Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 1er décembre 2016, n° 15/01363

  • Marketing·
  • Carburant·
  • Sociétés·
  • Service·
  • Travail·
  • Vente·
  • Activité·
  • Gérant·
  • Lubrifiant·
  • Exploitation

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Douai, troisieme ch., 1er déc. 2016, n° 15/01363
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 15/01363
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Lille, 10 février 2015, N° 13/1116
Dispositif : Annule la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

31 Janvier 2017

N° 309/17bis

RG 15/01363

ML/VCO

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de
LILLE

en date du

11 Février 2015

(

RG 13/1116 -section 2

)

NOTIFICATION

à parties

le 31/01/17

Copies avocats

le 31/01/17

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

— 

Prud’Hommes

— 

APPELANT :

M. X Y

13 LA FONTAINE SAINT MARTIN

XXX

Comparant assisté de Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SA TOTAL MARKETING SERVICES ANCIENNEMENT DENOMMEE SOCIETE
TOTAL
RAFFINAGE MARKETING

XXX

XXX

Représentée par Me Sébastien REGNAULT, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l’audience publique du 15
Novembre 2016

Tenue par Michèle LEFEUVRE

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Carmela
COCILOVO

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU
DÉLIBÉRÉ

Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE
CHAMBRE

Hervé BALLEREAU : CONSEILLER
Michèle LEFEUVRE : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Janvier 2017,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE,
Président et par Nadine CRUNELLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par contrat du 30 septembre 2002 la société Total
Marketing Services a donné en location gérance à

la société SORATA, gérée par Monsieur X Y, un fond de commerce de station service

située à Fresnes lès Montauban. Ce contrat a été renouvelé le 31 octobre 2005 pour une durée de

trois ans.

Par un nouveau contrat en date du 31 octobre 2005, la société Total Marketing Services a confié à la société SORATA la location-gérance de la station service relais du Croisé Laroche située à
Marcq-en-Bar’ul, ayant en outre une activité de lavage, pour une durée de trois ans. Par la suite, un nouveau contrat de location gérance portant sur la même station-service a été conclu par les parties le 30 avril 2009 pour la même durée.

Par lettre du 7 janvier 2011, la société Total
Marketing Services a notifié à la société
SORATA la rupture du contrat de location gérance sans préavis, sur le fondement de l’article 31 du contrat, en reprochant à Monsieur Y d’avoir diffusé sur le réseau des locataires gérants Total un courriel contenant des accusations graves et non fondées contre ses équipes commerciales.

Considérant qu’il relevait du statut de gérant de succursale sur le fondement des articles L7321'1 et suivants du code du travail, Monsieur X Y a saisi le 13 octobre 2011 le conseil des prud’hommes de Lille de diverses demandes de rappel de salaire et indemnités.

Le même jour, le tribunal de commerce de Lille a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société SORATA.

Par jugement du 11 février 2015 notifié le 26 mars 2015, le conseil des prud’hommes a débouté Monsieur X Y de l’ensemble de ses demandes.

Monsieur X Y a interjeté appel de ce jugement par lettre recommandée adressée au greffe le 15 avril 2015 et demande à la Cour de l’infirmer en toutes ses dispositions, de dire qu’il relève des dispositions du code du travail, de requalifier la rupture des relations contractuelles en licenciement sans cause réelle sérieuse, de fixer sa rémunération de référence à 2 829 euros bruts et de condamner la société Total Marketing Services à lui verser les sommes suivantes :

' 165'402 euros au titre de rappel d’heures supplémentaires,

' 4 528 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

' 8 487 euros au titre de l’indemnité de préavis,

' 848 euros au titre des congés payés sur préavis

' 67 896 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et de condamner la société TOTAL Marketing
Services à lui remettre les bulletins de paie correspondant à la période de préavis, un certificat de travail et l’attestation pôle emploi.

Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, Monsieur X
Y expose remplir les conditions posées par l’article L7321'2 du code du travail relatives au gérant de succursale, en sa qualité de gérant de fait de l’activité de la station-service sans qu’il n’y ait lieu d’établir la fictivité de sa société, puisque sa profession était essentiellement de vendre des carburants, lubrifiants, gaz et produits de boutique ainsi que des prestations de lavage, ses marchandises lui étant fournies par Total.

Il indique que la vente de carburants correspondait à 91 à 98 % du chiffre d’affaire total de la station-service ce qui démontre que son activité principale était essentiellement de la vente du carburant. Il ajoute que seule l’activité de la station doit être prise en compte à ce titre et non la part des commissions perçues par la société SORATA au titre des ventes de carburant. Il conteste tirer des profits importants d’une activité distincte de cette activité principale.

Concernant les conditions d’exploitation de la station-service, Monsieur Y fait valoir que les conditions d’exploitation étaient toutes imposées par la société Total et considère qu’il ne bénéficiait d’aucune autonomie, notamment dans la fixation des jours et horaires d’ouverture de la station puisque les prévisions de chiffre d’affaires fixées en amont par Total dépendaient de cette amplitude horaire. Il conteste également avoir bénéficié d’autonomie dans l’approvisionnement du fond de commerce et relève que Total lui imposait de nombreux contrôles, des actions publicitaires et promotionnelles comme de prendre un comptable référencé. Il ajoute que son niveau de rémunération était fixé par le compte de résultat prévisionnel et que la société Total prenait également en charge une partie de ses pertes pour compenser les conséquences de sa politique commerciale qui lui était imposée.

Il ajoute que Total lui imposait les prix des carburants du lavage et tout en prétendant lui laisser une liberté de fixation du prix pour les marchandises de la boutique et les lubrifiants et le gaz. Il considère que dans ces circonstances, les conditions de l’article L7321'2 du code du travail sont réunies et qu’il est bien-fondé à solliciter le bénéfice des dispositions du code du travail.

Monsieur Y fait valoir qu’il avait une ancienneté de plus de huit ans, que sa dernière rémunération s’élevait à 2 829 euros bruts et que, au regard des minima prévus par la convention collective de la réparation de l’automobile et du motocycle et de l’autonomie dont il jouissait, il doit lui être reconnu un niveau de rémunération correspondant à un cadre.

Il considère que la rupture de relations contractuelles était imputable à Total qui a rendu l’exécution du contrat impossible par ses manquements, alors qu’il lui avait rappelé que sa trésorerie était en péril malgré une progression constante et régulière et qu’il était bien noté. Il conteste toute intention de nuire et de diffamation à l’encontre de la société Total, puisque le mail qui lui est reproché dans lequel il exprime son ressenti face à ses difficultés financières dans le cadre de son droit d’expression a été diffusé uniquement sur le réseau TOTAL.
Il rappelle qu’aucun reproche ne lui avait jusque-là été formulé et considère que la rupture du contrat de travail doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

De plus, il considère avoir effectué de très nombreuses heures supplémentaires alors qu’il ne pouvait pas se faire remplacer dans ses fonctions de cadre et était obligé d’être personnellement présent dans la station-service, suivant des horaires dépassant systématiquement la durée légale du travail.

Par conclusions en réponse également déposées et soutenues oralement à l’audience, la société Total
Marketing Services demande à la Cour de dire irrecevables les demandes de Monsieur X
Y, subsidiairement de le débouter de ses demandes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions. Très subsidiairement, elle demande de débouter Monsieur X Y de ses demandes formées au titre des heures supplémentaires et relatives au licenciement et de le condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Total Marketing Services rappelle que les relations contractuelles entre les sociétés pétrolières propriétaire d’un fonds de commerce de station-service et les exploitants sont régies par des accords interprofessionnels qui comportent des dispositions protectrices pour le gérant et déterminent la rémunération annuelle brute de différent de référence des exploitants des stations service.

La société Total Marketing Services soulève l’irrecevabilité des demandes de Monsieur Y puisqu’il ne peut bénéficier du statut de gérant de succursale. Elle fait valoir l’absence de lien direct avec Monsieur Y, puisque la location-gérance a été confiée à la société SORATA, dont seule la responsabilité est susceptible d’être engagée à son encontre et à qui elle verse les commissions dues au titre de l’exploitation de la station service.

Subsidiairement, la société Total relève que l’exclusivité de la vente portait uniquement sur les carburants, que la vente de produits n’était pas exclusive et que le gérant avait la possibilité d’exploiter d’autres activités non exclusives. Elle considère que le chiffre d’affaires carburants de la société SORATA ne correspond pas au montant des ventes de carburant réalisé par la station-service puisqu’il est grevé de taxes et que seules les commissions perçues à ce titre comptabilisées dans le chiffre d’affaire de la société doit être prises en compte. Elle constate qu’une part importante du chiffre d’affaire global de la station-service provient d’activités non exclusives.

La société Total considère que l’adhésion de Monsieur Y à un réseau de distribution lui mettant à disposition une marque connue et reconnue ainsi qu’un savoir-faire avec pour contrepartie différentes obligations, n’entravait pas sa liberté de gestion et d’exploitation.

Elle rappelle que Monsieur Y était libre d’exploiter des activités de diversification, de fixer les jours et heures d’ouverture de la station-service, étant relevé que les horaires qu’elle a déterminés ne sont pas ceux de toutes les stations Total du territoire, et de recruter librement son personnel en définissant les tâches de chacun. Elle ajoute qu’il disposait également d’une totale liberté pour déterminer sa propre rémunération. Elle fait d’ailleurs observer qu’en 2006/2017, Monsieur Y a fait le choix de privilégier sa rémunération plutôt que de recruter du personnel et s’est plaint de la trop grande autonomie qui lui était laissée.

La société Total estime que les affirmations de Monsieur Y selon lesquelles les prix des marchandises étaient prédéterminés sont contredites par les pièces comptables qu’il communique aux

débats puisqu’il apparaît que son taux de marge sur les ventes d’accessoires était supérieur à celui retenu dans le compte de résultat prévisionnel, ce qui démontre sa liberté dans la fixation des prix des activités non exclusives.

Subsidiairement, la société Total Marketing
Services considère que la rémunération de référence à retenir doit être celle de 2 829 euros bruts et précise que cette rémunération ne peut être déterminée qu’en application de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l’automobile, applicable aux activités de commerce de carburant, en appliquant le statut de maîtrise échelon 17 à 20 maximum.

Concernant les demandes formées au titre des heures supplémentaires, la société Total rappelle que Monsieur Y maîtrisait les conditions d’exploitation du fonds de commerce ainsi que les conditions de travail du personnel, puisqu’il était libre de recruter du personnel, ce qui lui permettait d’organiser ses propres conditions de travail alors qu’il n’avait pas l’obligation d’être personnellement présent à la station-service. Elle ajoute qu’elle n’effectuait aucun contrôle des heures de travail de Monsieur Y, qu’il fixait librement ses heures de travail, et en tout état de cause, constate qu’il n’apporte pas la preuve des heures de travail alléguées, les pièces produites n’étant pas probantes.

Enfin au titre du licenciement prétendu, la société Total rappelle l’absence de lien de subordination avec Monsieur Y qui lors de la rupture du contrat disposait d’un statut faisant obstacle à l’application des dispositions relatives licenciement. Elle considère avoir valablement résilié le contrat de location gérance sans préavis conformément aux dispositions contractuelles et que le statut de gérant de succursale est incompatible avec les dispositions relatives au licenciement. En toute hypothèse, elle relève que le comportement reproché à Monsieur Y qui a porté des accusations injustifiées et mensongères à l’encontre de son équipe commerciale relève de la faute grave et a porté atteint à son image de marque. Elle ajoute que la facture d’eau litigieuse remonte à 2006, que la consommation d’eau est inscrite dans la comptabilité et que les pertes enregistrées par la société SORATA liée à la panne de rouleau de lavage devaient être prise en compte au cours de l’année 2011. Enfin, elle considère que l’indemnité de licenciement ne peut être accordée en absence de contrat de travail et que la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée.

SUR CE :

— sur la recevabilité des demandes :

Suivant l’article L1411-1 du code du travail, la juridiction prud’homale est compétente pour connaître des demandes résultant d’un différent qui s’est élevé à l’occasion d’un contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs et les salariés qu’ils emploient.

L’article L7321-2 du code du travail étend les dispositions du code du travail au gérant de succursale défini comme étant toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises de toutes natures qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni et agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.

Par ailleurs, l’existence d’une société commerciale d’exploitation et la signature d’un contrat commercial ne peuvent priver une personne physique des droits qu’elle tient à titre individuel des dispositions de l’article L7321-2 du code du travail, qui ne s’appliquent ni à une personne morale ni aux gérants de cette personne morale.

Il est constant que la société SORATA à qui la location gérance litigieuse a été confiée par la société
TOTAL Marketing Services, a été créée par M. X Y uniquement pour permettre à ce dernier d’exercer cette activité, tout en protégeant son patrimoine personnel, et que cette activité était

limitée à ce seul fonds de commerce dont l’adresse était celle de son siège social.

Il n’est également pas contesté que l’exploitation de la station service était de fait exercée par M. X Y, ce qui ressort d’ailleurs des nombreuses pièces produites aux débats. Ainsi, en restituant aux faits leur exacte qualification et sans qu’il n’y ait lieu de rechercher une éventuelle fictivité de la société SORATA, M. X Y peut revendiquer le bénéfice des dispositions s’appliquant aux gérants de succursale.

Pour pouvoir y prétendre, M. X Y doit démontrer qu’il remplit cumulativement les conditions établissant sa dépendance économique à la société TOTAL Marketing Services, tenant à la vente aux conditions et prix qui lui sont imposés de marchandises qu’elle lui fournit exclusivement ou presque exclusivement, dans un local qu’elle lui fournit également, ce dernier point n’étant pas discuté.

— sur l’activité principale de vente de marchandises fournies par la société TOTAL Marketing
Services :

Pour répondre de la condition tenant à la vente exclusive ou quasi-exclusive des marchandises fournies par le fournisseur, l’exploitant doit établir que cette activité de vente est l’activité principale, au regard d’une éventuelle activité annexe exercée en parallèle de manière autonome et susceptible de générer des recettes indépendantes.

Le contrat de location gérance de station service 'performa+' prévoit en son article 10 que l’activité principale du réseau de fonds de commerce est 'la distribution de carburants produits ou fournis par la société’ et que 'les activités annexes à la distribution de carburants contribuent à l’équilibre de la station. La nature et l’importance de l’ensemble de l’activité varient suivant l’emplacement, les caractéristiques et le potentiel commercial de chaque station service .'

Les autres activités de la station service du
Croisé Laroche prévues au contrat correspondent à la vente de lubrifiants, de gaz , de produits automobiles et alimentaires en boutique, étant observé que le service du lavage est exploité sous la forme d’un mandat.

L’examen de l’ensemble des éléments comptables produits aux débats aux fins de comparer les volumes des ventes des carburants et lubrifiants avec les autres activités, notamment les chiffres d’affaire de la société SORATA et la ventilation de ses recettes pendant plusieurs années, permet de constater d’une part que le gérant consacrait bien l’essentiel de son activité à la vente de carburant et d’autre part que l’activité de vente de la boutique et de lavage ne lui permettait pas d’avoir une indépendance économique réelle par rapport à la société TOTAL, ces activités restant liées à la vente de carburant.

Par ailleurs, les annexes au contrat précisent d’une part que l’exploitant doit distribuer exclusivement les carburants fournis par la société TOTAL et d’autre part qu’il doit s’approvisionner en gaz auprès de la société TOTALGAZ et 'pourra s’approvisionner’ en lubrifiants auprès de la société LESCOT, filiale de la société, tout en précisant dans les dispositions particulières, appliquer les tarifs LESCOT pour la vente de ces lubrifiants. Il est également imposé à l’exploitant d’acheter auprès des prestataires qui lui sont désignés, les cartes permettant aux automobilistes d’effectuer une ou plusieurs prestations de lavage.

Concernant l’activité boutique qui doit disposer en permanence d’une gamme minimale définie dans le concept de la boutique, le contrat stipule que l’exploitant s’engage à consulter les fournisseurs avec lesquels la société TOTAL a négocié des conditions tarifaires et services associés pour le réseau.

Si ces dernières dispositions autorisent l’exploitant à vendre des produits de diversifications provenant d’autres fournisseurs que ceux référencés par la société TOTAL, il ressort des pièces

comptables produites que M. Y s’est approvisionné presque exclusivement auprès des fournisseurs référencés dont les prix étaient négociés, les achats effectués auprès des sociétés
Auchan, Synergies et Socopi, seules désignées par la société TOTAL comme n’étant pas référencées, étant marginaux.

Il résulte ainsi de ces éléments que les marchandises relevant tant de l’activité prépondérante de vente de carburants que de celle des autres activités secondaires, étaient fournies à M. Y quasi-exclusivement par la société TOTAL et ses filiales ou partenaires.

— sur les conditions de vente et la fixation des prix :

Suivant le contrat de location gérance, la société TOTAL imposait à M. Y diverses modalités d’exploitation du fonds de commerce.

Concernant l’activité de vente de carburant, l’exploitant est en effet tenu de respecter un manuel aux fins de procéder au contrôle et la comptabilité des stocks, de déposer chaque jour la recette correspondante sur un compte bancaire dédié et de transmettre quotidiennement un état des ventes effectuées comprenant la situation du stock.

Les dispositions contractuelles relatives à la boutique, prévoient la remise de recommandations d’exploitation, la mise en place d’un concept ' terra cotta’ par la fourniture du matériel mobilier qui doit être implanté selon ces recommandations et la mise en vente de produits d’une gamme minimale définie dans le concept de la boutique.

Outre ces éléments, il est précisé que la comptabilité est tenue à disposition de la société TOTAL qui établit elle-même la facturation des commissions dues à l’exploitant et le prix de vente des carburants, après communication des prix pratiqués par les concurrents.

Ce contrôle de la comptabilité, établie par un comptable référencé par la société
TOTAL, restreignant ainsi la liberté de M. Y de choisir son comptable, comme l’atteste M. Z, expert-comptable de la société COGEMEX, était effectué en parallèle à des contrôles sur la tenue de la station par des visites mystère au cours desquelles étaient évalués l’accueil, le port de la tenue par les employés, l’entretien et la qualité des produits, à la suite desquelles une note globale était attribuée et un plan d’action déterminé, le cas échéant. M. Y justifie également avoir, en prévision d’un audit prévu le 12 août 2008, reçu des instructions de son chef de secteur concernant différents points relatifs notamment à la sécurité et les informations sur la formation de ses salariés.

Les dispositions contractuelles prévoient de plus la transmission 'en permanence’ d’informations sur toute évolution significative de la station par des entretiens téléphoniques et entrevues ainsi qu’un point partenariat annuel.

S’agissant des horaires d’ouverture de la station service, fixés du lundi au dimanche de 6 h à 22 h par les conditions particulières du contrat, qui autorise toutefois à les fixer librement, il convient d’observer que le gérant était tenu de respecter les objectifs de vente fixés par la société TOTAL suivant un compte de résultat prévisionnel prenant en compte l’amplitude horaire d’ouverture et qu’aucun élément produit aux débats ne permet de constater que ces objectifs pouvaient être atteints avec des horaires d’ouverture réduits.

Enfin, s’il est stipulé que les prix de vente des produits de la boutique et du gaz sont librement fixés par l’exploitant, au contraire des carburants et lubrifiants, la société se réservant toutefois de définir un prix maximum conseillé à la vente, il est manifeste qu’étant déficitaire depuis plusieurs années, M. Y n’avait pas de réelle autonomie pour tenir une politique personnelle de prix réduits par rapport aux prix ainsi déterminés, d’autant que les marchandises étaient fournies par TOTAL GAZ ou des fournisseurs référencés et que, suivant les pièces produites, il était tenu de suivre les

opérations commerciales annoncées par son chef de secteur.

Par ailleurs, la possibilité pour l’exploitant d’obtenir une aide économique de la société TOTAL qui détermine les comptes de résultats prévisionnels, comme cela a été le cas de M. Y au cours des derniers exercices, lui permettant de réduire les pertes enregistrées malgré la progression des marges qu’il souligne, montre également la réalité de sa dépendance économique à celle-ci .

Il est ainsi démontré que la société
TOTAL exerçait un contrôle constant sur les conditions d’exploitation de la station service et déterminait les prix de vente des marchandises.

Il résulte ainsi de l’ensemble de ces éléments que l’essentiel de l’activité de M. Y consistait à vendre des produits fournis presqu’exclusivement par la société TOTAL Marketing Services, dans des locaux qu’elle lui a fournis, et aux conditions et prix qu’elle lui a imposés, de sorte que M. Y relevait de l’article L7321-2 du code du travail relatif au gérant de succursale.

Dès lors, ses demandes formées devant la juridiction prud’homale sont recevables.

— sur la rupture du contrat :

La lettre de résiliation du contrat sans préavis, adressée par la société TOTAL à M. Y le 7 janvier 2011 est motivée par l’envoi par M. X Y d’un courriel sur la messagerie des exploitants de station TOTAL, qui contiendrait des accusations graves et infondées contre les équipes commerciales de la société TOTAL et porterait atteinte à l’image de la société en rompant toute relation de confiance réciproque.

Le courriel litigieux, daté du 8 décembre 2010 , contient le message suivant:

«Plutôt que d’envoyer des messages qui riment

à

rien, pensez aux Cds

(chefs de secteur)

qui vous font des crp

(compte de résultat prévisionnel)

bidons ou impossibles

à

réaliser pour que votre sarl soit en déficit d’une année

sur l’autre, ou si vous gagnez de l’argent, c’est qu’ils se sont plantés et

récupèrent l’année

suivante la totalité ou

%

l’année même et refont le crp sur le contrat suivant avec les nouvelles donnes. Un Cds ne vous fait

jamais participé

à

l’élaboration du crp, car il touche. Nous ne sommes que des pantins

à

la botte et sommes en

cdd d’une année sur l’autre, au bon vouloir du Cds de combler ce qu’il veut, si la tête du gérant lui convient.
Les pertes sont toujours comblées par le gérant (sans possibilité de discussion). Pour quelles raisons les pertes ne sont pas comblées par le pétrolier, alors qu’ils en sont les seuls responsables par l’intermédiaire de leurs Cds qui touchent ' Pendant

que vous

trimez pour que dal, eux font la

java.

Cdt

»

Il ressort des pièces produites que l’envoi de ce message est intervenu dans un contexte économique difficile pour M. Y, qui faisait face à une perte des commissions de lavage en raison de pannes du rouleau de lavage et de travaux effectués dans la zone de lavage depuis le 15 novembre 2010 non prises en compte dans le compte de résultats prévisionnel, s’ajoutant à ses contraintes d’exploitation.

Il justifie avoir précédemment demandé à son chef de secteur un soutien économique pour faire face à ces difficultés conjoncturelles dont il n’était pas responsable, sans qu’une réponse favorable ne lui ait été apportée.

Par ailleurs, il convient de relever que ces propos, diffusés uniquement auprès des autres gérants qui pouvaient être également confrontés à des difficultés d’exploitation, n’ont pu porter atteinte à l’image de la société.

Dans ces circonstances, alors que M. Y justifie avoir été félicité pour la bonne tenue de la station, avoir obtenu de bonnes notes lors des différents contrôles exercés et donné satisfaction aux clients qui l’en ont remercié dans le livre d’or qu’il produit, l’envoi de ce seul message qui relève de

sa liberté d’expression et ne contient aucun propos injurieux, diffamatoires ou excessifs , ne caractérise pas une cause suffisamment sérieuse pour justifier son licenciement.

Les parties s’accordant sur l’application de la convention collective de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle ainsi que ses activités annexes, incluant les activités de commerce de carburant, il convient de retenir que M. Y, qui compte tenu de son expérience dans l’exploitation de la station service et de sa responsabilité à l’égard de salariés qu’il a embauchés et dont il fixait les conditions de travail, tout en étant soumis aux directives de la société TOTAL, relevait de la qualification de cadre. Au regard de la rémunération mensuelle correspondant à cette catégorie et de l’accord de la société TOTAL, il convient de retenir la rémunération de référence de M. Y à la somme de 2 829 euros brut.

Par la perte de son emploi, M. X Y, qui était alors âgé de 43 ans, a subi un préjudice en se retrouvant brutalement sans ressources avant de retrouver un emploi dans l’immobilier. Au regard de son ancienneté et de ces éléments, il lui sera accordé une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La période de préavis étant fixée à trois mois par la convention collective, la société
TOTAL
Marketing Services sera condamnée à lui verser la somme de 8 487 euros à ce titre, outre 848 euros au titre des congés payés s’y rapportant.

Au titre de l’indemnité de licenciement et au vu des dispositions de la convention collective, la station TOTAL aura également à lui verser la somme de 4 528 euros sollicitée à ce titre.

La société TOTAL sera en outre tenue de remettre à M. X Y les bulletins de salaire correspondants à la période de préavis ainsi que les documents de fin de contrats conformes à la présente décision.

— sur les heures supplémentaires :

Suivant l’article L7123-3 du code du travail, les dispositions du code du travail relatives aux heures supplémentaires et aux congés payés ne sont applicables aux gérants de succursale que s’ils établissent que les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité dans l’établissement sont fixées par l’entreprise qui fournit les marchandises ou si elles sont soumises à son accord.

Si la rémunération de M. Y était déterminée en application de l’accord interprofessionnel négocié entre les exploitants pétroliers et les représentants des exploitants des stations service et les charges salariales fixées par la société TOTAL dans le cadre du compte de résultat prévisionnel, limitant ainsi la possibilité pour M. Y d’embaucher du personnel supplémentaire, il convient de relever que ces éléments réduisaient son autonomie dans la fixation des conditions d’exploitation de la station service, indépendamment de l’organisation des conditions de travail elles-mêmes.

Le contrat liant les parties stipule que l’exploitant fixe librement les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité de ses dirigeants et du personnel tout en préconisant une organisation de leur emploi du temps en considération des heures creuses afin d’optimiser les coûts salariaux et en précisant qu’il doit respecter les règles d’hygiène et de sécurité applicables à l’exploitation de la station suivant les règles énoncées par le manuel.

Il résulte de l’examen de ce contrat qu’aucune disposition n’imposait à M. Y d’être présent en permanence dans la station service sans pouvoir se faire remplacer et ne lui imposait d’une manière générale des modalités d’organisation de son propre travail.

De même, il n’est pas démontré que la société TOTAL lui donnait des instructions sur les horaires de travail, la réalisation des plannings qui ne sont d’ailleurs pas produits aux débats, l’organisation des

remplacements et la fixation des dates de congé du personnel. Or, en définissant librement les conditions de travail de ces salariés, il pouvait organiser ses propres conditions de travail et déterminer ses heures de présence dans la station service et de repos, dans la limite des conditions d’exploitation qui lui étaient imposées.

Par ailleurs, il n’est pas davantage établi que la société TOTAL procédait à un contrôle sur ces conditions de travail, les fiches de contrôle produites aux débats portant uniquement sur la qualité de l’accueil, la propreté des lieux et les conditions commerciales.

Dès lors, à défaut de tout autre élément, il convient de dire que M. Y ne remplit pas les conditions exigées par l’article L7321-3 du code du travail pour bénéficier de l’application des dispositions relatives à la durée du travail et aux heures supplémentaires. Sa demande de rappel de salaire formée à ce titre sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

REFORME le jugement déféré,

STATUANT à nouveau :

DIT que les dispositions des articles L7321-3 du code du travail sont applicables à M. X
Y,

DECLARE en conséquence ses demandes formées devant la juridiction prud’homal recevables,

REQUALIFIE la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE en conséquence la société TOTAL
Marketing Services à verser à M. X
Y les sommes suivantes:

—  50 000 euros à titre de dommages et intérêts pur licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  4 528 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

—  8 487 euros au titre de l’indemnité de préavis,

—  848 euros au titre des congés payés sur préavis

DEBOUTE M. X Y de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

CONDAMNE la société TOTAL Marketing Services à remettre à M. X
Y les bulletins de salaire correspondants à la période de préavis ainsi que les documents de fin de contrats conformes au présent arrêt,

CONDAMNE la société TOTAL Marketing Services à verser à M. X Y la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société TOTAL Marketing Services de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société TOTAL Marketing Services aux dépens qui comprendront les dépens de

première instance.

Le Greffier, Le Président,

N. CRUNELLE S. MARIETTE

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 1er décembre 2016, n° 15/01363