ème chambre, 7 septembre 2017, n° 16/00613